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Enjeux de la vulnérabilité : un regard paternaliste sur l’immigration féminine espagnole

Partie II : Le syndicalisme français face à l'immigration espagnole Discours et pratiques militantes

3.3. L’invisibilité de la femme migrante Éléments de réflexion autour du cas des travailleuses espagnoles

3.3.2. Enjeux de la vulnérabilité : un regard paternaliste sur l’immigration féminine espagnole

Améliorer la situation des travailleuses du service domestique n’était pas, pour la JOCF, une nouvelle revendication. En 1951, cette organisation avait déjà contribué de manière décisive à l’approbation d’une convention collective pour les employées de maison278

. Ce fut dans le cadre d’un bilan national portant sur différents aspects du travail durant la période 1963-64 qu’une commission jociste se concentra sur les évolutions qui étaient en train de se dérouler au sein du secteur qui nous intéresse ici depuis le début de 1960. À partir du témoignage d’un échantillon formé par des Espagnoles, la JOCF élabora un rapport informatif que les cadres cédétistes chargés de l’immigration ont probablement lu279. En appréhendant ces individus, leurs souffrances et leurs aspirations, les jeunes chrétiennes présentèrent un groupe victime à la fois de sa propre ignorance et d’une méconnaissance multiple dont les effets avaient, pour les femmes concernées, « des répercussions dans toute leur vie, au plan humain et chrétien »280. Tandis que l’on a déjà remarqué chez les hommes la relation que les syndicats ont établi à l’époque entre le degré de connaissances et l’accès aux droits sociaux, ce fut notamment par ce dernier adjectif (« chrétien »), de nature plutôt morale, que les représentations sur ces ouvrières se particularisa et différa en quelque sorte de celles construites sur leurs compagnons. Bien entendu, on retrouve certaines contraintes qui sont communes aux deux niveaux genrés de représentation. Pour en donner un exemple, les difficultés dans la maîtresse de la langue française, assez fréquentes chez le sexe féminin aussi, étaient, encore une fois, perçues comme élément causatif de la surexploitation. Cette dernière pouvait cependant s’expliquer par bien d’autres raisons ainsi que l’on a constaté dans le cas des hommes. Aux yeux des jocistes, ces enjeux linguistiques découlaient d’un problème plus large : « les émigrées partent –selon eux- sans avoir reçu aucune préparation, formation et

278

Jean Divo, L’Aubier, la JOC et la JOCF dans le diocèse de Besançon (1927-1978), Paris, CERF, 2016, p. 327-331.

279

AC-CFDT, CH/7/706, Bilan national de l’enquête « Travail » - Commission nº 8 – Les émigrés en 1963-1964, signé par la Jeunesse ouvrière chrétienne féminine (JOCF).

280

105 information sur le pays dans lequel elles vont travailler »281. Fernández Asperilla a signalé quelques-unes des limites des cours à destination des femmes de l’émigration :

Les cours préparatoires donnaient des notions insuffisantes à propos de la France ou des autres pays d’accueil, et ne constituaient pas une véritable formation professionnelle. En outre, dans ces modules de formation on mettait plutôt l’accent sur des questions morales, peu utiles pour l’acquisition de compétences professionnelles et sociales à l’étranger282

.

À cette image de la femme travailleuse domestique, analphabète, nullement qualifiée et « complètement » ignorante de ses droits, on croise un aspect d’autant plus important : celui profondément lié à la construction des projets migratoires qui fut l’envie d’économiser dans le but d’un retour rapide au pays. Ainsi, on identifie dans le rapport rédigé par la JOCF la représentation d’un acteur résigné aux conditions de vie et de travail auxquelles il apparaît confronté. Cela avait bien sûr des conséquences. Les horaires allaient d’onze à dix-sept heures par jour, voire plus dès lors qu’une majorité de ces femmes ont vécu chez leurs patrons. Par exemple, à Marseille, une enquête menée par les chrétiens révéla que 85% des émigrées travaillaient « beaucoup plus » que ce qui régulait la convention collective283. Il faut, de surcroît, ajouter à cela la « maladresse » de ces individus face à la sécurité sociale et la bureaucratie qui va de pair, les contrats d’embauche ou le système de fiches de paie. Et, en fin de compte, lié à tout ce qu’on vient d’exposer, on voit se figurer encore une fois le thème de la concurrence, même si très peu de françaises travaillaient dans ces métiers :

