• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 Dire et écrire les violences contre les Kasaïens

1. De la difficulté à établir un bilan des violences

La surévaluation des victimes kasaïennes

Au Katanga279, entre septembre 1991 et juin 1995, les Katangais « originaires » ont commis des violences de masse contre les populations allogènes ou « non originaires ». Plus précisément, les Katangais membres de la JUFERI, la milice du parti dirigé par deux leaders katangais, Nguz a Karl-I-Bond et Gabriel Kyungu wa Kumwanza, ont pris pour cible les Baluba du Kasaï oriental, puis par extension tous les Kasaïens qui vivaient au Katanga. Il est impossible d’évaluer précisément le nombre de Kasaïens, victimes directes et indirectes des violences, et le nombre de Kasaïens qui ont quitté le Katanga entre le déclenchement des violences en septembre 1991 et le départ de la gare de Likasi du dernier train transportant les « refoulés »280 vers les deux Kasaï, le 3 juillet 1995. Il est également impossible de faire une distinction entre les Kasaïens tués au cours des violences, ceux qui sont morts suite aux

278 Il aurait été intéressant de restituer les conditions de production de ces récits. Le chapitre ne le fait pas, ou

trop peu.

279 Entre 1966et 1997, le Katanga a été rebaptisé Shaba (« cuivre » en swahili). J’ai choisi de n’utiliser que le

nom Katanga, ce, parce que les leaders politiques, qui ont organisé les violences, et les intellectuels katangais, qui les ont encouragées en diffusant un discours justifiant l’exclusion des Kasaïens, utilisaient plutôt le nom Katanga. C’est également ce nom que l’on retrouvait dans les slogans « Katanga yetu » (« notre Katanga » en swahili) et « Mutoto wa Katanga » (« fils ou fille du Katanga ») qui étaient mobilisés pendant les violences.

280 Le terme « refoulés » est utilisé dans le vocabulaire émique et le langage scientifique pour désigner les

Kasaïens qui ont été déplacés à l’intérieur de la région du Katanga et dans les deux régions du Kasaï ou dans le reste du Zaïre.

mauvaises conditions d’hygiène et à la surpopulation dans les gares et écoles où ils s’étaient réfugiés ou dans les trains qui les emmenaient dans les deux Kasaï, et ceux dont la mort résulte de l’absence ou l’insuffisance de structures d’assistance et d’accueil au Kasaï oriental et au Kasaï occidental. La plupart des chercheurs qui ont travaillé sur les violences contre les Kasaïens ont fait état de cette impossibilité281, dont rend compte l’extrait suivant du livre de Bakajika Banjikila, Epuration ethnique en Afrique. Les « Kasaïens » (Katanga 1961-Shaba

1992) :

« En ce qui concerne les pertes en vies humaines, il est difficile d’arriver à disposer de chiffres précis. (…) Les Kasaïens sont morts au champ de bataille, aussi bien en milieux ruraux que dans les centres urbains, sans oublier les points de concentration : les gares et les écoles publiques et tout au long de leur voyage vers le Kasaï. Les maladies épidémiques qui ont sévi dans ces différents points de concentration (diarrhée, dysenterie, rougeole, fièvre typhoïde, choléra) ont largement augmenté le nombre des victimes surtout parmi les enfants. Ces statistiques n’évoquent pas, bien entendu, les personnes décédées en cours du déplacement avant de parvenir au Kasaï, mortes suite à la violence physique, à la faim, à toute autre maladie ou simplement aux conditions périlleuses du voyage. »282

Pascal Nyunda ya Rubango a fait un constat similaire, en imputant cette impossibilité à l’absence de données statistiques et à l’origine de nombre des sources proposant des bilans des violences, qui parce qu’elles émanent de l’une ou l’autre des communautés et endossent la version des violences et de leur genèse qui y est dominante, sont susceptibles de surévaluer ou, au contraire, sous-évaluer le nombre des victimes kasaïennes :

« Le bilan global du conflit demeure un objet de forte controverse – le nombre de victimes kasaïennes varie entre (plusieurs dizaines/centaines de) « milliers » et (plusieurs) « millions » de vies, d’autant plus qu’à l’époque du drame aucune structure ne disposait de moyens de tenir des statistiques régulières, que les sources communes ne font pas de distinction étanche entre victimes immédiates des confrontations ethniques dans les principaux espaces urbains et ruraux concernés, victimes des conditions malsaines de gares katangaises (transformées en « camps de concentration »), des conditions globales de l’exode à travers les « terres brûlantes » du Katanga, victimes d’accidents multiples, de l’insécurité et de l’hostilité généralisées, et victimes de l’insuffisance, de l’inadéquation ou de l’absence de structures locales d’assistance et d’accueil. Les taux varient aussi selon les tendances des sources, la position, les sentiments ou l’argumentation des témoins, des commentateurs ou des analystes qui

