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Le critère adopté : l’absence de prérogative conférée à l’intermédiaire

Dans le document Les libéralités à trois personnes (Page 103-107)

Section I : Les techniques retenues I : Les techniques exclues

B. Le critère de la distinction entre les libéralités par personne interposée et les techniques des libéralités à trois personnes

2. Le critère adopté : l’absence de prérogative conférée à l’intermédiaire

104. Définition du critère. Ŕ L’interposition de personne consiste à déplacer les effets de l’acte de disposition d’un patrimoine à un autre. Précisément, l’acte ostensible laisse supposer que le disposant transfère des prérogatives à l’intermédiaire, alors qu’en réalité celles-ci sont transférées directement au bénéficiaire dissimulé. La personne interposée est ainsi un titulaire fictif, apparent, des droits dont s’est dépouillé le disposant. Il n’y a alors aucun rapport d’obligation qui unit la personne interposée aux deux autres protagonistes. Au lieu de reposer sur

1 H. Souleau, L’acte de fondation, thèse Paris, 1969, n°178 p. 315. Voir également C. Witz, La fiducie en droit privé

français, préc., spéc. n°230 p. 221.

2 Trib. civ. Seine, 5 août 1897, sous Paris, 1er mars 1900, S. 1905, II, 78 ; Gaz. Pal. 1900. I. 608 : « Attendu que Goncourt, après avoir désigné lui-même huit membres de la future société et fixé les conditions dans lesquelles la liste en serait complétée et renouvelée, règle avec précision les ventes à faire des collections d’objets d’art qu’il avait accumulées pendant sa vie ; qu’il ajoute à ces premières dispositions divers legs particuliers faits à des amis, et qu’il termine ainsi : “Dans le cas où, contrairement à mes volontés et par des circonstances que je ne puis prévoir, les dispositions qui précèdent, en ce qui concerne l’Académie que je fonde, ne pourraient pas s’exécuter, je donne et lègue les capitaux provenant de la réalisation de mes biens, meubles et immeubles et vente d’objets d’art, à l’Hospice des jeunes filles incurables, à l’œuvre de Notre-Dame des Sept-Douleurs, dont la princesse Mathilde a le patronage, à la charge pour cet établissement d’exécuter divers legs d’amitié de ce testament, et de payer la rente viagère de 1.200 fr à Pélagie Denis, ma domestique” ».

3 Voir en ce sens la conclusion de Madame Bouyssou qui défend pourtant un tel critère : « L’application du critère

proposé conduirait donc à prononcer la nullité de presque toutes les fondations », in Les libéralités avec charge, préc., spéc. n°73 p.

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une relation triangulaire, la libéralité par personne interposée n’est qu’une opération bilatérale entre le disposant et le gratifié.

C’est dire que l’élément distinctif de la libéralité par personne interposée par rapport à la libéralité à trois personnes réside dans l’absence de prérogatives reconnues à l’intermédiaire1. A

l’inverse, l’intermédiaire sérieux est celui qui est toujours titulaire de prérogatives sur l’objet de la libéralité, ne fût-ce qu’un instant de raison2. Dans cet esprit, on peut dire que les libéralités à trois

personnes ne résultent jamais d’une situation de fait ; elles sont toujours l’expression d’une situation de droit. Ceci se conçoit simplement. Pour avoir la maîtrise du bien dont le disposant s’est dessaisi, il faut que l’intermédiaire y soit spécialement autorisé par le disposant. Autrement dit, lorsque la maîtrise du bien quitte le giron du disposant, elle ne se perd pas dans les limbes de la matérialité ; elle s’arrime constamment à une prérogative octroyée à l’intermédiaire. Certains auteurs ont cependant soulevé plusieurs objections. Mais, à bien y regarder, aucune n’emporte la conviction.

105. Réfutation de l’objection tirée des présomptions légales. Ŕ La première objection est tirée des présomptions d’interposition de personnes posées par les articles 911 et 1100 du Code civil3 : « Quand donc les père et mère, enfants et descendants sont-ils réputés par le législateur personnes

interposées ? C’est bien lorsqu’ils recueillent en toute propriété, lorsque le legs leur a été fait personnellement et que l’émolument intégral est entré dans leur patrimoine »4.

