• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 La formation des consciences ethno-régionales katangaise et kasaïenne dans

1. Mise en valeur coloniale et hiérarchisation des groupes ethno-régionaux

Du travail migrant à la politique de stabilisation de la main-d’œuvre

Comme le souligne Elikia M’Bokolo, la restructuration des groupes sociaux, qui allait conduire à l’appropriation des identités ethno-régionales katangaise et kasaïenne d’abord sous la forme d’une prise de conscience des inégalités sociales dans les centres miniers du Haut- Katanga, puis d’une cristallisation des consciences ethno-régionales, s’explique notamment par la spécificité de la colonisation belge au Katanga :

« Si la colonisation belge a définitivement constitué le Katanga en région, ce n’est pas tant pour en avoir établi des frontières qui allaient se révéler durables ; c’est pour l’avoir, en un délai relativement court, façonné en profondeur. La colonisation y prit en

effet des caractères spécifiques : l’occupation tardive de ce territoire fut l’œuvre non pas de l’Etat colonial, mais d’entreprises capitalistes privées ; ce fut au Katanga que le capitalisme colonial fleurit, entraînant une restructuration complète des forces et groupes sociaux. »193

Entre la pénétration des troupes de l’Etat indépendant du Congo (EIC) en 1891 et la création de la province du Katanga en 1910, l’occupation et la gestion administrative du Katanga furent déléguées à une compagnie minière privée, la Compagnie du Katanga, qui prit le nom de Comité spécial du Katanga en 1900. La création, en 1906, de la Compagnie du chemin de fer du Bas-Congo au Katanga (BCK) et de l’Union minière du Haut-Katanga (UMHK) suscita un besoin en main-d’œuvre, qui se heurta à deux obstacles : d’une part, la faible densité de population dans le Haut-Katanga (entre 1,9 et 2 habitants au km²)194, d’autre part, le refus des populations autochtones de travailler dans les entreprises coloniales. Ce refus s’expliquait par l’hostilité des populations autochtones envers les colons belges, suite à l’assassinat, le 20 décembre 1891, du roi Msiri, le grand chef des Bayeke, par un officier des troupes de l’EIC. L’ethnonyme Bayeke – signifiant « chasseurs » en langue kisanga – avait été attribué par les populations autochtones aux commerçants nyamwezi, originaires de l’actuelle Tanzanie et qui avaient migré au Katanga dans la seconde moitié du XIXe siècle. Il désignait également les autochtones qui intégrèrent l’aristocratie du royaume yeke. L’installation des commerçants nyamwezi dans le sud du Katanga entraîna une redistribution du pouvoir : par des alliances et des conquêtes militaires, Msiri étendit sa domination sur tout le sud du Katanga et le nord de l’actuelle Zambie. L’assassinat de Msiri survint alors que la révolte de la population autochtone sanga contestait la domination yeke. Après l’annexion du royaume yeke par les agents de l’EIC, les Sanga et les autres populations autochtones espéraient retrouver leur pouvoir et leur autonomie. Or, les autorités coloniales désignèrent un des fils de Msiri pour lui succéder, provoquant ainsi le ressentiment des populations autochtones. Selon Roland Pourtier, un troisième facteur peut expliquer les recrutements en dehors du Haut-Katanga :

« I1 n’est pas exclu par ailleurs que l’Union minière du Haut-Katanga (UMHK) ait privilégié le recrutement d’ouvriers étrangers à la région, plus faciles à contrôler que des autochtones soumis aux autorités coutumières. »195

193 Elikia M’BOKOLO, « Le « séparatisme katangais » », in Jean-Loup Amselle et Elikia M’Bokolo, dir., Au

cœur de l’ethnie. Ethnie, tribalisme et Etat en Afrique, op. cit., p. 196.

194 Thomas BAKAJIKA BANJIKILA, Epuration ethnique en Afrique. Les « Kasaïens » (Katanga 1961-Shaba

1992), op. cit., p. 58.

En 1911, le gouvernement colonial créa la Bourse du Travail du Katanga (BTK), qui lança ses premières opérations de recrutement l’année suivante.

