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LA STRATEGIE COMME SCHEMA D’ACTION : LE CONTROLE DE GESTION POUR METTRE EN ŒUVRE ET FAVORISER L’EMERGENCE DE STRATEGIE

PREMIERE PARTIE: LES RELATIONS ENTRE CONTROLE ET STRATEGIE : A LA RECHERCHE D’UN CADRE INTEGRE

CHAPITRE 1 : LES INTERACTIONS ENTRE CONTROLE ET STRATEGIE

1.3 LA STRATEGIE COMME SCHEMA D’ACTION : LE CONTROLE DE GESTION POUR METTRE EN ŒUVRE ET FAVORISER L’EMERGENCE DE STRATEGIE

La stratégie, considérée comme un plan, amène à séparer de manière hiérarchique les niveaux stratégiques et opérationnels. Définie par son contenu, elle nécessite des systèmes d’information perfectionnés. Dans ces deux cas, le contrôle est subordonné à la stratégie. Pourtant, la relation entre contrôle et stratégie n’est pas à sens unique (Hopwood 1987, MacIntosh 1994). Pour renverser la relation, il faut sortir de l’hypothèse jusque-là suivie que la

3 “guardians of strategy providing a mechanism that will allow their counterparts in the other business functions to successfully accomplish strategy”

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stratégie est l’œuvre des dirigeants de l’organisation prenant des décisions qui seront ensuite appliquées par les autres membres de l’organisation. Dans cette hypothèse, la stratégie est formulée puis mise en oeuvre (Andrews 1971). La formulation de la stratégie concerne le développement et le choix d’un plan d’action particulier. La mise en œuvre (implementation) inclut la communication, l’interprétation, l’adoption et l’appropriation (enactment) des plans (Mintzberg et Waters 1985, Noble 1999).

L’étude des processus stratégiques (Pettigrew 1992, Lorino et Tarondeau 1998, p. 308), plutôt que l’analyse du contenu de la stratégie, permet de comprendre comment les décisions stratégiques sont prises.

Il apparaît alors que les phases de décision et d’action ne sont pas obligatoirement consécutives. Elles peuvent être partiellement simultanées, l’élaboration stratégique se faisant en même temps que l’action. La décision peut suivre l’action (Brunsson 1982). On parle alors de stratégie émergente (Mintzberg 1978, Mintzberg et Waters 1985), voir figure xxx. Une action stratégique peut aussi voir le jour à un niveau de l’organisation sans avoir fait l’objet d’une décision de la part de la direction. On parle alors de comportement stratégique autonome (Burgelman 1983), voir figure 2.

Les travaux de Mintzberg (1978) Burgelman (1983) ou Mintzberg et Waters (1985), en mettant en évidence l’existence de comportements stratégiques autonomes ou de stratégies émergentes, permettent de reconsidérer les liens entre contrôle et stratégie de manière plus dynamique.

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Figure 2 : Stratégies délibérées et stratégies émergentes D’après Mintzberg 1978

S’il ne conteste pas l’existence d’une intention stratégique de la part des dirigeants, Mintzberg (1978) met en évidence que seule une partie de ces intentions seront effectivement réalisées. Ce sont les stratégies délibérées. Par ailleurs, d’autres stratégies peuvent naître de diverses opportunités et être réalisées sans avoir fait l’objet d’une intention délibérée. La stratégie réalisée apparaît alors comme la combinaison de la formulation des dirigeants et des actions quotidiennes des membres de l’organisation.

L’émergence peut alors être vue au sens mentionné par Stacey, c’est-à-dire comme les résultats non intentionnels et non prévisibles produits par les comportements intentionnels des acteurs dans des systèmes locaux (Stacey 1996, p.105).

Mais une stratégie est rarement purement intentionnelle ou purement émergente. Mintzberg et Waters (1985) mettent ainsi en avant un continuum de huit possibilités de stratégies combinant des aspects intentionnels ou émergents.

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En outre, le caractère intentionnel de la stratégie dépend du niveau auquel on se place. Une stratégie intentionnelle est le fait d’une intention d’un dirigeant. Mais une stratégie émergente est aussi le fruit d’une intention, le plus souvent d’une personne occupant une position hiérarchique inférieure (Mintzberg 1978). Cela pose le problème des interactions entre les différents niveaux hiérarchiques de l’organisation, même si une stratégie émergente peut aussi être le fruit de dirigeants poussés à modifier leurs intentions initiales pour prendre en compte des évolutions de l’environnement. Quel que soit le niveau, on peut alors distinguer comportements stratégiques autonomes et comportements stratégiques induits (Burgelman 1983).