Cela procède, à notre sens, d’un raisonnement inapproprié. La loi pose ici une présomption de volonté du disposant. Il est présumé que le disposant n’a pas voulu adresser sa libéralité au proche parent ou au conjoint de l’incapable, mais à l’incapable lui-même. Autrement dit, par l’effet de cette présomption légale, l’objet de la libéralité ne transite nullement par le patrimoine de la personne interposée. Le proche parent ou le conjoint de l’incapable constitue ainsi un

1 M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. V, par A. Trasbot et Y. Loussouarn, préc., n°174 et s. ; G. Flattet, Les contrats pour le compte d’autrui, préc., n°122 et s., p. 163 et s. ; H. Souleau, L’acte de fondation, préc., spéc. n°177 et s. p. 310 et s. ; C. Witz, La fiducie en droit privé français, préc., spéc. n°230 et s. p. 220 et s ; J. E Labbé, note sous Cass. civ., 5 juill. 1886 et Cass. req., 6 nov. 1888, S. 1890. 1. 241 ; R. Savatier, note sous Paris, 21 juin 1935,

D. 1936. 2. 17 ; H. Simonnet, « Le legs avec charge, catégorie juridique », in Recueil d’études sur les sources du droit en l’honneur de François Gény, t. II, p. 128, spéc. p. 132-133 ; A. Dubois Ŕ de Luzy, L’interposition de personne, préc., spéc. p.

52 et s.

2 Seule importe ici la réalité de son concours. Peu importe qu’il intervienne en qualité de gratifié du disposant ou de fiduciaire. Sur cette distinction voir supra n°220 et s.

3 Précisons que l’article 1100 a été abrogé par la loi n°2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale. 4 H. Lévy-Ullmann et P. Grunebaum-Ballin, « Essai sur les fondations par testament », préc., spéc. p. 265. Voir également E. Coquet, Les fondations privées d’après la jurisprudence française, thèses Poitiers, 1908, n°115 p. 140-141 ; R. Cassin, Des libéralités avec charge et Des fondations en droit français, cours préc., p. 191 ; M. Bouyssou, Les libéralités avec

charge, préc., spéc. n°71 p. 115 et s. ; M. Dagot, La simulation en droit privé, préc., spéc. n°129 p. 124 ; H. Lévy-Ullmann,

note sous Cass. civ., 12 mai 1902, S. 1905. 1. 137 ; P. Hébraud, obs. Rev. crit. législ. jurisp., 1932. 107 ; A. Françon, « La distinction de la libéralité et de la charge d’une libéralité », préc., spéc. n°8 p. 262-263.

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simple paravent derrière lequel le disposant transmet directement l’objet de la libéralité au véritable bénéficiaire1. Il est par conséquent faux de prétendre que les personnes réputées

interposées par loi sont titulaires des droits pour le compte de l’incapable.

106. Réfutation de l’objection tirée des effets de la simulation. Ŕ La seconde objection est fondée sur les effets que produit la simulation. Si l’intermédiaire n’est pas dans l’intention des parties le véritable titulaire de droits, il n’en demeure pas moins le titulaire à l’égard des tiers. En vertu de l’article 1321 du Code civil, la situation réelle ne pourra pas être invoquée contre eux et ils peuvent s’en tenir à la situation apparente. Il faudrait dès lors en déduire que « dans la libéralité

par personne interposée, comme dans la libéralité avec charge, la propriété a été pendant un certain temps sur la tête du gratifié » 2. Mais, là encore, l’argument ne saurait convaincre3. C’est omettre, en effet, qu’en

matière de droits réels, la question du transfert entre les parties doit être distinguée de celle de son opposabilité aux tiers. Si le transfert de droits réels s’accomplit entre les parties par le seul échange des volontés, il requiert le respect de certaines règles de publicité pour qu’il soit opposable aux tiers4. Dans cette perspective, s’il est vrai que l’application de la théorie de la

simulation produit le résultat dénoncé, à savoir que les tiers peuvent se prévaloir de l’apparence créée par l’acte ostensible, cela ne prouve cependant pas que la personne interposée ait reçu

réellement les droits dont le disposant s’est dépouillé. Cela signifie seulement que la contre-lettre,

qui exprime la volonté réelle du disposant de ne transmettre aucun droit au gratifié apparent, n’est pas opposable aux tiers5. Autrement dit, si la personne interposée est réputée titulaire du

droit réel à l’égard des tiers, elle ne l’est pas pour les parties à l’opération.

En conséquence, l’on ne peut se prévaloir des règles relatives à l’opposabilité des droits réels pour soutenir que la personne interposée est titulaire des droits transmis par le disposant.

1 H. Souleau, L’acte de fondation, préc., spéc. n°478 p. 314 : « On ne peut pas déduire de ce que la loi édicte des présomptions

d’interposition de personne que les personnes interposées peuvent recueillir les biens en pleine propriété ». Voir dans le même sens C.

Witz, La fiducie en droit privé français, préc., spéc. n°231 p. 222.

