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Chapitre 3 Coexister après les violences : pratiques de l’évitement et du non-dit

2. La peur de se dire kasaïen

Certaines pratiques d’évitement sont mises en œuvre uniquement par les Kasaïens. Elles visent à dissimuler leur origine ethno-régionale, le plus souvent en transformant des noms à consonance kasaïenne ou en ne parlant pas en tshiluba, leur langue maternelle, dans les lieux publics.

Transformation de noms typiquement kasaïens

Dans les situations d’interaction avec des Katangais, de nombreux Kasaïens sont réticents, voire ont peur de donner leur nom. Cette réticence s’explique par le fait que le nom permet souvent de déterminer l’origine ethno-régionale, et, de ce fait, les identifie comme Kasaïens. Des Katangais, ayant un nom à consonance kasaïenne, peuvent eux aussi être identifiés – à tort – comme étant kasaïens (cf. encadré 3.1). L’échange suivant entre deux membres de la Commission Justice et Paix et Sauvegarde de la Création de l’Eglise du Christ au Congo illustre le lien entre la peur de donner son nom et l’identification de l’origine ethno-régionale : « 1er interviewé - Moi, j’ai travaillé comme sensibilisateur. J’ai travaillé plus dans les carrières. Nous, on rencontrait des gens comme ça, quand vous leur posez des questions, vous essayez de parler avec eux, à un certain moment, ils se méfient pour dire que vous voulez prendre nos noms pour savoir si on est kasaïens, tout ça. Parce qu’ici les gens sont spécialistes à dire… le fait juste de citer le nom, je peux déjà savoir que celui-ci est Muluba, celui-ci est Tshokwe, celui-ci est... A l’époque où on faisait la sensibilisation, quand on arrivait : “Est-ce que je peux avoir ton nom ? Je peux avoir tes [un mot inaudible] ? On te disait : « Non. Tu voudrais prendre mes [le même mot inaudible] pour savoir où je suis, tout ça. Pour venir…”

2e interviewé – “Pour venir m’attaquer.”

1er interviewé – “Pour venir le soir me terroriser.” (…)

2e interviewé – (…) Et il y a aussi un autre problème chez les Kasaïens… certains Kasaïens. Il y a cette peur-là, comme il vient de le dire, juste quand on cite le nom. Ici, nous avons cette facilité-là (…) dès que vous citez le nom, on dit : « Oh, celui-ci doit être de tel endroit. » Même un Katangais, vous dîtes : « Ah celui-ci, il n’est pas d’ici, il est de l’autre… » Donc c’est très facile.

1er interviewé – (…) Dès que quelqu’un cite… le nom, directement quelqu’un identifie sa tribu. »538

Cette peur explique que certains Kasaïens transforment leur nom pour le faire passer pour un nom katangais ou à consonance étrangère.

Encadré 3.1. Le nom à consonance kasaïenne du maire katangais de Likasi

Les réactions à l’annonce de la nomination comme maire de Likasi, en septembre 2008539, de Denis

Kalondji Ngoy, qui bien qu’étant katangais a « un nom à résonance kasaïenne »540 ou « un nom du

Kasaï »541, montrent comment le nouveau maire fut identifié, sur la seule base de son nom, comme un

Kasaïen. L’annonce de sa nomination suscita des réactions négatives de la part de certains Katangais à l’idée que la ville soit dirigée par un Kasaïen : « Lorsque le nouveau maire de la ville a été nommé… Le maire s’appelle Kalondji Ngoy. Bon, en principe, le nom Kalondji, c’est un nom du Kasaï. Lorsque la nouvelle a été communiquée à la radio nationale, le lendemain, il y avait des réactions. Par exemple, moi je suis allé à Lubumbashi le lendemain de l’annonce de la nouvelle. A bord du bus, qui m’a transporté vers Lubumbashi, il y avait beaucoup de ressortissants du Kasaï. Ils étaient vraiment en fête : “Vraiment, on a bien fait de nommer quelqu’un de chez nous.” (…) Et puis quand nous sommes allés, au niveau du péage… avant d’arriver à Lubumbashi, le chauffeur nous a montré un véhicule qui venait vers Likasi. Il dit : “Voilà Kalondji. Il est au volant de cette jeep-là.” Les gens ont manifesté leur joie. Il y en a qui disaient : “Où est-il ? Je voulais le voir, moi.” Bon, ça c’était la réaction dans le camp des Kasaïens. Maintenant dans le camp des Katangais : quand je suis revenu de Lubumbashi, un agent de l’ISPT [Institut supérieur pédagogique et technique] est venu me voir ici : “Chef, on commence à remettre les Kasaïens à la tête de cette ville. Est-ce que le président ignore ce qui s’est passé ici ? En tout cas, nous, nous n’allons pas accepter ça.” »542

Ce stigmate nominal a conduit le nouveau maire à systématiquement associer à son nom son post- nom543, wa Kumikino, qui est lui typiquement katangais.