Le district du Lomami, en particulier les territoires de Kanda-Kanda, Kabinda, Mpania Mutombo, Kisengwa et Tshofa, devint le principal foyer de recrutement de la main-d’oeuvre à destination du Haut-Katanga industriel. Entre 1923 et 1930, les travailleurs recrutés dans ces cinq territoires représentaient en moyenne 91 % de l’ensemble des recrues196. En 1912, ces territoires étaient situés dans la province du Katanga. Mais, suite à la réforme territoriale de 1933197, ils furent rattachés à la province du Kasaï (cf. carte 1.1). Leurs populations, y compris celles qui travaillaient déjà dans les mines du Haut-Katanga et qui étaient identifiées comme katangaises au moment de leur recrutement, sont alors devenues kasaïennes. Les identités ethno-régionales produites par la territorialisation du Congo belge ne furent pas immédiatement intériorisées par les populations concernées. Dans les centres miniers et industriels du Haut-Katanga, les livrets d’identité imposés par les autorités coloniales, et qui mentionnaient la province, le territoire, la chefferie, la tribu et le groupement d’origine, ont toutefois contribué au processus de différenciation entre ceux qui étaient identifiés comme Katangais et ceux qui étaient identifiés comme Kasaïens198.

En 1916 et 1917, des campagnes de recrutement furent menées dans le district du Maniema dans la Province orientale, et dans les districts du Kasaï et du Sankuru, qui furent eux aussi rattachés à la province du Kasaï respectivement en 1918, lors de la création de la province du Congo-Kasaï, et en 1933. D’autres travailleurs étaient recrutés en Rhodésie du Nord.

196 MUTEBA KABEMBA NSUYA, « Le recrutement de la main-d'oeuvre dans le district du Lomami à

destination du Haut-Katanga industriel (1912-1933) », Mémoire de licence en Histoire, UNAZA, Campus de Lubumbashi, Lubumbashi, 1973, p. 60 bis, cité in Donatien DIBWE DIA MWEMBU, « État de la question sur le conflit Katangais-Kasaïen dans la province du Katanga (1990-1994) », in Bogumil Jewsiewicki et Léonard N'Sanda Buleli, dir., Constructions, négociations et dérives des identités régionales dans les États des Grands

Lacs africains : approche comparative, éditeur inconnu, 2005, p. 11 – disponible in http://www.congoforum.be/upldocs/approche_comp%281%29.pdf – consulté le 05/11/2014.

197 Par l’arrêté royal du 25 juin 1933, le Congo belge a été divisé en six provinces : Léopoldville et Lusambo (par

scission du Congo-Kasaï), Coquilhatville (ex-Equateur), Stanleyville et Costermansville (par scission de la Province Orientale), Elisabethville (ex-Katanga). Cette réforme territoriale mit fin à l’autonomie administrative qui avait été jusqu’alors reconnue à la seule province du Katanga.

198 Cf. Donatien DIBWE DIA MWEMBU, « État de la question sur le conflit Katangais-Kasaïen dans la

Carte 1.1199

199 Carte reproduite à partir du livre de Thomas BAKAJIKA BANJIKILA, Epuration ethnique en Afrique…, op.

Jusqu’au milieu des années 1920, la BTK a recruté des ouvriers et des manœuvres sans qualification pour une période comprise entre trois et douze mois200, à l’issue de laquelle ils devaient rentrer dans leur village. Les recrutements reposaient alors largement sur la contrainte : les agents recruteurs de la BTK et les administrateurs territoriaux de l’Etat colonial s’appuyaient sur les chefs coutumiers, parfois en exerçant des pressions à leur encontre. Ainsi, selon Thomas Bakajika Banjikila :

« les agents recruteurs, à travers la création du marché du travail au Haut-Katanga, engagèrent-ils une politique cherchant à figer le développement politique et social, à sous-développer les villages et exercer des pressions sur les Africains. »201

Les conditions de vie et de travail étaient difficiles : les travailleurs se retrouvaient seuls dans les centres miniers, leur famille n’étant pas autorisée à les accompagner ; les mauvaises conditions de logement, l’absence de nourriture variée et d’eau potable provoquaient des épidémies (tuberculose pulmonaire, pneumonie, dysenterie, fièvre typhoïde…) ; les accidents du travail étaient très fréquents. Durant cette période, qualifiée de « période de travail

migrant »202 par Dibwe dia Mwembu, le taux de mortalité des travailleurs était très élevé. Toujours selon Dibwe dia Mwembu, entre 1914 et 1926, ce taux « était passé de 117,70 ‰ à

53 ‰ après avoir atteint 210,74 ‰ en 1918, le point culminant jamais atteint dans toute l’histoire »203de l’UMHK, ce qui « a valu au Haut-Katanga industriel la réputation du pays

de la mort »204. Les difficiles conditions de vie et de travail, ainsi que le fort taux de mortalité, incitèrent de nombreux travailleurs à déserter.

