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Une apparence de qualité Ŕ En second lieu, la libéralité par personne interposée implique que l’acte occulte déplace les effets de l’acte ostensible d’un patrimoine à un autre.

Dans le document Les libéralités à trois personnes (Page 94-96)

Section I : Les techniques retenues I : Les techniques exclues

A. Les éléments constitutifs de la libéralité par personne interposée

94. Une apparence de qualité Ŕ En second lieu, la libéralité par personne interposée implique que l’acte occulte déplace les effets de l’acte ostensible d’un patrimoine à un autre.

L’interposé joue le rôle d’ayant cause de « pure forme »3 du disposant. Il est le paravent derrière

lequel se dissimule l’une des parties, précisément le bénéficiaire. En ce sens, il n’y a pas libéralité par personne interposée lorsque les parties agissent en toute transparence, ce qui exclut trois cas de figure de son domaine.

Primo, la désignation ostensible du bénéficiaire final de la libéralité est exclusive de la

simulation par emploi d’un intermédiaire. Il n’y a, en effet, rien de secret si les tiers ont connaissance du destinataire final des biens du disposant.

Deusio, le secret sur l’identité du bénéficiaire final n’entraîne pas la qualification de libéralité

par personne interposée dès lors que le disposant appose ostensiblement une obligation à l’intermédiaire4. Le procédé de la charge secrète, dont le montant et les bénéficiaires ne sont

connus que du grevé, ne réalise pas en effet une simulation. Dans la mesure où l’existence de la charge est connue de tous, l’acte de disposition n’entraîne aucune représentation inexacte de la réalité. Les tiers savent que la disposition impose au gratifié l’exécution de différentes charges. Objectera-t-on que le montant inconnu de la charge peut réduire à néant le profit de l’intermédiaire ? On répondra toutefois que la charge n’exerce d’influence que sur la qualité de son concours, nullement sur la réalité de son intervention. Objectera-t-on que le secret sur l’identité du bénéficiaire de la charge entraîne nécessairement sa nullité au motif qu’il y aurait lieu de présumer

1 Ch. Demolombe, Cours de Code Napoléon, Des contrats, t. XXIX, 4ème éd., Pédone-Lauriol, 1877, n°322.

2 Pour plusieurs illustrations jurisprudentielles de cette exigence, voir Cass. civ. 1ère, 2 juin 1970, Bull. civ. I,

n°186 ; Paris, 19 mai 1982, JCP 1983. IV. 210 ; Toulouse, 27 avr. 1981, Gaz. Pal. 1982. 1. somm. 214. 3 M. Planiol, DP 1890. 2. 185.

4 Exemple de disposition : « J’institue Jacques mon légataire universel aux charges connues de lui ».

Sans doute d’aucuns pourraient assimiler à une personne interposée l’intermédiaire agissant en son propre nom mais pour le compte d’un bénéficiaire non connu des tiers. Le raisonnement postule cependant que l’apparence créée par le concours d’un intermédiaire agissant proprio nomine est nécessairement trompeuse. L’approche intellectuelle du terme apparence, comprise comme « tout ce qui n’est pas tel qu’il paraît être, qui est trompeur, ou imaginaire, par opposition à ce

qui est réel » (C. Chung-Wu, Apparence et représentation en droit positif français, préf. J. Ghestin, LGDJ, 2000, spéc. n°420, p.

195), semble à cet égard militer en ce sens. Mais, le raisonnement ne convainc plus guère si l’on adopte une conception matérielle du terme apparence : « est apparent tout ce qui apparaît, se montre clairement aux yeux, toute ce qui est

manifeste, visible, évident ou ostensible, par opposition à ce qui est caché, clandestin ou occulte. L’apparence en ce sens s’entend alors d’un état de fait ou d’une simple manifestation de la réalité objectif » (C. Chung-Wu, Apparence et représentation en droit positif français,

préc., spéc. n°417, p. 194). Sous cet aspect, si l’intermédiaire agissant en son nom mais pour le compte d’autrui apparaît aux yeux des tiers comme la seule véritable partie au contrat, ce n’est aucunement une apparence trompeuse, « elle correspond à une réalité propre d’où découlent tout à fait normalement des effets juridiques propres » (L. Leveneur, Situations de

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son incapacité1 ? On rétorquera qu’une telle présomption serait dépourvue de tout fondement

juridique. Car conserver le secret sur l’identité du bénéficiaire n’est pas en soi une cause de nullité2. Bien au contraire, la charge doit être reconnue valable sauf la preuve qu’elle recouvre une

irrégularité. On ne peut donc qu’approuver le courant jurisprudentiel favorable à la licéité des charges secrètes3.

Tertio, la désignation ostensible de l’intermédiaire à un titre qui ne le rend pas bénéficiaire de la

libéralité est exclusive de la simulation par interposition de personne. C’est ainsi que la nomination d’un exécuteur testamentaire ou l’institution d’un fiduciaire ne réalise pas une interposition de personne dans la mesure où la qualité conférée ne cache pas la réalité4.