Un militant syndicaliste nous disait : « c’est impossible de faire appliquer la Convention Collective aux Émigrées espagnoles, elles veulent seulement gagner de l’argent ». […] Tout cela amène des conséquences et des répercussions chez les jeunes travailleuses du pays qui travaillent comme employées de maison. Elles font un effort pour organiser la profession, avoir un horaire normal mais comme les émigrées demandent un salaire très élevé, il faut accepter des horaires de 15 à 16 H par jour. Toute la lutte des jeunes travailleuses du pays se voit d’un côté annulée, bloquée par l’attitude des émigrées284

.

281

Ibid., p. 4.

282

Ana Isabel Fernández Asperilla, « Trayectorias laborales… », op. cit., p. 68.

283

AC-CFDT, CH/7/706, Bilan national de l’enquête « Travail » - Commission nº 8 – Les émigrés en 1963-1964, signé par la Jeunesse ouvrière chrétienne féminine (JOCF), p. 4.

106 Cet ensemble d’assujettissements des femmes, partagé par les membres de l’émigration masculine, s’entremêle cependant à un certain nombre de perspectives genrées touchant les groupes féminins plus concrètement. Dans ce cas, les militants s’intéressaient moins aux conditions de travail qu’aux effets que celles-ci comportaient sur la vie des femmes qui les ont subies. Tandis que nous avons déjà identifié un certain biais paternaliste dans la manière dont les syndicats français se sont approchées à l’immigration espagnole des années soixante, cette attitude revient de façon encore plus claire lors de l’analyse des représentations féminines. On se concentre ici, partant, sur ce qu’une tendance syndicale au moins observa, à propos des émigrées espagnoles, « au plan humain et chrétien »285, à savoir notamment tout ce qui concernait leur santé, au niveau physique comme mental, et quelques-unes de leurs pratiques sociales également, telles que les loisirs. En premier lieu, ces femmes apparaissent, selon le rapport, marquées par « l’épuisement physique et le déséquilibre nerveux »286. Les conséquences des longs horaires de travail, aux côtés de celles relevant des conditions de vie comme par exemple le logement, ont certes touché les corps de ces femmes, qui se sont détériorés, exposés à une plus grande accidentalité et vulnérabilité, voire incapacité. Selon Fernández Asperilla, « au long des années 1960 et 1970, 55% des domestiques se sentaient fréquemment fatiguées et 58% nerveuses. Des maladies comme les crises cardiaques et les ulcères de l’estomac, dues à la tension nerveuse et au stress, ont proliféré parmi elles»287. Un extrait de l’un des récits de vie recueillis par Taboada-Leonetti et Guillon dans leur ouvrage pionnier permet de saisir la réalité inhérente à cette figuration de l’employée de maison « déséquilibrée » :

À l’époque (les années soixante) nous travaillions jusqu’à quatre-vingt-dix heures par semaine ; j’étais dans une chambre qui n’était qu’un placard. Quelquefois je montais à minuit tellement fatiguée que je m’étendais sur mon lit et je me réveillais le lendemain à sept heures avec le réveil ; mais sans dormir vraiment, en me disant toutes les heures : il faut que tu te lèves pour te déshabiller et ne pas pouvoir parce que j’étais trop fatiguée. On finit par ne pas être une personne, on vit comme une machine288.

Dans le même ordre d’idée, on trouve des déclarations similaires dans l’enquête jociste, comme celles d’une Conchita, « souvent la nuit j’ai envie de pleurer à cause de mon 285 Ibid., p. 6. 286 Ibid. 287

Ana Isabel Fernández Asperilla, « Trayectorias laborales… », op. cit., p. 73.

