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Chapitre 1. Lortie comme pièce-parabole : considérations esthétiques et dramaturgiques 15

1.1. Le détour-parabole selon Jean-Pierre Sarrazac 15

1.2.2. La structure tragique de Lortie 28

Dans le premier chapitre de son ouvrage La Tragédie, Christian Biet dresse ce portrait synthétique de la tragédie grecque :

La structure des tragédies recoupe l’alternance des espaces. Les interventions du chœur (les stasima, moments lyriques) alternent avec les épisodes (moments de l’action dramatique) joués par les acteurs :

- la tragédie commence par un prologue précédant l’entrée du chœur qui présente la fable; - suit l’entrée solennelle du chœur ou parodos, souvent écrite en rythme de marche;

- puis vient le premier épisode durant lequel les personnages parlent tandis que le chœur écoute; - alternent alors les stasima (le stasimon est le moment où le chœur chante) et les autres épisodes; - enfin, vient la conclusion ou exodos, la sortie du chœur.

Parfois, les acteurs et les choreutes entrent ensemble dans un chant dialogué qu’on appelle commos, sorte de complainte qui traduit l’accord entre les deux parties du jeu (2010 : 15).

Lortie s’ouvre sur un prologue – désigné dans le manuscrit sous le terme « prélude » (Lefebvre,

2008 : 5) – qui consiste en la récapitulation, sous forme d’interrogatoire, du déroulement de la tuerie. Assis en sous-vêtements à une table, Lortie répond aux questions qui lui sont posées par une voix hors champ que le spectateur de la mise en scène du NTE reconnaîtra plus tard être celle du comédien interprétant le sergent d’armes. L’entrevue focalise sur les circonstances entourant l’entrée du caporal dans le parlement (les rafales tirées dans les murailles des remparts de Québec, les tirs sur l’employée de la réception) et constitue une tentative par l’interrogateur de lui soutirer le pourquoi de son geste. Les multiples téléviseurs qui composent le mur du fond de la scène affichent des mots évoquant l’ambiance sonore de la tuerie47. Cette première scène (ou « tableau ») sert ici précisément à « présenter la fable » et plus précisément le noyau parabolique à partir duquel va s’articuler la comparatio. Ainsi, l’interrogatoire aboutit sur cette phrase clé de Lortie sur laquelle repose la thèse de Legendre : « Voix de l’ombre : Tu l’as dit ça, t’à l’heure, c’est parce que c’était le gouvernement du Québec. Mais qu’est-ce qu’il t’a fait, le gouvernement du Québec, pour que tu le haïsses tant que ça ?/ Lortie :…C’est parce que le gouvernement du

47 Cet aspect sera longuement examiné lors de la présentation du dispositif spectaculaire de Lortie, au point 2.1.3 du deuxième chapitre et au point 3.1.3 du troisième chapitre.

Québec avait le visage de mon père » (Lefebvre, 2008 : 10). Le prélude, en anticipant l’attentat, a ceci de particulier qu’il place le reste du drame sous le signe de la rétrospection. Comme je l’ai évoqué en introduction, Hélène Kuntz remarque dans le Lexique du drame moderne et

contemporain que ce procédé est « contraire à la marche du drame » puisqu’il consiste en un

déplacement de ce qui constitue son horizon : soit la « catastrophe », la « collision » (2005 : 179). Reprenant cette « opposition, centrale dans la correspondance de Goethe et Schiller, entre le "poète épique" qui "expose l’évènement comme tout à fait passé" et le "poète dramatique" qui "le représente comme tout à fait présent" »48, Kuntz note que le récit (l’épique) participe d’une rétrospection puisqu’il rompt avec le présent qui caractérise l’action « interpersonnelle » dramatique49. Si l’on suit Schiller, l’Œdipe roi de Sophocle constitue lui-même un exemple de pièce axée sur la rétrospection. Dans un extrait d’une lettre qu’il adresse à ce même Goethe et que cite Szondi dans Théorie du drame moderne, il la qualifie d’ « analyse tragique », « dans la mesure où cette action [la catastrophe, soit le meurtre du père et l’inceste] s’est déjà produite et donc se situe entièrement au-delà de la tragédie »50.

