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De la surinterprétation et de la sous-interprétation des « provocations » des Kasaïens

Chapitre 2 Dire et écrire les violences contre les Kasaïens

2. De la surinterprétation et de la sous-interprétation des « provocations » des Kasaïens

Le récit dominant chez les Katangais concernant l’origine des violences du début des années 1990 insiste sur la responsabilité des Kasaïens. Il présente les violences commises par la JUFERI comme une réaction aux provocations des Kasaïens, après l’annonce de l’élection d’Etienne Tshisekedi comme Premier ministre par la Conférence nationale souveraine, le 15 août 1992, en remplacement de Nguz a Karl-I-Bond. Une anecdote est régulièrement citée comme l’exemple-type des provocations qui auraient contraint les Katangais à réagir : celle selon laquelle des Kasaïens auraient défilé dans les rues de Lubumbashi avec deux chiens portant des cravates et baptisés du nom des deux leaders katangais de l’UFERI, Nguz a Karl- I-Bond et Kyungu wa Kumwanza.

Cette justification des violences était déjà présente dans le discours des leaders katangais au moment des violences. Dans un discours prononcé le 19 août 1992 à Lubumbashi, le

356 Idem, p. 136-137.

357 Sam MODJOMI, Le pogrome des Kasaïens au Congo/Zaïre, Mobutu, Nguz et Kyungu les assassins du

gouverneur du Katanga, Kyungu wa Kumwanza, évoquait, par exemple, les provocations des Kasaïens et les accusait d’avoir insulté Nguz a Karl-I-Bond et le Président Mobutu et il adressait aussi un message aux militaires (les « militaires politiciens ») qui étaient intervenus, les jours précédents, pour défendre les Kasaïens :

« En qualité de gouverneur, j’ai demandé à tous les résidents du Katanga de rester calmes. A la publication des résultats de la conférence nationale, qu’il n’y ait pas un camp de vaincus et un camp de vainqueurs. Pas de provocation. Mais qu’est-ce qu’on n’a pas vu ici ? Quel tintamarre ? Etienne Tshisekedi a été fêté ici uniquement par sa tribu. Ces gens-là ont fait ce que nous appelons chez nous la provocation. Et ici j’accuse les militaires politiciens qui ont assisté à la profanation de l’effigie du chef de l’Etat. Ces gens-là se sont promenés à travers toute la ville, en train d’insulter et le chef de l’Etat et le Premier ministre Nguz a Karl-I-Bond. Alors il fallait s’attendre à la réaction katangaise. »358

On retrouve le même type de justification dans un rapport rédigé par la section de l’UFERI à Likasi en 1994 :

« Tout part le 15 août 1992, date où la CNS désigne Tshisekedi comme premier ministre. Tous les évènements se déroulent selon un scénario presque identique : les Kasaïens provoquent les Katangais par des injures et des voies de faits, les Katangais blessés dans leur amour-propre, relèvent le défi et, gonflés à bloc par l’action de l’UFERI, contre-attaquent, bousculent l’ennemi et le délogent de ses retranchements. »359

Aucun auteur n’a repris à son compte la version katangaise de l’origine des violences360. Tous ont montré que les manifestations de joie des Kasaïens à l’annonce de l’élection de Tshisekedi, qui ont alors été perçues – à tort ou à raison – comme des provocations et qui sont

358 Extrait d’un discours de Gabriel Kyungu wa Kumwanza, prononcé le 19 août 1992 à la Place de la Poste à

Lubumbashi, cité in Martin KALULAMBI PONGO, « Les alliances et le régionalisme comme modes de penser la transition », op. cit., p. 150.

359 UFERI/Likasi, Rapport chiffré des incidents tragiques de Likasi des mois d’août et septembre 1992, Likasi,

14 octobre 1994, p. 1, cité in Donatien DIBWE DIA MWEMBU, « Relectures de l’histoire et transformation des rapports entre les Katangais et les Kasaïens du Katanga », op. cit.,, p. 76.

