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Critère de distinction entre charge et condition Ŕ Henri Capitant proposa un critère de distinction fondé sur l’objet même des deux procédés : « la charge vise à donner aux biens une

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Section I : Les techniques retenues I : Les techniques exclues

84. Critère de distinction entre charge et condition Ŕ Henri Capitant proposa un critère de distinction fondé sur l’objet même des deux procédés : « la charge vise à donner aux biens une

affectation déterminée, tandis que la condition résolutoire tend à imposer au gratifié soit une abstention, soit un acte

1 La différence est importante en pratique. En premier lieu, étant soumise à une action judiciaire, la révocation

peut être rejetée par le juge soit en raison de la prescription de l’action (pour la prescription d’une action introduite par la voie oblique par les créanciers, voir Cass. civ., 18 juin 1890, S. 1893. 1. 425, note G. Bourcart), soit en raison de l’exercice de son pouvoir d’appréciation par le juge, la charge n’étant pas, pour le disposant, réputée être un élément déterminant de la libéralité ou l’inexécution ne présentant pas un degré de gravité suffisant pour justifier la révocation. S’agissant, en second lieu, des fruits de la chose, le gratifié grevé de charges est en droit de les conserver jusqu’au jour de la demande en révocation (C. civ., art. 958, al. 2) tandis que le gratifié sous condition n’y a plus droit dès la jour de la survenance de l’évènement conditionnel. Pour une illustration, voir Cass. civ. 29 avr. 1931, S. 1931. 1. 262 ; RTD civ. 1932. 631, obs. R. Savatier.

2 Sur la discussion relative à la rétroactivité de la condition, voir infra n°330.

3 Il est en effet impossible d’adresser une libéralité à une personne future, en insérant dans la donation ou dans le

testament la condition si nascetur. Jadis, cette stipulation était fréquente. Mais l’emploi de cette condition fut condamné dès l’Ordonnance de 1735, pour les institutions d’héritier, qui ne devaient valoir « en aucun cas » au profit des non-conçus. L’article 906 du Code civil l’exclut désormais pour toutes les dispositions.

4 Le terme est entre guillemets car il est difficile de parler d’incapacité d’une personne future ou incertaine. 5 Pour une illustration voir Cass. civ. 1ère, 8 févr. 2005, D. 2005. 1674, note C. Brenner.

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concernant sa personne »1. Autrement dit, pour qualifier une modalité de condition ou de charge, il

convient de rechercher si elle intéresse le statut réel des biens compris dans la libéralité, ce qui emporte alors la qualification de charge, ou si elle affecte le statut personnel du gratifié, auquel cas la qualification de condition s’impose. Sans doute l’objectivité de ce critère permet d’éviter l’arbitraire d’une recherche de volonté souvent divinatoire. Mais sa mise en oeuvre se révèle infructueuse devant certaines clauses. Il en est ainsi de la clause dite de résidence, laquelle prescrit au gratifié d’habiter personnellement dans l’immeuble reçu à titre gratuit. Comment appliquer ce critère dès lors que la clause concerne à la fois l’affectation du bien transmis et la personne du gratifié2 ? Pareillement, il est des modalités qui n’intéressent ni le statut réel des biens ni le statut

personnel du gratifié3. Au-delà, c’est la prémisse de ce critère qui paraît critiquable. Rien ne

justifie, en effet, que la charge ait toujours un caractère économique et objectif et que la condition n’en est pas4.

Aussi, en réaction contre ce critère excluant toute composante subjective, a été proposé le critère dit de l’engagement, formulé par René Savatier. Evoquant les effets produits par chacun des deux mécanismes Ŕ la charge oblige le gratifié là où la condition lui laisse sa liberté Ŕ l’éminent auteur considère que le critère de distinction doit résider dans « l’intention des parties »5.

En d’autres termes, une même modalité peut être érigée soit en charge soit en condition, et c’est la volonté des parties qui lui confère l’une ou l’autre qualification6. Naturellement, toute

1 H. Capitant, De la cause des obligations, préc., n°201. Josserand adopta également ce critère en l’exprimant de

façon quelque peu différente : « Le critère le plus sûr est celui qui est tiré du caractère économique et objectif de la charge, laquelle

tend à imprimer aux biens compris dans la libéralité une certaine affectation, un statut juridique déterminé, tandis que la condition résolutoire potestative intéresse le statut personnel du gratifié » (Les mobiles dans les actes juridiques, n°135 ; Cours de droit civil

français, t. III, préc., n°1354).

2 Conscient de cette difficulté, Josserand proposa d’affiner le critère : puisqu’il est admis que la charge confère

une action à son bénéficiaire, il suffit d’examiner si la clause considérée fait naître cette action en exécution, et dans l’affirmative, on pourra conclure à l’existence d’une charge (Cours de droit civil positif français, préc., n°1534). Mais c’est oublier qu’il y a des charges imposant des obligations au gratifié, sans que le bénéficiaire éventuel de celle-ci ait un droit d’agir en exécution. Plus encore, c’est utiliser l’une des conséquences de la qualification de charge et de condition à titre de critère de distinction, ce qui aboutit à répondre à la question par la question.

3 Songeons, par exemple, à l’obligation qui incombe à une personne morale d’assurer personnellement le

fonctionnement d’une oeuvre. La clause ne tend pas à imprimer aux biens transmis un statut juridique déterminé. Pas plus n’intéresse-t-elle le statut personnel de la personne morale puisque la clause vise seulement son activité.

