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DEUXIEME PARTIE : METHODOLOGIE ET DESCRIPTION DU TERRAIN DE RECHERCHE

Encadré 8 Reconstituer les transformations des énoncés

Pendant les trois ans de la période d’observation, nous avons ainsi collecté la plupart des supports de présentation de la stratégie par la direction de la division : conférences téléphoniques mensuelles, présentations faites lors des tournées dans les différents pays. Nous avons alors procédé à un codage par thème (la liste des thèmes figure en annexe 2), ce qui nous a permis de voir les évolutions thème par thème. Les évolutions de quatre thèmes significatifs sont fournies en première section du chapitre suivant.

La reprise ou la contestation de la stratégie par les autres acteurs apparaît dans deux types de documents : les supports des revues budgétaires et les reportings hebdomadaires. Lors des revues budgétaires, les responsables locaux présentent leur stratégie pour l’année suivante qui est censée être une déclinaison de la stratégie définie globalement, mais qui parfois la conteste. Dans les reportings hebdomadaires, les responsables locaux expliquent leurs actions de la semaine vis-à-vis des clients ou de leurs équipes. Dans les deux cas, il s’agit de traductions, parfois fidèles, parfois profondément modifiées de la stratégie globale.

2.3 SUIVRE LES ACTEURS

Règle n°2 : « Pour déterminer l’objectivité ou la subjectivité d’un énoncé, l’efficacité ou l’inefficacité d’un procédé, nous ne cherchons pas ses qualités intrinsèques, mais nous reconstituons l’ensemble des transformations qu’il subit plus tard entre les mains des autres ».

Règle n°3 : « Comme le règlement d’une controverse est la cause d’une représentation stable de la nature, et non sa conséquence, nous ne pouvons jamais utiliser la conséquence, l’état de la nature, pour expliquer comment et pourquoi une controverse a été close »

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Règle n°4 : « Comme le règlement d’une controverse est la cause de la stabilité de la société, nous ne pouvons utiliser l’état de la société pour expliquer comment et pourquoi une controverse a été résolue. L’état de la nature et l’état de la société pour expliquer comment et pourquoi une controverse a été résolue. L’état de la nature et l’état de la société sont deux conséquences symétriques de l’action des chercheurs pour enrôler humains et non humains ».

Ces trois règles ne sont pas des règles de méthode au sens propre mais indiquent davantage trois types de raisonnement, d’explications qu’il convient d’éviter : l’explication par les qualités intrinsèques, par la nature des choses ou par l’état de la société.

Ainsi, nous ne chercherons pas à juger des qualités intrinsèques de la stratégie ou du système de contrôle. Il ne nous importe pas de savoir si la stratégie proposée est bonne ou mauvaise, si le système de contrôle est bien ou mal conçu, en adéquation ou non avec la stratégie. Il n’est pas question non plus d’expliquer la réussite ou l’échec de la stratégie par les qualités du dirigeant, sa capacité à imposer ses idées, à avoir une vision, son charisme…

L’explication par la société nous amène à exclure des explications souvent évoquées pour expliquer la réussite ou l’échec d’un changement de stratégie telles que l’autorité hiérarchique qui permet d’imposer un système de contrôle ou une stratégie délibérée, la personnalité du dirigeant, mais aussi les phénomènes de résistance au changement. Pour cela, nous nous sommes concentrés sur les faits, les discours, les actions des uns et des autres en réunions, face aux clients. Ce point fera néanmoins l’objet d’une discussion dans le chapitre 5 car il ne s’agit en aucun cas de nier ces phénomènes, mais de ne pas les considérer comme le fruit d’un déterminisme et de voir comment ils se construisent et ils s’exercent.

Ainsi, seul le suivi des acteurs et de leurs associations permet de rendre compte d’un phénomène en construction. Il s’agit alors de déterminer quels acteurs suivre. Il est impossible de déterminer a priori quels acteurs jouent un rôle. Leur action sur le phénomène étudié est indépendante de leur place dans

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l’organisation, mais aussi, conformément au principe de symétrie, de leur statut d’humain ou de non humain.

Suivre les acteurs est différent de la filature ethnographique (Zimmermann 1982). Il ne s’agit pas de suivre un acteur en particulier, de « voir » ce qu’il voit, mais de comprendre comment s’associent les différents acteurs qui contribuent à la constitution de la stratégie. Cela implique le suivi simultané de plusieurs acteurs. Il s’agit d’être là où les acteurs agissent.

A partir de l’étude de l’évolution des énoncés de la stratégie, les acteurs qui contribuaient à cette évolution ont été identifiés, soit parce qu’ils étaient nommés dans les documents, soit par observation directe, soit par des entretiens informels que nous avions fréquemment avec la direction de la division ou certains responsables locaux. En dehors des acteurs humains, les énoncés de la stratégie étaient souvent accolés à des inscriptions issues d’outils de contrôle. Il s’agit alors, en plus des documents collectés pour suivre l’évolution des énoncés de la stratégie, d’être présent lors des interactions entre les différents acteurs, rencontres entre managers et subordonnés, séminaires, conférences téléphoniques.

Répondre au principe de suivi des acteurs posait alors le double problème du volume des données et de la possibilité de collecter certaines d’entre-elles, notamment celles liées aux interactions.

Confrontés au volume des données, nous avons choisi de restreindre le champ de l’étude. Parmi les thèmes apparaissant fréquemment, la plupart relevaient de la stratégie commerciale. Nous avons donc concentré notre attention sur les acteurs oeuvrant dans le domaine commercial : président, VP commerce et responsables commerciaux locaux. En termes de documents, les revues budgétaires commerciales des différents pays offraient une grande variété de commentaires, d’actions, de convergences ou de divergences avec la stratégie recherchée. Nous avons donc recherché l’exhaustivité dans notre collecte des supports de revues budgétaires. Les reportings hebdomadaires n’offrant pas la même variété, nous avons restreint notre collecte à un seul pays, la France.

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Le suivi des interactions présente d’autres problèmes. La plupart des interactions ayant trait au contrôle et/ou à la stratégie ont lieu lors de « situations de gestion », définies comme « des participants réunis pour contribuer dans un temps déterminé à un processus conduisant à un résultat soumis à un jugement externe » (Girin 1990). La vie en entreprise est faite d’une succession de situations de gestion, dont certaines sont accessibles au contrôleur de gestion, d’autres étant plus confidentielles (voir encadré 9).

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Encadré 9 : Les situations de gestion vécues ou prises en compte par le contrôleur de