Cette pratique de transformation des noms à consonance kasaïenne correspond à ce que Nicole Lapierre, dans son livre Changer de nom, définit comme étant « des changements pour

les autres »544, c’est-à-dire « des changements qui (visent) prioritairement à déjouer les

538 Entretien avec deux membres de la Commission Justice et Paix et Sauvegarde de la Création de l’Eglise du

Christ au Congo, Kolwezi, 3 janvier 2012.

539 Par l’ordonnance n°08/055 du 24 septembre 2008 portant nomination des maires et maires adjoints des villes. 540 Entretien avec un Katangais, Bahemba, ayant exercé des fonctions officielles à la mairie de Likasi, Likasi, 28

février 2009.

541 Entretien avec un Katangais, Muluba, professeur à la faculté de lettres de l’Université de Lubumbashi et à

l’Institut supérieur pédagogique et technique à Likasi (ISPT), Likasi, 26 février 2009.

542 Idem.

543 Une décision du Bureau politique du parti-Etat, le MPR, du 15 février 1972, adoptée dans le cadre de

l’idéologie de l’authenticité, imposa aux Zaïrois de renoncer à leurs prénoms chrétiens et de les remplacer par des post-noms « authentiques ». Cette décision fut officiellement abolie par Mobutu le 24 avril 1990, dans son discours instaurant le multipartisme. Mais les post-noms sont toujours utilisés, en plus des noms et des prénoms, qui avaient survécu jusqu’en 1990 sous la forme de « petits noms ». Sur ce point, cf. Isidore NDAYWEL E NZIEM, « De l’Authenticité à la Libération : se prénommer en République démocratique du Congo », Politique

africaine, n° 72, 1998, p. 98-109.

préjugés d’autrui »545 et à échapper aux discriminations, qui y sont associées, comme le montre Juliette Carle s’agissant des Sénoufo en Côte d’Ivoire546. Lapierre souligne le fait que le nom peut constituer un stigmate, dans le sens que lui donne Goffman547, c’est-à-dire « un

attribut, visible ou non, susceptible de jeter un discrédit profond sur celui qui en est porteur »548. Elle précise :

« Ce n’est évidemment pas l’attribut en lui-même qui est invalidant, mais la façon dont il est reconnu comme tel dans les relations interpersonnelles. (…) Les individus affligés d’un stigmate directement perceptible (une infirmité manifeste, un type morphologique, une couleur de peau) sont « discrédités » ; il leur faut donc affronter, dans les relations avec autrui, la tension qui en résulte. Les autres, dont le stigmate n’est pas évident, sont « discréditables », ils sont donc amenés à contrôler ou à dissimuler l’information qui, une fois révélée, les ramènerait au sort des premiers. »549

La principale crainte associée au fait de donner son nom est la discrimination à l’embauche. L’extrait suivant tiré d’un entretien avec un Muluba du Kasaï, ancien ouvrier à la Gécamines, illustre ce sentiment, partagé par de nombreux Kasaïens, que les noms à consonance kasaïenne sont un obstacle pour accéder à un emploi ou pour le conserver :

« Maintenant, par exemple, pour engager ici au Katanga, pour engager un Kasaïen, c’est très difficile. Puisque nous [les Kasaïens], on ne remarque pas les noms. (…) J’arrive au travail : “Tu t’appelles qui ?”. Comme mon nom, qui est connu, conjugable comme les verbes avoir et être, je m’appelle [il cite son nom]. “Oh. C’est un Kasaïen” (petit rire). “Tu t’appelles qui ?“ “Mukendi550.” Ah, quand je dis, par exemple, “Je m’appelle Nkulu”, “Je m’appelle Mwamba”, là parce que Mwamba reste à tous les deux côtés. Il peut être katangais, comme il peut être kasaïen. On peut t’engager, mais on te soupçonne. On découvre que tu es kasaïen, on cherche maintenant par tous les moyens à t’écarter. »551

