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Chapitre 2 - Les déterminants des choix modaux (étude 1)

2.  Première partie – Perception de la mixité sociale par les usagers habituels des

2.3. L’analyse des entretiens

2.3.1. La perception d’autrui, entre répulsion et attraction

Pour ce qui est des propos des usagers concernant autrui, la plupart des remarques sont

négatives. Trois termes reviennent très souvent, les deux premiers correspondent

généralement à des expériences concrètes, vécues par les usagers. Il s’agit des termes «

promiscuité » et « incivilité ». Le troisième relève plus du souhait, c’est la « convivialité ».

La promiscuité

Le terme le plus mentionné (les 10 participants l’évoquent), est la « proximité » ou

la « promiscuité », employés pour évoquer le manque de place. Autrui apparait avant tout

comme une gêne, lorsqu’il menace « l’espace personnel » de l’usager : « Bon si quelqu’un

se met juste à côté de moi et que ça me rétrécit ma place, je ne vais pas me lever aussi sec

pour aller m’assoir ailleurs, j’attends d’arriver à l’arrêt suivant et je bouge, je vais à

l’étage, ou je descends, ou je change de wagon. Encore que ça dépend, si c’est flagrant,

quand il y a de la place partout et que quelqu’un vient se coller juste à côté. D’ailleurs en

général je me mets à contre sens en me disant que j’aurai un peu de chance » (F., 55ans).

Comme l’explique cette femme, les usagers adoptent des stratégies afin de pallier ce

problème et de marquer leur territoire : s’installer dans le sens inverse de la marche, mettre

ses affaires sur la place libre, détourner les yeux de ceux qui cherchent une place etc. Cette

menace est portée à son comble lorsque la densité humaine est élevée, comme c’est

souvent le cas aux heures de pointe ou sur des lignes très fréquentées : « La proximité avec

les gens quand il y a trop de monde c’est désagréable » (F., 45ans) ; [les transports ?] «

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Incivilité

L’incivilité est le second terme le plus mentionné (8 participants sur 10), en lien

souvent avec la question de la proximité : « Ce que je n’aime pas [dans les transports] ?

La proximité. ; la proximité des gens, l’impolitesse des gens. » (H., 50ans) ; « [Les gens]

sont mal élevés quoi, il y a aucun civisme, manque de civisme » (F., 55ans). Pour certains,

l’absence de civisme dans les transports est générale, et découle des conditions de transport

(espace limité, surpopulation, fréquence de passage trop faible). Ces conditions induiraient

un certain type de comportement, justifié par la réduction des ressources, le nombre de

places assises par exemple : « Les lignes qui sont connues pour être très sollicitées, c’est

vraiment : « attention j’arrive, dans le RER, dans le métro, les queues de poisson ça va y

aller, on prépare les rétros, on s’habille et on fonce dans le tas ». Tu sens les rapiats. Ou

en fonction de l’heure, aux heures de pointe, la montée est stratégique. » (H., 23ans) ; «

Une fois une dame m’a fait tomber mon journal en se précipitant pour sortir, ce qui peut

arriver mais elle ne s’est même pas excusée. J’ai eu le malheur de le lui faire remarquer :

elle m’a rétorqué « Madame, si vous ne voulez pas être bousculée, il ne faut pas prendre

les transports en commun » (F., 55ans). Ainsi autrui apparait d’abord comme une gêne,

parce que la cohabitation est contrainte, l’espace limité. Mais il apparait également, à

travers le discours des usagers rencontrés, comme un élément positif, par sa simple

présence, par l’échange qu’il permet.

Convivialité

Le troisième terme à travers lequel autrui est décrit par les usagers est celui de «

convivialité ». Le terme est revenu très souvent (7 participants sur 10 l’évoquent) au cours

des entretiens et reflète la plupart du temps un désir d’échange plus qu’une réalité vécue. Il

y a une véritable curiosité envers l’Autre, mais de loin, sans qu’un contact réel ne soit

établi. Plusieurs participants expliquent qu’ils aiment observer les autres usagers : « Je

regarde les gens, qui sont dans le wagon, qui sont sur le quai quand on arrive en gare, des

fois il y a des situations amusantes, des gens drôles, des jolies filles, des mecs un peu

bizarres, il y a de tout quoi » (H., 50ans) ; « Quand j’ai une place assise, quand il y a pas

trop de monde, quand les gens sont pas trop stressés, j’observe les gens, on rentre un peu

dans les intimités, on écoute, j’aime bien… » (F., 37ans) ; « C’est un bon territoire pour

observer les gens, le métro, comme une terrasse de café. Socialement c’est très intéressant

le métro. » (F., 56ans). Cependant, ceux qui ont de véritables échanges avec les autres

usagers semblent rares. Parmi les dix sujets rencontrés, seuls deux en avaient de temps à