Figure 3 : Comportements stratégiques induits et autonomes D’après Burgelman 1983

Le comportement stratégique induit correspond à la vision traditionnelle de la stratégie, élaborée par les cadres dirigeants selon un processus de planification. Cette stratégie s’applique aux opérationnels à travers le contexte structurel compris comme un ensemble de mécanismes administratifs et symboliques manipulés par la direction. Le contrôle de gestion est un élément de ce contexte structurel. Influence forte Influence faible Contexte stratégique Comportement stratégique autonome Concept de stratégie Contexte structurel Comportement stratégique induit

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Mais, parallèlement au comportement stratégique induit, se développe un comportement stratégique autonome, fruit des initiatives des opérationnels non conformes à la stratégie définie par les dirigeants. Néanmoins, ces initiatives peuvent retenir l’attention des dirigeants en influençant le « contexte stratégique » et être intégrées à la stratégie de l’entreprise.

Le contexte stratégique « reflète les efforts des cadres intermédiaires pour les comportements stratégiques autonomes au niveau du couple produit/marché avec le concept de stratégie développé par l’organisation » (Burgelman 1983, p. 66). Il fait donc le lien entre les différents niveaux hiérarchiques de l’organisation.

Par ailleurs, les comportements stratégiques autonomes sont partiellement influencés par le contexte stratégique, lui-même influencé par le contexte structurel, donc potentiellement par le contrôle de gestion. Il existe ainsi la possibilité d’une interaction entre contrôle et stratégie : la stratégie influence le contexte structurel, donc le contrôle tandis que le contrôle est susceptible d’influencer la stratégie à travers les comportements stratégiques autonomes. Le modèle de Burgelman permet de préciser le modèle de Mintzberg et notamment d’expliquer l’existence de stratégies non réalisées par l’existence d’un « filtre » constitué par le contexte structurel. Les stratégies délibérées parviendraient pour leur part à passer à travers ce filtre. Les stratégies pourraient émerger grâce au contexte stratégique, permettant de combler l’écart entre stratégie globale et contexte local. Mais il existe une différence importante entre Mintzberg et Burgelman. Ainsi, chez Mintzberg, les stratégies émergent en l’absence d’intentions ou malgré les intentions des dirigeants. Les comportements stratégiques autonomes peuvent pour leur part être influencés, au moins pour partie, par les intentions des dirigeants à travers le contexte stratégique.

Il existe alors un triple enjeu pour le contrôle :

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- Influencer le contexte stratégique pour favoriser les comportements autonomes, facteurs d’adaptation stratégique ;

- Permettre au contexte stratégique de « filtrer » les comportements autonomes à intégrer dans la stratégie.

Ces trois enjeux demandent des comportements antagonistes. D’un côté, le contrôle doit encourager la conformité, de l’autre l’autonomie qui peut se révéler favorable au déploiement d’une stratégie. Or, il est impossible de répondre à cette double injonction d’autonomie et de conformité (Bourguignon 2003). Ce paradoxe est pourtant inhérent à l’art de diriger, entre exploration et exploitation des ressources existantes (March 1991), stabilité pour apprendre et croître, et flexibilité pour réagir aux menaces du marché (Osborn 1998).

De manière traditionnelle, le rôle du contrôle est davantage reconnu comme instrument de discipline (Miller et O’Leary 1987, Miller et Rose 1993) et de routines que comme un catalyseur de créativité. Les outils traditionnels de contrôle inhibent, par leur rigidité, les comportements innovants et incitent à des réponses stéréotypées et sans pertinence (Amintas 1999). Le contrôle aurait tendance à privilégier l’exploitation au détriment de l’exploration, la stabilité au détriment de la flexibilité, la conformité plutôt que l’autonomie. Longtemps ces concepts ont été opposés deux à deux puis les recherches se sont peu à peu concentrées sur leur complémentarité. La résolution de ce dilemme est au cœur des pratiques de management : « C’est précisément la fonction des dirigeants de faciliter la synthèse dans l’action concrète des forces contradictoires, de réconcilier des forces, des instincts, des positions et des idéaux conflictuels » (Barnard, 1938, p.21).

Le contrôle est un outil de conciliation de ces paradoxes. Les entreprises qui combinent le mieux exploitation et exploration sont celles qui décentralisent les décisions (Tushman et O’Reilly 1996). Or, le contrôle est un outil de délégation et de décentralisation, donc d’autonomie. En assignant des objectifs dont on ne contrôle que les résultats, on laisse une certaine latitude au

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contrôlé pour définir ou mettre en œuvre les actions qui conduiront au résultat. Le contrôlé est susceptible de faire preuve de créativité, même si le cadre est contraint. L’autonomie permet de tirer partie des opportunités inattendues et donc l’émergence de stratégies.

Pourtant cette autonomie peut être extrêmement limitée dans la mesure où les systèmes de contrôle sont souvent associés à la standardisation.

Par rapport aux recherches contingentes, le problème se déplace. Il ne s’agit plus de trouver « le » système de contrôle en adéquation avec la stratégie mais le système qui permet de concilier deux impératifs indispensables bien que contradictoires. Cela ne peut se résumer à un style intermédiaire comme le suggèrent les études contingentes mais peut résulter de l’action simultanée sur différents outils ou surtout sur différents « leviers » du contrôle (Simons 1987, 1990, 1991, 1994, 1995, 2000).

1.4 DIFFERENTS LEVIERS POUR METTRE EN ŒUVRE ET ELABORER LA