Les opérations de recrutement de la BTK se révélèrent trop coûteuses. Le développement des industries minières dans les années 1920 généra, en outre, le besoin d’une main-d’œuvre plus qualifiée, ce qui conduisit l’UMHK à adopter une politique de stabilisation de la main- d’œuvre.

En 1927, l’Office central du travail du Katanga (OCTK) remplaça la BTK. Les opérations de recrutement, menées soit par l’OCTK, soit par les agents de l’UMHK, se poursuivirent dans le district du Lomami et dans la Province orientale ; des travailleurs furent recrutés dans des

200 Donatien DIBWE DIA MWEMBU, « Le travail en milieu ouvrier industriel congolais. Cas de

l’UMHK/Gécamines », Cahiers de Philosophie et des Sciences du Travail, 2004 (1), p. 101. La durée des contrats de travail diffère selon les auteurs. Ainsi, pour Bakajika Banjikila, elle était de six à neuf mois (Thomas BAKAJIKA BANJIKILA, Epuration ethnique en Afrique…, op. cit., p. 69).

201 Thomas BAKAJIKA BANJIKILA, Epuration ethnique en Afrique…, op. cit., p. 60.

202 Donatien DIBWE DIA MWEMBU, « Le travail en milieu ouvrier industriel congolais... », op. cit., p. 101. 203 Ibidem.

régions plus éloignées, et plus précisément dans le Nord-Katanga, le Kasaï et dans les territoires du Ruanda-Urundi. Dotée de plus de moyens que son prédécesseur205, l’OCTK fut l’instrument de promotion, auprès des travailleurs, de la politique de stabilisation, adoptée par l’UMHK en décembre 1927. L’ordre de service du 27 décembre 1927, qui a défini les différentes catégories de travailleurs concernés par cette politique, rend compte de l’objectif, que la direction de l’UMHK entendait obtenir par la stabilisation de la main-d’œuvre :

« (…) en vue de stabiliser sa main-d’œuvre indigène, notre société a décidé de consentir de nouveaux sacrifices pour l’amélioration des salaires et conditions de réengagement des travailleurs à long terme. Elle compte que ce sacrifice sera compensé par un meilleur rendement et par une amélioration générale de l’état sanitaire, dû à la présence dans nos camps d’un nombre plus grand de travailleurs acclimatés. (…) C’est par la collaboration intime de tous nos services et, notamment celle de nos techniciens, de nos médecins et de notre personnel de camps, que nous arriverons à un résultat. Nous considérons que le principe même de la stabilisation réside dans les engagements à long terme. La campagne à entreprendre doit provoquer de nombreux réengagements pour trois ans, des travailleurs d’une bonne constitution physique, bien disciplinés, qu’il y a intérêt à conserver en service en plaçant l’indigène devant l’alternative d’obtenir un salaire plus élevé, s’il consent à se lier avec nous pour trois ans, soit de ne toucher que le salaire actuel s’il ne nous donne pas cette preuve d’attachement ; nous comptons réagir efficacement contre l’aversion que montrent généralement les travailleurs à s’engager pour un terme long. Nous devons créer la VOGUE du contrat de TROIS ANS. »206

Selon Dibwe dia Mwembu, l’adoption de la politique de stabilisation des travailleurs et de leur famille dans les centres miniers s’explique par le fait que :

« L’employeur (Union Minière/Gécamines) devait (…) tenir compte des conditions de travail et de vie de ses travailleurs dans le but d’améliorer de plus en plus le rendement de la main-d’œuvre. Il mit sur pied des stratégies attractives dans les camps en vue de rendre les camps attrayants et s’attirer ainsi les familles des travailleurs. L’objectif était d’en faire non seulement des lieux de socialisation, mais aussi et surtout des espaces de reproduction de la force de travail d’où il puiserait, à sa guise, sa main-d’œuvre. »207

Afin de réaliser cet objectif, l’UMHK offrit à ses ouvriers de nombreux avantages pour inciter leurs familles à s’installer durablement dans les camps de travailleurs de l’entreprise : un

« logement individuel adapté au statut matrimonial, à la taille de la famille du travailleur et,

205 Par exemple, des agents recruteurs plus expérimentés et des camps de séjour pour les futures recrues.

206 Union Minière du Haut-Katanga, Service d’Afrique, Ordre de Service n° 248, Elisabethville, 27 décembre

1927, Archives du Personnel, Gécamines, Lubumbashi, p. 1, cité in Thomas BAKAJIKA BANJIKILA,

Epuration ethnique en Afrique…, op. cit., p. 71.

plus tard, au statut social de ce dernier »208, une ration alimentaire, des soins médicaux, la scolarisation des enfants.