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autre : « Je discute beaucoup avec les gens, je tombe toujours à côté de gens qui me

racontent leur vie, et ça me pose pas de problème, c’est une question d’habitude. Ca arrive

souvent. Je rentre facilement dans une conversation, donc….pour moi c’est pas ennuyeux

le RER. » (F., 56ans) ; « Oui, j’ai rencontré plein de gens, t’as des mamies qui vont

commencer à me parler, […] t’as plein de gens qui sont super agréables, et malgré tout ça

fait passer le temps, que t’as pas forcément envie de passer. Y’en a plein des gens

adorables. » (F., 22ans). Pourtant, la convivialité est un thème qui revient dans le discours

des dix usagers rencontrés. C’est un facteur d’appréciation des transports en commun, par

l’ambiance qu’elle crée dans le véhicule, par la communication qu’elle invite : « Le métro

j’aime bien, ça dépend les lignes, mais oui je trouve ça sympathique, y’a un petit côté plus

convivial que le RER » (F., 37ans) ; « Pour qu’il y ait le plaisir, il faut qu’il y ait quelques

personnes, parce que ça renvoie au côté chaleureux du voyage, l’opportunité de

rencontrer une personne, avec qui tu discutes, tu vas échanger, et ça c’est le point fort. Un

transport réussi c’est un transport où t’arrives à rencontrer des personnes sympathiques.

C’est tellement rare que c’est important. […] Mais malheureusement très peu de chaleur,

de rencontres, de cohésion d’équipe, c’est chacun pour soi, mais bon en même temps on

est là pour arriver à destination sans heurts. » (H., 23ans). Un autre interviewé, alors qu’il

explique que ce qu’il cherche dans les transports en commun, c’est de se couper du monde,

loue le bus pour son côté plus convivial que d’autres modes : « C’est autre chose,

l’ambiance dans un bus c’est totalement différent du métro ou du RER, je sais pas si c’est

parce que t’es dehors et tu vois l’extérieur, t’es pas dans ton métro où tu vois rien du tout,

y’a un côté moins métro-boulot-dodo, dans le sens où voila le métro y’a de plus en plus de

gens avec leur casque, comme moi, qui voilà se coupent du monde pour essayer de faire

passer le temps de métro le plus rapidement possible, tandis que dans le bus, les gens sont

plus à communiquer, alors est-ce que c’est parce que y’a moins de monde dans le bus,

c’est plus petit…(H., 25ans). La communication entre les usagers apparait pour lui comme

un moyen de casser la routine du trajet, en donnant un peu plus de consistance et d’intérêt à

un temps de déplacement autrement « vide ».

La plupart des interviewés regrettent le manque d’interaction, l’absence de

convivialité dans les transports en commun (5 participants sur les 7 qui parlent de

convivialité). D’après l’un d’entre eux, c’est une question de mentalité. Mentalité des

transporteurs qui assignent aux transports en commun le simple objectif de déplacement,

sans chercher d’autres agréments. Mentalité des usagers, qui perçoivent par habitude le

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des transports qui incitent les gens à discuter, à échanger, le problème c’est les gens

eux-mêmes. C’est dans les mentalités. Même dans le TGV où il y a des face-à-face, c’est pas

fait pour ça, c’est fait pour les familles à la base, mais il vient pas à l’idée aux gens de

discuter entre eux. Mais peut-être aussi que c’est pas le but des transports dans

l’imaginaire des gens. Ils ont des amis, les gens qui sont dans les transports, c’est des

piliers, fin, on s’en fout, j’pense que c’est ça, plus que la timidité, « J’suis là juste pour

aller au travail ». (H., 23ans).

Les différents discours semblent avoir un point commun, celui de regretter

l’absence ou au moins l’insuffisance des interactions sociales dans les transports en

commun voire d’en révéler le besoin. Les échanges entre les usagers seraient susceptibles

d’agrémenter les voyages voire de les rendre attractifs, en remplissant un temps souvent

considéré comme « perdu ». Cependant, malgré un désir partagé de communiquer avec

autrui, les interactions semblent rares, comme limitées par une frontière invisible. Or cette

frontière semble être sociale : si l’échange est désiré, il y a un certain tri qui semble être

opéré.