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PREMIERE PARTIE: LES RELATIONS ENTRE CONTROLE ET STRATEGIE : A LA RECHERCHE D’UN CADRE INTEGRE

CHAPITRE 1 : LES INTERACTIONS ENTRE CONTROLE ET STRATEGIE

2.1 LE ROLE DES ACTEURS DE L’ORGANISATION DANS LE CONTROLE ET LA STRATEGIE

2.1.2 QUEL ROLE POUR LES UTILISATEURS DES SYSTEMES DE CONTROLE ?

Par analogie au courant de la stratégie comme pratique, Ahrens et Chapman (2007) tentent d’apporter un cadre à l’étude de la pratique du contrôle. « Le contrôle de gestion comme pratique est compris comme un ensemble composé de pratiques et d’arrangements matériels. Situés dans les bureaux et dans les ateliers, utilisant des configurations de machines et d’ordinateurs, les membres de l’organisation négocient des stratégies, des budgets, et des objectifs de performance, ils discutent de moyens de les réaliser, alertent d’autres de risques particuliers, donnent des ordres, contestent ou contreviennent aux instructions données, génèrent des rapports et font des comparaisons, donnent et reçoivent des conseils, trouvent des excuses, prennent des actions correctives, etc. ».

Ainsi les acteurs, cadres dirigeants et cadres intermédiaires ou opérationnels, interagissent lors de réunions et/ou à travers différents reportings. Ces interactions se situent dans l’espace et dans le temps et sont influencées par des éléments matériels, outils comptables et informatiques, ….

Or, cette proposition n’a pas connu un grand écho dans la littérature portant sur le contrôle.

Simons, bien qu’éloigné de ce courant, en s’intéressant à l’usage des outils de contrôle, permet néanmoins un pas vers l’étude des pratiques, c’est-à-dire les actions quotidiennes des acteurs autour des outils de contrôle.

Il a été souligné, en première section de ce chapitre, que l’un des apports de Simons était de mettre le dirigeant au cœur du système de contrôle, se

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distinguant en cela des recherches où le contrôle apparaît comme un ensemble d’outils désincarnés.

C’est tout d’abord le dirigeant qui choisit quel outil de contrôle il souhaite utiliser de manière interactive. Ensuite, le dirigeant s’implique personnellement dans ce levier en y consacrant du temps. Enfin, ce levier donne lieu à une interaction directe entre le manager et son subordonné, interaction négligée dans les autres leviers mais aussi dans une partie de la littérature sur le contrôle.

Pour expliquer le fonctionnement du levier interactif de contrôle, Simons introduit des concepts alors peu utilisés dans la littérature sur le contrôle, les incertitudes stratégiques et l’apprentissage organisationnel (voir aussi figure 5 p 51).

Les systèmes interactifs stimulent l’apprentissage organisationnel en focalisant l’attention et en incitant à l’échange interactif d’informations sur les incertitudes stratégiques. Les systèmes de contrôle permettent ainsi de canaliser l’énergie créative des membres de l’organisation pour s’assurer qu’elle est bien utilisée dans le cadre souhaité par les dirigeants. Sachant que les stratégies sont susceptibles d’émerger de tous les secteurs de l’organisation, les systèmes de contrôle guident les acteurs dans les interprétations des informations nécessaires à l’adaptation de l’organisation. Ils fournissent un langage commun. Cependant, la notion d’apprentissage organisationnel apparaît insuffisante pour expliquer le fonctionnement des systèmes interactifs (Dambrin et Löning 2008). D’une part, Simons ne précise pas les mécanismes d’apprentissage du dirigeant (Dambrin et Löning 2008, Gray 1990, Langfield Smith 1997) ; d’autre part, l’apprentissage organisationnel, qui devient alors essentiellement l’apprentissage des subordonnés, est expliqué par l’implication du dirigeant, cette implication encourageant les subordonnés à partager l’information dont ils disposent. Si l’échange d’informations est bien un facteur d’apprentissage, l’implication du dirigeant n’est pas suffisante pour inciter au partage d’information. Elle peut même au contraire avoir un aspect bloquant. En effet, selon Piaget, seules les

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règles issues d’une coopération et d’une mise au point par les personnes qui doivent les respecter seront scrupuleusement suivies, tandis que des règles imposées par une autorité « restent lettre morte tant qu’ [elles] sont des devoirs » (Piaget, 1934, p.130 in 1998).

Mais Simons reste discret sur le rôle des autres acteurs du contrôle.

Pourtant, une interaction suppose que les « subordonnés » agissent sur les « supérieurs », les « contrôlés » sur les « contrôleurs ». L’interaction peut avoir lieu sur la stratégie mais aussi sur le système de contrôle. Ainsi un système de contrôle peut être inopérant s’il est rejeté par ses utilisateurs (Bourguignon et Jenkins 2004).

Les usages imaginés et réalisés d’un outil de gestion ne coïncident pas toujours (Rocher 2008), notamment parce que les utilisateurs influencent leur usage (Akrich, 1998, Proulx 2001, Nobre et Biron 2002). Ils les mobilisent pour faire valoir ce qu’ils considèrent être les objectifs de leur entité (Ahrens et Chapman 2007).

La question de l’acceptation du contrôle par les subordonnés est étudiée par les recherches portant sur les aspects comportementaux et sociopolitiques du contrôle (Naro 1998). Les outils de contrôle créent des tensions chez les utilisateurs et un sentiment de défiance (Argyris 1952), ils conduisent à la réaction par la constitution de slack (Merchant 1985) ou aux falsifications de données (Hopwood 1972). La participation vise à remédier à ces comportements déviants (Hofstede 1977). L’implication du contrôleur peut aider à l’acceptation des systèmes de contrôle (Bollecker et Niglis 2009). Nous y reviendrons au chapitre 2 de cette thèse.

Les processus stratégiques comme les processus de contrôle s’inscrivent dans les pratiques quotidiennes de l’organisation où ils concernent une multitude d’acteurs. Tous sont susceptibles de jouer un rôle dans l’élaboration de la stratégie, autant dans sa mise en œuvre que dans l’utilisation des systèmes de contrôle.

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Mais davantage que le rôle des uns et des autres dans le processus stratégique ou de contrôle, il est important de comprendre comment les uns agissent avec les autres, comment cadres dirigeants et cadres intermédiaires interagissent pour former la stratégie, pour utiliser les outils de contrôle, éventuellement les modifier.

Dans le domaine de la stratégie, ces interactions sont étudiées comme des « conversations » (Westley 1990), dans le domaine du contrôle, essentiellement sous la notion de participation (Argyris 1952) puis de l’interactivité (Simons 1995). Ces approches mettent toutes en avant les vertus du dialogue mais présentent aussi de nombreuses différences quant à l’objet du dialogue, sa nature et l’implication des différents acteurs dans le dialogue. Nous commençons par définir l’interactivité telle qu’elle est entendue par Simons (1995) pour montrer, à la lumière des notions de conversation stratégique et de participation, les faiblesses de cette notion qui manque de construit théorique (Bisbe et al. 2007) et dont les propriétés doivent être « démêlées » (Luft et Shields 2003). Cela est important pour comprendre pourquoi l’interaction ne débouche pas automatiquement sur une co- construction de la stratégie.

2.2 LE LEVIER INTERACTIF DE CONTROLE : UN CONSTRUIT THEORIQUE