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Un élément doté d’une consistance juridique Ŕ Circonscrire la notion de bien aux seuls éléments perceptibles par l’un des sens de l’être humain aboutit à nier qu’un droit Ŕ élément

Dans le document Les libéralités à trois personnes (Page 45-47)

Chapitre II : Les techniques de réalisation des libéralités à trois personnes

B. La détermination du bien transmis

38. Un élément doté d’une consistance juridique Ŕ Circonscrire la notion de bien aux seuls éléments perceptibles par l’un des sens de l’être humain aboutit à nier qu’un droit Ŕ élément

doté d’une consistance purement juridique Ŕ puisse être l’objet d’un bien. L’on observe pourtant que les droits patrimoniaux peuvent être également l’objet d’un droit réel.

Il est vrai que la classification traditionnelle des droits réels et des droits personnels semble imposer une telle exclusion. Il peut paraître paradoxal, en effet, de prétendre à l’existence de cette

summa diviso des droits patrimoniaux et soutenir qu’un droit réel puisse avoir pour objet un droit

de créance, voire un autre droit réel. A l’analyse, ces deux prétentions n’ont pourtant rien d’incompatible. Si le droit de créance est assurément personnel du côté du débiteur, il ne l’est pas nécessairement du côté du créancier. Ce dernier peut en effet considérer sa créance comme un objet, une chose. La créance présente alors une nature ambivalente : elle est à la fois un engagement personnel du débiteur envers le créancier et une chose objet de propriété pour le créancier. Ainsi s’exprime Pierre Raynaud dans son cours de doctorat : « Aujourd’hui la conception dualiste de

1 Ch. Demolombe, Traité de la distinction des personnes et des biens, Cours de Code Napoléon, Ed. Durand, 1870, t. IX, n°9 p. 5. L’éminent auteur définissait les biens comme « les choses qui sont susceptibles de procurer à l’homme une utilité

exclusive et de devenir objet de propriété ».

2 G. Cornu, Les biens, préc., n°131, p. 342 : il faut et il suffit, « pour que l’œuvre existe, que, sous une forme ou une autre,

la conception s’extériorise, qu’elle prenne corps hors l’esprit de son auteur, qu’elle existe en dehors de lui ». Rappr. P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, 6ème éd., PUF, coll. Dr. fondamental, 2007, n°40 et s., p. 58 et s.

Adde. N. Binctin, Le capital intellectuel, préf. G. Bonnet et M. Germain, Litec, Bibl. de droit de l’entreprise, 2007,

n°18 et s., p. 27 et s., spéc. n°32 et s. p. 40 et s. : « Un bien intellectuel est une chose issue de l’imagination humaine dans

l’exercice d’une activité créative susceptible d’appropriation indépendamment de tout support ».

Sur l’assimilation du courant électrique à une chose, voir Cass. crim., 3 août 1912, DP 1913. 1. 439 ; RTD. civ. 1904. 19, obs. Pilon ; P. Catala, « La matière et l’énergie », in L’avenir du droit Ŕ Mélanges Terré, PUF Ŕ Dalloz Ŕ Juris- Classeur, 1999, p. 557.

3 Précisons que ces fonds sont qualifiés d’universalité de fait. Sur ce point, voir infra n°41.

4 Les termes « fonds d’exploitation » et « fonds de spéculation » sont empruntés à MM. Zenati-Castaing et Revet (Les

biens, préc., spéc., n°53 et s., p. 99 et s.).

5 D. Gutman, « Du matériel à l’immatériel dans le droit des biens. Les sources du langage juridique », APD 1999, p. 65, spéc. p. 66.

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l’obligation est unanimement admise ; l’obligation est non seulement un lien personnel, en ce qu’elle suppose un créancier et un débiteur, mais encore un bien, une valeur qui est susceptible de faire l’objet d’un commerce »1. La

créance peut être ainsi l’objet d’une mutation parce qu’elle est envisagée par le créancier comme une chose objet de propriété2.

Il apparaît donc clairement que la créance présente un double caractère : un droit personnel dans les rapports entre le créancier et le débiteur, un objet de droit réel dans les relations du créancier avec les tiers3. Il faut dès lors admettre qu’un droit de créance puisse être l’objet d’un droit réel4.

Dans la même optique, un droit réel peut avoir pour objet un autre droit réel. Il est ainsi enseigné qu’un droit d’usufruit peut porter sur un droit réel, tel qu’une servitude ou un droit d’usufruit5. L’assertion se recommande d’ailleurs de l’article 384 du Code civil, suivant lequel le

1 P. Raynaud, Les contrats ayant pour objet une obligation, Cours DEA, Les cours du droit, 1977-1978, p. 20. Relevons que deux auteurs (A. Sériaux, Droit des obligations, préc., spéc., n°211 et s., p. 736 et s. ; J. François, Droit civil, t. 4, Les

obligations, régime général, préc., spéc., n°335 et s., p. 279 et s.) adoptent clairement ce dualisme dans leurs ouvrages

respectifs de droit des obligations. Adde le commentaire de M. Lequette à propos de l’ouvrage de M. François (RTD

civ. 2000. 954) : « Prenant appui sur la double nature de l’obligation, lien personnel et valeur économique, l’auteur envisage successivement l’obligation comme lien puis comme bien. En dépit de son évidence, cette distinction n’avait jusqu’à présent été utilisée que par M. Alain Sériaux, sans doute parce qu’elle est délicate à mettre en œuvre du fait du caractère hybride de certaines institutions qui constituent des points de passage obligés de l’étude du régime général de l’obligation : subrogation qui tient du paiement et du transfert de créance, délégation aux facettes et fonctions multiples…L’équilibre des développements auxquels il est parvenu, leur progression laissent à penser que la présentation retenue devrait faire école ».