360 Contrairement au rapport du Secrétaire général de l’ONU sur la « Situation des droits de l’homme au Zaïre »

du 23 décembre 1993 qui endosse la version des leaders katangais. Cf. Rapport du Secrétaire général de l’ONU sur la « Situation des droits de l’homme au Zaïre » (E/CN.4/1994/49), présenté devant la Commission des Droits de l'Homme, Cinquantième session de l’ONU, 23 décembre 1993, p. 17 – disponible in https://documents-dds- ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G94/106/28/PDF/G9410628.pdf?OpenElement – consulté le 03/03/2016 : « Les

violences intercommunautaires ont éclaté à la mi-août 1992, lorsque Nguz Karl I Bond a été remplacé au poste de premier ministre par Etienne Tshisekedi (qui est un Luba du Kasaï) et que les Kasaïens du Shaba (ont) ouvertement manifesté leur joie, parfois de manière provocante, face à ce changement. Des attaques menées principalement par les milices armées des Jeunesses de l'Union des fédéralistes et des républicains indépendants (Uferi, le parti politique de Nguz Karl I Bond et de Gabriel Kyungu Wa Kumwanza, le Gouverneur du Shaba) auraient suivi, principalement dans les villes de Likasi et de Kolwezi, mais aussi dans les campagnes avoisinantes. »

encore aujourd’hui remémorées comme telles par de nombreux Katangais, ont représenté

« l’occasion tant attendue »361 ou « un prétexte, un argument vide pour justifier »362 l’intensification et l’extension aux centres miniers du Sud-Katanga des violences, qui avaient débuté en septembre 1991 dans le nord de la région. Dans la citation suivante, Dibwe dia Mwembu exprime notamment l’idée convaincante selon laquelle ce ne sont pas tant les provocations – réelles ou supposées – des Kasaïens qui ont suscité l’adhésion de nombreux Katangais aux discours d’exclusion des leaders de l’UFERI que ce qu’ils percevaient derrière ces « provocations », en l’occurrence une manifestation de la domination socio-économique des Kasaïens et de leur volonté de la perpétuer :

« Le discours d’endoctrinement trouva un terrain beaucoup plus propice contre les Kasaïens à l’occasion de l’élection de Tshisekedi, le 15 août 1992, au poste de premier ministre du gouvernement de transition. Le comportement des Kasaïens face à cet

évènement fut considéré par les Katangais comme un signe que les Kasaïens ne défendaient pas les intérêts katangais. En effet, cette élection fut fêtée avec faste par tous les membres de l’union sacrée de l’opposition radicale en général et par les Kasaïens en particulier. Un peu partout, dans les grands centres urbains, des marches de joie furent organisées dès la publication des résultats à 4 h du matin. Des poules et des chèvres furent égorgées publiquement. Il semble aussi que certains Kasaïens auraient profité de cette occasion pour proférer des injures aux Katangais, offrant ainsi à ces derniers l’occasion tant recherchée pour déclencher leur expulsion. »363

On retrouve cette même idée dans la citation suivante extraite du livre de Martin Kalulambi Pongo, Transition et conflits politiques au Congo-Kinshasa :

« Le pilier de l’argumentation du gouverneur Kyungu repose sur les manifestations de joie organisées par les combattants de l’UDPS (Katanga) et leurs sympathisants à la suite de l’élection de leur leader comme Premier ministre de la CNS. Jugées trop excessives et provocantes par l’autorité régionale et par ses militants de l’UFERI, elles sont présentées comme l’excuse absolutoire d’une politique délibérée de terreur au service du régionalisme katangais. La haine provoquée par ce discours, le prétexte de

domination, le désir de vengeance, etc., allaient constituer la justification profonde de l’action collective musclée des Katangais pour contrer ceux qu’ils appellent les bilulu (les insectes nuisibles) – entendez les Kasaïens – ces adversaires qui étalaient leur arrogance pour la victoire de leur « frère ethnique » à la CNS et se donnaient l’aura de la modernisation démocratique. »364

361 Donatien DIBWE DIA MWEMBU, Histoire des conditions de vie des travailleurs de l’Union minière du

Haut-Katanga / Gécamines (1910-1999), op. cit., p. 158.

362 Sam MODJOMI, Le pogrome des Kasaïens au Congo/Zaïre, Mobutu, Nguz et Kyungu les assassins du

Katanga, op. cit., p. 212.

363 Donatien DIBWE DIA MWEMBU, « L’épuration ethnique au Katanga et l’éthique du redressement des torts

du passé », art. cit., p. 489-490. Les italiques ont été ajoutés à la citation originale de Dibwe dia Mwembu.