281 Cf., par exemple : Donatien DIBWE DIA MWEMBU, « Relectures de l’histoire et transformation des

rapports entre les Katangais et les Kasaïens du Katanga », op. cit., en particulier p. 85 et 86 ; Donatien DIBWE DIA MWEMBU, « L’épuration ethnique au Katanga et l’éthique du redressement des torts du passé », art. cit., en particulier p. 490 ; Jan GORUS, « Ethnic Violence in Katanga », in Didier Goyvaerts, dir., Conflict and

Ethnicity in Central Africa, op. cit., en particulier p. 117.

cherchent à souligner le caractère banal, épisodique, ou, au contraire, apocalyptique des faits. »283

Les estimations proposées dans les textes – aussi bien les articles ou les ouvrages rédigés par des chercheurs que les livres écrits par des journalistes ou les rapports d’ONG et d’organisations internationales – peuvent être classées en deux catégories : d’une part, des estimations larges ou imprécises et, d’autre part, des estimations plus précises pour un jour ou une période de temps et un lieu donnés.

Dans le premier cas, les auteurs donnent des fourchettes larges. Roland Pourtier, par exemple, estime qu’ « entre novembre 1992 et 1994, avec un pic en 1993 (…) de 600 000 à 800 000

Zaïrois originaires du Kasaï ont (…) été contraints de quitter la province minière du Zaïre »

et que l’ « « épuration » aurait causé entre 50 000 et 100 000 morts »284. D’autres auteurs proposent des estimations imprécises. Les estimations de l’ensemble des victimes directes et indirectes des violences contre les Kasaïens varient ainsi entre « des milliers »285ou « des

dizaines de milliers »286. Les estimations concernant les Kasaïens réfugiés dans les gares et les écoles des villes du Katanga vont de « plusieurs milliers »287 en juillet 1993 pour tout le Katanga à des « dizaines de milliers »288pour la seule ville de Likasi. Le nombre de Kasaïens qui ont quitté le Katanga varie lui aussi : selon les sources, ils sont estimés à « des

milliers »289, « des centaines de milliers »290, « plus ou moins un demi million »291et « plus

d’un million »292.

283 Pascal NYUNDA YA RUBANGO, « Analyse comparée des discours régionaux au Congo », in Bogumil

Jewsiewicki et Léonard N'Sanda Buleli, dir., Constructions, négociations et dérives des identités régionales dans

les États des Grands Lacs africains : approche comparative, op. cit., p. 146.

284 « Les refoulés du Zaïre : identité, autochtonie et enjeux politiques », art. cit., p. 137.

285 Donatien DIBWE DIA MWEMBU, Histoire des conditions de vie des travailleurs de l’Union minière du

Haut-Katanga / Gécamines (1910-1999), Lubumbashi, Presses Universitaires de Lubumbashi, 2001, p. 161 ; Martin KALULAMBI PONGO, « Les alliances et le régionalisme comme modes de penser la transition » (chapitre 5), in Transition et conflits politiques au Congo-Kinshasa, op. cit., p. 148.

286 Marcel NGANDU MUTOMBO, « Manipulations politiques de la jeunesse : histoire de la JUFERI », in

Donatien Dibwe dia Mwembu et Marcel Ngandu Mutombo, Vivre ensemble au Katanga, op. cit., p. 202.

287 Congo Fraternité et Paix, Le manifeste de la paix en République Démocratique du Congo, Kinshasa, Février

2002, p. 34 – disponible in https://repositories.lib.utexas.edu/bitstream/handle/2152/5158/2466.pdf?sequence=1 – consulté le 22/02/2010.

288 Sam MODJOMI, Le pogrome des Kasaïens au Congo/Zaïre, Mobutu, Nguz et Kyungu les assassins du

Katanga, op. cit., p. 239.

289 Thomas BAKAJIKA BANJIKILA, Epuration ethnique en Afrique…, op. cit., p. 139.

290 Martin KALULAMBI PONGO, « Les alliances et le régionalisme comme modes de penser la transition », op.

cit., p. 148 ; Donatien DIBWE DIA MWEMBU, Histoire des conditions de vie des travailleurs de l’Union

minière du Haut-Katanga / Gécamines (1910-1999), op. cit., p. 161.

