Chapitre 2 - Les déterminants des choix modaux (étude 1)
4. Discussion et conclusion de l’étude 2
L’ensemble de cette étude, à travers ses deux parties complémentaires, vise à
montrer que les paramètres symboliques ont un impact important sur les choix modaux,
ceci tout autant que les paramètres instrumentaux qui sont bien plus souvent pris en compte
dans les modèles visant à décrire les choix des modes de transports. Nous nous inscrivons
ainsi dans la lignée d’un ensemble de travaux (Anable, 2005; Beirão & Sarsfield Cabral,
2007; Garling, et al., 1996; L. Steg, Geurs, et al., 2001; Van Exel, 2004) qui soulignent
l’importance de la prise en compte des paramètres symboliques dans le choix du mode de
transport.
A travers les deux parties de cette étude, nous voyons bien que l’environnement
social est déterminant pour les individus. Les entretiens soulignent combien les participants
abordent spontanément et abondamment les aspects sociaux liés à l’usage des modes
collectifs. Les perceptions individuelles étant diverses et souvent ambiguës à travers la
diversité des contextes réels de l’usage des transports. La manipulation expérimentale
confirme combien l’environnement social à lui seul participe de l’intention d’utiliser un
mode collectif en concurrence avec la voiture. Le premier résultat de cette expérience n’est
guère surprenant et confirme les attentes habituelles sur les choix modaux, les variations de
temps de trajet induisent des variations de désirabilité d’usage des modes. La rapidité
augmente, naturellement, la désirabilité. Cet effet induit des variations maximales
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d’environ 2 points sur 6 pour des tailles d’effets importantes (les eta
2sont légèrement
supérieures à 0,5), ceci pour le choix du mode bus ou le choix du mode voiture.
Le deuxième résultat observé est la confirmation de notre hypothèse sur l’impact
des paramètres symboliques sur les choix modaux, les variations de niveau de prestige de
la population utilisant le bus affectent la désirabilité d’usage des modes. Si le bus est
fréquenté par une population de haut niveau de prestige, son attrait est plus fort que s’il est
fréquenté par une population de bas niveau de prestige. La voiture, en tant qu’alternative à
l’usage du bus, présente un attrait inverse. Si le bus est fréquenté par une population à haut
niveau de prestige, la voiture présente un attrait faible, tandis que cet attrait est bien plus
fort quand le bus est fréquenté par une population de moindre prestige. Les effets observés
induisent des variations maximales de l’ordre de 1 point sur 6 pour des tailles d’effets
moyennes (eta
2de 0,17 pour le bus et 0,12 pour la voiture). Nous en concluons que notre
hypothèse générale est confirmée : si le contraste de temps de trajet a un impact fort sur la
désirabilité des modes, le paramètre social présente lui aussi un effet significatif et
déterminant dans la désirabilité des modes. Le paramètre fonctionnel est néanmoins plus
puissant que le paramètre symbolique, mais cela est en partie dû à l’ampleur du contraste
de temps de trajet, qui passe de 30 mn à 1h15 en bus contre 50 mn en voiture.
Enfin, et contrairement à ce que prévoyait notre troisième hypothèse, les résultats
ne présentent pas d’interactions significatives entre l’effet du temps et celui du niveau
social sur les désirabilités perçues par modes. Il semblerait donc que ces deux variables
soient relativement indépendantes et que l’effet social ne soit pas minimisé dans le
contexte d’un fort bénéfice instrumental.
En outre, les participants de cette étude présentent une forte tendance à privilégier
le bus. Comme nous le disions plus haut cette tendance ne reflète probablement pas
l’attitude générale des Franciliens à l’égard du bus. Deux paramètres nous paraissent
pouvoir expliquer cette forte tendance. D’une part, la désirabilité sociale doit pousser les
participants à entretenir ce positionnement, la montée en puissance de la norme écologique
pouvant suffire, à elle seule, à expliquer ce biais attitudinel. D’autre part, cette tendance
peut, en partie, être causée par la nature volontaire de cette étude. Il est avéré que la
participation volontaire à une recherche est un comportement pro-social (McClintock &
Allison, 1989). L’échantillon de participants de cette étude doit alors probablement être
plutôt pro-social ou avoir tendance à favoriser ce type de comportements. Comme le choix
des TC peut lui aussi être vu comme un comportement pro-social, la tendance à le
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privilégier que nous constatons, pourrait ainsi en partie provenir de ce biais
d’échantillonnage.
