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Les communautés caribéennes anglophones

Chapitre 4 L’anémie falciforme: une cause peut-elle changer la perception des

4.3 Des populations d’origines caribéennes aux communautés caribéennes

4.3.1 Les communautés caribéennes anglophones

Selon Williams (1997, 1998), le tournant du vingtième siècle marque le fondement de la création d’une communauté noire anglophone qui s’implante et se développe sur les plans sociaux, culturels et associatifs. Les Noirs, exclus de certains emplois, commerces et églises inaugurent des lieux et commerces qui leur sont propres; c’est ainsi que voient le jour les journaux communautaires, les cafés, les clubs, etc. Dans son ouvrage sur l’histoire des Noirs à Montréal, Williams (1997) relate qu’à cette époque, chaque groupe

ethnique et religieux était responsable des siens. Pour cette raison, les églises de confession chrétienne et les groupes sociaux, comme le Union United Church et le Coloured Women’s Club, étaient très actifs et devinrent des lieux d’entraide, d’ancrage et de repères socioculturels propres aux communautés noires :

It is widely acknowledged in the black community and beyond that the church is an institution which embodies black identity and collective kinship. It represented, in the words of Montrealer Betty Riley, ''the coming together of a people to share in fellowship, social interaction, relevance and historical significance''30. Another Montrealer, Henry J. Langdon, described the church as a ''beacon to the people because it provided guidance, unity, and a sense of pride."31 Creating a black church in Montreal was clearly seen as another step toward spiritual and cultural unification. (William, 1997, p. 52)

Este (2004) note également la place centrale de la religion pour cette communauté noire et surtout de la Union United Church. Selon lui, il ne faisait aucun doute que cette église était déjà, en 1929, la plus importante institution de la communauté.32 Elle a d’ailleurs nourri la culture de jazz foisonnante dans le Montréal des années 1920 en produisant deux jazzmen de réputation internationale nés à Montréal et d’origine caribéenne : Oscar Peterson et Oliver Jones. Williams (1997) décrit comment la musique avec ses racines gospel et jazz a toujours revêtu un aspect fondamental pour la communauté noire. Une dame interviewée par Willliam lui confirme la place centrale de la musique dans le foyer familial en disant : « music was the way we showed love to each other because a house was not a home until there was a piano in it. Everybody played an instrument » (p.76)33.

30 Betty Riley, “The Coloured Church of Montreal”, Spear, 3, 10 dans Bertley, Toronto, 1982: p. 15. 31

M. Henry Langdon, interviewé par M. Clarke, le 1er novembre 1988, « Black Montrealers : A Piece of the Multicultural Mosaic (1910-1960) », Oral History Montreal Studies, Montreal: Concordia University Libraries, 1988). Cité dans Williams (1997, p.52).

32 Voir aussi Moses et coll. (2008). Proud past, bright future, Montréal: Union United Church.

33 Le mot clé « Black Canadians » sur Wikipédia rapporte plus de 250 noms d’artistes et de personnalités

qui ont marqué le Canada, la plupart d’origine caribéenne. La minorité noire au Canada est celle qui compte le plus de gens s’étant illustrés au Canada quand on la compare aux autres minorités, ce qui

Le Québec est la seule région en Amérique du Nord où le français est la langue officielle. Or, comme le démontre le Tableau 9, 86 % des membres de la communauté jamaïcaine au Québec est de langue maternelle anglaise et la même proportion parle l’anglais à la maison34 : ces proportions sont encore plus élevées pour les personnes d’origine ethnique barbadienne (92 %) (ENM, 2011, compilation spéciale). En Jamaïque, comme c’est le cas des autres ex-colonies britanniques, l’anglais est la langue officielle. Pour ces communautés anglophones35, l’arrivée au pouvoir en 1976 d’un parti nationaliste et l’adoption de la Loi 101, tel que mentionné au chapitre un affaiblira davantage leur statut minoritaire : être anglophone pouvait être perçu comme un handicap. Il ne semble pas avoir de consensus sur l’impact de la victoire du Parti Québécois sur l’exode de Caribéens anglophones. Williams concède qu’il y eu certes des départs (entre 10 % et 50 % seraient partis dans les années 1970), mais que ceux-ci n’étaient pas nécessairement dus au « fait français », mais plutôt parce que Montréal restait encore, aux yeux de ces derniers, un lieu de transition ou simplement parce qu’ils retournèrent dans leur pays d’origine (Wolfe et Kone, cités dans Williams, 1998). D’autres, comme Locher (1984), ont noté que l’insatisfaction envers la situation du Québec et le Parti Québécois constituaient des facteurs importants. L’importance renouvelée du français au Québec fit en sorte que les Caribéens de langue anglaise se trouvèrent dans une situation de triple minorité (Locher, 1984), celle d’être immigrant, anglophone et Noir. Indépendamment de leur décision de rester ou de partir, pour ces anglophones, la loi 101 fut très négativement perçue et a provoqué une source importante d’anxiété et d’incertitude ainsi qu’un sentiment de malaise (Williams, 1997; Laferrière 1982). L’étude de Labelle et coll. (2001) rapporte que le sentiment d’exclusion pour ceux qui ne

témoigne de son ancienneté. Parmi les personnalités caribéennes anglophones du Québec, nous retrouvons en politique Yolande James et Marlene Jennings ainsi que la première juge noire au Québec, Juanita Westmoreland-Traoré et la journaliste Maya Johnson.