2 Précisément, le droit de propriété sur une créance ne porte pas directement sur le bénéfice ou l’émolument, mais sur le bénéfice futur de la prestation, sur la prestation attendue du débiteur. En d’autres termes, il porte sur le droit à prestation, sur le droit à obtenir le paiement d’une somme d’argent. Ce droit à prestation est une prérogative appartenant à une personne déterminée, le créancier, et devient objet de propriété. Voir en ce sens Ch. Larroumet,

Les opérations juridiques à trois personnes en droit privé, préc., spéc., n°21 p. 29 : « Seule une conception objective de l’obligation, considérée comme une valeur pécuniaire dans un patrimoine, permet d’expliquer la cession de créance » ; P. Raynaud, Les contrats ayant pour objet une obligation, préc., spéc., p. 20 : « C’est parce que celle-ci [l’obligation] est un bien qu’elle peut être transmise que ce soit par le jeu de la cession de créance ou par celui de la subrogation ».

3 Voir en ce sens R. Libchaber, « L’usufruit des créances existe-t-il ? », RTD civ. 1997. 615, spéc. p. 627 : « On peut

admettre que la propriété d’une créance soit une chose bien différente de sa titularité, quoique les deux qualités se cumulent sur une même tête : le créancier est pris dans une relation juridique qui le relie à son débiteur, tandis que le propriétaire contemple sa créance comme étant un tout dont il dispose à sa guise, qui esquive la relation au débiteur pour embrasser d’un seul coup d’œil l’objet, l’anticipation qu’il en a, et les destinées qu’il lui attribue » ; F. Danos, Propriété, possession et opposabilité, préf. L. Aynès, Economica, 2007, n°219 et s.,

p. 243 et s. L’auteur conclut : « La créance est donc à la fois un lien personnel et un objet de propriété selon la relation dans laquelle

on se place. C’est un droit à une prestation, valeur appropriée, que l’on peut revendiquer à l’égard des tiers et c’est un lien personnel entre le créancier et le débiteur en vertu duquel on peut exiger de ce dernier l’exécution de la prestation ».

4 Sur l’usufruit des créances, voir notamment A. Françon, « L’usufruit des créances », RTD civ. 1957. 1 et s. ; R. Libchaber, « L’usufruit des créances existe-t-il ? », préc.

D’aucuns pourraient alors nous objecter que l’on renie la classification traditionnelle des droits réels et des droits personnels. En un mot, que l’on adopte une approche réifiée des droits personnels. Assurément, non. C’est bien l’aspect personnel du droit qui justifie le droit du créancier d’exiger de son débiteur d’exécuter son obligation. Il est de l’essence du droit de créance d’être un droit personnel ; il peut seulement être l’objet d’un droit réel par le créancier. Relevons au surplus que telle a été la position du Conseil constitutionnel à propos des droits sociaux. La haute juridiction a affirmé en effet le caractère constitutionnel du droit de propriété à propos des nationalisations du capital de plusieurs sociétés commerciales (Dec. Cons. Const. n°81-132 du 16 janv. 1982, AJDA 1982. 377, note J. Rivéro ;

Rev. dr. publ. 1982. 377, note L. Favoreu ; Gaz. Pal. 1982. 1. 67, note S. Piédelièvre et J. Dupichot ; D. 1983. 169, note

Hamon. La Cour européenne des droits de l’homme a, de même, fait application de l’article 1er du protocole n°1

annexé à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales à propos de la propriété des actions composant le capital d’entreprises nationalisées : CEDH, 9 juill. 1986, JCP éd. E 1987. II. 14894, note Jeantet ; F. Sudre, D. 1988. chron. 71).

5 M. Duranton, Cours de droit civil français, t. IV, 2nde éd., 1828, n°480 p. 423 ; C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil,

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droit de jouissance légale des parents, qui porte sur les biens de leur enfant Ŕ notamment les droits d’usufruit reçus à titre gratuit Ŕ, est qualifié de droit d’usufruit1. Elle mérite néanmoins

d’être précisée. Le bénéficiaire de l’usufruit n’est pas titulaire de l’usufruit objet de son droit. Il n’a que l’exercice effectif des prérogatives attachées à ce droit. Autrement dit, « l’usufruitier de la chose et

l’usufruitier de l’usufruit, au fond, se “partagent” l’usufruit, non pas part une répartition des attributs, mais par une ventilation des dimensions du droit : l’un a le titre, l’autre l’émolument »2.

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