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LA CONCEPTUALISATION DU DEVELOPPEMENT

2.2. QU'EST-CE QUE LE DEVELOPPEMENT ?

2.2.3. Pourquoi le développement ?

Certaines remarques nous permettent de localiser les sources justificatives de la mise en avant de la nécessité du développement comme objectif et moyen essentiel.

Le Programme de Tripoli le justifie politiquement par la mise en relief de 'l'aspiration de notre peuple à un développement économique" (1).

La Charte d'Alger ne se penche pas directement sur cet aspect et se contente d'assurer qu'il "sera le résultat de la lutte contre le sous-développement" (2), revêtue de l'habit de "primauté absolue" (3) et puisant cette importance dans des considérations humanistes d' "extirpation de la misère et de l'oppression et de leurs

cortèges de malheurs de toutes sortes" (4). Pour la Charte Nationale, il est intimement lié aux besoins de liquidation des séquelles de l'exploitation impérialiste, vu qu'il "correspond dans la réalité, au retard accumulé dans tous les domaines et

aux efforts à fournir pour en sortit" (5). La réflexion procède d'une démarche plus vaste et plus dense, délimitant le champ d'action, la signification et la fonction qu'aura à assumer le développement. Cela trouve confirmation dans la citation qui

1 ) Programme de Tripoli, p. 37. 2 ) Charte d'Alger, p. 166. 3 ) Ibidem. 4 ) Ibidem. 5 ) Charte Nationale, p. 121.

suit "Le développement exprime l'effort à fournir pour rattraper le retard ; il définit la

nature des transformations à réaliser dans tous les domaines en vue de s'arracher à l'état de sous-développement ; il détermine enfin les progrès à accomplir afin d'atteindre le niveau de vie capable de garantir la satisfaction correcte des besoins de l'homme" (1). Les raisons invoquées faciliteront la confusion, l'identification du développement à la modernisation. Nous avons là l'épanouissement d'une conception instrumentale, affirmée sans aucune équivoque par la Charte Nationale qui le considère "d'emblée comme un processus par lequel la révolution se propose

d'accomplir les objectifs économiques, sociaux et culturels" (2). Cette vision nous autorise à nous interroger sur le devenir de ce processus une fois ses objectifs atteints. Quand le développement sera concrétisé, par quel autre moyen se frayera le cheminement de la Révolution ?

Cette réflexion teintée d'utilitarisme, fruit de la domination totalisante du politique, marquera de son empreinte, à des degrés divers, l'ensemble des orientations et expliquera pour une large part, leurs limites théoriques.

Toutes ces considérations aident à mieux faire transparaître la signification que revêt la notion de développement.

Le Programme de Tripoli l'assimilera à la "modernisation" (3), et la Charte

d'Alger au processus de "construction des structures économiques du socialisme" (4) qui se réalisera mécaniquement du fait même de la concrétisation d'un certain nombre de tâches économiques et sociales. Signalons au passage que dans ces deux textes, aucune partie ni aucun paragraphe n'est consacré aux problèmes du développement. C'est la Charte Nationale qui, dans ses titres six ("Les orientations

principales de la politique de développement") et sept ("Les grands objectifs du développement") nous fournit le plus de renseignements. Mais là également le

contenu du développement s'apparente à la "modernisation et à l'expansion de

l'agriculture" (5) et à "l'industrialisation" (6). Ces deux caractéristiques sont la

1 ) Charte Nationale, p. 121. 2 ) Ibidem. 3 ) Programme de Tripoli, p. 38. 4 ) Charte d'Alger, p. 61. 5 ) Charte Nationale, p. 157. 6 ) Idem, p. 166.

conséquence "d'un ensemble d'actions touchant à tous les aspects de la vie

politique, économique, sociale et culturelle, et ayant entre elles des liens qui les intègrent les uns aux autres, et en font les composantes d'un seul et même mouvement, dans la démarche comme dans la finalité " (1).

2. 2. 4. Nature du développement

La voie du développement capitaliste est unanimement rejetée par les trois textes, au profit de "l'ouverture socialiste"(2) ou, pour reprendre la terminologie qui revient le plus, "l'option socialiste" (3).

La Charte Nationale se fait plus tranchante en estimant que "le

développement en Algérie, c'est d'abord, essentiellement la mise en oeuvre, de manière cohérente et dans le cadre d'une politique planifiée, des actions nécessaires pour parvenir à concrétiser les objectifs que le socialisme en Algérie se propose d'atteindre" (4). La nature "socialiste" du développement représente la toile de fond pour le déploiement de notre réflexion. Et si la Charte d'Alger, qui consacre le plus de place au capitalisme, reste muette sur les causes qui rendent inopérantes la voie de développement capitaliste dans les pays du tiers-monde, le Programme de Tripoli et la Charte Nationale recèlent des indications utiles pour notre souci méthodologique.

L'explication implicite fournie s'appuie sur une impossibilité pratique car "le

recours aux méthodes du libéralisme classique ne peut permettre une transformation réelle de la société" (5) et sur un postulat théorique : "L'entreprise capitaliste est

incompatible avec les impératifs du développement et de l'indépendance économique" (6).

Pour le Programme de Tripoli, le libéralisme "aggrave l'anarchie du marché, renforce la dépendance économique à l'égard de l'impérialisme, fait de l'Etat un organisme de transfert des richesses aux mains des mieux nantis et nourrit l'activité des couches sociales parasitaires liées à l'impérialisme" (7).