545 Idem, p. 285.

546 Cf. Juliette CARLE, « Quand la crise influe sur les pratiques nominales. Les changements de nom chez les

Sénoufo de Côte d’Ivoire », Politique africaine, n° 95, 2004, p. 169-183. Juliette Carle montre que dans le contexte de la crise politique ivoirienne, les jeunes Sénoufo urbanisés ont recouru à des pratiques de changement d’un nom stigmatisé et de fixation « d’un nom qui dirait et le village et l’ethnie » (p. 178) pour échapper à des discriminations, mais également « pour témoigner de leur appartenance à la nation ivoirienne » (p. 170), ce, en se distinguant des Dioula, considérés comme étrangers : « Certains changent de nom pour fuir les

discriminations ou pour témoigner de leur appartenance à la nation ivoirienne. Les changements de nom ont de multiples significations : actes politiques, ils sont tantôt fuite, tantôt adhésion. Leurs auteurs abordent tous la question nominale en se référant à une identité sénoufo épurée des éléments dioula, à un passé mythifié renvoyant à une identité construite au creux de cette période de reviviscences identitaires. » (p. 170)

547 Erving GOFFMAN, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Editions de Minuit, Collection « Le

Sens commun », 2010 (1975).

548 Changer de nom, op. cit., Paris, Stock, 1995, p. 280. 549 Ibidem.

550 Ce nom et les suivants sont cités par l’interviewé à titre d’exemples de noms typiquement kasaïens ou de

noms qui peuvent être soit katangais soit kasaïens.

Certains Kasaïens ont affirmé, au cours d’entretiens ou de conversations informelles, qu’eux- mêmes, ou un parent, ou un ami avait été victime de discrimination à l’embauche ou pour obtenir une promotion. Il faut souligner ici que si il existe bien des discriminations à l’embauche dans certaines entreprises552, elles ne visent pas uniquement les Kasaïens et elles semblent souvent se limiter aux emplois non qualifiés.

Une autre justification aux pratiques de dissimulation d’une origine kasaïenne sur le lieu de travail est le sentiment que la révélation d’une telle origine ne peut que susciter des tensions avec les Katangais travaillant dans l’entreprise. Paul a, par exemple, recouru à ce type de justification pour expliquer pourquoi il a caché son origine kasaïenne, quand il a commencé à travailler dans l’entreprise privée, où il a été engagé comme ouvrier qualifié en 1998 :

« En 1993, tous les Kasaïens qui étaient [dans l’entreprise] étaient partis. Moi quand je suis entré, je n’ai trouvé qu’un seul Kasaïen au garage, là où je suis. C’était un mécanicien que le patron lui-même avait fait venir (…). C’était le seul. (…) Il n’y avait pas de Kasaïens et on ne pouvait pas supporter des Kasaïens au garage. Voilà pourquoi quand moi je suis entré, je ne voulais pas me faire connaître. C’est à cause de ça. Il n’y avait pas de Kasaïens. (…) les Katangais ne veulent pas que les Kasaïens viennent travailler avec eux. »553

Le cas de Paul est exemplaire, dans le sens où c’est l’un des rares cas où la dissimulation de l’origine kasaïenne ait réussi et ce, pendant plusieurs années. Pour se faire passer pour un Katangais, il n’a pas eu besoin de modifier son nom, qui n’est pas typiquement kasaïen. Si Paul est parvenu à dissimuler à ses collègues qu’il était kasaïen, c’est parce que bien qu’il soit né à Likasi et y ait passé son enfance, il vivait et travaillait à Kolwezi, lorsque les violences ont éclaté à Likasi en juillet et août 1992. Ses collègues katangais ne le connaissaient donc pas lorsqu’il a été embauché. Pour les Kasaïens, qui vivaient et travaillaient à Likasi au début des années 1990, il est impossible de dissimuler leur origine. Ce qu’illustre la situation de deux autres salariés kasaïens de la même entreprise, qui avaient, eux aussi, tenté de dissimuler leur origine kasaïenne à leurs collègues katangais :

« - Bon même maintenant, je ne sais pas si il y (…) a deux ou trois [Kasaïens] au garage là-bas.

- Et s’ils sont là, ils ne se font pas connaître non plus ?

552 J’évoquerai dans le chapitre 5 deux exemples de discriminations à l’embauche dans les entreprises minières

Tenke Fungurume Mining (TFM) et Boss Mining en faveur respectivement des Kasaïens et des Sanga. Cf. chapitre 5, p. 235-236 et 244.

