• Aucun résultat trouvé

Construction transnationale des politiques de masse du PCE Sur la résolution de la Commission pour l’émigration ouvrière dans les pays d’Europe occidentale

Partie II : Le syndicalisme français face à l'immigration espagnole Discours et pratiques militantes

Chapitre 5 : Ne plus reconnaître son peuple Les exilés socialistes et anarchistes et le défi de l’émigration

6.1. Construction transnationale des politiques de masse du PCE Sur la résolution de la Commission pour l’émigration ouvrière dans les pays d’Europe occidentale

Dans les années soixante, les tentatives, de la part des Communistes, visant à politiser et mobiliser l’émigration à l’encontre de la dictature eurent une importance extraordinaire, au point d’entraîner, d’après les termes employés par Natacha Lillo, « une véritable lutte pour le contrôle idéologique des nouveaux arrivants entre les consulats espagnols et les exilés politiques, surtout les communistes », et ce « de manière beaucoup plus dure que dans la période précédente »572. Les autorités françaises s’aperçurent également de cette dynamique. Un rapport des Renseignements généraux, par exemple, remarquait en 1963 les « tentatives souvent couronnées de succès de recrutement du PCE clandestin au sein de la nouvelle immigration espagnole » : « le Parti cherche à adapter ses méthodes au caractère économique du mouvement des nouveaux arrivants »573. José Babiano et Ana Fernández Asperilla ajoutent à ces propos la dimension transnationale de la question :

Un phénomène similaire à celui qui s’est produit à l’intérieur du pays a eu lieu parmi l’émigration. En d’autres termes, face à l’épuisement des organisations ancrées dans la culture de l’exil de 1939, de nouvelles forces d’opposition ont émergé avec une capacité de mobilisation de masses. Tel était le cas du PCE. Les communistes ont initialement déployé leur action sur l’émigration avec un regard tourné vers l’Espagne. Cela signifie qu’au cours des premières années du flux migratoire, leurs efforts ont été concentrés sur la recherche de soutien et de ressources pour la lutte antifranquiste. Toutefois, vers la fin des années 1960 [précédemment, selon la documentation consultée par Natacha Lillo], ils ont compris que, puisque le séjour des Espagnols à l’étranger se prolongeait, ils devaient élaborer un programme visant à résoudre les problèmes économiques, sociaux et culturels qui préoccupaient de manière immédiate les Espagnols574.

D’un point de vue interne, cela signifiait en effet intégrer les enjeux de l’émigration à la stratégie du PCE depuis 1956, axée sur la Grève nationale pacifique (HNP) massive qui devait préluder une Politique de réconciliation nationale (PRN)575. L’originalité de cette stratégie résidait dans le fait qu’elle n’insistait guère plus sur les divisions de la société

572

Natacha Lillo, « El asociacionismo…», art. cit., p. 186.

573

Archives nationales (AN), F7 16077, Réfugiés espagnols 1955-1966 ; cité dans Natacha Lillo,

Espagnols en banlieue…, op. cit., tome II, p. 674.

574

José Babiano et Ana Fernández Asperilla, « Algo más que trabajo, algo más que ahorro: emigración española a Europa, acción colectiva y protesta político-social » dans Alícia Alted et Almudena Asenjo (dir.), De la España…, op. cit., p. 359.

575

Michele D’Angelo, « El Partido Comunista Español en Francia, ¿partido de la protesta u organización para emigrados? 1950-1975 », Aportes, nº 92, vol. 3, 2016, p. 183.

199 espagnole liées à la guerre civile et aux idéologies opposées, mais mettait l’accent plutôt sur la communauté et la transversalité des conséquences négatives, pour l’ensemble de la population travailleuse, des politiques adoptées par la dictature. En d’autres termes, la priorité du mouvement communiste consistait à créer un consensus antifranquiste à base de classe, suffisamment large donc pour rassembler différentes sensibilités en son sein, sur lesquelles il fallait travailler afin de garantir l’influence définitive du PCE. Cela fut reconfirmé en 1967 par l’engagement du Comité exécutif sur la politique de masse576. Les lectures ultérieures entraînées par cette stratégie et sa définition sont nombreuses577. Outre les groupes politiques, l’extension du prosélytisme communiste visait des groupes sociaux aussi, notamment les ouvriers, que ce soit sur les lieux de travail, par la création des Commissions ouvrières, ou sur le terrain du logement et du droit à la ville, d’après la terminologie lefebvrienne578, à travers l’animation d’un associationnisme de quartier, entre autres579. Le sujet de l’émigration fut projeté, par les militants du PCE, en tant que pôle extérieur des démarches engagées en Espagne. Attaché à l’émigration, ce « lien direct avec la classe ouvrière de l’intérieur, dont elle est partie intégrante », fut donc ce qui fonda les stratégies du PCE vis-à-vis des travailleurs espagnols à l’étranger, tel que se dégage de la résolution adoptée par la Commission pour l’émigration ouvrière dans les pays d’Europe occidentale, lors de la réunion tenue le 19 janvier 1963 :

Nous considérons que notre tâche primordiale est celle d’aider les travailleurs émigrés à préparer et à se préparer pour la Grève générale politique, moyennant un travail actif d’agitation, explication et organisation. Les travailleurs émigrés, eux, contribueront à la préparation de la grève en effectuant une tâche concrète, au moyen des ressources à leur disposition, auprès de leurs anciens collègues d’entreprise, d’atelier ou de village d’origine. […] Les masses de l’émigration ouvrière doivent se préparer, à travers leurs commissions et centres ouvriers, à soutenir la Grève générale en Espagne, le moment venu, par la célébration d’actes, manifestations, grèves et collectes de fonds partout, à

576

AHPCE, fonds « Documentos PCE », dossier 47, « Por un Partido Comunista de masas para acelerar la transición hacia la democracia », résolution du Comité exécutif (CE) du PCE, avril 1967.

577

Carme Molinero, « La política de reconciliación nacional. Su contenido durante el franquismo, su lectura en la Transición », Ayer, nº 66, 2007, p. 201-225.

578

Henri Lefebvre, Le droit à la ville, Paris, Éditions Anthropos, 1968.

579

AHPCE, fonds « Documentos PCE », dossier 47, « Por un Partido Comunista de masas para acelerar la transición hacia la democracia », résolution du Comité exécutif (CE) du PCE, avril 1967, p. 10.

200 l’instar de ce qui est arrivé au printemps dernier [campagne de solidarité avec les grèves des mineurs des Asturies en avril-mai 1962]580.

En effet, le travail sur l’émigration s’avéra être une question prioritaire pour le PCE, au même titre que l’action sur la classe ouvrière à l’intérieur. La source évoquée ci-dessus rend compte des différentes méthodes à suivre afin de mettre en œuvre ce programme, compte tenu de la situation particulière qu’affrontait le PCE au niveau légal. Il s’agissait notamment d’appuyer la démarche sur trois éléments fondamentaux, à savoir, le milieu syndical consacré à la main-d’œuvre immigrée, ce qui en France se traduisait par les groupes de langue de la CGT qui ont fait l’objet d’une partie précédente ; le mouvement associatif espagnol de type ethnique et, enfin, l’édition et la distribution de propagande. C’est sur ces deux derniers phénomènes que nous portons désormais notre attention.

6.2. Prosélytisme et politisation : le PCE et l’associationnisme espagnol en France

Outline

Documents relatifs