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Des éléments constitutifs de l’interposition de personne découlent le rejet des critères tirés de l’existence ou de l’absence d’émolument conféré à l’intermédiaire (a), et du rôle actif ou

Dans le document Les libéralités à trois personnes (Page 101-103)

Section I : Les techniques retenues I : Les techniques exclues

B. Le critère de la distinction entre les libéralités par personne interposée et les techniques des libéralités à trois personnes

99. Des éléments constitutifs de l’interposition de personne découlent le rejet des critères tirés de l’existence ou de l’absence d’émolument conféré à l’intermédiaire (a), et du rôle actif ou

passif de l’intermédiaire (b).

a) Le critère fondé sur l’existence ou l’absence d’émolument conféré à l’intermédiaire

100. Exposé du critère. Ŕ Ce critère a âprement été défendu à propos du legs à charge de fonder. Certains auteurs ont soutenu, en effet, que l’institution n’était pas sérieuse lorsque le légataire grevé de charge ne percevait en définitive aucun profit1. Faute d’enrichissement, le

légataire ne serait qu’une personne interposée entre le disposant et le bénéficiaire de la charge. A suivre ces auteurs, le legs, pour être sérieux, ne doit pas simplement offrir au légataire une chance d’émolument, résultant de la caducité éventuelle des dispositions particulières, il doit lui procurer immédiatement un émolument pécuniaire appréciable, eu égard aux forces de la succession.

101. Rejet du critère. Ŕ Le raisonnement procède d’une double méprise. D’une part, l’émolument n’est nullement de l’essence du legs2. Un légataire est sérieux bien qu’il ne perçoive

aucun profit. Il suffit ici d’en appeler à l’éminence de Beudant qui écrit : « Où est-il donc écrit qu’un

legs n’est sérieux et valable que s’il doit finalement enrichir le légataire ? Ce qui constitue un legs, c’est le droit qui résulte de la disposition testamentaire, avec les charges qui y sont inhérentes ; s’il est nécessaire que les biens transmis entrent dans le patrimoine de l’institué, il ne l’est nullement qu’ils doivent y rester »3.

D’autre part, l’existence de charges imposées au gratifié, qui épuisent son émolument, n’entraîne aucunement une contradiction entre la vérité de l’acte et sa représentation. Certes, le grevé ne perçoit aucun profit ; il n’en demeure pas moins qu’il intervient réellement à l’opération. A tout le moins sa qualité de gratifié peut elle être discutée par rapport à celle d’un fiduciaire4, mais

1 A. Geouffre de Lapradelle, Théorie et pratique des fondations perpétuelles, 1895, spéc. p. 127 ; H. Levy-Ullmann et P. Grunebaum-Ballin, « Essai sur les fondations par testament », RTD civ. 1904. 254, spéc. p. 262 ; Lory, Du mode

d’établissement et de la nature des fondations, p. 98 et 104 et s. Adde Huc, Commentaire théorique et pratique du Code civil, t. VI

n°126 et 135. Pour une application jurisprudentielle de ce critère, voir Orléans, 8 janv. 1885, cassé par Cass. civ., 5 juill. 1886, DP 1886. 1. 163 ; S. 1890. 1. 481 ; Besançon, 26 mars 1891, DP 1893. 2. 1, note Ch. Beudant ; Amiens, 16 févr. 1893, DP 1894. 2. 67 ; Paris, 8 nov. 1924, DP 1924. 2. 158, note A. L. ; Trib. civ. Seine, 5 juin 1929, Gaz. Pal. 1929. 2. 267 ; RTD civ. 1929. 808, obs. R. Savatier ; et, sur appel, Paris, 21 juin 1935, DP 1936. 2. 17, note R. Savatier ; S. 1936. 2. 1, note Niboyet.

2 Sur cette analyse, voir infra n°208 et s.

3 Ch. Beudant, note sous Besançon, 26 mars 1891, DP 1893. 2. 1.

4 Cass. civ., 5 juill. 1886, DP 1886. 1. 465 ; S. 1890. 1. 241, note J. E. Labbé. ; Angers, 22 juin 1887, sous Cass. req., 6 nov. 1888 ; Cass. Roumanie, 2 mars 1892, S. 1892. 4. 17 (on opposait en l’espèce au legs universel l’article 808 du Code civil roumain qui n’est que la reproduction de notre article 906) ; Cass. req. 27 juin 1899, sur Montpellier, 24

