• Aucun résultat trouvé

Partie II : Le syndicalisme français face à l'immigration espagnole Discours et pratiques militantes

4.2. Approche comparative aux stratégies syndicales sur l’immigration : la CGT, la CFDT et la main-d’œuvre espagnole

4.2.2. Asymétries, ambigüités et faiblesses de l’engagement syndical

D’autre part, un élément réitéré tout au long des débats de 1969 fut l’appel à la prise en considération des enjeux de l’immigration de la part des syndicalistes français. Une telle insistance sur un aspect central du programme de 1963 et de ceux qui lui ont succédé suggère, par conséquent, un certain défaut en ce domaine. Si la Conférence nationale

380

IHS-CGT, 105/CFD/600, Projet de plan de travail (1968-1969), signé par la Commission confédérale de la main-d’œuvre immigrée.

381

On comptait aussi 37 Algériens, 25 Italiens, 15 Portugais, 4 Maliens, 2 Marocains, 2 Tunisiens, 1 Camerounais, 2 Sénégalais, 1 Belge et 1 « apatride ». IHS-CGT, 105/CFD/12, Rapport de la Commission des mandats sur la Conférence nationale de l’immigration de 1969.

382

IHS-CGT, « Carta reivindicativa de la Conferencia nacional por la defensa y la organización de los trabajadores inmigrados. París, 15 y 16 de marzo de 1969 », Unidad : mensuel de la CGT pour les

travailleurs espagnols, nº 22, 1969, p. 10-15.

383

IHS-CGT, 105/CFD/12, Interventions – Conférence nationale de l’immigration, mars 1969.

384

Les réflexions les plus éclairantes sur ce phénomène sont celles d’Abdelmalek. Sayad, L’Immigration

138 devait fournir un moyen d’encourager l’activité envers la main-d’œuvre immigrée à des échelles comme les fédérations ou les départements, ces consignes eurent pourtant un impact relatif. Cette lettre envoyée par l’UD d’Haute-Savoie en est révélatrice : « pour diverses raisons nous n’avons pratiquement rien fait pour préparer dans les masses cette Conférence si ce n’est qu’une assemblée de travailleurs espagnols avec 50 participants à Annecy […] que nous avons pour habitude de faire depuis 5 ans en début d’année »385. Cela ne constituait toutefois pas un cas isolé. Dans le cadre du plan de 1967, une enquête fut lancée auprès des bases syndicales à partir d’un questionnaire portant à la fois sur les statistiques de la main-d’œuvre immigrée et l’organisation de celle-ci au niveau fédéral ou départemental386. Quand elles existent, les réponses à cette initiative sont en général imprécises et souvent incomplètes. Par exemple, à la question sur les permanences pour les migrants dans son département, le responsable du Finistère affirmait qu’il n’y avait aucune permanence spéciale, mais qu’il tenait chaque semaine « une discussion le mardi soir avec des militants espagnols »387. Les travailleurs de cette colonie estimés être de l’ordre de 500, la proportion de syndiqués parmi eux ne fut en revanche pas précisée. Il est pour autant improbable qu’elle fût très élevée car, si l’on se penche sur l’exemple de la Somme, la Commission administrative de cette UD ne comptait qu’un seul Espagnol sur un ensemble de 1.383 travailleurs de cette nationalité vivant dans ce département388. L’on retrouve une situation similaire en Gironde, où le seul migrant participant dans la commission administrative était un ouvrier espagnol, 26.296 des salariés girondins étant issus de cette colonie389. En Haute-Savoie, où des commissions espagnoles avaient été créées à Annecy, Saint-Pierre de Faucigny, Scionzier et Saint-Maurice l’an précédent390, le journal Unidad atteignit un tirage de 280 exemplaires, bien au-delà de la distribution de Lavoro et O Trabalhador, comptant

385

IHS-CGT, 105/CFD/11, Correspondance entre Serge Baggetto et Marius Apostolo, 6 mars 1969.

386

IHS-CGT, 105/CFD/601, Questionnaire sur la main-d’œuvre immigrée – Service Immigration de la CGT, 1967.

387

IHS-CGT, 105/CFD/601, Questionnaire sur la main-d’œuvre immigrée – Service Immigration de la CGT – Département Finistère, 1968.

388

IHS-CGT, 105/CFD/601, Questionnaire sur la main-d’œuvre immigrée – Service Immigration de la CGT – Département Somme, 1968.

389

IHS-CGT, 105/CFD/601, Questionnaire sur la main-d’œuvre immigrée – Service Immigration de la CGT – Département Gironde, 1968.

