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Le bâtiment

Sur un terrain presque plat, à peine marqué par une légère pente d’ouest en est, douze fosses de dimensions variables ont été creusées plus ou moins en profondeur dans le substrat de lœss. En plan, la majorité d’entre elles sont organisées de manière régulière, marquant l’emplacement des poteaux d’un bâtiment rectangulaire d’une surface de 48 m2, orienté nord-ouest/sud-est (fig. 47). Leur coupe révèle un fond plat et des parois évasées à verticales où se détache parfois une empreinte de sédiment plus foncé à limites parallèles. Cette marque sombre matéria-lise la position d’un poteau dont le bois n’a pas survécu dans ce contexte de limons perméables, aérés et drainés en permanence (fig. 48). Parfois, la base de la fosse montre un surcreusement circulaire dans lequel la pièce de bois a été installée (fig. 50). Dans les cinq exemples où ces marques subsistent, les diamètres des poteaux sont évalués à 28, 36 et 40 cm, représentant une moyenne de 32 cm. L’étendue au sol ainsi que la profondeur des fosses d’implantation des poteaux varient en fonction de leur

situation ; ce phénomène résulte d’une remontée brusque du socle calcaire au sud-ouest et au sud de l’édifice. Les construc-teurs avaient probablement l’intention d’aménager dans l’en-semble des fosses profondes, donc de grand diamètre, pour y caler des poteaux de taille respectable. On remarque ainsi que les creusements des trous de poteau au nord et à l’est respec-tent cette volonté initiale ; vers le sud-ouest et le sud, les outils des ouvriers ont aussitôt buté sur le rocher car la sédimentation de lœss se réduit fortement ; comme la possibilité de creuser en profondeur est limitée, le diamètre des fosses tend à diminuer par rapport à celles implantées au nord et à l’est.

Un essai de restitution laisse entrevoir un édifice rectangulaire à une nef d’une surface de 48 m2 (fig. 49), un espace sans doute compartimenté en deux pièces d’inégale grandeur (32 et 16 m2) par une paroi interne, comprenant une ouverture délimitée par un poteau de petite dimension. Les murs gouttereaux sont formés de poteaux plutôt régulièrement espacés et disposés face-à-face, dessinant trois travées de 3, 3,4 et 3,2 m. Les deux poteaux supplé-mentaires implantés à l’extérieur de la façade orientale marquent peut-être l’emplacement d’un appentis couvert ; l’entrée pouvant se trouver sur le mur pignon du bâtiment, où un poteau supplé-mentaire a été disposé (fig. 49.A). Une autre possibilité est aussi envisageable : les deux poteaux au-devant de la façade est, dans la prolongation de la travée centrale, ont pu soutenir un porche (fig. 49.B) ; l’entrée étant aménagée à cet emplacement.

La reconstitution de la charpente est toujours hypothétique sur la base des seules empreintes de poteaux observées dans le sol, mais on peut proposer une toiture à deux pans, dont les chevrons reposent sur des pannes sablières ajustées aux poteaux des murs gouttereaux. La poutre faîtière a pu être soutenue par des éléments verticaux disposés sur les entraits reliant les poteaux de chaque paroi principale. L’absence de poteaux dans l’axe central, un peu en retrait des parois latérales, tend à écarter la possibilité d’une toiture en croupe.

Le site n’a livré, dans son ensemble, qu’un rare mobilier (chap. 1.2 et 3.2.3) et les matières végétales non carbonisées n’y ont pas subsisté (chap. 6.2.2) ; les informations directes sur la présence éventuelle d’objets et de matériaux utilisés dans Fig. 46. Alle, Pré au Prince 1. Coupe

A-B avec insertion de la fosse

d’implan-tation du poteau 2.

1 : humus ;

2 : limons de colluvions ; 3 : limons de colluvions brunifiés à

charbons de bois ;

4 : lœss du Pléistocène supérieur ; socle

calcaire.

Fig. 47. Alle, Pré au Prince 1. Plan des trous de poteau constituant le bâtiment. Situation de la coupe A-B et résultats des datations 14C.