2 G. Ripert, La notion de libéralité, préc., p. 306. Voir également M. Bouyssou, Les libéralités avec charges, préc., spéc. n°71 p. 116-117 ; M. Dagot, La simulation en droit privé, préc., spéc. n°129 p. 124 ; A. Françon, « La distinction de la libéralité et de la charge d’une libéralité », préc., spéc., n°8.

3 C. Witz, La fiducie en droit privé français, préc., spéc. n°231 p. 222, note 5.

4 L’aliénation d’un droit réel immobilier n’est opposable aux tiers que par la publicité foncière qui s’opère à la conservation des hypothèques (D. 4 janv. 1955) tandis que l’aliénation d’un droit réel mobilier n’est opposable aux tiers que par la mise en possession de l’acquéreur (C. civ., art. 2276).

5 Encore convient-il de préciser que les tiers peuvent, suivant leur intérêt, invoquer soit la réalité soit l’apparence. Voir notamment M. Dagot, La simulation en droit privé, préc., spéc. n°132 et s. p. 129 et s. ; E. Leroux, « Recherche sur l’évolution de la théorie de la propriété apparente dans la jurisprudence depuis 1945 », RTD civ. 1974. 509 ; F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Les obligations, préc., spéc. n°550 p. 539 et s.

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107. Synthèse. Ŕ La libéralité par personne interposée, bien qu’elle requière la participation de trois personnes, n’est pas une libéralité à trois personnes. La libéralité procède en effet du concours d’un intermédiaire fictif, c’est-à-dire d’un individu dont l’attribution des prérogatives n’est qu’apparente. On voit par là que la simulation par emploi d’un intermédiaire n’est pas un procédé habile à réaliser une libéralité à trois personnes1.

Au-delà, il est des procédés en vertu desquels une libéralité nécessite l’intervention d’une troisième personne, laquelle semble tenir le rôle d’intermédiaire. C’est cependant omettre que l’intermédiaire d’une libéralité à trois personnes est un individu dont les prérogatives sont un effet recherché par le disposant.

§ 2 - LE PROCEDE DONT LE CONCOURS DE L’INTERMEDIAIRE N’EST PAS RECHERCHE

PAR LE DISPOSANT :LE LEGS PUR ET SIMPLE

108. Position du problème : entremise d’un successeur dans l’exécution de certains legs purs et simples. Ŕ C’est du décès proprement dit que résulte la transmission des droits réels et personnels du de cujus à ses successeurs, qu’ils soient légaux ou testamentaires, universels ou à titre particulier.

Cependant, l’exécution des legs purs et simples, c’est-à-dire non assortis de modalités ou de charges, suppose parfois le concours d’une troisième personne. En effet, si les légataires deviennent immédiatement titulaires des prérogatives du de cujus, ils ne bénéficient pas toujours de l’exercice de plein droit de celles-ci. Une chose est d’être devenu immédiatement et sans formalité titulaire de ses droits, une autre est de pouvoir les exercer, de pouvoir, en particulier, appréhender les choses composant l’assiette des droits légués. Pour ce faire, certains légataires sont tenus de demander la délivrance de leur legs aux successeurs dits saisis. C’est donc par l’intermédiaire de ceux-ci qu’ils obtiennent leur legs. N’est-ce pas ici la manifestation d’une libéralité à trois personnes ? La vraisemblance paraît d’autant plus remarquable que le successeur saisi exerce, jusqu’au jour de la délivrance, les droits légués.

Au surplus, la proximité de situation ne s’arrête pas là. Le testateur peut mettre à la charge d’un légataire, saisi ou non, de payer divers legs dont les bénéficiaires devront lui demander la délivrance. Or, ici encore, un successeur, en l’occurrence un légataire, semble être cet intermédiaire sur lequel s’appuie le disposant pour s’assurer de l’exécution d’une libéralité.

1 On doit toutefois nuancer le propos lorsque la simulation consiste à conférer fictivement les pleins pouvoirs à

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109. Plan. Ŕ Ne nous y trompons pas, toutefois. L’analogie n’est qu’apparente. Des raisons de techniques juridiques, tenant aux modalités légales de la transmission successorale, le démontreront. Il reste que la démonstration de l’exclusion du legs en tant que procédé d’une libéralité à trois personnes n’est pas aussi évidente selon que celui qui est chargé de l’exécution du legs est un successeur légal ou un légataire. Aussi nous faut-il distinguer deux situations : d’une part, celle du legs dont l’exécution résulte d’un successeur légal (A), d’autre part, celle du legs dont l’exécution suppose le concours d’un autre légataire (B).

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