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LA CONCEPTUALISATION DU DEVELOPPEMENT

2.3. Fondements du développement

2.3.2. Surplus et productivité

L'apparition d'un surplus n'est possible que dans le cadre de conditions historiquement définies. Elle suppose un niveau déterminé de la productivité du travail qui offre la possibilité de création de produits excédant, au niveau social, les besoins des producteurs.

Le niveau de développement des forces productives et de la productivité du travail sont dans des rapports dialectiques et ils influent directement sur la grandeur de l'excédent économique. C'est ce qui explique pourquoi Marx estimait que "ce qui

distingue une époque économique d'une autre, c'est moins ce que l'on fabrique que la manière de fabriquer" (2).

Cette vérité appliquée à la réalité des pays nouvellement indépendants prend encore plus de relief. Ces pays, au risque de voir leur situation s'aggraver, sont contraints de rejeter toute éventualité de refaire par eux-mêmes l'histoire des techniques de production et d'envisager, à partir de leurs conditions propres, la combinaison qui offre le plus de chances dans les gains de productivité. C'est dire l'importance d'une compréhension scientifique de ce qui est la productivité du travail, de son rôle et des moyens à la base de son élévation continuelle.

La prise de conscience des implications de cette problématique a des racines anciennes dans les pays dominés. En effet c'est l'incidence du progrès technique et son corollaire : l'augmentation de la productivité du travail qui, à l'origine, a été le fondement du rejet de la division capitaliste internationale du travail et de la mise en

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) MARX, Le programme de Gotha, Oeuvres choisies, Ed. du Progrès, III, p. 9 2

avant de l'impératif d'industrialisation de ces pays. Les textes algériens n'échappent pas à ces préoccupations et ils nous fournissent des indications utiles à plus d'un titre.

Dans la Charte d'Alger comme dans la Charte Nationale, il y a une utilisation indifférenciée de plusieurs formulations pour caractériser la "productivité du travail".

La Charte d'Alger parle de "taux de productivité" (1), de "productivité" (2), de "productivité générale" (3)mais jamais de "productivité du travail", qui est "la capacité

d'un travail donné doté d'une intensité définie, de fournir dans un temps déterminé, une certaine quantité de valeurs d'usage" (4).

A partir de là, nous comprenons que la productivité se traduit toujours par un rapport, ce qui confère à l'expression "taux de productivité" le caractère de tautologie. Dans ce texte, il y a aussi une sous-estimation de la fonction de la productivité du travail quand il considère que "la faiblesse du revenu national par

habitant est la conséquence directe du sous-emploi" (5). C'est là une manière d'accorder au temps de travail social global, le statut exclusif et unilatéral dans la création du revenu national, ce qui aboutit à ignorer la contribution de la productivité du travail dans l'accroissement du volume du revenu national, aux côtés de l'usure des moyens de production, c'est à dire de l'intensité avec laquelle les moyens de production sont utilisés au cours du processus productif.

La Charte Nationale parle de "productivité du travail" (6), mais une autre expression fait son apparition : "productivité des travailleurs" (7),ce qui laisse planer le doute quant à une délimitation conceptuelle rigoureuse entre la productivité du travail et le rendement. Les travailleurs n'ont pas de productivité, mais leur travail, dépensé dans des conditions sociales et techniques définies, se particularise par un niveau de productivité déterminé. Aussi, considérer que "l'utilisation des machines

les plus efficaces dans l'exécution des travaux agricoles est un élément fondamental pour élever la productivité des travailleurs de la terre" (1), ne peut que nous autoriser

1 ) Charte d'Alger, p. 60. 2 ) Idem, p. 67. 3 ) Idem, p. 78. 4

) Nouveau Dictionnaire économique et social, Editions Sociales, p. 503. 5 ) Charte d'Alger, p. 86. 6 ) Charte Nationale, p. 149. 7 ) Idem, p. 159.

à estimer qu'il est question du "rapport général entre les quantités produites

(exprimées en unités physiques) et les composantes techniques de la production, soit les travailleurs pris comme unités, soit la superficie" (2), c'est à dire du rendement.

Cette difficulté à cerner avec précision ce que représente la productivité du travail aura des répercussion certaines au moment où il faudra délimiter les facteurs à même de favoriser son élévation.

En premier lieu, la Charte d'Alger commence par s'intéresser à l'organisation du travail, cela à un double niveau. Elle insiste sur la nécessité d'améliorer les méthodes de travail et de penser à mettre sur pied de nouvelles structures de production. Elle retient "l'élévation de la productivité à partir des moyens existants" (1), et elle reconnaît que "dans un premier stade, l'organisation d'un système

coopératif semble le meilleur moyen de dépasser cette forme d'appropriation et de permettre un renforcement de la productivité générale" (2).

Les deux textes rappellent, en deuxième lieu, que la situation des producteurs a un impact certain sur le niveau atteint par la productivité. C'est une reconnaissance, même indirecte, de l'importance du rôle qu'assument les rapports de production. Deux extraits confirmeront nos dires : "En effet ce taux de productivité

n'est pas indépendant du niveau de consommation" (3)et "L'institution dans le cadre

de la politique nationale des salaires, des stimulants matériels et moraux, liés à des normes de travail scientifiquement établies" apparaît comme indispensable pour "réussir l'élévation du niveau de la productivité" (4).

Un troisième élément fait son apparition dans la Charte Nationale qui considère que "de nos jours, la technologie s'affirme surtout comme un moyen d'augmenter la

productivité du travail" (5).Cet aspect est plus ou moins effleuré par la Charte d'Alger qui situe l'importance de "l'investissement intellectuel sous toutes ses formes" (6).

Un certain nombre de résultats sont attendus et accompagneront cette

1 ) Charte d'Alger, p. 67. 2 ) Idem, p. 68. 3 ) Idem, p. 60. 4 ) Charte Nationale, p. 147. 5 ) Idem, p. 149. 6 ) Charte d'Alger, p. 67.

augmentation de la productivité du travail. Cela permettra "de gagner à l'agriculture

de nouvelles parcelles de terne" (1)et de libérer une partie de la main-d'oeuvre qui paraît s'orienter vers d'autres secteurs. "Il s'agit... là aussi de répondre aux

exigences de la productivité qui, en s'élevant, dégage un surcroît de forces à réaffecter et à réutiliser d'une manière plus efficace" (2).

Une autre conséquence, de nature sociale, en sera également issue. Il est prévu, en plus d'un salaire minimum garanti, l'instauration d' "une rémunération

complémentaire dont le taux évoluera en fonction de la productivité du travail" (3). Bien que dévoilant le rôle de la productivité du travail dans l'évolution, les textes algériens présentent beaucoup d'inconséquences dues, à notre sens, au fait de ne pas voir que la "productivité globale" est "la résultante de deux phénomènes

de nature très différente: le premier ou productivité proprement dite, consistait en une augmentation effective de la capacité productive par amélioration des processus productifs (mécanisation, nouvelles méthodes de travail) ; le second ou intensité, aboutissent à une augmentation du nombre de produits et de leur valeur sans modification de la technique, uniquement grâce à l'intensification du travail (cadences plus rapides par exemple)" (4).