À l’aune du prélude, les trois actes qui composent Lortie se présentent plus précisément comme une « reconstitution »51 des circonstances entourant la tuerie de l’Assemblée nationale et sa genèse. À propos de cette forme de rétrospection qu’il conçoit comme un « véritable paradigme d’une dramaturgie inspirée d’un fait divers » (2008 : 225), Sarrazac note qu’elle a pour origine la « déconstruction de la forme canonique du drame » :

[L] es dispositifs d’énonciation de la dramaturgie moderne et contemporaine, fondées sur une déconstruction de la forme canonique du drame, sont des plus complexes. Le questionnement – toujours cette tendance philosophique, que l’on rencontre aussi bien chez Pirandello que chez Brecht, chez Strindberg que chez Beckett – empiète sur le fictionnement et contribue à redistribuer le matériau en fonction des interrogations du fabulateur. On pourrait dire dans un sens quasi judiciaire, que la fable est

mise en procès. Les évènements interviennent moins selon leur consécution qu’à la faveur d’une sorte de reconstitution elle-même au service d’une instruction (Sarrazac, 2012 :30).

48 Voir « Sur la poésie épique et la poésie dramatique » (Goethe ; Schiller, 1994). Tel que cité par Hélène Kuntz (2005 : 179)

49 Pour une étude de la rétrospection comme procédé de « dédramatisation » voir également Poétique du drame

moderne de Jean-Pierre Sarrazac (2012 : 42-44).

50 (Goethe ; Schiller, 1994), tel que cité par Peter Szondi (2006 [1956] : 21). Dans un autre sens du mot analyse, Sigmund Freud apparente pour sa part le déroulement d’Œdipe Roi à celui d’une psychanalyse : « Or l’action de la pièce ne réside en rien d’autre qu’en ce dévoilement, progressant pas à pas et savamment différé – comparable au travail d’une psychanalyse -, au terme duquel Œdipe est lui-même le meurtrier de Laïos mais également le fils de la victime du meurtre et de Jocaste. Bouleversé par les horreurs qu’il a commises sans savoir, Œdipe s’aveugle et quitte le pays natal. La sentence de l’oracle est accomplie. » (Freud, 2012 [1900] : 302). Il serait sans doute abusif de comparer le déroulement de Lortie à une psychanalyse. Cependant, la référence à Œdipe dans Lortie est double. La pièce renvoie à la tragédie grecque comme au complexe d’Œdipe freudien.

51 Plusieurs critiques ont souligné le fait que Lortie consistait en une « reconstitution ». Je pense notamment à l’article « Lortie : hommes entre eux (et un chœur en trop) » de Sylvie Saint-Jacques (2008).

Reconstitution à des fins d’« analyse tragique », Lortie de Pierre Lefebvre tire sa particularité générique de son caractère à la fois parabolique et documentaire. Certes, cette double appartenance ne lui est pas spécifique. Sarrazac écrivait justement dans L’Avenir du drame que « [l]e détour-parabole procède d’une dualité qu’on ne saurait réduire : "mentir vrai" ; faire glisser l’un sur l’autre le document et la fiction » (1999 [1981] : 156). Il emploie l’expression « parabole documentée » pour parler des pièces-paraboles de Brecht (2002 : 115). Ces dernières sont envisagées par lui comme procédant d’un « jeu extrêmement serré entre l’imagination enfantine de la parabole – parole imagée, parole antérieure au raisonnement logique – et les références fouillées et précises, documentées à la réalité socio-économique » (1999 [1981] : 159). Ainsi, la pièce de Pierre Lefebvre se fonde sur une recherche documentaire (en amont de la création) et procède également à la reconstitution (plus ou moins fictionnalisée) de documents52. C’est dans cette matière documentaire que sont puisés la plupart des « épisodes » (ou selon le manuscrit, des tableaux) qui, comme dans la structure tragique grecque, alternent avec les chants du chœur. La majeure partie des références mythologiques, bibliques et philosophiques convoquées pour construire la lecture parabolique est par ailleurs introduite dans les stasima, ce qui permet concrètement de « faire glisser l’un sur l’autre le document et la fiction ». En effet, les chants constituent le principal mode par lequel est introduit ce questionnement (sous le mode de la

diégesis) qui « chevauche » le fictionnement (sous le registre de la mimèsis) des

tableaux/épisodes (Sarrazac, 2002 : 204). La trame documentaire, puisqu’elle maintient la référence à l’évènement sur l’ensemble de la pièce, se constitue comme substrat de la lecture parabolique dont elle constitue le « corps ». Je chercherai maintenant à décrire plus précisément le déroulement des trois actes53 de Lortie tout en montrant comment la lecture parabolique s’y déploie. Pour ce faire, il s’agira de tracer un portait minutieux du déroulement de la trame

