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Partie II : Le syndicalisme français face à l'immigration espagnole Discours et pratiques militantes

Chapitre 5 : Ne plus reconnaître son peuple Les exilés socialistes et anarchistes et le défi de l’émigration

5.1. L’émigration : entre l’importance et le délaissement Approche introspective à l’Alliance syndicale espagnole (ASE) et aux organisations socialistes en exil

5.1.4. Ampleur et frontières de l’action Étude des cas de Pau et de Bordeau

L’exemple de Pau est intéressant pour comprendre, à une échelle localisée, les défauts structurels de la stratégie socialiste dans le domaine des migrants. Bien que la section de l’UGT diffusât de la propagande parmi ces acteurs, ce fut notamment à travers FO que les socialistes espagnols tentèrent d’établir un contact avec eux, mettant ainsi en œuvre les consignes adoptées par la Commission mais également par les différents congrès. Il s’agissait toutefois d’orientations ne reposant pas sur une analyse de la réalité, mais sur des clivages idéologiques qui opposaient les divers syndicats. Ces luttes aboutirent à un « échec » avouée. Le panorama esquissé par le secrétaire de Pau, Benito Alonso, rend compte de ces enjeux, que nous pouvons mettre en relation avec ce qu’un délégué cégétiste du département en question avait remarqué, deux ans auparavant, à propos de l’hégémonie de la CGT auprès de l’immigration espagnole dans les Basses-Pyrénées :

À notre avis, les causes de l’échec sont variées. Peut-être la raison fondamentale réside dans le fait qu’ici, dans la construction, qui est l’industrie qu’emploie au moins 90% de

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AFFLC, A/ASE/632-5, Correspondance entre le secrétaire de la Section locale de l’ASE de Toulouse et la Commission exécutive de l’UGT, Toulouse, 12 janvier 1966.

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AFFLC, A/ASE/632-5, Tract – Día de la Afirmación Aliancista, con la celebración de un gran acto que tendrá lugar el Domingo 12 de junio 1966 a las 9h30 de la mañana en la Bolsa del Trabajo (Plaza San Sernin), Toulouse, 12 juin 1966.

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En voici un exemple : AFFLC, A/UGT-BP/128-6, Correspondance entre Miguel Armentia et le Comité local de la section du PSOE et de l’UGT de Pau, Toulouse, 10 mai 1965.

178 ces travailleurs, il n’y a pas d’organisation syndicale FO. Ni CFDT. L’organisation qui existe est contrôlée par la CGT, qui dispose de permanences pour faire des réunions sur les lieux de travail […], et pour lancer fréquemment des campagnes de revendication auprès de ces travailleurs. Outre les permanences, les locaux de la CGT sont ouverts tous les jours de la semaine, à toutes les heures de la journée. FO, en revanche, assure rarement une permanence de 18 à 19 heures du lundi au vendredi, de façon que, si un travailleur vient chercher du conseil, il finit inévitablement dans les bureaux de la CGT524.

Cette limite, quoiqu’importante, ne fut cependant pas la seule : la « nulle formation de type social » des travailleurs concernés ainsi que l’activité des agents franquistes furent évoquées au même titre525. Or, elle témoigne des défauts structurels dont nous parlions précédemment, c’est-à-dire, un manque d’intérêt et donc d’initiatives engagées par les militants pour mener directement une action envers ces populations. Ce cloisonnement existant entre les deux groupes et leurs réalités apparaît nettement, matériellement, dans le bilan du secrétaire : « il n’existe pas ici de sociétés sportives, culturelles, artistiques, récréatives, etc. Par conséquent, les seuls endroits où l’on peut être en contact avec ces travailleurs sont les bars et tavernes, les lieux de travail ou les foyers où ils résident. Car nos affiliés ne fréquentent pas souvent les bars ni les tavernes, ils ne peuvent y mener aucune activité. Sans doute, le travail le plus positif que l’on peut faire sur le terrain de l’information et de la propagande, c’est celui pouvant se faire dans les lieux de travail. Mais même cela demande beaucoup de patiente, de ténacité et de détermination »526. En d’autres termes, les difficultés « externes » supposées rejoignirent une situation interne dans laquelle la priorité accordée et les efforts consacrés au sujet demeuraient faibles. Puisque fréquemment les militants ugétistes faisaient partie intégrante du PSOE aussi, les problèmes de l’émigration économique espagnole en France se posèrent d’une façon presque identique à l’organisation politique socialiste. En ce sens, les difficultés et les enjeux rencontrés par le PSOE pour aborder cette question ne différèrent pas de ce que nous avons exposé par rapport à l’UGT. Pour illustrer et analyser ce phénomène global nous avons porté la focale sur une échelle restreinte : en l’occurrence, la section locale de Bordeaux, qui à son tour était représentative de son département, la Gironde. Si les

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AFFLC, A/ASE/UGT-BP/128-6, Correspondance entre Benito Alonso et Miguel Armentis, Pau, 25 janvier 1965.

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Ibid.

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179 congrès du Parti avaient réitéré auprès de ses sections l’opportunité de faire adhérer les nouveaux arrivants, les militants de la région bordelaise constatèrent, dans un rapport à caractère interne, que « en dépit de toutes les circonstances dans lesquelles se trouvent ces compatriotes et de notre souci de mener à bien ce travail préconisé par le Parti, nous ne connaissons pas un seul cas d’émigrés d’aujourd’hui qui se soient rapprochés de nos organisations, et moins encore qui aient adhéré nos groupements. Dans le meilleur des cas, on a réussi - non facilement – à les faire venir à un quelconque acte de propagande, c’est tout et, malheureusement, très peu »527

. Cette situation n’avait pas évolué un temps plus tard. Cela répondait seulement à des raisons internes, tel que la section le reconnut froidement : « en ce qui concerne notre devoir de nous rapprocher de nos compatriotes qui viennent travailler en France, de leur inculquer nos idées […] et les incorporer dans notre Parti, il vaut mieux confesser sans euphémisme […] que notre effort a été nul »528

. Il n’empêche qu’une commission pour l’émigration y avait bien été créée sur le plan du département suite aux consignes données par les trois organisations socialistes en 1964, mais son activité ne put démarrer qu’en janvier 1967 à cause des enjeux logistiques. De surcroît, ses membres élaborèrent un plan de travail seulement en automne 1968529. Ce décalage, coïncidant avec les quatre ans les plus intenses des flux migratoires, montre dans une certaine mesure la faible priorité accordée vraisemblablement par la plupart de militants au thème des migrations, au-delà des éventuelles difficultés organisationnelles. Par ailleurs, le programme d’action qui fut enfin annoncé en décembre 1968 consistait à distribuer quelques tracts, « courts et précis », à travers lesquels uniquement les exilés socialistes de Gironde espéraient « obtenir les résultats que nous souhaitons tous » 530, ce qui témoigne d’un défaut de conscience sur l’envergure et la caractérisation du sujet.

5.1.5. Le syndicalisme socialiste espagnol au miroir de ses défauts. Le

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