1 V. en ce sens M. Bouyssou, Les libéralités avec charges, préc., n°143, p. 252 et s. ; Ch. Demolombe, Cours de Code Napoléon, t. XVIII, préc., n°609 ; Ch. Beudant, P. Lerebours-Pigeonnière et Voirin, préc., n°116 ; G. Ripert et J.

Boulanger, Traité de droit civil, t. III, préc., n°3681.

2 V. en ce sens J.-N. E. Audouin, Des dispositions en faveur de personnes incertaines : en droit romain et en droit français,

thèse Paris, 1890, p. 218 et s. ; Du legs avec charge et de son application aux œuvres d’intérêt public, thèse Montpellier, 1896, p. 182 et s. ; P. Siou, Des charges secrètes dans les dispositions de dernière volonté, thèse Paris, 1909, p. 47 et s. ; F. Terré et Y. Lequette, Les successions Ŕ Les libéralités, préc., spéc. n°352 p. 285.

3 Cass. req., 12 mai 1873, DP 1873. 1. 401 : « par son silence, l’abbé Nicolle a voulu, en définitive, laisser à son légataire universel, qui connaissait d’une manière générale ses intentions et ses désirs, le droit de faire ce que bon lui semblerait du reliquat de sa succession ». ; Cass. req., 7 janv. 1902, DP 1903. 1. 302 : « Attendu que loin de reconnaître, comme le prétend le pourvoi, que le défendeur éventuel n’était point le véritable bénéficiaire de la succession, l’arrêt attaqué déclare, au contraire, d’après l’ensemble de l’œuvre testamentaire qu’il n’est pas un exécuteur testamentaire sui generis, mais qu’il est un légataire universel, ayant une vocation personnelle de l’hérédité, que son legs est seulement grevé de charges qui ne relèvent que de la conscience et de l’honneur du légataire universel et dont la réalisation est laissée à sa discrétion » ; Cass. civ., 4 nov. 1913, DP 1917. 1. 142 : Après avoir institué un légataire universel

et nommer un exécuteur testamentaire, la testatrice terminait ses dispositions par ces mots « je leur laisse mes instructions », signe de divers charges secrètes. Les hauts magistrats rejettent le pourvoi au motif que « sans contester la

nullité des legs faits à personne incertaine ou inconnue, ni celle des conditions illicites ayant un caractère principale impulsif et déterminant, la cour d’appel a, par infirmation du jugement de première instance, décidé que ni les termes du testament ni les circonstances extrinsèques relevées par décision des premiers juges, quelques sérieuse qu’elles pussent paraître, n’étaient suffisantes pour faire la preuve certaine de l’interposition de personne ou de la charge illicite alléguée » ; Cass. civ., 30 nov. 1964, D. 1965. 258, RTD civ. 1965. 387, obs. R.

Savatier : « Mais attendu que G. et les demoiselles M. n’avaient pas articulé que les bénéficiaires des charges étaient incapables de

recevoir, c’est à bon droit que l’arrêt relève que les charges secrètes sont valables… s’il est démontré qu’elles ne recouvrent pas une irrégularité” ». Voir aussi les nombreuses décisions des juges du fond : Paris, 30 mars 1818, D. Jur. gén., V°

Substitution, n°93 ; Rennes, 8 déc. 1856, D. 1858. 1. 79 ; Lyon, 14 déc. 1862, S. 1862. 2. 314 ; Paris, 23 janv. 1873, D. 1873. 2. 65.

Comp. toutefois Besançon, 6 févr. 1827, D. Jur. gén., v° Disp. entre vifs, n°331-3° ; Limoges, 20 déc. 1830, D. 1831. 2. 227 ; Bordeaux, 6 mars 1841, D. 1841. 2. 196 ; Douai, 15 déc. 1848, D. 1849. 2. 254 ; S. 1849. 2. 537 ; Colmar, 22 mai 1850, D. 1852. 2. 288 ; S. 1852. 2. 435 ; Cass. req., 13 janv. 1857, D. 1857. 1. 197 ; S. 1897. 1. 180 ; Agen, 29 août 1857, S. 1858. 2. 705 ; Cass. req., 28 mars 1859, D. 1859. 1. 242 ; Limoges, 13 mai 1867, D. 1867. 2. 81 ; Cass. req., 13 nov. 1869, D. 1870. 1. 202 ; S. 1870. 1. 119 ; Paris, 3 mai 1872, D. 1872. 2. 200 ; Caen, 21 déc. 1905, D. 1907. 2. 345.

4 C. Witz, La fiducie en droit privé français, préc., spéc. n°230 et s. p. 220 et s. Bien évidemment, il y aura interposition de personne si un acte occulte décharge l’exécuteur testamentaire ou le fiduciaire de remettre les biens entre les mains du gratifié.

96 2. L’élément intentionnel

95. Volonté de feindre. Ŕ La simulation a pour objectif d’induire les tiers en erreur. Aussi

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