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LA CONCEPTUALISATION DU DEVELOPPEMENT

2.3. Fondements du développement

2.3.1. Surplus et développement

2.3.1.2. Origine du "surplus"

Le travail est une nécessité éternelle de l'homme et il est à la base de l'existence de toute société.

Si le surplus correspond à une fraction du revenu national, produit du travail additionnel, il faut rappeler que tout travail ne concourt pas à la création du revenu national. En effet, seul le travail productif, travail dépensé dans la sphère de la

1

) MARX et ENGELS, Oeuvres choisies, Moscou, Editions du Progrès, tome 3, pp. 12-13. 2

) Ibidem. 3

) Charte d'Alger, p. 59. 4

production matérielle, remplit deux fonctions essentielles : il rapporte sur le produit fini, la valeur des matières premières et une partie de la valeur des autres moyens de production ; et il crée une nouvelle valeur qui se subdivise en deux parties : la première correspond à la valeur de la somme des biens de consommation et des services nécessaires à l'entretien des ouvriers et de leurs familles ; et la deuxième correspond au surplus.

La distinction entre "travail productif' et "travail improductif' revêt une importance capitale, déterminante, car c'est sur cette base que s'élabore et s'organise tout modèle de croissance. Si cette problématique n'est jamais présente dans le Programme de Tripoli, elle imprègne à des degrés différents les deux autres textes.

Dans la Charte d'Alger, plusieurs approches coexistent et elles sont toutes de nature identique. La première, de type critériologique, stipule qu' "il convient de

souligner l'importance du tourisme en tant que secteur productif, par ses effets sur la balance des paiements et sur le plein emploi" (1).

Deux critères aident à spécifier la nature productive ou non d'un secteur économique. Le premier a trait à la possibilité qu'il offre pour se procurer des revenus à base de devises, et le second à celle de créer des emplois supplémentaires.

Cette vision rappelle les remarques formulées par Baran à l'égard de la pensée bourgeoise dans ce domaine : "Ainsi le travail devient indifférencié, seules

les variations de rémunération subsistent. N'importe quelle activité peut dès lors être considérée comme productive, par définition, à la seule condition d'avoir un équivalent monétaire sur un marché, à la seule condition d'être marchande" (2).

La deuxième approche s'appuie sur le caractère utile ou non du travail, pour opérer la distinction : "Convenablement mobilisé, dans une lutte contre la nature, le

peuple trouvera lui-même les moyens de multiplier les travaux utiles " (3).

Un tel point de vue présente d'évidentes insuffisances. Marx avait déjà rappelé, dans l'ouvrage les "Grundiss" que "le travail peut être nécessaire sans être

productif'.

1

) Charte d'Alger, p. 72. 2

) BARAN, P.A., Economie politique de la croissance, Paris, Editions Maspéro, p. 80 3

. Une troisième possibilité de définition s'offre à nous quand il est question de

"gonflement parasitaire des services" (1). Indirectement on donne des indications, ou du moins on délimite les contours des services productifs qui se situent en dehors du "secteur des services". Cette interprétation trouvera confirmation dans l'extrait suivant : "...L'excessive importance qu'a prise, chez nous, ce que les techniciens de

l'économie nomment secteur tertiaire, ou l'ensemble des services, et que nous appellerons plus simplement l'ensemble des travailleurs non productifs" (2).

Méthodologiquement cette définition est l'aboutissement de la théorie sectorielle de Colin Clark, dont toute la pensée "repose sur la distinction de trois secteurs en

toute économie, malheureusement non définis" (3).

Cette absence de rigueur trouve confirmation dans la tentative de cerner et de préciser ce que sont les activités de services, "cette appellation recouvre des

activités variées dont la plupart exigent un nombre beaucoup moins grand de biens d'équipement que l'industrie ou l'agriculture" (4).