- Oui, ils se cachent, ils se cachent. Il y a (…) quelqu’un que j’avais trouvé [lorsque Paul a été embauché dans l’entreprise], un Kasaïen… Il se cachait. Sa femme est angolaise. Bon, lui, je ne sais pas s’il était informé avant, il se faisait passer pour un Angolais. Or, c’est un Kasaïen et son nom est clair [il cite le nom de ce Kasaïen]. Son nom est clair. (petit rire) Bon maintenant eux [ses collègues katangais], ils ne savaient pas que moi, j’étais de la province du Kasaï, ils disaient du mal de l’autre : “Tu vois celui-là. Il a changé. Heureusement qu’il a épousé notre sœur. (…) Hein, c’est un Kasaïen.” et tout ça. Lui, il vivait caché. (…) On l’insultait. (…) D’ailleurs il était cadre, il était responsable à la révision des moteurs. Ses travailleurs l’insultaient. Quand ils venaient autour, où moi je travaille, ils disaient toujours du mal de lui. C’est le seul qui était officiellement kasaïen là-bas. Lui, il est parti, il y a quelqu’un d’autre qui est venu. (…) C’est lui qui est responsable au dispatch là-bas. Lui aussi se faisait passer pour un Katangais. Il est lunda. Bon, les gens disaient : “Non. Tu vois, celui-là ? C’est un Kasaïen. Il se cache. Il se force de passer… de parler le lunda. Or, il ne l’est pas. Il ne l’est pas. Nous savons que c’est un Kasaïen.” »554

Cet extrait d’entretien semble par ailleurs indiquer que pour certains Kasaïens au moins, être perçu comme un étranger (un non-national) est préférable au fait d’être identifié comme un Kasaïen.

Non-usage du tshiluba dans les lieux publics

Une autre pratique de dissimulation utilisée par les Kasaïens est de ne pas parler en tshiluba dans les lieux publics555. Dans les entretiens, le non-usage du tshiluba est d’abord justifié par le fait que « quand on parle tshiluba, on s’expose »556ou par la « peur d’être stigmatisé (…)

(la) peur d’afficher son identité »557. En public, les Kasaïens utilisent principalement le swahili, qui est la langue véhiculaire au Katanga. Certains préfèrent cependant parler en lingala558 – la langue de la capitale, Kinshasa – ou dans la langue d’une des ethnies du Katanga. Au cours d’un entretien, un pasteur katangais vivant à Likasi m’a ainsi informée qu’il avait observé à Kolwezi, où il avait séjourné de juin à septembre 2008, que de nombreux

554 Idem.

555 Sur le non-usage du tshiluba dans les lieux publics à Lubumbashi, comme effet des violences du début des

années 1990, voir Georges MULUMBWA MUTAMBWA et Jerry KALONJI, « Approche linguistique des identités à Lubumbashi », in Donatien Dibwe dia Mwembu, dir., Les Identités lushoises, Observatoire du changement urbain, Université de Lubumbashi – Université de Liège – Université libre de Bruxelles, Novembre 2002, en particulier p. 166-167 et 175.

556 Entretien avec un Kasaïen, Musonge, ouvrier qualifié, Likasi, 6 mars 2009.

557 Entretien avec le responsable de l’antenne de l’ONG américaine Pact Congo à Kolwezi, Kolwezi, 2 mars

2009.

558 Le lingala est l’une des quatre langues nationales en République démocratique du Congo. Les trois autres

Kasaïens préféraient parler en lingala dans les lieux publics « pour ne pas se faire

remarquer »559. On peut faire l’hypothèse qu’il s’agissait de Kasaïens installés à Kolwezi, à partir de 2007, suite à la relance de l’activité minière (cf. supra), et qui n’avaient jamais vécu au Katanga. En effet, ici aussi ce qui semble justifier l’usage du lingala, et non du swahili, est la crainte d’être identifiés comme Kasaïens : les Kasaïens, qui ont quitté récemment le Kasaï pour le Katanga, ont un accent lorsqu’ils parlent swahili, qui trahit leur origine kasaïenne560, comme l’illustre l’échange suivant entre deux membres de la Commission Justice et Paix et Sauvegarde de la Création de l’Eglise du Christ au Congo et un Katangais employé à la Gécamines, que je venais d’interroger sur l’arrivée récente à Kolwezi de jeunes Kasaïens, qui avaient lancé une activité de transport en moto561 :

« - 1er interviewé - Quand ils sont arrivés, il n’y avait pas vraiment de problèmes. Il n’y avait pas vraiment de problèmes. (…) Parce que la plupart d’abord sont venus juste… comme pour vivre dans la ville. Personne ne savait vraiment que tel est kasaïen. Alors quand ils sont venus… ils se sont arrangés, ils ont commencé leurs activités. Et c’est à partir de ce moment-là, quand ils ont commencé à parler, que les gens se sont rendu compte que c’étaient…

2e interviewé - Des Kasaïens.

