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Le successeur saisi, un intermédiaire non recherchée par le disposant

Dans le document Les libéralités à trois personnes (Page 107-111)

Section I : Les techniques retenues I : Les techniques exclues

A. L’exécution du legs pur et simple par un successeur légal

1. Le successeur saisi, un intermédiaire non recherchée par le disposant

111. Dissociation entre la titularité des droits et leur exercice. Ŕ Le système dévolutif français est fondé sur le principe de la continuation de la personne. Dès l’ouverture de la succession, successeurs ab intestat et successeurs testamentaires acquièrent immédiatement et sans formalité les droits du de cujus1. Cette règle s’applique indistinctement aux successeurs universels

1 L’immédiateté de la transmission des droits du de cujus du seul fait du décès n’a pas toujours été consacrée. En

droit romain, une distinction essentielle dominait la transmission de l’hérédité. D’un côté, il y avait les heredes sui et

necessarii, qui étaient immédiatement substitués dans les droits du défunt parce qu’ils continuaient la copropriété

familiale à laquelle ils ne pouvaient renoncer ; d’un autre côté, il y avait les heredes volontarii, qui n’acquerraient les droits que du jour de l’aditio (sur cette distinction, voir C. Accarias, Précis de droit romain, 3ème éd., 1882, n°343 et s.). A

la différence des pays de droit écrit qui conservèrent les règles romaines, les pays de coutume proclamèrent que « le

mort saisit le vif ». L’héritier était ainsi placé immédiatement, même au possessoire, dans la situation du mort ; la

continuité entre le de cujus et lui était absolue, nulle « jacence » ne venait l’interrompre.

Aujourd’hui, le principe de l’acquisition de plein droit au jour du décès des droits du de cujus n’est expressément affirmé par aucun texte. Il ne suffit pas de déclarer, avec l’article 711 du Code civil, que « la propriété des biens s’acquiert

et se transmet par succession, par donation entre vifs ou testamentaire, et par l’effet des obligations », car la question reste entière de

savoir à quelle date s’ouvre le droit du successeur. Tout au plus peut-on trouver ce principe énoncé dans certains articles du Code civil à vocation particulière : l’article 777, relatif à l’effet de l’option de l’héritier (« L’option exercée a un effet rétroactif au jour de l’ouverture de la succession ») (nous soulignons) ; l’article 1014, al. 1er, relatif aux legs

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et aux successeurs à titre particulier1. Une distinction s’impose toutefois entre l’acquisition des

droits du défunt et l’exercice de ces mêmes droits. A première vue, on peut s’étonner que la transmission immédiate des droits héréditaires ne se double pas d’une investiture parallèle de leur exercice. Mais, dans la situation troublée consécutive au décès, il demeure opportun de dissocier un certain temps la titularité des droits de certains ayant cause de leur exercice. D’une part, le danger de l’imposture doit être écarté : faute de dissociation entre titularité des droits et leur exercice, un tiers qui prétendrait avoir des droits sur la succession pourrait appréhender de plano tout ou partie de l’hérédité au préjudice des véritables successeurs2. Or, comme on a pu justement

le faire remarquer, « l’imposture pourrait ne se révéler que trop tard, à un moment où le mal aurait été fait : le

bien aurait été dissipé, le “légataire” aurait disparu »3. D’autre part, il y a lieu de prévenir une mauvaise

gestion des biens composant l’hérédité. Il se peut, en effet, que certains successeurs n’exercent pas leurs droits, parce qu’ils ignorent leur existence, ou les exercent mal, parce qu’ils projettent d’y renoncer. Au demeurant, on devine aisément les conflits qui se seraient élevés entre les successeurs si chacun d’eux avait eu la possibilité d’appréhender immédiatement les choses formant l’assiette de leurs droits.

