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Quand il suffit d’en parler La construction d’une préoccupation dans les congrès en exil de l’UGT

Partie II : Le syndicalisme français face à l'immigration espagnole Discours et pratiques militantes

Chapitre 5 : Ne plus reconnaître son peuple Les exilés socialistes et anarchistes et le défi de l’émigration

5.1. L’émigration : entre l’importance et le délaissement Approche introspective à l’Alliance syndicale espagnole (ASE) et aux organisations socialistes en exil

5.1.1. Quand il suffit d’en parler La construction d’une préoccupation dans les congrès en exil de l’UGT

Comme nous l’évoquions plus haut, le thème de l’émigration fit rapidement son entrée dans les préoccupations des organisations, au moins sur les plans officiel et discursif. Le cas de l’UGT n’en fut aucune exception. Au contraire, si nous nous concentrons sur ce premier niveau d’analyse, à savoir la construction du problème de l’émigration dans les positionnements de cet ancien syndicat, le sujet fut abordé régulièrement depuis 1956 à travers, selon une enquête de Bruno Vargas, « une quarantaine de documents officiels (circulaires, conférences) ». À partir de ce corpus, « la CE, pose l’historien, réaffirmera l’importance, pour le présent et l’avenir de l’UGT en Espagne, de se rapprocher de cette masse de jeunes travailleurs, privés de toute référence sociale et démocratique sous la dictature franquiste »486. La documentation produite lors des congrès de l’organisation s’avère une source adéquate pour mesurer la portée de cette importance au fil du temps. Pascual Tomás, secrétaire général du syndicat socialiste, fit référence pour la première fois à l’entrée de migrants espagnols en France dans une circulaire envoyée en 1956487

.

485

Ibid., p. 306.

486

Bruno Vargas, « La UGT en el exilio. El reto de la emigración económica: el caso de Francia y Bélgica (1956-1976) » dans Alicia Alted (dir.), UGT y el reto de la emigración económica, 1957-1976, Madrid, Fundación Francisco Largo Caballero, 2010, p. 81.

487

169 Cela inaugurait « une question importante mais non essentielle » pour les dirigeants de l’organisation488

. Suite au bilan négatif des expériences mise en place sur ce sujet pendant deux ans, le 7ème Congrès de l’UGT en exil, tenu à Toulouse en juin 1959, précisa deux des grandes lignes tactiques pour atteindre les objectifs stratégiques de l’organisation à propos de cette population. D’un côté, les syndicalistes socialistes stipulèrent d’entamer des actions auprès des autorités pour régulariser la situation de ces travailleurs ainsi que leur aider à trouver un logement et un travail lorsqu’il s’agissait de clandestins. De l’autre côté, soucieux d’éventuels conflits entre cette main-d’œuvre et les ouvriers français en raison de la potentielle concurrence, les ugétistes adoptèrent comme objectif la syndication des Espagnols au sein des syndicats socialistes présents dans les différents pays d’accueil489. Pour autant, cette stratégie n’était pas exempte de problèmes : fondés sur le stigmate, « l’égoïsme et la peur » de la population concernés constituaient, du point de vue des militants, les plus grands enjeux à surmonter490. Les difficultés rencontrées par l’organisation furent imputées aux problèmes évoqués ci- dessus, mais aussi aux possibilités réelles d’action d’une organisation en situation d’exil face à un phénomène tel que l’installation de migrants dans les divers pays d’accueil491

. Dans le chapitre consacré à ce sujet du mémoire du 8ème congrès de l’organisation, ces considérations furent reprises en ces termes : « la présence physique de ces compatriotes nous attriste et nous impressionne. Ils ont beaucoup souffert la faim et de nombreuses privations. Ils ont à peine pu aller à l’école. Syndical et politiquement, ils ne connaissent rien d’autre que l’obéissance à la discipline quasi militaire dans les usines et les ateliers. Ils ont peur d’être vus aux côtés des exilés. La propagande mensongère du franquisme contre ce que représente collectivement et politiquement l’exil a empoisonné beaucoup d’entre eux »492. C’est pourquoi le souci de la concurrence aux travailleurs nationaux se

posait de manière remarquable, ainsi que la nécessité d’intervention auprès des autorités françaises afin de faire valoir les droits de l’immigration. Rien de nouveau ne fut donc adopté lors de ce congrès, l’adhésion dans les syndicats nationaux restant prioritaire493.

488

Bruno Vargas, « La UGT en el exilio. El reto de la emigración económica: el caso de Francia y Bélgica (1956-1976) » dans Alicia Alted (dir.), UGT y el reto…, op. cit., p. 81.

489

AFFLC, UGT-EXILIO, Mémoire du 7ème Congrès de l’UGT en exil – « Llegada de compatriotas », Toulouse, juin 1959, p. 12-13.

490

Ibid.

491

AFFLC, UGT-EXILIO, Mémoire du 8ème Congrès de l’UGT en exil – « Exportación de mano de obra española », Paris, août 1962, p. 14-16.

492

Ibid., p. 16.

493

170 Cependant, au-delà des propos recueillis dans les chapitres du mémoire présenté par la Commission exécutive, la documentation du congrès inclut également les propositions des sections locales. Cela s’avère intéressant dans la mesure où nous pouvons constater la volonté de certains groupes d’agir de façon plus directe sur les questions d’émigration et donc saisir l’une des premières dynamiques de disparité entre la direction et les bases de l’organisation par rapport à ce sujet. L’intensification de l’activité consistait surtout dans l’édition et diffusion de mécanismes de propagande (tracts, voire journaux) adaptés aux caractéristiques et problématiques de la nouvelle émigration. Ce furent les sections de Toulouse, de Pau et de Grenoble qui mirent davantage l’accent sur ce point494

. On peut citer à cet égard les demandes formulées par les militants locaux de Toulouse :

Il faut créer un bulletin de parution régulière - mensuelle si possible -, consacré spécifiquement aux travailleurs espagnols à l’étranger. La propagande que l’on fait, tournée vers l’intérieur, comme par exemple la presse de l’exil, n’intéresse pas toujours ces travailleurs. Celle publiée en leur direction doit prendre en considération leurs conditions et situations particulières495.

En effet, l’ensemble de bulletins et journaux publiés par le mouvement socialiste – ainsi que ceux édités par le mouvement libertaire – constituaient un corpus documentaire peu adéquat aux intérêts potentiels de la population ciblée. En ce sens, dans ces publications l’on pouvait lire des textes portant sur le régime interne de l’organisation, des prises de position officielles sur un quelconque sujet de nature politique et idéologique, des notes internationales à propos de l’activité des syndicats membres de la CIOSL ou encore des reportages sur l’histoire de l’UGT, du PSOE, de la République ou de la guerre civile496

.

5.1.2. Lire la conflictualité interne à travers le prisme de l’émigration :

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