Politique de stabilisation et constitution d’une position socio-économique dominante pour les Kasaïens

Les Kasaïens ont bénéficié plus que les autres travailleurs des avantages sociaux liés à la politique de stabilisation. Ce qui s’explique par le fait que les travailleurs kasaïens sont rapidement devenus majoritaires dans les entreprises coloniales, où ils occupèrent d’abord des postes d’ouvriers non qualifiés, puis, à partir de la Seconde Guerre mondiale, des fonctions administratives et d’encadrement. La mise au travail des Kasaïens dans le cadre de la mise en valeur coloniale les a ainsi constitués en tant que groupe social distinct et bénéficiant d’un statut socio-économique supérieur à celui des populations locales.

Jusqu’au milieu des années 1930, la province du Kasaï resta le principal foyer de recrutement des travailleurs de l’UMHK. Entre 1926 et 1930, 1 800 travailleurs, en moyenne, y ont été recrutés chaque année209.

Dans les années 1920-1930, de nombreux autochtones du Haut-Katanga rejoignirent le mouvement politico-religieux kitawala, ce qui dissuada l’UMHK et la BCK de recruter parmi les populations autochtones. Ce mouvement messianique, introduit au Katanga au début des années 1920, à partir des Rhodésie et du Tanganyika, sortit de la clandestinité en 1925. Ses prêches étaient ouvertement anticoloniales. Les principaux thèmes prêchés étaient, en effet,

« l’Afrique aux Noirs, la destruction des religions importées et l’égalité des races et des salaires »210.

A partir de 1925, le nombre de recrues rhodésiennes diminua, suite à la décision du gouvernement colonial de la Rhodésie du Nord de limiter le nombre des Rhodésiens autorisés à travailler au Katanga. L’UMHK obtint alors du gouvernement colonial l’autorisation de mener des opérations de recrutement dans les provinces et colonies belges voisines. Dès 1926, l’UMHK mena des missions de recrutement dans les districts du Maniema et du Kivu dans la Province orientale et dans les territoires du Ruanda-Urundi, qui étaient alors sous mandat

208 Idem, p. 103.

209 Donatien DIBWE DIA MWEMBU, « Relectures de l’histoire et transformation des rapports entre les

Katangais et les Kasaïens du Katanga », op. cit., p. 27.

belge. En 1927, elle étendit ses opérations de recrutement aux territoires de Kanda-Kanda, Kabinda, et Tshofa dans le district du Lomami, dans la province du Kasaï. Les missions de recrutement dans les districts du Maniema et du Kivu cessèrent en 1928. Bakajika Banjikila donne deux raisons à cet arrêt :

« les originaires de ces régions ne s’acclimataient pas au Haut-Katanga. La plupart de ces recrues étaient amenées au camp de Ruashi et l’alimentation habituelle des travailleurs ne leur convenait pas et leur mortalité fut très élevée : 27 décès au camp de l’Etoile-Ruashi en 1927 et 56 en 1928. Les émigrés étaient en majorité de religion musulmane, d’où certains problèmes de composition de leur ration. De plus, l’Islam était perçu par les autorités coloniales belges comme une idéologie subversive et, l’Eglise catholique monopolisant l’encadrement éducatif et religieux des travailleurs, leur intégration pouvait être problématique. »211

Au début des années 1930, du fait de la crise économique mondiale, les besoins en main- d’œuvre diminuèrent. L’UMHK suspendit alors ses missions de recrutement. Les recrutements dans la province du Kasaï et dans les territoires du Ruanda-Urundi reprirent en 1934 et se poursuivirent jusqu’en 1945. Durant cette période, l’UMHK continua à embaucher surtout des Kasaïens, qui furent recrutés pour partie au Kasaï et pour partie parmi les enfants des travailleurs qui étaient arrivés dans les centres miniers du Haut-Katanga dans les décennies précédentes. Les Kasaïens représentaient 49 % du personnel africain de l’UMHK en 1936, et 60 % en 1945212. Comme le souligne Bakajika Banjikila, nous pouvons déduire de l’analyse des missions de recrutement menées par l’UMHK que, jusqu’au début des années 1950, « la majorité de la population urbaine était constituée des ressortissants du Kasaï »213. Par exemple, en 1942, 70 % des habitants de Jadotville (actuelle Likasi) étaient originaires du territoire de Kanda-Kanda au Kasaï214.