52 Concernant la notion de document, je retiendrai ici la définition qu’en propose Jean-Marie Piemme : « Nous appelons ici "documents" les éléments qui dans un texte théâtral (textuel ou scénique) peuvent être qualifiés de référentiels. Par exemple : individus réels jouant leur propre rôle sur scène, référence à des personnages existant ou ayant réellement existé, évocation d’évènements réellement survenus, citations textuelles, sonores ou iconiques de sources extérieures à l’écriture théâtrale, etc., en un mot, tous les éléments de nature diverse qui figurent dans un texte, sur une scène, dans un lieu théâtral et qui ont par ailleurs une existence à l’extérieur du théâtre et indépendamment de lui » (2011 : 9).

53 Dans l’entretien de la revue Hors champ, André Habib et Philippe Despoix parlent de deux actes. Il faut ici préciser que les actes s’enchaînent sans véritable rupture (comme un noir ou un entracte) qui permettrait au spectateur de les départager. Je me fierai cependant ici au découpage en trois actes que propose Pierre Lefebvre dans son manuscrit.

dramatique (l’action) en insistant sur ses rapports avec les chants du chœur et comment ceux-ci s’y insèrent pour questionner le drame.

Le premier acte54 revient sur la genèse de la tuerie de l’Assemblée nationale et cherche à en présenter les conditions de possibilité dans l’optique d’une lecture parricide de l’évènement. Les tableaux qui le composent ont pour fil dramatique les préparatifs matériels entourant le massacre et l’entrée progressive de Lortie dans le délire. L’action n’est pas le produit d’un « conflit interpersonnel au présent » (comme ce sera essentiellement le cas pour les second et troisième actes), mais repose sur un autre conflit, de type « intrasubjectif »55. Dans le Lexique du

drame moderne et contemporain, Laurent Gaudé, Hélène Kuntz et David Lescot montrent

comment la conception de la notion de conflit, qui chez Hegel reposait sur l’action interpersonnelle, s’est considérablement élargie dans les formes modernes et contemporaines du drame. Ainsi :

[I]l ne désigne plus seulement l’instant précis de la collision, mais plus généralement toute situation qui met en scène deux entités antagonistes – deux individus, mais aussi deux pays en guerre ou deux désirs au sein d’une même conscience – que le choc soit réel ou sous-terrain (Gaudé ; Kuntz ; Lescot, 2005 : 50).

Le conflit intrasubjectif du personnage de Lortie repose sur son rapport ambivalent à « l’office du père », soit à la fois sur son rejet de l’héritage du père tyrannique et son identification inconsciente à celui-ci (Legendre, 2000 [1989] : 174). Tout au long du premier acte, le caporal est seul en scène avec le chœur et le conflit se déploie en une série de pantomimes et de monologues. La trame dramatique qu’elle forme est prise comme référence par les chants du chœur. Par le détour de tout un réseau de comparaisons, ces derniers visent à aborder dans un langage « simple et familier » le problème juridique et anthropologique complexe que constitue le « basculement » de Lortie dans le délire. Dans le premier stasimon (premier tableau) qui suit le prélude et la présentation du noyau parabolique, les trois choreutes abordent l’interdit de l’inceste et la nécessité de l’exogamie (dans une perspective lévi-straussienne) à partir d’images tirées de la culture populaire québécoise – l’échange exogamique est comparé à un « vol » perpétré par un « loup » ou un « bonhomme sept heures » qui enlève la fille à sa famille (2008 : 11-12). En sous- vêtements lors du prélude, Lortie procède dans le second tableau au repassage de son uniforme militaire qu’il suspend progressivement sur une patère. Dans les tableaux trois et quatre, il

54 Le lecteur trouvera une description schématique de chaque tableau décrit au cours de ce chapitre dans le tableau figurant en annexe.