Nous observons par ailleurs que l’impact de l’environnement social varie nettement
en fonction du fait d’apprécier plus ou moins les contacts sociaux. Ce résultat annexe n’a
rien de surprenant si l’on considère que les évaluations identitaires et les comparaisons
intergroupes faites par chaque individu sont prédictives de leur capacité à entrer dans des
relations intergroupes (Tajfel & Turner, 1979, 1986). La co-présence dans les transports
nécessitant, à tout le moins, un minimum de capacité à pratiquer de telles relations.
L’absence d’interaction entre le mode habituellement utilisé et l’effet de
l’environnement social peut paraître surprenante. En effet on peut supposer que le contact
fréquent avec des groupes distincts facilite les choses, plusieurs résultats vont d’ailleurs
dans ce sens (Allport, 1954; Hewstone & Brown, 1986; Pettigrew & Tropp, 2000).
Néanmoins, cette théorie du contact, si elle fonctionne dans certaines situations ne saurait
produire de résultat par le fait de la seule co-présence, c’est le problème du « contact
illusoire » (Taylor, Dubé, & Bellerose, 1986; Taylor & Moghaddam, 1994). La question de
l’impact de la pratique habituelle d’environnements sociaux variés à travers les transports
collectifs pourrait ainsi n’être tranchée que par la prise en compte de paramètres
supplémentaires liés à la qualité des interactions.
Le choix du bus comme mode collectif peut paraître contre-productif, au sens où il
est possible de penser que la puissance des réseaux ferroviaires les rend plus à même d’être
concurrentiels du mode voiture. La question s’est posée, mais il aurait été plus difficile de
faire croire à une éventuelle prolongation de ligne de métro ou de RER et cela aurait
généré plus de questions sur la localisation réelle du quartier fictif présenté aux
participants. De plus, il semble avéré qu’à niveau de service égal, l’attraction du bus et du
rail soit équivalente (Ben-Akiva & Morikawa, 2002). Dans notre cas le niveau de service
est à notre discrétion, il n’y avait donc aucune raison de prendre le risque de limiter la
vraisemblance de nos discours de présentation pour parvenir à proposer une concurrence
entre un mode ferré et la voiture.
En conclusion, nous pensons que cette contrainte sociale pesant sur le choix modal
doit être mieux appréhendée par les organisateurs et décisionnaires de la mobilité urbaine.
Cette étude, si elle n’appréhende guère la totalité des paramètres pesant sur les décisions en
situation écologique, souligne combien la mixité sociale participe à la volonté d’utiliser ou
d’éviter les transports en commun. Elle permet aussi de se représenter combien les usagers
qui n’ont pas la possibilité de se déplacer par un autre moyen peuvent être insatisfaits de
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leur mode de transport pour cette raison sociale plus que pour des raisons de desserte,
fréquence, qualité de service ou autres paramètres usuellement considérés.
En outre, nous sommes loin de voir dans cette prise en compte des relations
intergroupes, une contrainte supplémentaire à l’établissement d’une attractivité
concurrentielle des TC vis-à-vis de la voiture. L’absence de prise en compte de ces
dimensions peut être la cause du bénéfice de distinctivité sociale dont dispose la voiture
particulière. Des travaux ultérieurs prenant plus finement en compte la nature intime des
processus d’auto-catégorisation pourront permettre d’envisager les conditions nécessaires à
la promotion de l’identité des usagers de ces modes et par suite pourront améliorer
l’attractivité des transports urbains alternatifs à la voiture.
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Dans le document
Le processus de décision dans le choix modal : importance des déterminants individuels, symboliques et cognitifs
(Page 160-164)