Après la Seconde Guerre mondiale, les missions de recrutement furent de plus en plus rares. La plupart des recrutements étaient alors liés à l’exode rural et concernaient des originaires du Haut-Katanga, qui furent embauchés comme ouvriers non qualifiés. Au cours des années 1950, du fait de l’installation de ces Katangais dans les centres miniers, les Katangais

211 Idem, p. 64-65.

212 Bruce FETTER, « Elisabethville : Immigrants to Elisabethville : Their Origins and Aims », African Urban

Notes 3, n° 2, 1968, p. 31 et ARP/GCM-L’SHI, Rapport annuel 1970, p. 35, cités in Donatien DIBWE DIA MWEMBU, « État de la question sur le conflit Katangais-Kasaïen… », op.cit, p. 12.

213 Thomas BAKAJIKA BANJIKILA, Epuration ethnique en Afrique…, op. cit., p. 82.

214 H. NICOLAÏ et J. JACQUES, « La transformation des paysages congolais par le chemin de fer. L’exemple

du BCK », Mémoire IRCB, CEMUBAC, Bruxelles, 1954, p. 44-45, cité in Donatien DIBWE DIA MWEMBU, « Relectures de l’histoire et transformation des rapports… », op. cit., p. 29.

devinrent majoritaires dans les villes du Haut-Katanga. Par exemple, en 1955, 52 % des habitants de Jadotville étaient katangais et les Kasaïens ne représentaient plus que 36 %215.

Un autre changement, survenu, au moment de la Seconde Guerre mondiale, dans la gestion du personnel au sein de l’UMHK et des autres entreprises coloniales, a contribué à l’obtention par les Kasaïens d’un statut socio-économique supérieur à celui des populations locales, comme l’explique M’Bokolo :

« Il ne suffisait plus de stabiliser. A l’exemple de l’UMHK, toutes les entreprises se montrèrent soucieuses de réduire leurs charges salariales ; elles renoncèrent progressivement à embaucher des Européens au-dessous du grade d’ingénieur et inaugurèrent une politique « libérale » vis-à-vis des travailleurs africains : formation professionnelle, avancement, hausses de salaires. Ce furent surtout le Nord-Katanga et le Kasaï qui fournirent ces travailleurs. »216

La mise en œuvre de cette politique de gestion du personnel participa au processus de distinction et de hiérarchisation entre les ouvriers katangais non qualifiés et les ouvriers kasaïens qualifiés :

« La première comprenait les travailleurs (…) recrutés dans le Sud minier, engagés dans les tâches exigeant le moins de qualification et mal rémunérés, ces ouvriers vivaient le plus souvent dans les camps des entreprises, soumis au paternalisme le plus rétrograde, à la surveillance tatillonne des milices patronales et au contrôle discret des émissaires des « chefs coutumiers » tout proches. La deuxième fraction, sorte d’ « aristocratie ouvrière », comprenait essentiellement les travailleurs venus du Kasaï qui vivaient librement en ville [c’est-à-dire dans les centres extra-coutumiers] grâce à leurs meilleurs salaires. »217

A partir des années 1950, les logements disponibles dans les camps de l’entreprise ne permettant pas d’accueillir toutes les familles des employés, l’UMHK encouragea, en effet, les travailleurs qui étaient considérés comme « fidèles et dévoués »218 – de fait principalement des Kasaïens – à s’installer dans les centres extra-coutumiers, où par le biais du mécanisme du Fonds d’Avance chargé d’accorder des crédits et des matériaux de construction, ils firent construire des maisons et devinrent ainsi propriétaires de leur logement.

215 J. DENIS, « Jadotville. Matériaux pour une étude de la population africaine », Bulletin CEPSI, n° 35, 1956, p.

44, cité in Donatien DIBWE DIA MWEMBU, « Relectures de l’histoire et transformation des rapports… », op.

cit., p. 29.

216 Elikia M’BOKOLO, « Le « séparatisme katangais » », op. cit., p. 203. 217 Idem, p. 204.

218 Donatien DIBWE DIA MWEMBU, « Relectures de l’histoire et transformation des rapports… », op. cit., p.

La scolarisation des enfants des ouvriers kasaïens, conséquence de la politique de stabilisation menée par l’UMHK, a joué un rôle important dans la reproduction sociale et l’ascension sociale des Kasaïens. L’enseignement qu’ils ont reçu dans les écoles administrées par les autorités coloniales explique que ce soit eux qui aient été recrutés pour occuper les postes administratifs et d’encadrement laissés vacants par les colons belges dans les entreprises privées et parapubliques et dans l’administration coloniale.

A partir des années 1950, les restrictions à l’exercice de l’activité commerciale, qui était