112. Investiture de la saisine au profit de certains successeurs. Ŕ De cette nécessité de dissocier, pendant un certain temps, l’exercice des droits héréditaires de leur titularité découle une question : qui peut appréhender les biens successoraux durant cette période ? Deux partis sont, dans l’absolu, susceptibles d’être pris. Le premier consiste à placer un tiers à la tête de l’hérédité, lequel aura pour mission de l’administrer et de distribuer les biens héréditaires entre les successeurs. Ce parti, qui évoque le système de la succession aux biens du droit anglais, s’oppose à la théorie de la continuation de la personne qu’adopte le droit successoral français4. Aussi est-ce

particuliers(« Tout legs pur et simple donnera au légataire, du jour du décès du testateur, un droit à la chose léguée, droit transmissible à

ses héritiers ou ayants cause ») (nous soulignons). Il reste que ces deux articles devraient suffire à l’énonciation du

principe de l’acquisition sans délai des droits du de cujus si l’on admet qu’un legs universel ou à titre universel n’est autre qu’une institution d’héritier à laquelle s’applique l’article 777. Au-delà, l’existence de ce principe procède d’un principe plus général que sous-entend l’article 906 du Code civil : du « principe fondamental suivant lequel il ne peut exister

de droits sans sujets de droit » (Cass. civ. 1ère, 22 juill. 1987, Bull. civ. I, n°258). A cet égard, la jurisprudence a affirmé à

plusieurs reprises que tout légataire acquérait les droits du de cujus dès son décès : pour le légataire à titre universel, voir Cass. civ. 1ère, 28 janv. 1997, Bull. civ. I, n°37 ; pour le légataire particulier, voir Cass. civ., 7 janv. 1936, DH 1936.

82 ; RTD civ. 1936. 530, obs. R. Savatier ; Cass. civ. 1ère, 22 oct. 1975, Bull. civ. I, n°293.

1 A ce principe d’acquisition de plein droit, il n’est pas dérogé par l’obligation où se trouve le successeur

d’accomplir les formalités de publicité foncière. Ces formalités ne touchent que l’opposabilité des droits réels aux tiers, non leur acquisition.

2 Voir en ce sens H. Vialleton, « La place de la saisine dans le système dévolutif français actuel », in Mélanges en l’honneur de P. Roubier, Dalloz et Sirey, 1961, t. II, p. 283 et s., spéc. p. 286.

3 M. Grimaldi, Successions, préc., n°407, p. 405.

4 H. Petitjean, Fondements et mécanismes de la transmission successorale en droit français et en droit anglais, thèse Paris, 1959,

n°286 et s., p. 144 et s. ; M. Goré, L’administration des successions en droit international privé français, préf. Y. Lequette, Economica, 1994, n°7 et s., p. 15 et s.

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le second parti que retient, en principe1, le droit français, à savoir privilégier certains successeurs à

d’autres, afin qu’il soient provisoirement placés, en fait, à la tête des biens héréditaires, même des biens qui ne doivent pas leur revenir2. On dit alors que ces successeurs ont la saisine.

Pratiquement, la saisine leur confère la police de l’hérédité, c’est-à-dire le pouvoir de contrôler le titre de ceux auxquels la saisine n’est pas attribuée, notamment par le biais de la formalité de délivrance des legs. Durant cette période, et afin d’éviter le désordre des affaires de la succession, les successeurs saisis ont le pouvoir de gérer l’hérédité, ce qui leur permet d’appréhender matériellement tous les biens de la succession3, d’en percevoir les fruits, d’encaisser les créances4

et d’accomplir tout acte conservatoire. A ce titre également, les successeurs saisis se substituent au de cujus dans les actions en justice, activement ou passivement5.

113. Détermination des successeurs saisis. Ŕ Si, en droit coutumier, la saisine était intimement liée à l’idée de continuation de la personne du défunt, elle ne l’est plus en droit moderne dès lors que tout successeur universel continue la personne du défunt mais que seuls certains d’entre eux ont la saisine. En admettant « une demi-mesure pour la saisine »6, les rédacteurs du

Code civil ont ainsi placé dans la vraisemblance du titre successoral le critère de l’attribution de la saisine7. Ainsi, nullement liée à la qualité de propriétaire de l’hérédité, la saisine n’est attribuée

qu’aux successeurs dont le titre est suffisamment établi. En vertu de l’article 724 du Code civil, il y a lieu de distinguer deux sortes de successeurs : les héritiers légaux, saisis de plein droit de l’hérédité, et les légataires, lesquels ne peuvent être saisis qu’à certaines conditions.

