Chapitre 2 - Les déterminants des choix modaux (étude 1)
3. Résultats
3.2. L’importance perçue des qualités des modes dans les choix individuels
3.2.1. Contributions relatives des trois types de variables à l’explication du choix
3.2.1.2. La structure des préférences individuelles dans les choix modaux
Par-delà ces simples oppositions d’importance des critères, il est notable que
certains d’entre eux présentent des similitudes pouvant mener à les considérer
cognitivement comme les éléments d’un ensemble ou d’une dichotomie. Une analyse en
composantes principales, dont les résultats sont présentés dans le tableau II (page 82),
montre, en minimisant statistiquement la redondance des items (rotation varimax avec
normalisation de Kaiser), que les données recueillies sont organisées par cinq logiques
sous-tendant les similarités de variation présentées par nos douze items. Les cinq facteurs
ainsi identifiés structurent l’ensemble des réponses pour un cumul de 69,9 % d’explication
du total de la variance observée.
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Tableau II : Analyse en composantes principales des scores d’importance des critères.
1 (15.2 %) 2 (14.8 %) 3 (12.8 %) 4 (12.4 %) 5 (9.7 %)
Facteurs
Sécurité Agrément Bénéfice Performance Identité
Sûreté ,915 9,407E-02 8,690E-02 9,630E-02 3,830E-02
Sécurité ,888 ,138 3,658E-02 ,160 ,112
Ambiance 6,497E-03 ,823 -5,977E-02 6,710E-02 ,101
Confort ,133 ,714 ,227 -,106 7,128E-02
Intimité ,268 ,605 -,409 ,138 7,265E-02
Activité 8,704E-02 ,183 ,698 5,346E-02 -,266
Coût 3,863E-02 -,167 ,668 9,044E-02 ,108
Temps 2,580E-02 -1,018E-02 -,120 ,815 ,103
Fiabilité ,173 -3,667E-02 ,331 ,637 9,862E-02
Accessibilité ,223 ,168 ,138 ,569 -,412
Image ,137 ,131 -9,702E-02 6,507E-02 ,765
Pollution 7,691E-02 ,293 ,468 5,845E-02 ,527
Les critères de sécurité et de sûreté varient très fortement ensemble et constituent
pratiquement à eux seuls un facteur expliquant 15% de variance ; nous l’appelons
« sécurité ». Il paraît très compréhensible que beaucoup d’individus considèrent comme un
ensemble ces deux critères. Ces deux termes distinguent précisément le risque lié aux
paramètres techniques (la sécurité pour l’accident) du risque inter-individuel (la sûreté
pour l’agression ou le vol). La distinction est importante pour le décideur ou l’opérationnel
des transports. Par contre, pour l’usager, la différence pratique de nature du risque peut
sembler secondaire, c’est le risque en soi qui semble être pris en compte. Ce manque de
distinction de la nature du risque s’ajoute, en outre, au fait que la notion de sûreté est bien
plus rarement évoquée dans la vie quotidienne que celle de sécurité. Les deux termes se
confondent donc peut-être dans le langage courant, ce qui contribuerait à en faire une unité
dans l’esprit des participants. Notons néanmoins que la plus grande saturation du critère de
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sûreté illustre le fait qu’il fait l’objet d’évaluations plus similaires par les participants que
le critère de sécurité. Cette petite différence peut venir de ce que la perception de
l’importance de la sûreté est peut-être moins dépendante du mode utilisé que la perception
de l’importance de la sécurité. Par exemple les usagers de deux roues et ceux du métro ont
probablement une évaluation différente du critère de sécurité au vu de la différence de
risque entre un mode au taux d’accidentologie inquiétant (47 % des tués sur la route en
IDF sont des usagers des deux-roues motorisé, sur une période de trois ans finissant fin
2007 (Riou & Verrier, 2009) et un autre au taux presque nul.
Les critères d’ambiance, de confort et d’intimité se regroupent en un facteur
expliquant presque 15 % de variance lui aussi ; nous l’appelons « agrément » car il résume
assez bien cette idée. Il peut paraître évident que le confort et l’ambiance participent au
même facteur, en ceci qu’ils désignent deux types d’agréments. Ils sont d’ailleurs désignés
implicitement comme complémentaire dans le questionnaire. En cas de doute sur le sens du
critère ambiance, l’expérimentateur le précise par les mots « confort psychologique ». Bien
que le fait d’être seul ou dans une situation sociale puisse évidemment participer à la
sensation d’agrément, il peut néanmoins paraître inattendu que l’intimité collabore aussi
fortement à ce facteur. Ceci s’explique par le fait que les automobilistes et les usagers des
TC s’opposent nettement sur ces trois critères. Etant donné que ces deux catégories
d’usagers représentent plus de 89 % des participants, une tendance qui les oppose
systématiquement dispose mécaniquement d’une forte puissance statistique. Dans
l’hypothèse d’une volonté des participants de souligner la cohérence de leurs attitudes avec
leurs comportements, ce facteur représente donc, au moins en partie, un ensemble
d’éléments favorisant le choix de la voiture et défavorisant le choix des transports
collectifs.
Le coût et le fait de pouvoir avoir une autre activité pendant le trajet covarient
fortement pour expliquer presque 13% de variance. L’aspect économique, ajouté au
bénéfice de valoriser le temps de trajet nous semblent pouvoir être reliés par une logique
d’utilité en un facteur que nous appelons « bénéfice ». En outre, le fait que l’intimité soit
opposée aux autres items, même avec une saturation faible, contribue bien à construire
l’idée d’un critère centré sur l’aspect efficace du bénéfice considéré. Simultanément, ces
items semblent très directement résumer la préférence pour les transports en commun. Ces
modes cumulent l’avantage financier et celui de pouvoir faire autre chose pendant le trajet.