7 8 10 11 9 6 1 2 4 3 5 A B 12 UA-34458 1σ 410-230 av. J.-C. UA-34459 1σ 390-210 av. J.-C. ARC-598 1σ 370-170 av. J.-C. 0 5m N 3 4 2 1 B Fosse 2 Reconstitué M4 M1 467,00 468,00 M2 M3 A

la construction du bâtiment sont absentes. Une unique et éven-tuelle pointe en fer est répertoriée, mais les éléments de fixation en métal ne sont que peu attestés dans l’architecture en bois des fermes à l’âge du Fer 173 ; les témoignages disponibles (outillage, rares bois préservés) indiquent néanmoins que les artisans de cette période maîtrisaient bien les assemblages par tenon et mortaise, à mi-bois ou à feuillure, sans omettre les chevilles ou les cordes 174. Des matériaux assurant l’étanchéité et la couver-ture de l’édifice, il subsiste des morceaux de terre cuite, dont un seul porte des empreintes de baguettes ; on retiendra donc dans ce cas les solutions communément admises en Protohistoire pour les bâtisses en bois des installations rurales en Europe continentale, c’est-à-dire des parois de clayonnage recouvertes d’argile et un toit en matière végétale (chaume, tavillons ?). Fonction du bâtiment, comparaisons

A Pré au Prince 1, les témoins archéologiques directs permet-tant de déterminer la fonction du bâtiment restent ténus. Les conditions de sa découverte n’ont pas été idéales (chap. 1.2), toutefois les fouilleurs n’ont pas remarqué dans son aire interne la présence d’un foyer, d’une concentration significative de mobilier ou autre aménagement. Les alentours de l’édifice n’ont pas fait l’objet de véritables décapages archéologiques ; néan-moins les quelques sondages réalisés, ainsi que la surveillance des excavations effectuées par une pelle mécanique du génie civil (un quadrilatère d’un hectare environ autour de l’édifice), n’ont pas révélé d’autres structures en creux comme des fosses, des trous de poteau ou des fossés, ni de concentration notable de mobilier. La surface utile du bâtiment (48 m2, sans l’appentis ou le porche) n’exclut pas une utilisation en tant qu’habitation, mais tant le remplissage des trous de poteau de l’édifice que sa périphérie se caractérisent par la rareté de déchets de consom-mation ou d’autres artefacts de la vie quotidienne, arguments qui écartent la possibilité d’y voir une résidence 175.

Ce local a-t-il pu servir au stockage de récoltes sur un plan-cher surélevé, dans un bâtiment de type grenier ? Pour ce type de construction au Second âge du Fer, les exemples les plus fréquents se rapportent à des édifices de petite surface à une nef, entre 4 et 20 m2, constitués de 4, 6 ou 9 poteaux de grandes dimensions et assez rapprochés 176, assurant une stabilité suffi-sante pour supporter un plancher aérien. Les caractéristiques de la construction rectangulaire à une nef de Pré au Prince 1, soit une surface de 48 m2, sans doute compartimentée et pourvue d’un appentis ou d’un porche, ne cadrent pas avec celles rete-nues pour un bâtiment à plancher surélevé. De surcroît, dans la région de la confluence Seine-Yonne (Seine-et-Marne, F) une approche structurelle de bâtiments appartenant à des établisse-ments ruraux de la fin du Premier âge du Fer a été réalisée dans le but en particulier de mettre en évidence des greniers 177. Par une combinaison de critères comme le diamètre des poteaux, leur nombre et la surface de l’édifice, il apparaît que les données relatives à celui de Pré au Prince 1 ne correspondent pas à la catégorie des bâtiments considérés comme grenier à plancher surélevé. Dans le même ordre d’idées, d’autres auteurs 178 esti-ment qu’un espaceesti-ment trop important (supérieur à 3 m) entre les éléments porteurs d’un édifice – c’est le cas ici – rend peu probable l’aménagement d’un plancher surélevé destiné à rece-voir une grande charge de stockage.

Dans la moyenne vallée de l’Oise, un recensement de 51 édifices sur poteaux datant de La Tène, principalement dès le IIIe siècle, 173 Malrain et al. 2002, p. 166.

174 Curdy et Jud 1999, p. 140. 175 Malrain et al. 2002, p. 168.

176 Brenon et al. 2003, p. 252 sq.; Gransar 2000, p. 285 sq. 177 Issenmann 2005. 178 Pion 1996, p. 90. 467,60 467,60 467,80 467,80 467,60 467,60 467,80 467,80 0 10m 6 7 3 2 10 1 11 12 0 1m 8 4 5 9 7 8 11 9 6 1 2 4 3 5 10 12 N

Fig. 48. Alle, Pré au Prince 1. Coupes des trous de poteau du bâtiment.