390

IHS-CGT, « Haute-Savoie », Unidad : bulletin d’information de la CGT en langue espagnole, nº mai 1966, p. 2.

139 90 et 30 numéros respectivement. Encore à propos de ce département, des permanences furent mises à disposition des travailleurs espagnols à Bonneville et à Annecy391. Néanmoins, d’après plusieurs questionnaires remplis, ce fut sur la diffusion de la presse en langue maternelle que les syndicalistes semblent s’être davantage investis, bien au détriment de la constitution de commissions et permanences d’immigrés, ou la tenue de conférences et stages de formation à ce sujet. Les seules exceptions à cette tendance furent l’union de l’Haute-Savoie et celle de l’Hérault, ces dernières ayant organisé des conférences départementales notamment en direction des migrants espagnols.392 Dans le cas de l’Hérault, l’immigration espagnole constituait « une immense majorité » parmi les 28.000 travailleurs immigrés sur ce territoire. « Ces travailleurs, pouvait-on lire dans les pages d’Unidad, se trouvent dans une proportion d’un sur deux dans la construction ou l’agriculture. Ils ont leur place dans l’activité syndicale et le combat revendicatif, surtout puisqu’ils sont parmi les plus exploités »393

. Cette détermination, non seulement de la part des Espagnols mais aussi de l’ensemble du syndicat, contraste avec ce qu’en avril 1968, soit cinq mois après l’appel à l’enquête, l’on comptait encore sur plusieurs unions n’ayant émis aucune réponse, dont celles intégrant la région parisienne et encore d’autres à forte présence d’Espagnols comme le Nord, le Var, l’Haute-Garonne ou enfin les Pyrénées Orientales. Cette approche nous permet donc de constater une asymétrie évidente entre, d’un côté, les résolutions adoptées dans les congrès et les conférences nationales dédiées à l’immigration et, de l’autre côté, l’impact de ces orientations dans les pratiques quotidiennes des militants, dans le contact directe avec l’acteur intéressé. Cette limite structurant l’action du mouvement syndical envers l’immigration – à savoir, un éventuel manque d’intérêt sur ce sujet de la part des militants nationaux – réapparaît dans les propositions sur le plan de travail sur la main-d’œuvre immigrée pour 1971- 1972394 : effectivement, celles-ci furent adoptées « en vue d’approfondir l’examen, d’en dégager les aspects nouveaux et d’aider à la réflexion pour rendre notre travail plus

391

IHS-CGT, 105/CFD/601, Questionnaire sur la main-d’œuvre immigrée – Service Immigration de la CGT – Département Haute-Savoie, 1968.

392

Ibid.

393

IHS-CGT, « El 19 de noviembre en el Hérault, Conferencia departamental por las reivindicaciones y la organización de los trabajadores inmigrados », Unidad : mensuel de la CGT pour les travailleurs

espagnols, nº 9, octobre 1967, p. 2.

394

IHS-CGT, 105/CFD/600, Note aux membres de la Commission confédérale de la main-d’œuvre immigrée sur la situation à la rentrée et les problèmes particuliers à la main-d’œuvre immigrée. Propositions sur l’orientation du plan de travail 1971-1972.

140 efficace »395. Entre les « faits nouveaux », furent précisés les hausses de prix, la crise du dollar et encore les scandales financiers. Un contexte économique en transformation qui était en train de métamorphoser la société a fait son entrée dans les préoccupations des organismes syndicaux chargés de la main-d’œuvre immigrée. Par ailleurs, la répartition des origines dans l’immigration était à son tour en train de subir des reconfigurations : la colonie espagnole, en pleine décroissance, occupait alors le troisième lieu après les Algériens et les Portugais. La CGT, qui n’avait jamais appris à gérer effectivement ces phénomènes de manière complète, ne cessa de rencontrer des difficultés constantes. Ces exemples, signalés par certaines des unions départementales, sont assez parlants : « les quelques faibles résultats enregistrés ont été l’affaire des seuls travailleurs immigrés, membres de la Commission de l’UD […]. La signature par les travailleurs français n’a pas été comprise […] »396. Ou, d’un point de vue encore plus précis, d’autres militants

situèrent la raison essentielle de tous ces problèmes dans leur « propre faiblesse dans le travail catégoriel »397. Une « faiblesse » qui, d’ailleurs, était le dénominateur commun à tous les cas et qui amena le syndicat à travailler, en 1971 autant qu’en 1963, 1967 ou en 1969, « en vue de rechercher les moyens d’y remédier progressivement »398.

Outline

Documents relatifs