364 Martin KALULAMBI PONGO, « Les alliances et le régionalisme comme modes de penser la transition », op.

Les entretiens menés avec des Katangais ont fait ressortir qu’au-delà des manifestations de joie et des provocations des Kasaïens en elles-mêmes et de leur interprétation comme la preuve de la volonté de domination des Kasaïens, les Katangais se sont sentis trahis et exclus par les réactions des Kasaïens. Après le limogeage, en octobre 1991, par le Président Mobutu d’Etienne Tshisekedi, qui venait d’être nommé Premier ministre, de nombreux Katangais avaient participé, aux côtés des Kasaïens, à des grèves à la Gécamines et à l’Office des Chemins de fer du Sud (OCS)365, pour demander le rétablissement de Tshiskedi à la primature. Or, après l’élection de Tshisekedi par la Conférence nationale souveraine, le 15 août 1992, ils ont eu l’impression que les Kasaïens avaient « abandonné tous les autres qui

(avaient) marché avec eux ». L’extrait suivant de l’entretien mené avec les deux Baluba du Nord-Katanga cités au début de ce chapitre illustre ce sentiment d’avoir été trahis et exclus par les Kasaïens :

« 1er interviewé - Dans la solidarité, et les Katangais et les Kasaïens, partout, grève générale. Quinze jours ici. Moi, je travaillais encore à la Gécamines. Quinze jours sans travail. Pourquoi ? On doit remettre Tshisekedi à son poste (…). Et maintenant après, quand on a remis Tshisekedi, ce n’était plus l’affaire de tous, de tous les partisans de… l’opposition à Mobutu. Ca, c’est pour les Kasaïens (…). Donc ça, c’est pour les Kasaïens. Alors les Kasaïens commençaient à chanter là et à fêter, à festoyer parce que Tshisekedi était remis Premier ministre.

2e interviewé - Oh, c’était une affaire à eux, ils ont exceptés tous les autres.

1er interviewé - Ils ont abandonné tous les autres qui ont marché avec eux, en faisant la grève [il prononce ce début de phrase sur un ton très sec, énervé]. Parce qu’à la Gécamines, il n’y avait pas seulement des Kasaïens, il y avait des Katangais aussi qui ont trouvé que Mobutu a… – vous connaissez l’histoire – duré sur le plan politique ; il fallait quand même qu’on le remplace. Alors juste quand on a remis Tshisekedi : “Oh, non, nous avons acheté le Katanga.” “Oh, non, c’est pour nous maintenant. Comme Tshisekedi est Premier ministre, personne ne peut bouger.” Vous voyez un peu. Donc ce sont des provocateurs ; et quand ils provoquent, ils sont les premiers aussi à accuser. Alors c’est ainsi que les gens [c’est-à-dire les Katangais] ont dit : “Non. Comment ça peut se faire ?” Et puis en plus de ça, ils ont pris deux chiens, un chien qu’ils ont mis… ils ont mis la cravate là-bas, pour dire avec le nom de Nguz, un autre chien avec le nom de Kyungu. (…) On pouvait réagir. C’est ce qu’il y a eu : on a réagi en 1992 à cause de ces évènements. Parce qu’on a marché ensemble. Et puis après vous vous détachez pour

365 En avril 1991, la Société Nationale des Chemins de fer du Zaïre (SNCZ) a été scindée en quatre entreprises

parapubliques distinctes : la SNCZ Holding, qui avait comme mission l'exploitation des réseaux, l'Office des Chemins de fer du Sud (OCS), la Société des chemins de Fer de l'Est (SFE) et l‘Office des chemins de fer des Uèle (CFU).

encore injurier des gens qui ont marché avec vous, qui se trouvent chez eux (il dit « qui se trouvent chez eux » sur un ton sec et en colère), par dessus le marché. (petit rire) »366

Les grèves à la Gécamines et à l’OCS pour dénoncer le limogeage de Tshisekedi et les reproches adressés par les Katangais qui y avaient participé aux Kasaïens pour leur absence de soutien à Nguz a Karl-I-Bond sont quasiment absents de la littérature. Seul Dibwe dia Mwembu y fait référence :

« On se rappellera (…) le soutien dont jouissait Tshisekedi de la part des Katangais lorsqu’il fut démis de ses fonctions de Premier Ministre par le président Mobutu. Une grève fut déclenchée dans les deux grandes entreprises du Katanga, à savoir la Gécamines et la SNCC. Le journal le Lushois, dans son édition n° 68, écrivait : “Mobutu joue sa dernière carte et a raté son but au Katanga gagné à la cause de l’UFERI. Ce parti ne peut plus continuer à supporter ses caprices dictatoriaux. Il désapprouve la nomination diabolique de Mungul Diaka367 pour soutenir le choix de l’Union sacrée qui est celui du peuple. Pour l’UFERI/Katanga, c’est Tshisekedi ou rien du tout. Pour atteindre cet objectif, les populations de Likasi, Kolwezi ont débrayé. Bientôt, elles seront rejointes par leurs consœurs de Lubumbashi. Elles vont paralyser toutes les activités jusqu’au rétablissement de M. Tshisekedi.”368 Les communautés kasaïenne et katangaise luttaient toutes pour une cause commune : se débarrasser de la dictature. »369

