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DEUXIEME PARTIE : METHODOLOGIE ET DESCRIPTION DU TERRAIN DE RECHERCHE

PRESENTATION DE LA SOCIETE « EQUIPMENT COMPANY »

Le groupe objet de la recherche est une multinationale composée de 5 divisions : deux en Amérique du Nord, une en Asie-Pacifique et deux en Europe, spécialisées par marchés. II est en effet présent sur deux marchés, l’un lié à l’automobile, l’autre à des applications industrielles.

La division objet de cette étude gère un périmètre européen pour lequel elle assure la production et la distribution de produits destinés au secteur automobile. Ses clients sont à la fois les constructeurs, les grossistes et les

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détaillants en équipement automobile. Son périmètre géographique comprend tous les pays d’Europe occidentale et la Pologne. Les autres pays d’Europe orientale n’ont pas de filiale propre et sont traités comme des marchés export à partir de la Pologne, des pays scandinaves ou de l’Autriche.

Le produit est un produit qui, à l’époque, fait l’objet d’une technologie rodée. L’innovation représente une niche limitée aux véhicules de luxe.

Le marché se répartit entre deux grands groupes dominant le marché européen et une multitude d’acteurs de tailles plus modestes, intervenant sur des périmètres limités à un ou quelques pays. La situation concurrentielle est ainsi très différente d’un pays à l’autre. Au début de la période d’observation, en 2006, Equipment Company est leader sur son marché avec 31% de part de marché, suivi de près par son principal concurrent avec 30% de part de marché, le troisième acteur du secteur représentant 20%. En conséquence de la stratégie suivie, Equipment Company voit sa part de marché décroître et laisse dès 2007 la première place à son concurrent, qui bénéficie aussi des problèmes financiers du troisième acteur et de la défaillance de nombreux petits acteurs. A la fin de la période d’observation, le marché est donc dominé par le principal concurrent. Equipment Company apparaît en deuxième position, loin devant les autres acteurs, de moins en moins nombreux.

La division dispose à l’époque de 6 sites de production en Europe, répartis dans quatre pays : France, Espagne, Italie et Pologne.

Le coût du produit est très dépendant de l’évolution du cours d’une matière première représentant entre 50 et 70% du coût complet du produit. La tendance sera une très forte hausse du cours de cette matière première pendant la période d’observation.

Les divisions disposent d’une certaine autonomie dans l’élaboration de leur stratégie. La division européenne étudiée est en outre en pointe sur la mise en œuvre d’une stratégie de marge. La seconde division européenne la suivra avec près de deux ans de retard, tandis que les autres régions géographiques ne souffrent pas des mêmes contraintes. La division est dirigée par un président entouré de vice-présidents (VP dans la suite de ce document). Le président et

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les VP forment le « comité de direction » de la division. Originaires de pays différents, ils se réunissent régulièrement au siège de la division situé près de Paris. La division décide de la stratégie et s’assure de sa mise en œuvre dans les différents pays de sa zone de responsabilité. Des responsables locaux sont en charge de la mise en œuvre de la stratégie sur leurs pays respectifs, mais il n’existe pas de réelle fonction de direction générale au niveau d’un pays. Il existe un directeur commercial local reportant au VP commerce, un directeur d’usine (le cas échéant) reportant au VP production, un directeur financier reportant au VP finance, etc. Les décisions sont fortement centralisées au niveau de la division.

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CHAPITRE 3 : METHODOLOGIE

« L’étudiant : Je dois vous avouer que j’ai des difficultés à appliquer la théorie de l’acteur- réseau à mon étude de cas sur les organisations. Le professeur : Pas étonnant- elle ne peut s’appliquer à quoi que ce soit ! »

Latour 2005, p. 205

Ce chapitre vise à présenter la manière dont le projet de recherche a été mené. L’ancrage empirique de cette recherche est fort. Professionnelle en entreprise pendant plus de quinze ans, nous avons décidé de faire de la recherche en rédigeant une thèse. La situation que nous vivions à ce moment-là en entreprise nous semblait particulièrement intéressante. L’entreprise avait engagé un changement important de stratégie qui suscitait beaucoup de réticences de la part des responsables locaux, mais aussi de cadres du siège, le mécontentement se cristallisant souvent autour d’outils de contrôle. Ces derniers, conçus spécialement pour mettre en œuvre la stratégie choisie par la direction, avaient du mal à être acceptés, suscitaient beaucoup de critiques et semblaient finalement ne pas remplir leur rôle puisque la stratégie n’était que peu appliquée au niveau local. Cette observation a donné lieu à un premier projet de thèse qui a évolué en fonction de deux facteurs : l’évolution de la situation de l’entreprise observée en temps réel et l’étude de la littérature sur les liens entre contrôle et stratégie, les deux étant confrontés en permanence. La volonté de partir du terrain nous a amenés à adopter en premier lieu une démarche abductive et à construire notre question de recherche à travers des confrontations successives entre terrain et littérature. Cette première étape s’est conclue par la définition d’une question de recherches et de deux cadres théoriques.