291 Donatien DIBWE DIA MWEMBU, « L’épuration ethnique au Katanga et l’éthique du redressement des torts

du passé », art. cit., p. 491.

292 Marcel NGANDU MUTOMBO, « Manipulations politiques de la jeunesse : histoire de la JUFERI », op. cit.,

Dans le second cas, les auteurs – souvent les mêmes – donnent des bilans précis du nombre de morts pour un jour ou une période donnée et pour un lieu donné. Par exemple, selon le Comité International de la Croix Rouge et Médecins sans Frontières, en mars 1993, à Likasi, environ 68 000 Kasaïens ont été chassés de leurs maisons ; 37 000 d’entre eux se sont réfugiés à la gare de Likasi293. Lorsque l’équipe de MSF Belgique est arrivée à Likasi au début du mois d’octobre 1992, soixante Kasaïens mouraient chaque jour de maladies (choléra, dysenterie, diarrhée, rougeole, fièvre typhoïde…) ou de faim294. Selon la Commission Justice et Paix, entre le 10 octobre 1992 et le 14 janvier 1993, 493 Kasaïens réfugiés à la gare de Likasi, dont 442 enfants, sont morts295. S’agissant du nombre de Kasaïens qui ont fui le Katanga, on peut citer les estimations faites par Pourtier, suite à une enquête de terrain menée en novembre 1995 dans les trois principaux sites d’accueil des déplacés kasaïens, à savoir Mbuji-Mayi et Kabinda au Kasaï oriental et Kananga au Kasaï occidental :

« On estime que le Kasaï occidental a reçu 300 000 refoulés, principalement d’origine lulua, dont environ 70 000 sont restés dans la ville de Kananga, les autres ayant été installés en milieu rural dans les zones proches du chemin de fer, Dibaya, Mweka, Ilebo et un peu Luiza. (…) À Mbuji Mayi, la situation après-urgence est la suivante. Le nombre de Luba refoulés vers leurs bastions traditionnels du Kasaï oriental s’élèverait à plus ou moins 400 000. La grande majorité d’entre eux s’est repliée dans la capitale régionale : en décembre 1994, Caritas avait recensé 265 000 refoulés à Mbuji Mayi ; et 80 000 dans les villages alentour. (…) Au nord-est de Mbuji Mayi, la zone de Kabinda (environ 250 000 habitants en 1993, pour une superficie de 14 000 kilomètres carrés) correspond à l’aire de peuplement songye296. Elle a reçu quelque 50 000 refoulés, soit en pourcentage I’équivalent de 20 % de sa population, le double du pourcentage moyen des deux Kasaï. Cela s’explique par la contiguïté spatiale entre [la sous-région de] Kabinda et [la région du] Shaba. »297

D’autres auteurs proposent des estimations pour des périodes plus courtes. Ainsi, selon Dibwe dia Mwembu, on « évalue à 216 748 personnes (soit 36 231 familles) » le nombre des déplacés arrivés « à la gare de Kananga entre le 14 octobre 1992 et le 5 septembre 1994 et à

388 671 personnes, le nombre des refoulés accueillis au Kasaï oriental. »298 Bakajika

293 Africa Watch, Zaire : Inciting hatred. Violence against Kasaiens in Shaba, op. cit., p. 16.

294 Entretien d’Africa Watch avec Frank Tanghe, technicien logistique à Médecins Sans Frontières, Likasi, 31

mars 1993, cité in Africa Watch, Zaire : Inciting hatred. Violence against Kasaiens in Shaba, op. cit., p. 16.

295 Justice et Paix, Bulletin de liaison, Lubumbashi, janvier 1993, p. 5, cité in Donatien DIBWE DIA

MWEMBU, « Relectures de l’histoire et transformation des rapports entre les Katangais et les Kasaïens du Katanga », op. cit, p. 86.

296 Le nom de cette ethnie peut s’écrire songye ou songe. J’ai adopté la seconde écriture, principalement parce

que l’un des Kasaïens membre de cette ethnie, que j’ai interrogé, utilisait cette dénomination.