Il ajoute :

« les Katangais reprochent aux Kasaïens du Katanga de n’avoir pas reconnu et soutenu Jean Nguz a Karl-I-Bond comme Premier Ministre alors qu’en son temps Etienne Tshisekedi avait été appuyé par la partie katangaise. Des manifestations de mécontentement et des grèves n’avaient-elles pas été organisées par les Katangais lorsque Etienne Tshisekedi fut démis de ses fonctions de Premier Ministre par Mobutu et remplacé par Mungul Diaka ? »370

Présenter les « provocations » des Kasaïens après l’annonce de l’élection de Tshisekedi comme l’élément déclencheur des violences dont ils ont été la cible ne tient en outre pas,

366 Entretien avec un Katangais, Muluba, retraité, habitant le quartier Industriel dans la commune de Likasi à

Likasi (qui apparaît comme le 1er interviewé dans la citation) et un Katangais, Muluba, pensionné de la

Gécamines (qui apparaît comme le 2e interviewé), Likasi, 24 février 2009.

367 Bernardin Mungul Diaka a assuré la fonction de Premier ministre du Zaïre du 1er novembre 1991, après le

limogeage d’Etienne Tshisekedi, jusqu’au 25 novembre 1991, date de la nomination à la primature de Nguz a Karl-I-Bond.

368 Le Lushois, n° 68, 1er-7 novembre 1991, p. 5, cité in Donatien DIBWE DIA MWEMBU, « Relectures de

l’histoire et transformation des rapports entre les Katangais et les Kasaïens du Katanga », op. cit., p. 70.

369 « Relectures de l’histoire et transformation des rapports entre les Katangais et les Kasaïens du Katanga », op.

cit., p. 69-70.

quand on s’intéresse à la chronologie de ces violences. On distingue en effet trois phases dans les violences contre les Kasaïens.

La première phase commence à Luena en septembre 1991, avec les violences contre les Kasaïens qui travaillaient à la Gécamines et qui étaient considérés comme les meneurs de la grève qui paralysait l’entreprise parapublique. C’est au cours de cette première phase que Kyungu wa Kumwanza, une fois nommé gouverneur du Katanga, le 6 novembre 1991, a lancé la campagne « Debout Katanga », avec comme mot d’ordre « Katanga yetu » (« notre Katanga » en swahili). Cette campagne, initiée par le discours d’investiture de Kyungu wa Kumwanza où il avait appelé les originaires à chasser les Kasaïens présentés comme « des

étrangers qui ne doivent pas oublier leur statut au Katanga et qui volent le travail et les richesses des Katangais »371, a donné lieu à de nombreux meetings, qui ont été diffusés par la radio et la télévision locales. Durant cette première phase, les violences se produisirent surtout dans les localités du Nord-Katanga et les zones rurales ou petites localités du Sud-Katanga. En novembre 1991, quelques jours après la nomination de Kyungu wa Kumwanza, des militants de l’UFERI ont attaqué les commerçants kasaïens de Bukama. Fin décembre 1991, des Kasaïens ont été chassés de la ville de Pweto. Suite au meeting tenu par Kyungu wa Kumwanza à la Place de la Poste à Lubumbashi, le 4 janvier 1992, des violences ont éclaté entre Katangais et Kasaïens à Fungurume. Ces violences ont fait entre quatre372 et une vingtaine373 de morts, selon les sources, et une cinquantaine de maisons ont été brûlées374. Les miliciens de la JUFERI ont également attaqué les Kasaïens à Lukafu en janvier 1992 et Lubudi et Pweto en mars 1992. En avril 1992, des violences eurent lieu contre les Kasaïens à Kasulo, un quartier périphérique de Kolwezi. Le 27 juillet 1992, dans le quartier Toyota à Likasi, des affrontements ont opposé les miliciens de la JUFERI et des Kasaïens. Durant cette première phase, le gouverneur du Katanga a consolidé son contrôle sur les médias locaux (journaux, radio et télévision), restreint les activités de l’opposition politique et imposé un embargo sur les échanges commerciaux entre le Katanga et les régions du Kasaï.