4 Voir en ce sens H. Souleau, L’acte de fondation en droit français, préc., n°42, p. 83 : « rien ne justifie, par exemple, qu’une clause d’inaliénabilité ou d’affectation des biens donnés ou légués ne puisse en aucun cas être érigée en condition résolutoire potestative si telle a été la volonté du disposant ». Voir également M. Bouyssou, Les libéralités avec charges en droit français, préc., n°50, p. 78

et s. Adde M. Grimaldi, Libéralités Ŕ Partages d’ascendants, préc., n°1195, p. 133-134.

Et si la charge restreint le plus souvent la liberté d’action dont le grevé dispose sur le bien et, par voie de conséquence, réalise une diminution de la valeur de ses droits, il en est également de même de la condition. En effet, les tiers redoutent d’acquérir des droits susceptibles d’être résolus, de sorte que des droits sous condition résolutoire sont difficilement négociables.

5 R. Savatier, RTD civ. 1931, p 631-633. Voir déjà M. L. Larombière, Théorie et pratique des obligations, t. II, Paris,

1885, p. 185 et s., spéc. n°5, p. 290-291 : « Dans l’interprétation d’une clause qui présente un mode aussi bien qu’une condition, il

faudra donc examiner si, dans l’intention des parties, la chose ou le fait stipulé l’a été comme obligatoire et exigible, plutôt que comme facultatif et discrétionnaire. Ici, c’est une condition proprement dite, là c’est un mode ».

6 R. Cassin, Des libéralités avec charges et des fondations en droit français, préc., p. 106 : « Je n’hésite pas à me rattacher à ce critère de l’obligation ou de l’engagement, car c’est lui qui, sur les questions pratiques soulevées par la distinction entre condition et charge,

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recherche de volonté présente un certain aléa ; d’où le reproche d’arbitraire qu’encourt ce critère1.

Au-delà, on pourra sans doute objecter qu’il s’agit d’une distinction qui porte bien plus sur les effets que sur la nature même de la modalité. Mais l’objection pourrait bien être prise à revers. N’est-ce pas au fond la difficulté qu’entraîne tout critère subjectif ? Assurément, oui. Car s’interroger sur la volonté des parties, c’est rechercher quel a été leur dessein ; c’est donc, nécessairement, s’interroger sur les effets juridiques poursuivis.

Toutefois, ce critère doit être serré d’un peu plus près. S’il y a lieu de rechercher la volonté des parties, et plus précisément celle du disposant, c’est afin de savoir si ce dernier a voulu « faire

naître une obligation »2 s’imposant à son ayant cause. Ainsi, la charge diffère de la condition en ce

qu’elle est une obligation pour l’ayant cause. S’il y manque, il s’expose, outre l’action en résolution de son rapport de droit avec le disposant, à une action en exécution de la charge, laquelle peut prendre la forme d’une action forcée directe, indirecte, ou par équivalent. Telle est, croyons-nous, ce qui sépare la condition de la charge : rechercher si, dans l’intention du disposant, il existe, ou non, une action en exécution contre son ayant cause : existe-t-il une action pour le contraindre à agir ? il y a charge ; n’existe-t-il aucune action ? il y a condition3. Mais, reconnaissons-le, il s’agit

bien plus d’une nuance que d’une distinction absolue. S’agissant d’une recherche de volonté, il n’est pas toujours aisé de savoir si le disposant a voulu que son ayant cause prît l’engagement d’exécuter une charge. Sous cet aspect, le critère objectif, précédemment rejeté, pourrait ici servir d’indice : « le souci qu’a chacun de préserver sa liberté individuelle fait que la volonté de s’obliger se conçoit plus

aisément chez celui qui stipule relativement à sa personne »4. Bien plus, on perçoit, au fond, une certaine

proximité entre les deux critères. Car là où il y a action en exécution, il est question d’obligation patrimoniale et là où il n’y a pas d’action en exécution, il est le plus souvent question d’obligation extra-patrimoniale.

apporte seul, une explication satisfaisante ». Voir également M. Bouyssou, Les libéralités avec charges en droit français, préc.,

n°51, p. 80 et s.

1 Certains auteurs recourent à des présomptions. S’agit-il d’une prestation pécuniaire que toute personne peut

accomplir, on présume que c’est une simple charge. En sens inverse, le fait ou la prestation revêt le caractère d’une condition véritable, s’il est tel qu’il ne puisse être accompli que par le gratifié lui-même (C. Aubry et C. Rau, t. VI, préc., § 701, notes 6 et 8, p. 75). Voir ainsi le jugement du tribunal de Joigny du 18 avril 1923 (RTD civ. 1923. 1005, obs. R. Savatier) : « S’il s’agit d’un fait ou d’une prestation appréciable à prix d’argent, et susceptible d’être accomplie par des tiers, on

doit présumer que c’est une simple charge que le disposant a entendu imposer au légataire ; si le fait n’est pas appréciable en argent, ou ne pourrait être accompli par le légataire lui-même, on doit présumer que c’est une condition à laquelle le disposant a entendu subordonner sa libéralité ».

2 R. Savatier, obs. préc., spéc. p. 632. Voir également M. L. Larombière, Théorie et pratique des obligations, t. II, préc.,

spéc. n°10, p. 293 ; M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. V, par A. Trasbot et Y. Loussouarn, préc., n°272 ; H. L et J. Mazeaud et F. Chabas, Successions Ŕ Libéralités, par L. et S. Leveneur, préc., n°1405, p. 600.

3 Voir en ce sens Cass. civ., 29 avr. 1931, DH 1931. 345, S. 1931. 1. 262 ; RTD civ. 1931. 631, obs. R. Savatier,

qui qualifie la clause de viduité de condition car elle ne saurait être l’objet d’une mesure d’exécution.

88 B. Le terme

85. Définition du terme. Ŕ Le terme est un évènement futur de réalisation certaine auquel

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