55 Sarrazac a précisément étudié ce passage d’un conflit à dominante intersubjective vers un drame de l’intrasubjectif dans son ouvrage Théâtre intimes (1989 : 15-30).

s’adresse à ce costume comme à son père tout en soulevant de petites altères. Au cinquième tableau, Lortie revêt finalement l’uniforme militaire et effectue compulsivement le garde-à-vous. Le chœur ouvre alors le sixième tableau par un deuxième stasimon. Ce chant précise justement, notamment par la métaphore du « petit gars » déguisé en pirate pour l’halloween (2008 : 23), le motif de la « surimposition des place » (Legendre, 2000 [1989] : 48) que suggéraient les scènes du repassage et de l’adresse à l’uniforme56. Une fois leur déclamation terminée, les choreutes remettent alors au caporal la corde nouée et la Bible qu’ils gardaient depuis le début de la pièce, enclenchant ainsi une pantomime où Lortie cherche sans succès à défaire les nœuds, de même qu’à réciter le passage biblique du sacrifice d’Abraham. Le septième tableau représente une pantomime similaire. Après avoir violemment renversé la table suite à son double échec, Lortie s’approche du mur de téléviseurs qui diffuse alors la silhouette d’un pommier et comme le note le manuscrit, il « […] tente, là encore sans succès, de remettre aux branches de l’arbre les fruits [les pommes] qui sont au sol. » (Lefebvre, 2008 : 29) Le chant du huitième tableau (troisième stasimon) vient préciser la comparaison entre l’image du pommier et le rapport généalogique, tout en abordant le motif du parricide et son ratage. Le caporal délimite ensuite l’espace du Salon bleu avec du ruban adhésif et prépare ainsi l’avènement du massacre. Par le fait même, il figure, matérialise la cible de son attentat57. D’un point de vue scénique, il complète le dispositif spectaculaire présent depuis le début du spectacle : les deux rangées de spectateurs qui se font face évoquaient d’emblée la configuration du Salon bleu. Le caporal marque également l’emplacement de ce qui deviendra le trône du président de l’Assemblée et les choreutes y installent le fauteuil. Les écrans projettent des lignes blanches qui font écho à celles que trace Lortie. Un fois sa tâche terminée, ce dernier s’assoit au bureau initial qui a également été replacé. Débute alors le quatrième stasimon58, apparentant la psyché du caporal au motif du labyrinthe qui

a la particularité est d’être structuré, mais incompréhensible et inextricable. Lortie entame ensuite un monologue où il cherche, mais avec beaucoup de difficulté (son discours est lacunaire, parfois incompréhensible), à raconter la domination du père exercée (à travers la violence, l’inceste) et

56 Pour Legendre, la « surimposition des places » survient quand le père ne cède pas à son fils sa place d’enfant. Le fils se trouve ainsi en position de devoir assumer à la fois son rôle de fils et « l’office du père ». La réflexion de Legendre et les comparaisons qui en découlent seront longuement étudiées au point 2.2.2.3 du second chapitre. 57 Cette pantomime peut être rapprochée de la visite de reconnaissance effectuée par Denis Lortie la veille de la tuerie : « Le matin [lundi 7 août], Lortie est allé visiter l’Assemblée nationale avec un groupe ; il est rentré l’après- midi à son motel, muni d’un magnétophone et de trois cassettes pour y enregistrer ses derniers messages » (2000 [1989] : 109).

58 En 2009, la revue Liberté a publié un extrait de la pièce débutant avec ce chant et comprenant les neuvième et dixième tableaux, soit la dernière partie du premier acte (Lefebvre, 2009 : 66-77).

qui se termine sur l’échec de la parole. Le neuvième tableau représente l’enregistrement des cassettes testamentaire que le caporal glisse dans une enveloppe postale avant de quitter la scène. Au dixième tableau, le chœur dégage l’aire de jeu (table avec chaise) et entame le récit du massacre. Il s’agit d’une reconstitution sous forme d’hypotypose59 de la première partie de la

tuerie (les tirs dans la muraille de la citadelle, l’entrée dans le parlement et les tirs sur les victimes, puis la course jusqu’au Salon bleu) qui avait été brièvement évoquée dans le prélude. Les téléviseurs appuient le récit du chœur en diffusant des images documentaires, notamment d’archives et qui ne coïncident pas forcément avec la temporalité de ce qui est raconté : différentes vues sur l’hôtel du parlement (extérieures ou intérieures) qui servent à l’ancrer référentiellement. Lortie entre finalement dans le Salon bleu avec sa mitraillette. Vient alors le cinquième et dernier chant du chœur, qui aborde le conflit père-fils (postulé par Legendre) se jouant dans la psyché de Lortie et le motif du ratage, par le mythe de Thésée et du Minotaure (Lortie est à la fois comparé à Thésée et au Minotaure). L’acte se termine sur Lortie qui s’assoit dans le fauteuil du président de l’Assemblée nationale. Le chœur prend pour sa part place auprès du public.

