Chapitre 2 - Les déterminants des choix modaux (étude 1)
3. Résultats
3.1. Les explications spontanées des choix modaux
3.1.1. Les différentes logiques d’explication des choix modaux
3.1.1.3. L’influence des déterminants externes
La question de la captivité est bien connue des professionnels du transport, certains
usagers n’ont à leur disposition qu’un seul mode permettant de réaliser leurs déplacements.
Un déterminant externe au choix lui-même empêche ainsi l’individu d’envisager des
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alternatives et le contraint à faire usage du seul mode répondant à son besoin. Pourtant
l’écart entre une évidente absence d’alternative et les réponses fournies par des participants
à une étude mérite d’être discuté. L’explication d’un choix contraint, si elle peut être
objectivement discutable, décrit néanmoins une façon particulière de se représenter son
choix habituel. Ces explications s’avèrent majoritairement justifier le choix de
l’automobile (37 occurrences) un peu le choix des TC (12 occurrences) et jamais les autres
modes. S’il est facile d’imaginer que certaines zones géographiques ne soient pas
desservies directement par les TC, ou inversement, que circuler en voiture dans le centre de
l’agglomération soit une telle gageure que la voiture ne soit pas une option réaliste, il
semble au vu des réponses que d’autres arguments entrent en ligne de compte. Les
participants évoquent ainsi, et principalement pour expliquer l’usage de la voiture,
l’obligation de déposer enfants ou parents en voiture (6 occurrences), le fait de devoir
transporter du matériel (8 occurrences), les horaires de déplacement (8 occurrences), le
nombre de déplacements réalisés par jour (5 occurrences), les distances à parcourir (6
occurrences) ou encore la gratuité du véhicule (6 occurrences).
La raison la plus fréquemment utilisé pour désigner ce type d’explications de choix
est de dire « je n’ai pas le choix », ou « je suis captif ». Certains participants affirment
ainsi être dans une situation de choix forcé, sans préciser pourquoi c’est le cas. Les autres
raisons désignent plutôt les éléments fondateurs de la captivité.
Le transport de charges (8 occurrences), peu évoquée, est une raison toujours
avancée pour expliquer le choix automobile. En effet, ce mode présente un avantage
évident vis-à-vis des autres modes pour emmener du matériel, des affaires ou des courses.
Cette raison vise à désigner un cas spécifique de captivité.
De la même manière, les raisons liés aux horaires (8 occurrences) désignent
l’élément construisant la captivité. La raison, ainsi désignée, le fait de se déplacer à des
horaires particuliers, désigne indifféremment deux types de raisons dans les explications
individuelles. D’une part le fait de circuler à des heures où les transports en commun sont
indisponibles, créant une situation spécifique de captivité. D’autre part, et inversement,
cette raison désigne le fait de se déplacer en dehors des heures de pointes. L’idée étant que
l’absence d’embouteillages est une opportunité pour pouvoir profiter de la voiture. Certains
participants expliquent que le fait de pouvoir se déplacer en voiture en échappant à la
congestion constitue l’explication de leur choix de ce mode. Ces deux usages de cette
raison désignent ainsi un paramètre situationnel, extérieur à l’individu et à ses préférences
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quant à l’optimisation de ses déplacements. Le petit nombre d’occurrences témoigne, en
outre, directement du fait que ces horaires particuliers ne sont pas le cas majoritaire.
Par ailleurs, la raison de la distance à parcourir (6 occurrences) est évoquée pour
désigner une cause externe. Cette raison est assez imprécise. Elle explique pour les
automobilistes que la distance interdit un autre mode, qui serait peut-être préféré ou du
moins envisageable. Pour les cyclistes et piétons, elle signifie inversement qu’une courte
distance rend ces modes envisageables. Sans discuter du bien-fondé du rapport entre
distance et utilisabilité, qui peut varier pour chacun, nous voyons en tout cas dans cette
raison une démarche similaire au cas des horaires. Un paramètre extérieur à l’individu,
indépendant de sa volonté, détermine le choix.
Une autre raison imprécise est de devoir effectuer la dépose de quelqu’un (6
occurrences). Cette raison est ambiguë, il s’agit tout autant d’un motif de déplacement que
d’une raison de choisir un certain mode. Dans le contexte de la passation, cette raison est
cependant utilisée pour expliquer le choix de la voiture plutôt que d’un autre mode. Cette
raison nous semble désigner ainsi un choix basé sur une contrainte, une raison externe à
l’individu l’oblige à un certain choix modal. Les six personnes la mentionnant sont tous
automobilistes. Loin d’être anodin dans la pratique cet aspect est souvent très présent dans
le quotidien des familles. Ce point est d’ailleurs en cause dans le fameux cercle vicieux de
la dépose à l’école (Héran, 2001), qui voit d’une certaine manière ici sa traduction dans
nos données. Pour le décrire rapidement, il s’agît du constat que l’augmentation du trafic
automobile induit un plus grand risque pour l’enfant dans son trajet domicile-école. Les
parents faisant ce trajet à pied se décident à le réaliser en voiture pour limiter ce risque et
augmentent encore le trafic aux abords de l’école. Par voie de conséquence, le risque perçu
par les autres parents est encore renforcé et augmente la désirabilité de la solution
automobile pour ce trajet. La boucle est bouclée, l’usage de l’automobile sert à parer les
nuisances de l’usage de l’automobile.
Une autre raison expliquant une détermination externe est la gratuité de l’usage
d’un mode (6 occurrences). Cette raison est évoquée par des automobilistes qui expliquent
ainsi que leur choix est fortement soumis au fait que leur véhicule et ses frais sont à la
charge d’un tiers, l’employeur par exemple. Cette situation inclut fréquemment la nécessité
d’en faire usage pour l’activité professionnelle de même que la nécessité de transporter des
charges. La particularité de cette raison est de présenter un caractère de captivité, comme
les horaires ou la distance, mais avec une valence positive.
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Enfin, le fait de réaliser de nombreux déplacements (5 occurrences) vise à
expliquer que la quantité de déplacements successifs, aux origines et destinations souvent
variées, éventuellement situées dans des zones mal desservies, conduit directement à
privilégier le choix de l’automobile, bien supérieure au plan de l’accessibilité.
Il serait intéressant d’étudier spécifiquement les raisons de l’absence d’alternative,
tant il paraît probable au vu de ces résultats que la stricte disponibilité des modes ne
constitue qu’une petite partie de la sensation de captivité. A priori, nous pouvons supposer
que d’un point de vue pragmatique, les participants expliquant leurs choix habituels par
une contrainte visent simplement à résumer une situation dans laquelle un mode est
tellement avantageux vis-à-vis des autres que l’alternative n’est pas du tout perçue. Sans
douter de la bonne foi des participants, il semble néanmoins que dans un contexte de choix
automobile relativement indésirable, comme l’a montré le comportement de certains
participants, l’argument de la captivité puisse aussi être une bonne solution de désirabilité
sociale. Par ailleurs, la question du niveau de maitrise des différents modes se pose aussi,
un individu donné pouvant mal connaître le réseau de TC ou avoir une peur irraisonnée de
l’usage de la voiture, deux exemples pouvant structurer une sensation de captivité alors
qu’une alternative est possible objectivement.
Dans le document
Le processus de décision dans le choix modal : importance des déterminants individuels, symboliques et cognitifs
(Page 69-72)