297 Roland POURTIER, « Les refoulés du Zaïre : identité, autochtonie et enjeux politiques », art. cit., p. 149-151. 298 Donatien DIBWE DIA MWEMBU, Bana Shaba abandonnés par leur père. Structure de l’autorité et

Banjikila cite, quant à lui, le résultat d’un recensement fait à Mwene Ditu, première gare kasaïenne sur la ligne de chemin de fer qui relie les villes du Katanga aux deux Kasaï :

« le Comité régional d’assistance aux refoulés a accueilli du 12 août 1992 au 30 juin 1993 une population de 356.588 refoulés recensés par la commission de statistiques au niveau de Mwene Ditu. »299

Une enquête plus récente300, qui a été menée dans le cadre du Projet Mapping du Haut- Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme entre octobre 2008 et mai 2009, semble confirmer l’assertion des enquêtés katangais selon laquelle le nombre des Kasaïens victimes directes ou indirectes des violences aurait été surévalué. En effet, d’après le rapport du Projet Mapping, le nombre de Kasaïens tués par des Katangais ou morts de maladie ou de faim dans les écoles ou gares du Katanga, où ils s’étaient réfugiés, ou dans les trains qui les conduisaient au Kasaï, bien qu’impossible à déterminer précisément, est inférieur aux estimations proposées dans les études antérieures, qui allaient – rappelons-le – de 50 000 à 100 000 morts :

« Le nombre total de victimes de la campagne de persécution mise en œuvre par la JUFERI et le Gouverneur Kyungu wa Kumwanza, en complicité avec le Président Mobutu, reste difficile à évaluer. Les entretiens et documents consultés par l’Équipe Mapping n’ont pas permis de confirmer le chiffre de 50 000 morts avancé en 1994 par une ONG des droits de l’homme. Il ne fait pas de doute cependant que plusieurs milliers de civils kasaïens ont perdu la vie au cours de ces événements. »301

Du fait de l’absence de données statistiques fiables recueillies au moment des violences et de l’improbabilité que soit menée une enquête a posteriori permettant de recenser toutes les victimes et les circonstances de leur mort, il semble peu probable d’aboutir un jour à une estimation précise du nombre de Kasaïens morts lors des violences du début des années 1990.

299 Epuration ethnique en Afrique…, op. cit., p. 150.

300 Les différents textes, sur lesquels je me suis appuyée pour rédiger cette sous-section, ont été écrits entre 1993

et 2005.

301 ONU, Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, République Démocratique Du Congo,

1993-2003. Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo, Août 2010, p. 57 – disponible in http://www.ohchr.org/Documents/Countries/CD/ DRC_MAPPING_REPORT_ FINAL_FR.pdf – consulté le 07/03/2016.

Résistance des Kasaïens et victimes katangaises

Plusieurs des entretiens que j’ai menés avec des Katangais ont fait ressortir une frustration par rapport à ce qu’ils considèrent comme un oubli dans l’histoire des violences : la non reconnaissance des victimes katangaises302.

On trouve dans les entretiens faits avec des Katangais toute une série de termes qui vont dans le sens d’une réciprocité des violences. Leur récit des violences parle de « bagarres », d’

« accrochages », de « clashs » ou de « guerre civile ». Dans l’extrait suivant, un journaliste katangais et une Katangaise d’une trentaine d’années qui se trouvait dans son bureau et est intervenue à plusieurs reprises au cours de l’entretien, évoquent en ces termes les violences, qui ont eu lieu en septembre 1992 dans le quartier Kitabataba à Likasi :

« Le journaliste katangais - Les gens là-bas se sont battus, on a tué des gens. Il y en a qui sont morts. Il y a beaucoup de gens qui sont morts.

La femme katangaise - Même des Katangais et des Kasaïens.

Le journaliste katangais - Les Kasaïens aussi attaquaient les Katangais. Donc ce sont des

clashs. Vous voyez ? (…) Les gens se battent. Alors il y a des Katangais aussi qui sont morts à Kitabataba.

SV - Les Kasaïens attaquaient les Katangais pour se défendre ?

Le journaliste katangais - Vous savez, à cette époque, ils ne croyaient pas qu’ils pouvaient perdre, vu le nombre. Ils se disaient nous sommes nombreux, nous allons nous battre, et tout ça. Ils se sont battus comme ça. Mais dans une guerre civile, il y a toujours un vainqueur et un vaincu. Alors ils sont venus en gare. »303

Des termes similaires, c’est-à-dire impliquant la même idée de réciprocité, sont présents dans la littérature sur les violences. Des auteurs décrivent parfois les violences comme des

« bagarres »304 ou des « accrochages »305 entre Katangais et Kasaïens.