Une seconde phase a alors été entamée, amenant à procéder à une nouvelle analyse des données à travers les cadres théoriques sélectionnés. Cette phase de la recherche a été amenée en suivant les principes préconisés par l’ANT, l’un de nos deux cadres théoriques, et en se souciant de réflexivité, imposée par

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notre statut particulier de chercheur-acteur (Lallé 2004). Comme l’indique la citation en en-tête de ce chapitre, l’ANT ne s’ « applique » pas à un terrain de recherche (Latour 2005), mais a néanmoins une certaine portée méthodologique : « C’est une théorie, et même, je pense, une théorie solide - mais une théorie qui porte sur la façon d’étudier les choses, ou, mieux, sur la façon de ne pas les étudier. Ou encore sur la façon de laisser aux acteurs un certain espace pour s’exprimer » (p. 206). Ce principe, qui consiste à laisser la parole aux acteurs, les « suivre », guide notre dispositif méthodologique de collecte et d’analyse des données, reposant essentiellement sur la description des événements qui se déroulent sur le terrain.

La situation de professionnelle sur le terrain implique par ailleurs un effort particulier de réflexivité pour assurer le caractère scientifique de recherche. Par souci de cohérence avec le cadre théorique mobilisé, le positionnement est expliqué par la solidité du réseau du chercheur, composé d’acteurs du terrain mais surtout d’acteurs et d’écrits académiques.

Ce chapitre est structuré en quatre sections. La première explique la première phase, le passage du terrain à la théorie par un processus d’abduction. La deuxième explique le dispositif méthodologique de recueil et d’analyse en pratique qui suit les principes énoncés par l’ANT. La troisième est consacrée à la description du réseau qui fonde notre rôle de chercheur en immersion dans un terrain professionnel. Enfin, la dernière section présente l’organisation objet de l’étude de cas et les grandes lignes des évènements observés sur le terrain de recherche.

1 PREMIERE PHASE DE LA RECHERCHE : CONSTRUIRE UNE QUESTION DE RECHERCHE A PARTIR DU TERRAIN

La première phase de la recherche s’est déroulée en majeure partie sur le terrain. C’est là qu’est née la question de recherche, par une démarche abductive, à partir des difficultés rencontrées par la direction pour mettre en

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œuvre la stratégie souhaitée. La littérature a alors été mobilisée pour dépasser les difficultés du terrain et comprendre les enjeux théoriques de nos premières observations. Pour cela, nous avons cherché les cadres théoriques adaptés à la question de recherche et aux événements se déroulant sur le terrain.

1.1 UNE DEMARCHE ABDUCTIVE

La volonté d’ancrer notre recherche dans le terrain nous a conduits à commencer par une démarche abductive (Peirce 1878) pour trouver des explications plausibles aux événements qui se déroulaient devant nous.

Il existe en effet trois démarches de recherche : la déduction, l’induction et l’abduction (Charreire et Durieux 1999).

Une démarche déductive permet de considérer que si les hypothèses formulées initialement sont vraies, alors la conclusion doit nécessairement être vraie. La déduction consiste alors à élaborer des hypothèses puis à les tester. Elle sert à valider des théories existantes. L’élaboration d’hypothèses est antérieure à l’observation du terrain, ce qui n’était pas notre projet.

L’induction et l’abduction sont, au contraire, deux méthodes de production de nouvelles théories à partir de données de terrain qui se distinguent par leur utilisation des théories préexistantes.

Par l’induction, le chercheur vérifie une relation sur un certain nombre de cas puis considère que la relation est vraie pour toutes les observations à venir. Il s’agit alors de découvrir des régularités à partir de l’observation, permettant de formuler des hypothèses, règles abstraites ou principes d’action. Ces règles peuvent alors permettre de prédire ce qui se passe quand un cas semblable se présente. Une méthode purement inductive implique l’abstraction des théories déjà élaborées. C’est notamment la thèse défendue par la théorie enracinée (grounded theory, Glaser et Strauss 1967), même si cette hypothèse n’est souvent qu’illusoire, le chercheur étant toujours influencé, parfois de manière inconsciente, par les théories résultant de ses lectures ou de ses recherches précédentes.

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L’approche abductive consiste à élaborer des hypothèses par un processus d’interprétation permettant de déterminer la ou les causes d’observations a priori surprenantes. Au contraire de la démarche inductive, elle peut faire appel à la théorie pour concevoir les règles explicatives. Telle a été notre démarche dans un premier temps.

Le point de départ d’une telle démarche est l’observation d’une situation donnée et la perception d’un événement « surprenant » sur lequel on ne trouve pas facilement d’explication. Dans notre cas, il s’agit de ce qui se jouait autour de nous en entreprise au moment où nous avons commencé notre thèse (voir