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La politique de développement dans le Programme de Tripoli et la Charte d'Alger

LA CONCEPTUALISATION DU DEVELOPPEMENT

2.4. STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT

2.4.3. La politique de développement dans le Programme de Tripoli et la Charte d'Alger

Nous commencerons par la soumettre aux différents tests pour apprécier son degré de pertinence, pour pouvoir la confronter à celle contenue dans la Charte Nationale, afin d'établir la filiation et/ou les dépassements éventuels.

Dans ces deux textes, les transformations des structures agraires occupent la place centrale et assument le rôle de base essentielle de toute la politique de développement qui, elle, a pour but d'offrir le maximum de postes de travail dans l'immédiat. Il s'agira fondamentalement de susciter une impulsion, voire un accroissement de la demande, par l'amélioration des conditions des masses laborieuses.

Le Programme de Tripoli reconnaît que "la création d'un marché interne et l'amorce de l'industrialisation sont conditionnés par une véritable révolution dans la vie rurale" (1), et la Charte d'Alger complète en soutenant que "l'amélioration des

conditions d'existence des masses rurales est à la fois l'objectif essentiel et une condition importante du développement économique et social" (2).

Cette optique se trouve confortée par les raisons invoquées en faveur des types d'industrie à promouvoir. Une même idée domine : le rejet dans l'immédiat, pour des raisons complémentaires, de l'industrie lourde. La cause essentielle réside dans l'étroitesse du marché, qui ne permet pas l'absorption des marchandises produites selon les procédés de masse.

Le Programme de Tripoli nous fournit des indications : "Dans une première

étape, l'Etat doit orienter ses efforts vers le perfectionnement de l'artisanat et l'installation de petites industries locales ou régionales pour exploiter sur place les matières premières de caractère agricole" (3).

La Charte d'Alger se fait plus clarificatrice en présentant certains indicateurs pour le choix des "entreprises industrielles nouvelles qui sont à créer" (4).Citons ceux

1 ) Programme de Tripoli, p. 39. 2 ) Charte d'Alger, p. 69. 3 ) Programme de Tripoli, p. 44. 4 ) Charte d'Alger, p. 69.

relatifs aux besoins d'alimenter la consommation intérieure, ce qui signifie "diminuer

les importations de biens de consommation et éventuellement augmenter les exportations de ces mêmes biens. Ceci doit avoir également pour conséquence 'offrir à la production agricole des débouchés nouveaux, et donc une base de développement" (1).

Au-delà de l'option en faveur d'une forme d'industrialisation permettant la substitution aux importations, nous avons pu également noter qu'elle est au service de l'agriculture. La réflexion est menée dans une seule direction et les relations agriculture / industrie sont marquées d'étroitesse.

L'industrie lourde n'est pas totalement absente des préoccupations, étant entendu qu"`il appartient à l'Etat de réunir les conditions nécessaires à la création

d'une industrie lourde" (2) Les rédacteurs n'ignorent pas que 'le développement réel

et à long terme du pays est lié à l'implantation d'une industrie de base nécessaire aux besoins d'une agriculture moderne" (3).

Les obstacles expliquant ce report sont délimités et ils tirent leur substance dans le fait que "la réalisation de tels complexes (industrie lourde) commande la

recherche d'un marché suffisamment vaste pour que la rentabilité soit assurée. Une telle implantation doit être envisagée non dans le simple contexte algérien mais dans un contexte géographique plus vaste, dans lequel l'Algérie aurait la possibilité de s'intégrer sans renoncer pour cela à ses perspectives socialistes" (4).Autant dire que la création de cette industrie lourde est remise aux calendes grecques. Cette politique de développement tend à "créer autant d'emplois que la rentabilité des

entreprises le permet" (5) et il est même prévu dans le cadre des efforts de dépassement des réalités de chômage, 'l'organisation démocratique des chantiers

ruraux" (6).

Cette insistance sur la double nécessité de faire reculer le chômage tout en poursuivant les objectifs de rentabilité est porteuse d'une contradiction non

1 ) Charte d'Alger, p. 69. 2 ) Programme de Tripoli, p. 44. 3 ) Ibidem. 4 ) xha69. 5 ) Ibidem. 6 ) Programme de Tripoli, p. 41.

pressentie. Il est en effet difficile dans une première phase, de concilier des ceux tâches. Cette politique de développement s'élèvera sur l'effort national qui doit être la seule source de son financement et l'aide étrangère "doit être considérée comme un

palliatif, un simple appoint venant s'ajouter à l'effort national" (1). Pour y parvenir, il faut une organisation sociale qui fasse que le travail poursuivi par chaque Algérien

"dépasse largement sa consommation" (2),car tout effort de développement implique

"un prélèvement sur le revenu national". Cette perspective apparaît difficilement

réalisable puisque la valorisation des ressources naturelles n'entre pas dans la grille d'analyse qui estime que pour 'la nationalisation des richesses minérales et

énergétiques, c'est là un objectif à long terme" (3).

L'alternative retenue se fonde sur l'agriculture, particulièrement le secteur autogéré appelé à payer tout le tribut de l'industrialisation et du développement. Cette alternative, pour être viable, devrait obligatoirement maintenir le schéma et la structure productive de l'Algérie coloniale, bâtie sur l'exportation des produits agricoles nécessaires, par leurs complémentarités, à ceux de l'économie française. Cette démarche maintiendrait les phénomènes de dépendance et ouvrirait la voie à la politique de chantage, étant entendu que la perte du marché français représenterait une perturbation sérieuse à tout le processus de développement entrevu.

D'un autre côté, cette alternative mettrait au premier plan les contradictions sociales internes, favoriserait la lutte des classes et risquerait d'empêcher toute politique de stabilité, si indispensable.

Ces remarques d'ensemble effectuées, essayons de faire subir des tests aux moyens économiques de cette alternative, en nous appuyant particulièrement sur l'analyse critique de la mise sur pied d'industries légères tournées vers le marché intérieur.

Il est certain que ce type d'industrie est générateur d'emplois à des prix relativement bas, et il contribue à lever la variable stratégique qui est celle de l'emploi. Toute entreprise de ce type exige une utilisation conséquente des ressources rares et rien ne les différencie des exigences que formulerait la

1 ) Charte d'Alger, p. 67. 2 ) Idem, p. 73. 3 ) Ibidem.

construction des grands projets.

Au niveau financier, c'est là le terrain privilégié que choisissent les capitaux étrangers et l'aide octroyée trouverait facilement à s'employer. Relativement aux relations commerciales avec l'étranger, ce type de projet de développement ouvre la voie pour une réelle substitution et limitation des importations des produits de consommation. Néanmoins il aboutirait objectivement au remplacement d'un degré de dépendance par un autre, à travers la création d'un nouveau flux de dépendance liée aux moyens de production qui ne seront pas produits sur place.

Pour terminer enfin, interrogeons-nous sur les effets attendus dans le domaine du revenu national.

En premier lieu, la contradiction accumulation J consommation ne sera pas résolue car la production s'adressera dans sa quasi-totalité aux couches possédant les revenus les plus bas. Les autres préféreront toujours, parce qu'ayant les moyens, s'approvisionner à l'extérieur ou sur les marchés capitalistes étrangers.

En second lieu, la contribution à l'accroissement du revenu national sera minime, pour au moins deux raisons : l'Etat se verra contraint d'apporter une aide à ces entreprises, voire même de les subventionner. Et, à l'origine, cette alternative est axée sur la création d'une demande effective, et elle s'accompagne d'une pression sur la consommation. Un seul effet peut en résulter : la baisse de l'investissement et, par conséquent, du taux de croissance.