Le deuxième acte procède quant à lui à une reconstitution plutôt fidèle de cet épisode majeur de la tuerie qu’est la rencontre entre Lortie et le sergent d’armes René Jalbert. Le conflit intrasubjectif du premier acte se double cette fois d’un réel conflit intersubjectif. Le dialogue capté par la caméra de l’Assemblée nationale, fidèlement reconstitué60, en est la trame principale. À ce titre, l’action est beaucoup plus homogène que celle de l’acte précédent. Le onzième tableau (et l’acte) s’ouvre avec l’apparition du sergent d’armes. Son entrée en scène marque également le passage en un lieu réel, concret; celui du Salon bleu de l’Assemblée nationale. Les didascalies du manuscrit insistent sur le changement de registre opéré dans la représentation. La pièce quitte la seule représentation de l’imaginaire subjectif de Lortie (et le questionnement sur la formation de son délire). Le personnage du sergent d’armes René Jalbert, qualifié par Lefebvre de « coryphée undercover » (2008 : 4) est en effet le seul à entrer en contact avec Lortie (comme le coryphée de

59 Cet élément est développé au point 2.2.1.3 du second chapitre.

60 « HC : Une question subsidiaire à celle de Philippe [Despoix], c’est quelle part de ces documents se retrouve dans ta pièce. Il y a un dialogue extraordinaire entre le sergent d’arme et Lortie. De même, dans la parole de Lortie, ce qu’il va dire au procès, dans ce qu’il enregistre sur les cassettes, il y a quand même du texte poétique, un matériau extrêmement fertile. Tu disais plus tôt qu’on t’avait dit : "ne citez pas". Jusqu’où tu t’es permis de reprendre intégralement des passages. Où s’arrête en gros la poésie de Lortie, où commence la tienne ? PL : Vaste question. Je dirais d’abord que le seul dialogue que j’ai retranscrit pratiquement tel quel, est celui de la rencontre avec le sergent d’armes. Parce que, d’une part c’est un dialogue qui est connu, puisqu’on l’entend intégralement sur la vidéo, mais aussi parce qu’il est inimaginable ! C’est vraiment là que la réalité dépasse la fiction » (Habib, 2009).

la tragédie antique dialoguait avec les protagonistes, mais pas avec le chœur) L’intervention de Jalbert est présentée comme l’amorce du réveil de Lortie (et de son entrée dans la Raison). Les gestes du sergent d’armes sont décrits comme très « concrets », très « terre à terre » (2008 : 3). Durant l’échange de cigarettes qui clôt le onzième tableau, le chœur « entame un chant quelque peu liturgique » (2008 : 62) et les choreutes font des ablutions avec le liquide contenu dans un récipient. Au douzième tableau, Lortie essaie d’expliquer au sergent d’armes le pourquoi de son passage à l’acte. Y est reprise la célèbre réplique sur l’électricité : « Lortie :…L’électricité…je…le monde, il pense que l’électricité, c’est de la lumière!... mais l’électricité c’est… c’est le contraire de la lumière… (s’emballe) L’électricité c’est des pannes d’électricité ! »61 (2008 : 65-66) et celle sur la langue française : « Moi…je veux détruire ce qui veut détruire la langue… […] il faut venger le monde à plaindre de la langue française…il faut le venger !!! » (2008 : 66). Lortie cherche à figurer ce qui se passe en lui avec une carafe et un verre, qu’il remplit jusqu’à ce que celui-ci déborde. Le sergent d’armes fait alors demander deux tasses de café : rituel qui selon le manuscrit de Lefebvre donne Jalbert comme gagnant du rapport de force qui se joue depuis le début de l’acte : « Bien que le sergent soit en rapport de faiblesse –

il n’a pas d’arme et est à la merci de Lortie – c’est lui qui remporte la confrontation. À la suite de ça, il est clairement le mâle alpha du couple » (2008 : 69). Le treizième tableau est l’occasion