Ce type d'analyse est porteur de malentendus théoriques, dus essentiellement au fait que sous un habit totalisant elle obscurcit les spécificités. Certains services dans un contexte déterminé auront une dimension productive, et inversement toutes les activités des secteurs primaires et secondaires ne sont pas productives. Le plus important à ce niveau demeure le type d'activité et non le lieu où elle s'exerce.

Cette représentation s'éloigne de la distinction de principe entre "travail productif' et 'travail improductif' se fondant sur la maîtrise et la transformation par l'homme des forces qui lui sont extérieures, en vue de la satisfaction de ses besoins.

La Charte Nationale semble faire un pas dans ce sens, dans cette direction, quand elle stipule que "c'est par les industries de base que se fait le passage capital

de la matière brute au produit élaboré" (5).Elle semble aussi mieux saisir le rôle des transports qui "occupent une place déterminante comme base de logistique qui

soutient le fondement de l'économie, en même temps qu'ils représentent une activité

1 ) Charte d'Alger, p. 86. 2 ) Idem, p. 156. 3

) JAMES, H., Histoire de la pensée économique au XX° siècle , Paris, PUF, t. 2, p. 602 4

) Clark, C., Les conditions du progrès économique, Paris, PUF, p. 76 5

particulièrement lucrative au sein de cette économie" (1).Sans nous attarder sur; les critiques à faire par rapport au deuxième volet de la citation, il est possible d'affirmer que le premier volet autorise de doter l'activité des transports d'un caractère productif, ce qui, théoriquement est justifié. En effet, "bien que ne participant pas à la

modification physique des objets de travail, l'activité de transport en est un élément indispensable. Les masses de produits n'augmentent pas par suite de leur transport. Cependant la valeur d'usage de ces objets ne se réalise que lors de leur consommation et celle-ci peut rendre nécessaire leur déplacement dans le procès productif . additionnel qui est celui de l'industrie des transports" (2).

Cette absence de cohérence et de critère rigoureux d'analyse reflète une difficulté d'identification réelle. Cependant, quand bien même le contenu de la notion de "travail productif` évolue, il n'en demeure pas moins que les possibilités de sa

fixation scientifique existent à partir du moment... où le produit individuel est transformé en produit social, en produit d'un travailleur collectif dont les différents membres participent au maniement de la matière, à des degrés divers, de près ou de loin, ou même pas du tout, les déterminations de travail productif du travailleur productif s'élargissent nécessairement. Pour être productif, il n'est plus nécessaire de mettre soi-même la main à la pâte ; il suffit d'être un organe du travailleur collectif ou d'en remplir une fonction quelconque. La détermination primitive du travail productif, née de la nature même de la production matérielle, reste toujours vraie par rapport au travailleur collectif considéré comme une seule personne, mais elle ne s'applique pas à chacun de ses membres pris à part" (3).

Faute de pouvoir définir avec précision les contours, la place et le rôle du travail productif, les textes algériens se rabattent sur le travail en général qui se retrouve glorifié. La Charte Nationale va plus loin encore, en estimant que le socialisme "restaure et consolide le travail en tant que valeur qui garantît l'avenir, la

prospérité et la sécurité de l'économie" (4)

Historiquement il est faux d'affirmer que l'éloge du travail est le propre du socialisme. Si ce dernier est fondé sur le travail, il n'en demeure pas moins vrai

1

) Charte Nationale, p. 138. 2

) Nouveau Dictionnaire économique et social, Editions Sociales, p. 639. 3

) MARX, Le Capital, Livre 1, t. 2, pp 183.184. 4

que c'est la bourgeoisie qui, par le biais de l'Ecole classique, a la première mis en avant cet aspect.

Certes l'affirmation selon laquelle le travail est considéré comme source et garantie du développement de la société, est juste, mais à la condition d'apporter la précision selon laquelle "le travail n'est pas la source de toute richesse. La

nature est tout autant la source des valeurs d'usage (qui sont bien, tout de même, la richesse réelle), que le travail qui n'est lui-même qu'une force naturelle, la force de travail ou l'homme" (1).