288

107 épuisement physique », ou une Soledad, « un jour j’ai envoyé un bol de café à la figure de ma patronne, elle me rendait la vie impossible »289. Ce qu’il fallait faire face à cela, du point de vue de l’un des prêtres interrogés par l’organisation en tant qu’expert, c’était de « demander à l’Espagne des assistantes sociales et des psychologues pour aider les filles à sortir de leur déséquilibre »290. Dans ce cas en particulier, le témoin semblait ignorer non seulement les conditions de travail propres à ces « déséquilibrées » et la nature des relations avec leurs employeurs, mais également des questions d’autant plus importantes que leurs projets migratoires personnels ou les caractéristiques et priorités des politiques d’émigration de la dictature franquiste. Or, si l’on fait une lecture plus globalisante sur cette attitude en concret, inclue dans un rapport d’information validé, il nous paraît que beaucoup des initiatives mises en place par le monde syndical français afin d’agir sur la population migrante étaient fondées sur une méconnaissance multiple. Et quant à l’action menée au vu du sexe féminin, cette situation s’avère plus aggravée. Par ailleurs, comme nous l’évoquions dans des paragraphes précédents, une apparente préoccupation pour l’organisation chrétienne était le comportement de ces migrantes sur le plan social et moral, ce qui n’intéressait pas, dans la même mesure du moins, en ce qui concerne les hommes. Des journées de travail trop longues, d’un côté, combinées à des difficultés pour comprendre et s’exprimer, d’un autre côté, aboutirent à ce que, pour la jeunesse chrétienne, constituait le « problème dominant » : « la solitude qui marque profondément les filles » et, partant, le fait que « personne ne leur parle en dehors du travail à commander»291. On peut relier cette affirmation aux perceptions exprimées par les travailleuses elles-mêmes concernant le service domestique : « à la longue, elles deviennent une machine de plus dans la maison […] l’employée n’a plus qu’à exécuter, elle est un instrument »292. Cette carence au niveau des relations humaines entraînait des conséquences sur, par exemple, le terrain des loisirs. Les jocistes signalèrent dans ce sens l’ « immoralité » supposée des films français et des bals vespéraux aux yeux de ces filles ayant reçu « une éducation différente, plus sévère ». Apparemment privées donc d’alternatives « pour se cultiver et se former », perdu le « goût de toute initiative », on

289

AC-CFDT, CH/7/706, Bilan national de l’enquête « Travail » - Commission nº 8 – Les émigrés en 1963-1964, signé par la Jeunesse ouvrière chrétienne féminine (JOCF), p. 7.

290 Ibid. 291 Ibid., p. 2-5. 292 Ibid., p. 4.

108 voit réapparaître le thème de la femme « matérialiste et indifférente »293 pour qui le seul but raisonnable et réalisable est celui de gagner de l’argent le plus rapidement possible. Ce schéma de représentations sur les Espagnoles immigrées en France dans les années soixante apparaît de nouveau sur d’autres documents, au-delà de ce dossier de la JOCF. Quelques coupures de presse portant sur les femmes de la colonie sont présentes au sein des archives du secrétariat d’immigrés cédétiste. Il s’agit de textes qui ont dû contribuer, moyennant leur contenu, à bâtir l’image et discours sur cet acteur de part des syndicats. On peut citer à cet égard les fascicules publiés dans Le Monde par Michel Legris sur les « Espagnols en deçà des Pyrénées », dans lesquels le journaliste reproduisait le thème, entre autres, des « émigrés (hommes et femmes) avant tout économes […] disposés […] à travailler quatorze heures par jour »294. Il nous paraît également remarquable l’enquête dirigée par Andrée Audoin consacrée plus spécifiquement aux « bonnes à tout faire dans les grandes familles ». Parue dans L’Humanité à la fin de 1964, cette approche présente l’émigrée espagnole en tant que sujet hautement vulnérable face à la cruenté patronale et influençable par la mission catholique mise en place et encouragée en France par les autorités franquistes. On continue à y trouver la bonne incapable de se faire comprendre en français, ignorante de même sur leurs droits sociaux et professionnels que sur le rôle des syndicats. On n’abandonne pas non plus l’image de la travailleuse sans arrêt qui ne souhaite que rentrer chez elle, peu ouverte à une quelconque acculturation295.

3.4. « Plus conscients de leurs droits ». Vers un nouvel âge des représentations ?