1er interviewé - Des Kasaïens (sourire).

2e interviewé – Si, si. Les Kasaïens ont un langage, quand ils doivent parler swahili… Donc leur swahili est…

1er interviewé et 3e interviewé (en chœur) - Le ton-là. 2e interviewé - Le ton-là, leur langage par rapport à ça. »562

Il existe une autre raison au non-usage du tshiluba dans les lieux publics : la crainte de contrarier les Katangais. Certains Katangais, en effet, n’aiment pas entendre les Kasaïens parler « dans une langue, qui n’est pas comprise ici »563. Dans l’extrait suivant, tiré de l’entretien avec les deux membres de la Commission Justice et Paix et Sauvegarde de la Création de l’Eglise du Christ au Congo, l’un des interviewés, qui est Muluba du Nord- Katanga, exprime son sentiment lorsqu’il entend des Kasaïens – en l’occurrence, les motards kasaïens – parler en tshiluba :

559 Entretien avec un Katangais, Bahemba, pasteur, Likasi, 28 février 2009.

560 Cf., par exemple, « Approche linguistique des identités à Lubumbashi », op. cit., p. 168 : « certaines façons

de parler swahili trahissent certaines personnes en indiquant soit leur langue ethnique, soit leur commune, soit enfin leur statut socio-professionnel. »

561 Sur l’arrivée de ces jeunes Kasaïens au Katanga et les conséquences de leur arrivée et du lancement de leur

activité de transport en moto sur les relations entre Katangais et Kasaïens, voir le chapitre 5, p. 255-257.

562 Entretien avec deux membres de la Commission Justice et Paix et Sauvegarde de la Création de l’Eglise du

Christ au Congo (présentés dans la citation comme les 1er et 2e interviewés) et un Katangais, employé à la

Gécamines (présenté comme le 3e interviewé), Kolwezi, 3 janvier 2012.

563 Entretien avec un Katangais, Muluba, retraité, habitant le quartier Industriel dans la commune de Likasi à

« 2e interviewé - Ce sont des gens qui travaillent, qui nous aident. (…) Quand il n’y a pas de voiture et qu’ils me transportent sur la moto, j’arrive vite. Je ne vois pas pourquoi est-ce que je…

1er interviewé - Ils seront menacés.

2e interviewé - … ils vont être menacés. Ce sont des gens qui font leur boulot tranquillement. Le seul fait qu’on leur reproche ici, c’est de parler leur langue. C’est même ça qui crée trop de problèmes. »564

Dans les entretiens, les Katangais, qui éprouvent un tel sentiment, ont recours à deux types de justifications pour expliquer pourquoi ils « reprochent » aux Kasaïens de parler en tshiluba. D’une part, l’usage du tshiluba dans les lieux publics est interprété comme la preuve que les Kasaïens ne cherchent pas à s’intégrer dans la société katangaise, ce qui est l’un des principaux stéréotypes envers les Kasaïens565 :

« Donc la culture d’imposition aussi existe. Quand ils arrivent ici, au lieu de parler dans la langue qu’on comprend, mais ils parlent entre eux. Vous les trouvez sur la route. Il peut vous trouver, comme nous sommes ici, il vous parle dans sa langue. Donc moi, je… Vous voyez… Qu’est-ce que vous voulez dire ? Moi, je ne comprends pas. Donc vous voyez un peu le… la façon… (…) Où est-ce qu’on peut vivre comme ça ? Ce n’est pas possible. Il faut arriver à vivre avec les autres. »566

D’autre part, entendre les Kasaïens parler en tshiluba fait resurgir pour certains Katangais les souvenirs des violences du début des années 1990, auxquels ils préfèrent ne pas repenser. Ainsi, dans l’extrait d’entretien suivant, un Muluba du Nord-Katanga, qui avait 11 ans à