34 Pour les personnes d’origine trinidadienne, guyanaise et saint-vincentaise et grenadine, cette

proportion est respectivement de 87 %, 95 % et 91 % (ENM, 2011, compilation spéciale)

35

maîtrisent pas parfaitement le français est particulièrement fort au sein de leurs répondants jamaïcains de la deuxième génération.

Tableau 5 : Caractéristiques des communautés d’origine ethnique haïtienne, jamaïcaine, barbadienne et trinidadienne, Québec 2011

Haïtienne Jamaïcaine Barbadienne Trinidadienne

Genre Homme 46 % 46 % 45 % 49 % Femme 53 % 53 % 55 % 51 % Structure d'âge Moins de 15 ans 26 % 26 % 22 % 28 % De 15 à 24 ans 15 % 18 % 11 % 15 % 25 à 54 ans 41 % 34 % 34 % 37 % Plus de 55 ans 15 % 20 % 31 % 20 % Répartition géographique RMR Montréal 93,6 % 92,8 % 95,7 % 95,1 % Île de Montréal 62,6 % 69,8 % 74,9 % 68,7 % Laval 15,3 % 4,0 % 2,9 % 3,5 % Montérégie 8,2 % 17,4 % 17,8 % 21,3 %

Arrondissements de Montréal (nord-est)

Villeray/St-Michel/Parc-Ext. 17,2 % 2,4 % 0 % 3,3 % Montréal-Nord 21,4 % 0,3 % 0,8 % 0 % Riv.-des-Prairies/P-.aux-Trembles 16,4 % 0 % 0,8 % 0 %

Arrondissements de Montréal (sud-ouest)

Côte-des-Neiges/N.-D.-de-Grâce 4,1 % 31,3 % 20,1 % 31,5 % Lasalle 1,0 % 23,9 % 40,6 % 26,1 % Pierrefonds-Roxboro 3,5 % 13 % 21 % 18 %

Sud-Ouest 0,9 % 7,3 % 4,0 % 4,6 %

Langue maternelle

Langue maternelle française 51 % 11 % 7 % 11 % Langue maternelle anglaise 2 % 86 % 92 % 87 % Langue maternelle autre que le français et

l'anglais 41 % 1 % 0 %

1 % Langue parlée à la maison (français) 71 % 11 % 8 % 14 %

Langue parlée à la maison (anglais) 3 % 86 % 91 % 85 % Langue parlée à la maison (autre que le

français et l'anglais) 17 % 1 % 0 % 0 %

Source : Statistique Canada. 2013. Profil de l'enquête nationale auprès des ménages (ENM), Enquête nationale auprès des ménages de 2011, Ottawa, no. 99-004-XWF au catalogue.

La première vague d’associations noires dans le premier quart du vingtième siècle, prend ancrage dans les quartiers historiquement habités par les communautés caribéennes, dont font partie les deux groupes ci-haut mentionnés, jetant les bases d’une organisation noire stable à Montréal dans le but de « restaurer la dignité humaine des Noirs, atténuer le sentiment d’isolement et répondre à leurs besoins matériels, psychologiques et spirituels » (Williams 1998, p.58). La deuxième vague d’associations noires fondée par des étudiants de l’Université McGill et de Sir Williams University dans les années 1970 possède, selon Williams (1998), un ton plus militant et plus conscient du racisme et de la discrimination que ses membres affrontent. Ses organisations, parmi lesquelles on retrouve la Black Coalition of Quebec, la Côte-des-Neiges Black Community Association et le Black Theatre Workshop naissent dans les nouveaux quartiers où ils résident maintenant en plus grand nombre (Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce) et répondent du même coup aux besoins d’une communauté de plus en plus dispersée (Williams, 1998; Labelle et coll., 2001). L’affaire Sir George Williams University36 est l’un des premiers et plus importants événements qui rendit visible la discrimination à laquelle faisaient face les Noirs à Montréal37. Elle marqua également le fait que l’attention de cette communauté se tourna progressivement vers les besoins domestiques plutôt que vers leur pays d’origine (Austin, 2007). Ce discours de racisme et de discrimination reste proche de celui qui est très présent aux États-Unis et il séduit

36 En 1974, la fusion de Sir George Williams University avec Loyola College donna naissance à l’Université

Concordia.

37 Au mois de février 1969, une manifestation dans les locaux menés par des étudiants d’origine

caribéenne qui contestent l’inaction de l’établissement de sévir contre un professeur de biologie dont le comportement est, à leurs yeux, discriminatoires envers les Noirs, dégénère quand le centre prend

aussi la deuxième génération de jeunes Caribéens anglophones : ils s’y reporteraient plus systématiquement que les jeunes Haïtiens (Labelle et coll., 2001).