Cependant, de façon parallèle (et un peu contradictoire) à l’exposé de ces « problèmes » liés au monde féminin de l’émigration espagnole, Legris comme l’équipe d’Audoin ont également évoqué dans leurs textes une tendance qui se déroulait bien à l’inverse de tout ce que l’on a observé jusqu’ici sur les émigrées qui nous intéressent. Aux côtés des discours récurrents sur les enjeux que cette main-d’œuvre posait du point de vue des syndicats, on identifie aussi le début d’une dynamique de transformation laquelle, selon les dates de la documentation consultée, commença à se rendre visible vers le milieu de la décennie de 1960. Il s’agit bien entendu d’un premier changement de ton par rapport à la docilité extrême que l’on a souvent attribué aux acteurs qui font l’objet de notre

293

Ibid., p. 7.

294

AC-CFDT, CH/7/706, « Les Espagnols en deçà des Pyrénées », Le Monde, 8-12 janvier 1964, signé par Michel Legris.

295

AC-CFDT, CP/7/13, « Bonnes à tout faire dans les grandes familles », L’Humanité, 3 décembre 1964, signé par Andrée Audoin.

109 étude, et donc d’une sorte d’attention sur les tentatives et modalités de revendication que ce groupe était en train d’apprendre à exécuter. On peut citer l’exemple à cet égard d’une patronne qui, interrogée par Audoin, « a perdu son bel enthousiasme de naguère. Désormais quand elle cherche une bonne, elle ajoute, en bas de l’annonce : Esp. s’abst. […] Confie-t-elle, c’est incroyable, elles ont l’audace de se syndiquer, ces filles qu’on

prend chez soi par charité… »296

. Effectivement, ce basculement du discours répondait à la réalité en mouvement d’un nombre de plus en plus grand de domestiques espagnoles qui entamaient à « n’accepter pas davantage un rôle de servantes au rabais »297. Dans le même ordre d’idées, Michel Legris percevait une part au moins des immigrés espagnols dits économiques en tant que « plus conscients de leurs droits », dont quelques femmes :

Autre transformation, d’ordre psychologique cette fois. Peu à peu, les Espagnols ont acquis une meilleure notion de leurs droits comme travailleurs. Les « petites bonnes », par exemple, ont fort bien appris (de bouche à oreille, lors des promenades dominicales autour de l’Étoile) quels salaires leur étaient dus et quels jours de congé. Moins faciles à « exploiter » les voici désormais moins appréciées des « beaux quartiers »298.

Nous pouvons pour autant constater le caractère transitoire et fluctuant qui découle de cet ensemble de considérations a priori contradictoires. Certes, alors que l’on voit bien s’y répéter la représentation sur le groupe social -hommes et femmes- qui nous occupe comme sujet passif, radicalement éloigné de tout engagement syndicaliste, on y compte aussi sur des remarques qui nous permettent d’appréhender et de saisir le seuil d’un lent changement des circonstances au niveau pratique. Il s’agit donc, arrivés à ce point, de s’interroger sur les dynamiques multiples qui se sont croisées dans ce mouvement et qui ont rendu possible de l’aboutir à une vraie évolution. Partant, outre l’analyse des images et des discours relatifs aux travailleuses et aux ouvriers concernés, il faut maintenant porter la focale sur le champ de leur expérience concrète au sein du monde syndical français, de la revendication socioprofessionnelle, de ce long chemin de politisation.

296 Ibid. 297 Ibid. 298

AC-CFDT, CH/7/706, « Les Espagnols en deçà des Pyrénées », Le Monde, 8-12 janvier 1964, signé par Michel Legris.

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Conclusion

Si l’on revient sur les problématiques structurant ce chapitre, plusieurs pistes de réponse ont été dévoilées. Tout d’abord, nous avons constaté que les initiatives mises en place par les syndicats vis-à-vis de la main-d’œuvre immigrée s’expliquent moins par la volonté de la protéger, soit une démarche inspirée en quelque sorte par la solidarité, que par l’intérêt stratégique de sauvegarder la situation des travailleurs « nationaux », jugée menacée par la concurrence qui découle de la surexploitation des étrangers. Ces actions furent pensées et définies au gré des connaissances recueillies par certains mécanismes permettant de s’approcher à la réalité des acteurs concernés. Ceux-ci se sont avérés être insuffisants, au commencement du moins, manquant de toute position empathique. Leur effort principal était de présenter les problèmes de la population migrante plutôt que les expliquer et encore moins de comprendre les logiques qui les avaient engendrés.