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aucunement par rapport à celle d’une personne interposée dont l’intervention n’est que fictive. Aussi ne peut-on pas déduire de l’absence d’émolument la qualité de personne interposée. Le propos peut être généralisé, du reste, à toutes les libéralités usant d’un intermédiaire de transmission dès lors que les devoirs qui grèvent ses prérogatives sont connus des tiers. Voirin s’exprimait d’ailleurs en termes analogues : « dans le cas de fondation, il n’y a aucune simulation, puisque

la charge de transférer l’émolument du legs à l’œuvre, une fois qu’elle existera, se manifeste à découvert »1. En ce

qu’elle réalise une représentation inexacte de la réalité, la libéralité par personne interposée est ainsi exclusive de l’apposition ostensible d’une charge à l’intermédiaire2. De sorte que l’absence de

perception par l’intermédiaire d’un profit matériel ne peut être un critère de distinction entre la libéralité par personne interposée et la libéralité à charge de transmettre.

b) Le critère fondé sur le rôle actif ou passif de l’intermédiaire

102. Exposé du critère. Ŕ Partant du constat que la libéralité par personne interposée réalise une opération simulée alors que la libéralité à charge de transmettre accomplit une opération sérieuse, certains auteurs ont prétendu trouver un critère de distinction entre ces deux figures dans le rôle joué par l’intermédiaire3.

Précisément, l’absence de liberté conférée à l’intermédiaire serait la marque d’une intervention fictive à l’opération tandis que la jouissance d’une certaine initiative dans la réalisation de la volonté du disposant témoignerait de l’existence d’une libéralité avec charge. C’est ainsi que s’exprime Madame Bouyssou : « Si donc le disposant lui reconnaît une initiative propre pour assurer la

réalisation de ses ordres, l’intermédiaire sera bien un donataire ou un légataire sérieux. La libéralité par personne interposée, au contraire, est une opération simulée ; l’intermédiaire fictif est destiné seulement à cacher le bénéficiaire véritable. Le disposant ne lui a laissé aucune liberté : son rôle se borne à recevoir d’une main pour transmettre de l’autre au gratifié réel. C’est un homme de paille, ce n’est pas un donataire ou un légataire sérieux »4. En

d’autres termes, la passivité de l’intermédiaire serait le paradigme de la libéralité par personne interposée.

janv. 1898, S. 1901. 1. 271 ; Montpellier, 23 avr. 1900, D. 1902. 1. 425 ; Trib. civ. Seine, 5 août 1897, Gaz. Pal. 1897. 2. 456.

1 C. Beudant et P. Lerebours-Pigeonnière, par P. Voirin, n°119 p 159 (c’est nous qui soulignons). Voir également B. Ancel, JCl. Civil Code, Art. 911, n°19 ; H. L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, t. IV, 2ème vol., par L. et S. Leveneur,

n°1409 ; M. Grimaldi, Libéralités Ŕ Partages d’ascendants, préc., spéc., n°1455 p. 343. 2 Voir supra n°94.

3 R. Savatier, obs. sous Paris, 8 nov. 1924, RTD civ. 1925. 162 et s. Comp. toutefois sa note au D. 1936. 2. 17 sous Paris, 21 juin 1935 ; G. Ripert, Etude critique de la notion de libéralité, cours préc., p. 306 et s. ; M. Bouyssou, Les

libéralités avec charges, préc., spéc., n°72 et s. p. 117 et s. ; G. Marty, préface à la thèse M. Bouyssou, p. 6 ; A. Françon,

« La distinction de la libéralité et de la charge d’une libéralité », préc., spéc. n°9. 4 M. Bouyssou, op. cit.

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103. Rejet du critère. Ŕ Mais ce critère ne résiste pas à la critique. D’abord, sa mise en œuvre se révèle hasardeuse. L’on discerne mal, en effet, la frontière entre le rôle actif et passif. En ce sens, on ne peut qu’approuver Henri Souleau d’avoir considéré qu’« un tel critère est bien fuyant. Où

est la limite entre le rôle actif et le rôle passif ? Et pourquoi une obligation stricte et précise imposée par le testateur ne pourrait-elle constituer la charge d’un legs alors que de vagues directives caractériseraient la charge ? Ces questions suffisent à montrer l’inanité de ce critère » 1. Au surplus, l’adoption de ce critère se heurte à la

jurisprudence séculaire relative à la validité du legs à charge de créer une fondation. Que l’on relise pour s’en convaincre le célèbre jugement du Tribunal civil de la Seine du 5 août 1897 concernant la création de l’Académie Goncourt, aux termes duquel les juges qualifièrent Alphonse Daudet et Léon Hennique de légataires sérieux malgré leur rôle de simples agents d’exécution des volontés d’Edmond Goncourt2. Bien loin de l’expliquer, ce critère condamne

cette position jurisprudentielle que nul ne conteste3.

Ainsi peut-on observer que le critère tenant au rôle actif ou passif de l’intermédiaire n’apparaît pas décisif. Il ne réalise pas l’objectif assigné à tout critère qui est de permettre d’établir une distinction claire entre deux mécanismes, et son application n’explique pas la jurisprudence relative au legs à charge de fonder.

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