1 ) Idem, p. 122. 2 ) Charte d'Alger, p. 42. 3 ) Ibidem. 4 ) Charte Nationale, p. 125. 5 ) Programme de Tripoli, p. 37. 6 ) Charte Nationale, p. 132. 7 ) Programme de Tripoli, p. 132.

La Charte Nationale maintient le même cadre d'analyse : "Motivés parla

recherche du profit et ayant pour critères les coefficients qui mesurent le rythme avec lequel le capital se recycle et se multiplie, les groupements capitalistes ne peuvent adhérer à une politique qui réserve aux aspects qualitatifs et humains du développement, une place qui ne le cède en rien aux préoccupations de rentabilité financière" (1). Elle poursuit, pour mieux asseoir son argumentation "Du point de vue

du développement, le rôle de l'entreprise capitaliste s'avère particulièrement négatif car celle-ci, au lieu de réinvestir dans le pays des fonds qu'elle tire de ses activités et de contribuer ainsi à renforcer l'accumulation nationale, s'évertue au contraire à transférer ses bénéfices vers l'étranger, et devient, de la sorte, un moyen de drainer la richesse nationale vers d'autres lieux" (2).

La réflexion est toujours confinée dans la logique d'action du capital et nous avons là une des conséquences de la non perception du socialisme comme système économique et social, historiquement déterminé. De plus, il y a une identification du capitalisme aux comportements du capital individuel, ce qui complique la question en y ajoutant de la confusion. ,

Le fond du problème réside dans la possibilité ou non, pour les pays à structures précapitalistes, de passer au socialisme en faisant l'économie de toute une période historique, à savoir la phase de développement capitaliste. Les conditions permissives d'un tel rejet de la voie capitaliste ne sont pas introduites dans l'analyse, et seule la Charte Nationale se contente, en quelques phrases, de repousser de manière péremptoire le problème en déclarant :"Tous les pays qui

luttent pour une indépendance réelle s'engagent dans une dialectique socialiste. On a baptisé "voie non-capitaliste un tel phénomène. Cette thèse est incapable de rendre compte des développements réels de la pratique sociale dans notre pays" (3).

Ignorer ces conditions permissives expose à une multitude de dangers, d'autant "qu'il est impossible qu'une société qui se trouve à un degré de

1 ) Charte Nationale, p. 132. 2 ) Ibidem. 3 ) Charte Nationale, p. 25.

développement inférieur ait à résoudre des problèmes et des conflits qui sont nés et n'ont pu naître que dans une société beaucoup plus évoluée" (1).

Nous savons que cette problématique a été de longue date étudiée par les théoriciens du socialisme. Engels a été le premier à formuler les hypothèses de base qui seront développées par la suite par Lénine.

En réponse à des révolutionnaires russes qui s'interrogeaient sur les possibilités d'une évolution abrégée vers le socialisme, en s'appuyant sur la propriété communautaire largement répandue, Engels répondit :

« Il est non seulement possible mais certain qu'après la victoire du prolétariat et la socialisation des moyens de production chez les peuples d'Europe occidentale, les pays à peine entrés dans la voie de la production capitaliste et où subsistent encore des usages clanaux ou leurs vestiges, peuvent utiliser les restes de propriété communautaire et les coutumes populaires correspondantes, comme un puissant moyen pour hâter sensiblement leur évolution vers la société socialiste et éviter une grande part de souffrances et de luttes que nous avons à traverser en Europe occidentale. Mais uniquement à condition que l'Occident encore capitaliste leur donne l'exemple et les soutienne encore activement

C'est seulement lorsque l'économie capitaliste sera vaincue dans son pays d'origine, et là où elle est parvenue à son épanouissement, seulement lorsque les pays arriérés verront par cet exemple "comment cela se fait", comment mettre les forces productives de l'industrie' moderne en tant que propriété sociale, au service de l'ensemble de la société, c'est alors seulement que les pays arriérés pourront entrer dans cette voie d'évolution abrégée. Cela ne concerne pas seulement la Russie, mais tous les pays qui en sont à un degré de développement pré-capitaliste » (2).

Cette appréciation fut actualisée par Lénine qui, s'adressant au Congrès de la IIIème Internationale

, rappela

:

1

) MARX et ENGELS, Oeuvres choisies en 3 volumes, Editions de Moscou, t. 11, p. 422. 2

« La question se posait ainsi : Pouvons-nous considérer comme juste

l'affirmation que le stade capitaliste de développement de l'économie est inévitable pour les pays arriérés, actuellement en voie d'émancipation, et parmi lesquels on observe depuis la guerre, un mouvement vers le progrès ? Nous y avons répondu par la négative. Si le prolétariat révolutionnaire victorieux mène parmi eux une propagande systématique, si les gouvernements soviétiques les aident par tous les moyens à leur disposition, on aurait tort de croire que le stade de développement capitaliste est inévitable pour les peuples arriérés » (1).

La théorie scientifique avait déjà posé et résolu le problème en mettant en avant la nécessité de réunir deux conditions la victoire du socialisme dans un ou des pays matériellement préparés, et l'aide qu'il apportera aux pays pré-capitalistes.

Tout cet éclairage théorique est allègrement écarté, comme est écarté l'impact de la loi du développement inégal du capitalisme. L'action de cette dernière, dans la perspective d'un choix de la voie capitaliste accentuerait les inégalités et maintiendrait la dépendance.