En ce qui concerne les Espagnols, cette colonie a attiré l’attention des syndicats au même moment où elle est devenue massive, soit la première moitié des années soixante. Nous pouvons affirmer, en d’autres mots, que l’intérêt d’agir sur celle-ci s’explique par son nombre et donc sa potentialité en termes de concurrence. Ce potentiel relevait à son tour de l’image nettement péjorative qui était en train de se construire sur ce groupe : manquant de toute formation et culture syndicale, de toute connaissance de ses droits, exploité volontiers, analphabète, « primitif ». Les femmes ont toutefois attiré l’attention dans une beaucoup moindre mesure, bien que la colonie espagnole dans l’Hexagone fût paritaire. Leur invisibilisation ne s’explique donc pas par de raisons quantitatives. En guise d’hypothèse, ce peu d’intérêt peut reposer sur le fait que les syndicats n’ont jamais visé le service domestique ni les tâches ménagères en tant que terrain prioritaire, en part parce qu’il s’agissait d’un secteur traditionnellement occupé par des femmes migrantes. De toute façon, lorsqu’elles ont été observées, les mêmes stéréotypes reviennent, élargis quelquefois par de remarques d’ordre moral portant sur la vulnérabilité de ces femmes. Nous nous sommes arrêtés au moment où la transformation des comportements étudiés devient évidente dans les sources analysées. En ce sens, l’évolution des représentations accompagnant cette dynamique constitue donc un objet hors des propos de ce chapitre, qui cherche à trouver les préjugés sur cette population avant toute mobilisation. De plus, ce changement s’est produit à la lumière d’une prise de conscience et d’un engagement progressifs chez le collectif qui nous concerne. Comme nous l’avons déjà évoqué, ce

111 processus devient plus visible à partir notamment de la seconde moitié de la décennie. D’où l’intérêt de basculer maintenant vers la dimension pratique du problème.

112

Chapitre 4 : L’improbable action syndicale. Les luttes de l’immigration espagnole et leur place dans les mouvements ouvriers

Le mouvement syndical français bâtit le « problème de l’immigration », au sens large, et celui de l’immigration espagnole en particulier sur un imaginaire traversé à la fois par le stigmate et l’apriorisme, qui reflètent de la méconnaissance aux déclinaisons diverses. Il s’agit pourtant d’un ensemble de représentations partielles, voire partiales, répondant au seul point de vue de certains militants et éventuellement une partie de la classe ouvrière. Puisque la réalité sociale est plus complexe que ne le sont les discours par lesquels on vise à la saisir, les mécanismes alimentant l’idée d’anomie sociale imputée aux ouvriers issus de l’immigration espagnole ont parfois négligé d’autres phénomènes se déroulant simultanément dans les mêmes scénarios, au même moment et par les mêmes acteurs. On fait référence ici aux quelques initiatives de lutte dont une plus grande attention de la part des cadres syndicaux aurait permis de confronter ou a minima nuancer beaucoup de leurs propos à l’égard des migrants étudiés. Celles-ci ont été possibles dans la mesure où les projets migratoires se métamorphosèrent dans le sens du prolongement. Comme le posent José Babiano et Ana Fernández Asperilla, « seule la modification du projet migratoire initial permet davantage d’approcher les Espagnols vers le syndicalisme »299

. C’est donc sur une base empirique que nous appuierons la réflexion théorique dans ce chapitre. Ainsi, l’analyse s’effectuera en deux temps : seront abordées en premier lieu les raisons et modalités qui ont inspiré les démarches de mobilisation au travail chez les acteurs qui nous concernent, qu’elles fussent dirigées par une organisation syndicale ou non ; ensuite, nous observerons l’étendue et les limites des stratégies mises en œuvre par les centrales afin d’intégrer cette catégorie de main-d’œuvre dans la vie du syndicat.

4.1. Revendiquer autrement. Sur la spécificité des luttes des travailleurs espagnols

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