permet aux auteurs de proposer une typologie de plans d’édifices, ainsi que d’établir leur fréquence d’apparition sur les établisse-ments ruraux 179. En considérant l’ensemble des informations archéologiques disponibles, les auteurs envisagent aussi d’attri-buer une fonction à ces types de bâtiments, voire de dresser une hiérarchisation des domaines ruraux en fonction des aménage-ments découverts. La configuration du bâtiment de Pré au Prince 1, dans sa version avec porche (fig. 49.B), trouve un unique paral-lèle à Longueil-Sainte-Marie, Le Vivier des Grès (Oise, F), daté de La Tène C1 et C2, où une construction d’environ 35 m2, rela-tive à l’occupation initiale des lieux, est interprétée comme une habitation d’un établissement de rang plutôt élevé 180. Un autre type d’édifice rectangulaire, plus fréquemment représenté sur les domaines ruraux de cette région, offre aussi des ressemblances avec le corps principal de celui de Pré au Prince 1. D’une surface d’environ 33 m2, il se compose de deux rangées parallèles et régu-lières de trois poteaux et, de même qu’à Alle, deux poteaux sup-plémentaires ont été disposés de manière parallèle aux façades principales, l’un dans une paroi latérale, l’autre dans l’espace interne 181. Dans ce second exemple, cette catégorie d’édifice est plutôt considérée comme local de stockage.

En Lorraine, un effectif important de bâtiments recensés sur des habitats ruraux couvrant tout l’âge du Fer a permis d’établir une typologie de leurs caractéristiques principales à partir des plans au sol dessinés par leurs substructures. L’édifice de Pré au Prince 1 entre dans la catégorie des édifices à plus de six poteaux, en particulier ceux de type 1. Il s’agit de constructions rectan-gulaires à une nef, formées de poteaux régulièrement espacés sur les grands côtés, ce qui laisse supposer une charpente à entraits. La plupart de ces édifices ont une surface interne entre 20 et 60 m2, le plus souvent vide de vestiges, et s’orientent sur

un axe nord-ouest/sud-est. Notre bâtiment s’intègre bien à ces données générales, si ce n’est l’existence d’une partition de son espace interne et d’un appentis ou d’un porche le long d’une des façades. Les auteurs soulignent la difficulté de déterminer une fonction pour cette catégorie d’édifices 182. De manière générale, il a été observé que les modules de grande taille, d’une surface moyenne de 60 m2, souvent uniques sur un site et associés à des aménagements annexes, ont pu servir d’habitation.

En raison de sa surface plus restreinte (48 m2) et de l’absence probable des structures environnantes, le bâtiment de Pré au Prince 1 s’apparenterait plutôt à un local d’exploitation, comme une grange ou une étable. Cette attribution pourrait se trouver renforcée s’il était accompagné d’un édifice de grande taille, ce qui n’est pas démontrable à Alle pour la période d’occupation concernée, entre 400 et 200 av. J.-C. (chap. 3.6). En Lorraine, ces édifices à une nef comptant plus de six poteaux sont attestés dès le Bronze final ainsi qu’au Premier âge du Fer et, de manière plus rare, à La Tène ; toutefois à cette dernière période, les diamètres des poteaux y apparaissent notablement plus grands qu’aupa-ravant. A Alle, cette tendance se manifeste aussi en considérant les dimensions des poteaux de bâtiments de Noir Bois, au début de La Tène (LT A - B1) 183 ; elles sont en effet de taille restreinte par rapport à celles des poteaux des constructions du Second âge du Fer qui sont édifiées plus tard dans la même zone, à Pré au Prince 1 et 2 ainsi qu’aux Aiges.

179 Pinard et al. 1999. 180 Ibid., fig. 2, type H. 181 Ibid., fig. 2, type B. 182 Ibid.

183 Masserey et al. 2008.

Fig. 49. Alle, Pré au Prince 1. Deux possibilités de reconstitution de l’ossa-ture du bâtiment sur poteaux. A : avec appentis ; B : avec porche.

Fig. 50. Alle, Pré au Prince 1. Vue en cours de fouille des fosses d’implantation des poteaux 8 et 11. Au centre de chaque fosse, surcreusement pour caler le poteau.

En définitive, et faute d’argument décisif, on peut supposer que le bâtiment de Pré au Prince 1 a servi d’annexe agricole : sa situa-tion par rapport aux autres aménagements peut-être contempo-rains, dont l’utilisation est connue (greniers à Pré au Prince 2), renforce l’idée d’y voir plutôt un local d’exploitation (chap. 3.6).

A

B

0 5m 0 5m N N 8 11