302 Deux rapports de l'UFERI donnent des estimations des victimes katangaises : 50 morts et 239 blessés à Likasi

en août et septembre 1992 et 45 morts et 119 blessés à Kolwezi en mars 1993. Ces rapports, qui ne prennent en compte que les victimes katangaises, doivent être considérés avec prudence, dans le sens où ils ne sont pas neutres, puisque ils émanent du parti qui a organisé les violences contre les Kasaïens. Cf. UFERI/District de Kolwezi, Dossier sur les victimes des évènements de triste mémoire de mars 1993, Kolwezi, 24 juin 1994 et UFERI/Likasi, Rapport chiffré des incidents tragiques de Likasi des mois d’août et septembre 1992, Likasi, 14 octobre 1994, cités in Donatien DIBWE DIA MWEMBU, « Relectures de l’histoire et transformation des rapports entre les Katangais et les Kasaïens du Katanga », op. cit., p. 85 et in Thomas BAKAJIKA BANJIKILA,

Epuration ethnique en Afrique…, op. cit., p. 150.

303 Entretien avec un journaliste katangais, Mairie de Likasi, Likasi, 27 février 2009.

304 Cf. par exemple, Donatien DIBWE DIA MWEMBU, « Relectures de l’histoire et transformation des rapports

entre les Katangais et les Kasaïens du Katanga », op. cit., p. 76 : il qualifie les violences dans le quartier Toyota à Likasi en septembre 1992 de « bagarres généralisées entre les Kasaïens et les Katangais du quartier Toyota ».

305 Ibidem: « La première quinzaine du mois de septembre 1992 fut des plus meurtrières dans la ville de Likasi.

Tout commença par des petits accrochages dans le quartier Toyota, à la périphérie de la ville de Likasi, où l’on fit état de deux morts du côté katangais. »

Ces « bagarres » ou « accrochages » correspondent en fait aux situations où des Kasaïens ont résisté face aux agressions des Katangais. Gorus explique d’ailleurs le fait que Lubumbashi ait été épargnée par les violences, à l’exception des 15 et 16 août 1992, par la résistance des Kasaïens, et plus précisément par les menaces de représailles formulées par la Coordination de la communauté kasaïenne306 :

« The frenetic fighting against the Kasaïans did not spread to Lubumbashi. In this city, the Kasaïan community managed to organize itself. The community’s declarations through the Coordination Kasaïenne (...) left no doubt as to their intention to withstand violent attacks and expulsion. The Co-ordination Kasaïenne publicly declared that the leaders of the ethnic agitation were kown to them and would be made to pay for their deeds. Finally, Kyungu seems to have hesitated and recalled his militias. Not only dit he fear the massive destructions ethnic violence might have brought about in Katanga’s capital, his position within Uferi became subject to criticism. »307

Dans plusieurs quartiers de Likasi, les Kasaïens opposèrent une résistance aux attaques de la JUFERI. Ainsi, dans le quartier Toyota, le 27 juillet 1992, les Kasaïens ont riposté à l’attaque des miliciens de la JUFERI ; ces affrontements causèrent la mort de dix Kasaïens et vingt- deux Katangais et une quarantaine de maisons appartenant à des Kasaïens furent incendiées. Dans la commune de Kikula308, le 22 août 1992, les Kasaïens se sont défendus contre une attaque menée par la JUFERI dans le quartier Nkolomoni ; ces affrontements ont fait vingt- sept morts (dix-huit Katangais et neuf Kasaïens). Le 9 septembre 1992, une nouvelle attaque contre les Kasaïens a eu lieu dans la commune de Kikula, à partir des quartiers Nkolomoni et Saint Kizito. Le bilan de cette attaque est de soixante-huit morts, Kasaïens et Katangais confondus ; les Kasaïens ont brûlé plusieurs maisons appartenant à des Katangais, dont celles du frère du vice-gouverneur Kapapa et du président de la section locale du Mouvement

306 La Coordination de la communauté kasaïenne a publié plusieurs communiqués de presse et lettres ouvertes,

notamment pour dénoncer les conclusions tirées par le vice-Premier ministre de l’intérieur, Kassusula Djuma, suite à sa visite au Katanga à la fin du mois de mai 1993, selon lesquelles l’élément déclencheur des violences aurait été l’élection d’Etienne Tshisekedi comme Premier ministre du gouvernement de transition, les violences seraient en fait « un affrontement inter-ethnique » et les Kasaïens auraient eux-mêmes demandé leur départ du Katanga (Communiqué de presse du 31 mai 1993, reproduit in Sam MODJOMI, Le pogrome des Kasaïens au