1 Ce principe peut souffrir plusieurs tempéraments. L’administration peut être confiée à un tiers : soit à un tiers

désigné par justice ; soit à un tiers désigné par le de cujus, tels l’exécuteur testamentaire ou le mandataire à effet posthume. Ces deux dernières institutions réalisent des libéralités à trois personnes, voir infra n°671 et s. pour le mandat à effet posthume et n°698 et s. pour l’exécution testamentaire.

2 Le successeur saisi peut ne recevoir aucun bien : ainsi de l’héritier non réservataire en présence de legs à titre

universel ou à titre particulier absorbant tout l’actif successoral. Par où l’on voit que saisine et propriété ne sont pas liées. « Autre chose est la propriété, autre chose est la saisine » soulignait Jaubert dans son rapport au Tribunat (P. A. Fenet,

Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. XIII, 1827, p. 575 et s., spéc. p. 608).

3 Excepté la procédure d’apposition des scellés à laquelle peuvent recourir le conjoint ou le partenaire d’un pacte

civil de solidarité, tous ceux qui prétendent avoir une vocation successorale, l’exécuteur testamentaire ou le mandataire désigné pour l’administration de la succession, le ministère public, le propriétaire des lieux, tout créancier muni d’un titre exécutoire ou d’une permission du juge et, en cas d’absence du conjoint ou des héritiers, ou s’il y a parmi les héritiers des mineurs non pourvus d’un représentant légal, les personnes qui demeuraient avec le défunt, le maire, le commissaire de police ou le commandant de la brigade de gendarmerie (C. procédure civile, art. 1304).

4 Excepté le cas où il s’agit de créance sur l’un des successeurs. La jurisprudence décide dans ce cas que, jusqu’au

partage, le paiement ne peut en être exigé (Cass. civ. 1ère, 7 nov 1978, Bull. civ. I, n°334, D. 1979, IR 357, obs. D.

Martin ; 5 déc. 1978, Bull. civ. I, n°377 ; 31 janv. 1989, Bull. civ. I, n°55.

5 Sur cette substitution, voir Ch. Lesca, La transmission héréditaire des actions en justice, préf. M. Grimaldi, PUF, 1992,

spéc. n°164 et s. et 393 et s.

6 J. Flour et H. Souleau, Les successions, préc., n°167, p. 103.

7 Voir en ce sens A. Bonnin, Etude critique de la notion de saisine, thèse Paris, 1899, spéc. p. 23 : « le facteur essentiel de la saisine ce sera la vérification des divers titres des successeurs » ; H. Vialleton, « La place de la saisine dans le système dévolutif

français actuel », préc., spéc. p. 291. « La saisine est un moyen de contrôle de la qualification probable des héritiers qui n’étend pas

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Dans sa rédaction première, l’article 724 n’accordait la saisine qu’aux parents légitimes, à l’exclusion du conjoint survivant, des enfants naturels et de l’Etat. Cette triple discrimination reposait, d’une part, sur l’idée que le Code Napoléon tenait compte essentiellement des intérêts de la famille, telle qu’elle était comprise à cette époque, c’est-à-dire d’une famille à la porte de laquelle restent le conjoint survivant et les parents naturels et où n’entre pas l’Etat, et, d’autre part, sur le doute que l’on pouvait entretenir à l’égard de la vraisemblance du titre du conjoint et de l’Etat, l’un et l’autre n’étant appelés à la succession qu’à défaut de tout parent au degré successible. L’affaiblissement de la défaveur envers les enfants naturels permit à ces derniers d’accéder au rang de successeurs saisis1 tandis que la promotion successorale du conjoint,

notamment après la loi du 26 mars 1957, entraîna logiquement l’attribution de la saisine à ce dernier2. Ainsi, désormais, il ne demeure qu’un seul successeur légal irrégulier : l’Etat3 ; solution

qui s’explique par le caractère subsidiaire de sa vocation successorale.

