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Notion et conditions de l"accumulation

LA CONCEPTUALISATION DU DEVELOPPEMENT

2.3. Fondements du développement

2.3.3. Le processus d'accumulation

2.3.3.1. Notion et conditions de l"accumulation

La théorie économique nous apprend que l'accumulation joue un rôle central dans le processus de développement, par sa capacité à transformer "une fraction

du surproduit social en forces productives nouvelles (moyens de production et force de travail" (1).

L'accumulation, cette "fonction progressive la plus importante de la société" (2),

"est une nécessité sociale" (3),et elle est étroitement liée, dans la détermination de son volume, à plusieurs facteurs.

En premier lieu, elle dépend à la fois de la grandeur du surproduit et du rapport existant entre la fraction consommée et la fraction accumulée de ce dernier. Un antagonisme relatif caractérise cette relation, prenant racine dans l'impossibilité d'un accroissement simultané de la consommation et de l'accumulation. Cet aspect prend un relief particulier dans le contexte du double objectif poursuivi par les textes et pouvant se résumer dans l'édification d'une base matérielle et technique hautement développée et la satisfaction des besoins des larges masses.

Un deuxième facteur intervient de manière décisive. Comme nous l'avons déjà signalé, la productivité du travail intervient doublement, en contribuant à rabaisser le coût de la force de travail et des moyens de production, et à accroître le temps de travail supplémentaire.

Face à ces principes théoriques de base, quelle va être l'attitude des rédacteurs algériens ? En ont-ils conscience et leur accordent-ils l'importance méthodologique qui se doit ? Pour le savoir, essayons de retrouver le contenu de la notion d'accumulation et les moyens de sa réalisation.

1

) Nouveau dictionnaire économique et social, op. cit. p. 15. 2

) ENGELS, Anti-Dühring, Paris, Editions Sociales, p. 348. 3

La Charte d'Alger, dans son effort d'élaboration théorique et de recherche de clarté, arrive parfois à une utilisation indifférenciée de notions exprimant des processus distincts bien que liés. Elle finit par les imprégner du sens commun et par les vider du caractère scientifique. Parlant de l'attitude à adopter vis à vis du secteur privé, particulièrement les activités de commerce, la Charte d'Alger attire l'attention sur le danger potentiel que représente la `juste rémunération qu'on nomme ici

bénéfice" (1). Cette rémunération ne doit en aucun cas "prendre la forme d'une

accumulation des richesses entre les mains des seuls distributeurs" (2).

Sans nous arrêter sur l'aspect relatif au "juste bénéfice", de connotation morale car pouvant se réaliser là où "l'esprit civique est de rigueur" (3),et rappelant la notion du 'juste prix" développée par Saint Thomas d'Aquin au Moyen-âge, il est important de faire remarquer que la formulation aurait gagné en précision si, à la place d'"accumulation", il y avait eu "utilisation de concentration de richesses" ou de leur "conservation" entre les mains d'une minorité.

Une autre ambiguïté peut être relevée dans la citation qui suit : "Il nous faut

convaincre tout le monde que l'argent n'est pas fait pour être accumulé dans les coffres, mais pour circuler" (4). Le phénomène décrit est celui de la "thésaurisation" qui, contrairement à l'accumulation, consiste à laisser l'épargne à l'état improductif.

La Charte Nationale évoque l'importance de "l'accumulation en devises" (5), assimilée et confondue avec les moyens de financement. Elle semble oublier que l'accumulation est une question économique et sociale qui ne peut en aucun cas être réduite à l'acquisition de devises étrangères, indépendamment des vertus dont elles sont dotées.

La Charte d'Alger évoque plusieurs facteurs qui organisent la naissance et le développement du processus d'accumulation. Elle commence par faire remarquer que "l'une des causes qui limitent l'accumulation est dans le sous-emploi qui fait qu'une fraction de la population consomme sans produire. L'entrée de cette "armée de réserve" dans le cycle de la production économique augmentera certes le

1 ) Charte d'Alger, p. 157. 2 ) Ibidem. 3 ) Idem, p. 158. 4 ) Ibidem. 5 ) Charte Nationale, p. 124.

niveau de consommation, mais dans une moindre mesure que l'augmentation de la population. Le résultat sera donc un accroissement de l'accumulation qui peut être très important" (1).

S'il est certain que le volume du surproduit social dépend directement de la productivité du travail et de la masse de main-d'oeuvre disponible, il n'en demeure pas moins hasardeux de vouloir rattacher la faiblesse de l'accumulation au sous-emploi. Le problème fondamental réside dans la proportion du surproduit consommé de manière productive. De ce fait, il n'est pas du tout évident que toute augmentation de la production dans un rapport supérieur à celui de la consommation aboutisse automatiquement à une élévation du niveau d'accumulation. C'est là une autre confirmation de la vision étriquée, véhiculée autour de la notion et de la fonction de l'excédent économique.

La Charte d'Alger est consciente de la liaison contradictoire qui lie la consommation et l'accumulation et elle semble considérer que la solution résiderait dans une combinaison optimale pouvant se réaliser à long terme. Elle s'écarte de la position considérant que l'essentiel réside dans l'obtention d'un rythme maximum d'accumulation à court terme et opte pour la création des conditions assurant la continuité du processus en profondeur, tout en contribuant à l'amélioration du niveau de consommation. Dans ce sens, elle stipule que "On ne saurait confondre

sans entraîner de graves crises, ce taux optimum et le taux maximum d'accumulation. Un taux optimum (qui doit être le but recherché) ne peut résulter de la contrainte subie par les travailleurs" (2).

La recherche d'une promotion de la situation des travailleurs, liée au souci de leur émergence en tant que force politique, n'est pas la seule explication avancée. Un argument de nature économique l'accompagne : "Même sur le plan économique,

la recherche forcée du taux maximum n'est pas payante et se transforme en son contraire. En effet, le taux de productivité n'est pas indépendant du niveau de consommation et un travailleur sous-alimenté n'est pas un travailleur efficient" (3).

Il est indéniable que le niveau des salaires et l'existence de stimulants

1 ) Charte d'Alger, p. 60. 2 ) Ibidem. 3 ) Charte d'Alger, p. 60.

matériels et moraux sont de nature à agir sur la productivité du travail, dans la mesure où les travailleurs voient leur situation améliorée. Mais le problème n'est pas aussi simple. Le fonctionnement du système capitaliste montre de manière concrète la possibilité simultanée d'une augmentation de la productivité et d'une intensification de l'exploitation.

Il apparaît que le Programme de Tripoli et la Charte Nationale n'étendent pas leurs investigations à ce domaine précis.

Pour le premier, l'explication est simple Il n'a pas pour vocation ou pour ambition de s'intéresser et de comprendre les mécanismes à la base du développement de la société, tourné qu'il était vers la solution politique des problèmes d'orientation. Pour la Charte Nationale, l'explication se trouve ailleurs. Le temps est à la réalisation et beaucoup d'attention est accordée à la politique des investissements. Les modalités pratiques d'intervention contribuent à limiter le champ théorique et à reléguer au second plan la présentation des concepts.

Quoi qu'il en soit, le contenu et la fonction de l'accumulation ne sont pas rigou-reusement délimités, ce qui ouvrira la voie à de nombreuses confusions. La difficulté à isoler le noyau théorique du processus d'accumulation et la non perception du rôle et de la place qu'y occupe le "surproduit social" justifieront la mise en avant d'autres "sources" de l'accumulation, présentées principalement par la Charte Nationale et épousant les contours de ce qui est habituellement défini comme "sources de financement".