La deuxième phase commence avec l’élection d’Etienne Tshisekedi comme Premier ministre du gouvernement de transition, le 15 août 1992. Il s’agit d’une phase d’amplification et d’extension des violences aux grandes villes et aux principaux centres miniers du Sud- Katanga (Likasi, Kolwezi, Kipushi…), où l’on comptait une forte proportion de Kasaïens.

371 Extrait du discours d’investiture de Gabriel Kyungu wa Kumwanza, 6 novembre 1991, cité in Thomas

BAKAJIKA BANJIKILA, Epuration ethnique en Afrique..., op. cit., p. 132.

372 Africa Watch, Zaire : Inciting hatred. Violence against Kasaiens in Shaba, op. cit., p. 8.

373 Sam MODJOMI, Le pogrome des Kasaïens au Congo/Zaïre, Mobutu, Nguz et Kyungu les assassins du

Katanga, op. cit., p. 230.

C’est à Likasi que les violences furent les plus fortes, particulièrement en août et septembre 1992375 ; c’est aussi dans cette ville que les Kasaïens chassés des quartiers de Likasi ou en provenance d’autres villes et villages du Sud-Katanga sont restés le plus longtemps réfugiés dans la gare et dans des écoles dans l’attente d’un train qui les conduirait dans l’une des deux régions du Kasaï. Dans son rapport Zaire : Inciting hatred. Violence against Kasaiens in

Shaba, Africa Watch décrit le schéma des violences durant cette phase, qui s’est poursuivie jusqu’au début de l’année 1993 :

« The violence which followed Tshisekedi’s nomination quickly took on a pattern. Youth bands of Katangese, armed with knives and machetes, sought out Kasaien homes. Neighbors cooperated in the process. The owners were hounded out and the crowd poured into the homes to take their belongings. In some towns, soldiers or others arrived soon afterwards with cans of gasoline and the houses were set on fire. »376

La troisième phase des violences correspond à la systématisation de la « chasse aux Kasaïens » dans les entreprises et la fonction publique. Elle a commencé à Kolwezi, en mars 1993 : les miliciens de la JUFERI n’attaquaient plus les Kasaïens de manière indéterminée ; ils venaient chercher des Kasaïens, nommément identifiés, dans les entreprises, en particulier à la Gécamines, dans les administrations, dans les écoles et à leur domicile pour les conduire à la gare ou dans les deux lycées de la ville. Sam Modjomi donne un descriptif détaillé de la

« nouvelle méthode (…) expérimentée sur le site » de la Gécamines à Kolwezi en mars 1993 :

« Partant du principe selon lequel pour mieux combattre l’ennemi, il faut être à ses côtés, les dirigeants de l’Uféri oeuvrant à la Gécamines à Kolwezi commencèrent par le recrutement de beaucoup des jeunes désoeuvrés de la Juféri sous prétexte d’aider la garde industrielle débordée par des cas de vols répétés. Malgré la résistance opposée par des cadres non-originaires qui ne voyaient pas très bien en quoi allait consister la tâche des « NINJA »377, les concepteurs du plan de délogement des indésirables Kasaïens eurent gain de cause. Près de 300 jeunes désoeuvrés Katangais furent engagés comme des journaliers bénévoles. Ils eurent vite accès aux usines et aux bureaux où ils fouillèrent tous les documents qui leur facilitèrent l’identification de chaque ouvrier et chaque cadre non Katangais. Leur objectif était essentiellement de repérer les Kasaïens, leurs postes de travail et leurs habitations.

375 Dans son rapport de juin 1993, Africa Watch explique le fait que ce soit à Likasi que les violences furent les

plus fortes après l’annonce de l’élection de Tshisekedi par les tensions qui existaient déjà dans la ville du fait de la présence de nombreux Kasaïens, qui s’étaient réfugiés à Likasi après avoir été chassés des campagnes ou des petites villes du Katanga. Cf. Africa Watch, Zaire : Inciting hatred. Violence against Kasaiens in Shaba, op. cit., p. 14 : “By the time that Tshisekedi was nominated prime minister in August, tensions were already high in

Likasi because of the large influx of Kasaien refugees from nearby towns, including Fungurume.”

376 Africa Watch, Zaire : Inciting hatred. Violence against Kasaiens in Shaba, op. cit., p 13.

377 Les Ninjas est le nom d’un des goupes de combattants de la JUFERI. Pour plus de détails sur les Ninjas, cf. ce