De plus, l’intimité est évidemment plus difficile à valoriser pour les usagers de ces modes.
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Tout comme le facteur agrément désignait ainsi plutôt l’usage de la voiture, ce facteur
bénéfice serait son pendant pour les transports collectifs.
Le temps de trajet covarie avec la fiabilité du temps et l’accessibilité dans un
facteur que nous nommons « performance » et qui explique un peu plus de 12% de la
variance totale. Les deux grandes catégories d’usagers considérées se distinguent peu sur
ces trois critères. Le fait que ces trois critères composent ensemble un facteur manifeste
bien l’importance et la complexité du paramètre temporel dans le choix modal. Le temps
de trajet étant une donnée nécessairement majeure dans le choix, la fiabilité du temps y
ajoute la prise en compte du risque (embouteillages, pannes) pouvant exister entre le temps
théorique, envisagé a priori, et le temps réel, nécessaire en pratique pour réaliser le trajet.
L’accessibilité vient compléter ces deux éléments et doit structurer l’impression de rapidité
puisqu’elle désigne autant le temps d’accès aux modes que la capacité à les utiliser. Un
facteur vraisemblablement crucial des décisions de déplacement se construit ainsi ; facteur
qui ne permet pas facilement de trancher en faveur de l’un ou l’autre mode puisque ceux-ci
offrent une grande variété de performances selon les particularités géographiques d’un
trajet et les compétences des individus.
Enfin l’image et la pollution contribuent, avec une relative modération, à un même
facteur. Ces deux critères semblent avoir en commun d’être définitoires de dynamiques de
représentation sociale puisqu’ils ne constituent aucunement des bénéfices directs et
instrumentaux des déplacements. Au contraire, le bénéfice en serait symbolique et indirect
via l’impact des caractéristiques du mode qu’il préfère sur l’idée que l’usager peut se faire
de lui-même en tant qu’usager. Ainsi le fait d’utiliser un mode non-polluant peut permettre
aux individus de se sentir plus en conformité avec la norme écologique. De la même
manière, l’image de soi que peut renvoyer l’image d’un certain mode est un bénéfice ne
concernant pas la réalisation du trajet mais qui peut néanmoins être important pour
l’usager. Nous nommons « identité », pour sa composante de représentation sociale, ce
facteur qui explique presque 10% de variance.
Ces cinq facteurs, sécurité, agrément, bénéfice, performance et identité ne laissent
ainsi aucun critère proposé à part et forment un tableau très raisonnable des dimensions sur
lesquelles sont évalués les modes en vue d’un choix. Le fait que les participants, par leurs
réponses, ordonnent d’une manière aussi cohérente les différents critères, et ceci malgré la
diversité des modes utilisés et des préférences individuelles, semble directement dénoter
l’existence de schémas logiques partagés par une large majorité des participants. Dans
l’optique de la compréhension des choix modaux, ces facteurs nous semblent ainsi pouvoir
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contribuer à distinguer les différentes rationalités (Kaufmann, 2001) participant aux choix
modaux. L’intérêt pratique de ces facteurs est de représenter l’organisation de l’importance
des caractéristiques des modes telle que les individus se les représentent collectivement.
Une critique méthodologique pourrait être envisagée. La tâche effectuée – évaluer
l’importance de douze critères – pour permettre la mesure, pourrait tendre à favoriser la
cohérence individuelle. Les critères proposés sont vus ensemble et l’évaluation porte
certainement sur l’importance relative, dans le contexte, des différents critères. Cette limite
ne suffit pas, néanmoins, à construire un artefact méthodologique. D’une part, le surcroît
de cohérence produit par le paradigme méthodologique est la condition de la
compréhension des choix. Si la demande expérimentale avait eu pour but de pousser
l’individu à démontrer son incohérence, il est très probable que les facteurs en résultant
seraient moins cohérents logiquement, mais des facteurs seraient certainement sortis
malgré tout, illustrant alors la manière dont les participants ont essayé de produire de
l’incohérence. Les facteurs révèlent que, pour une large majorité des 307 personnes
distinctes qui ont répondu au questionnaire, les logiques d’explications des choix se
structurent par des distributions de l’importance des critères ayant des formes similaires. Si
les choix individuels, ou du moins les explications que peuvent fournir les individus sur
leurs choix, sont réductibles à un nombre aussi limité de facteurs, il paraît plus que
probable que les logiques présidant aux choix modaux procèdent de raisons comparables,
même si différents individus peuvent valoriser des facteurs différents. En conclusion, si les
facteurs issus de cette analyse ne reflètent peut-être pas parfaitement les ressentis des
individus, ils désignent par contre directement les dimensions d’évaluations des modes qui
structurent les logiques individuelles. Par voie de conséquence, ils seront des outils
adéquats pour caractériser les défauts et les qualités des modes que les individus perçoivent
comme structurant leurs préférences modales. Dans ce but, ces cinq facteurs, transformés
en variables, seront utilisés comme prédicteurs des choix modaux dans les deux phases
d’analyse suivante.
3.2.1.3.Analyse comparative de la prédiction des choix de la voiture et des
Dans le document
Le processus de décision dans le choix modal : importance des déterminants individuels, symboliques et cognitifs
(Page 82-86)