A la différence des successeurs légaux, le titre des successeurs testamentaires, qui repose sur la volonté, est loin de présenter la même certitude. Non seulement la validité des legs peut être contestée, mais la présence des légataires constitue un élément de trouble dans la dévolution réglée par la loi. Ainsi s’explique que la saisine ne leur soit attribuée qu’avec beaucoup plus de parcimonie. Sous cet aspect, les règles gouvernant l’attribution de la saisine aux légataires n’ont pas été modifiées depuis le Code civil4. Précisément, la saisine n’est accordée qu’au seul légataire

universel, et à la condition qu’il n’existe pas d’héritiers réservataires5 ; tout autre légataire doit

satisfaire à une formalité : la demande en délivrance6. Naturellement, cette formalité n’est pas

exigée lorsque le légataire est également un successeur légal7. Il serait en effet fort singulier qu’on

ne le dispensât pas de demander la délivrance de son legs à ses cohéritiers, dès lors qu’il a déjà lui- même, en qualité d’héritier légal, la saisine de la succession tout entière.

1 L. 25 mars 1896, modifiant l’article 724. 2 Ordonnance n°1307 du 23 déc. 1958, art. 1er. 3 C. civ., art. 724, al. 3.

4 Voir H. Soum, La transmission de la succession testamentaire, thèse Toulouse, 1957, n°131 et s.

5 C. civ., art. 1004 et 1006. Cette distinction entre légataire universel saisi et non-saisi résulte d’un compromis,

adopté par les rédacteurs du Code civil, entre les partisans des deux traditions de notre Ancien Droit. Il est surtout l’oeuvre de Cambacérès qui fit remarquer que la saisine « n’a d’importance que dans le cas où il existe un héritier qui a droit à

une légitime » ; dans le cas contraire, « comment pourrait-on soumettre le testament à un héritier, que la loi n’appelle qu’à défaut de testament ? » (P. A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, préc., t. XII, p. 395).

6 Qu’il s’agisse du légataire universel en présence d’héritiers réservataires (C. civ., art. 1004), du légataire à titre

universel (C. civ., art. 1011), ou du légataire à titre particulier (C. civ., art. 1014).

7 D’abord adoptée à propos d’un legs consenti à un héritier réservataire (Cass. civ., 29 avr. 1897, DP 1897. 1.

409 ; Cass. civ. 1ère, 24 nov. 1969, D. 1970. 164, note Dedieu ; Defrénois 1970, art. 29730, note A. Breton, et 1971, art.

29234, note Ph. Malaurie ; Cass. civ. 1ère, 31 mars 1971, Defrénois 1972, art. 30113, obs. J.-L. Aubert ; Cass. civ. 1ère, 29

oct. 1979, Defrénois 1980, art. 32222, note A. Ponsard ; RTD civ. 1980. 590, obs. R. Savatier ; JCP 1981. II. 19527, note M. Dagot), la solution a été étendue à tout successeur légal : Cass. civ. 1ère, 20 mars 1984, Bull. civ. I, n°108 ; Defrénois

1984, art. 33432, obs. G. Champenois ; RTD civ. 1984. 423, obs. J. Patarin ; Cass. civ. 1ère, 20 nov. 2001, Bull. civ. I,

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114. Les prérogatives du successeur à qui la délivrance doit être demandée, conséquences mécaniques de l’institution d’un légataire non saisi. Ŕ De là il suit que le successeur saisi exerce les prérogatives dévolues au légataire non saisi jusqu’à la délivrance de son legs1. Mais il faut bien voir que cette dissociation entre la titularité des droits et leur exercice est

commandée par un double souci : défendre l’intégrité de la succession contre les empiètements injustifiés d’individus dont la rectitude du titre n’est pas suffisamment établie, d’une part, éviter le désordre des affaires de la succession, d’autre part2. Aussi cette dissociation apparaît-elle comme

un effet purement mécanique de l’institution d’un légataire non saisi. Pourrait-on cependant dire que cette dissociation est précisément ce que recherche le testateur ? On peut sérieusement en douter. L’intervention du successeur saisi s’impose à lui sans qu’il ne puisse y déroger. En effet, il n’appartient pas au testateur de priver de la saisine les successibles auxquels la loi l’accorde, en sorte qu’il ne peut attribuer celle-ci à une personne de son choix3. Par là s’explique l’exclusion du

domaine des libéralités à trois personnes des legs dont la délivrance procède d’un successeur légal.

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