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Stratégies de licence, une typologie

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8. LA LICENCE : UN OUTIL STRATÉGIQUE POUR LES ÉDITEURS DE LOGICIELS.

8.2. STRATÉGIES DE LICENCE, UNE TYPOLOGIE. 135

8.2.2 De très nombreuses licences.

Les licences dites «de domaine public».

Les produits sous contrôle de ce type de licence ne sont pas exempts de tout droit de propriété intellectuelle car ils sont protégés par un copyright. Cependant, les clauses ajoutées attribuent aux utilisateurs les droits illimités de l’utiliser, le copier, le modifier, le fusionner [avec d’autres logiciels], le publier, le distribuer, le sous-licencier et/ou en vendre des copies, permettre aux personnes auxquelles elle les distribue de faire de même.

Les licences libres.

Deux associations, la FSF et l’OSI, ont établi une liste de critères permettant de définir le concept de Liberté et de déterminer l’appartenance ou non d’une licence à cette catégorie. Même si les critères mis en avant par ces deux associations diffèrent quelques peu, il apparaît que leurs conclusions tendent à se rejoindre.

Pour la FSF, la signification du mot «libre» peut se résumer en 3 points : la liberté d’utiliser le logiciel, c’est-à-dire d’exécuter le programme, la liberté d’accéder au code source, quelle qu’en soit la finalité (étudier le fonctionnement du programme, adapter le logiciel à ses besoins personnels, améliorer le programme en en corrigeant les erreurs), la liberté de distribuer des copies du logiciel, par quelque voie que ce soit, à titre gratuit ou pas. Ainsi, tout logiciel régi par une licence stipulant l’exclusion d’une de ces libertés ne peut être qualifié de «libre». Le mot liberté sous-entend ici qu’il n’est nullement nécessaire de demander d’autorisation pour effectuer une de ces actions : l’utilisateur souscrit automatiquement à la licence à partir du moment où il en effectue une. D’autre part, un utilisateur ne peut, quelles que soient les circonstances, placer un produit dérivé de ce type de logiciel sous une licence différente : tous les produits dérivés doivent rester libres.

Les licences propriétaires.

Ce type de licence est classiquement utilisé par une majorité d’éditeurs de logiciels. Les caractéristiques de ce type de licence sont les suivantes : une utilisation soumise à redevance, et l’interdiction de copier le logiciel, d’accéder au code-source, de modifier le logiciel et de le distribuer à qui que ce soit. Contrairement aux licences libres, le copyright est cette fois assorti de clauses restrictives limitant la diffusion et la modification du logiciel.

Les licences hybrides.

Ce type de licence combine au copyright à la fois des clauses empruntées aux licences libres et d’autres clauses empruntées aux logiciels propriétaires. En conséquence, ce type de licence ne peut être totalement assimilé ni à du libre car il ne remplit pas toutes les conditions énoncées par les organisations certificatrices, ni à du propriétaire.

On peut donner comme exemple la licence SCSL de Sun Microsystems, appliquée au langage de programmation Java. Cette licence comporte des clauses compatibles avec du libre comme celles relatives à l’utilisation libre et à la copie libre, ainsi qu’à la disponibilité du code source, mais en revanche, les clauses concernant la distribution ne satisfont pas aux critères de liberté : la distribution par des tiers de produits dérivés de ceux protégés par la SCSL reste libre si elle est faite gratuitement, mais elle ne l’est plus du tout dès qu’un agent désire tirer un profit de cette activité. Dans ce dernier cas, Sun Microsystems impose le versement de royalties, mais s’octroie également un pouvoir de certification des produits dérivés, sans laquelle l’entreprise n’a pas le droit de distribuer son produit.

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Les raisons des choix de ce type de licence par les entreprises restent floues, et celles-ci ne se privent généralement pas pour communiquer sur le caractère libre de leurs produits, qui sont pourtant soumis à des licences hybrides. Interrogées, elles critiquent notamment l’effet viral de la GPL.

Il apparaît que les types de licences sont nombreux, chaque catégorie possédant encore en son sein des licences différentes, et certaines entreprises n’hésitant pas à en créer une propre. Devant une telle multitude de licences, on peut se demander quels sont les critères qui peuvent guider les choix des entreprises vers des licences de domaine public, libres, hybrides ou propriétaires, si le choix de chaque clause est anodin, ou si au contraire, il est réalisé dans un but stratégique précis. Pour répondre à cette question, il est intéressant de se pencher sur les enseignements stratégiques tirés de l’étude des accords de licence technologique.

8.2.3 Stratégies de licence. Une proposition de typologie.

Afin de montrer que les licences sont conçues ou choisies dans des buts stratégiques précis, il apparaît nécessaire de définir tout d’abord quels types de stratégies sont susceptibles d’être atteints à l’aide de l’outil que représentent les licences. Pour ce faire, il semble pertinent de se baser sur les travaux de Bessy et Brousseau [1998] qui, dans leur article, se sont attachés à montrer que les accords de licence de technologie peuvent être mis en place dans des buts stratégiques extrêmement différents les uns des autres4. Ces auteurs mettent en évidence quatre facteurs explicatifs des types de stratégies d’entreprise auxquelles sont liés les différents types d’accords de licence technologique existants : les politiques des entreprises en matière de propriété intellectuelle, la dynamique du processus d’innovation, le degré de dépendance mutuelle des membres de l’industrie et les formes organisationnelles alternatives à l’accord de licence.. Et les caractéristiques de ces accords de licence vont varier en fonction de la stratégie choisie par l’entreprise.

En nous inspirant de ce travail, nous aboutissons, dans le cas du logiciel, à quatre facteurs explicatifs que nous nommerons valorisation patrimoniale, contrôle des firmes concurrentes, création de coopération (source d’éventuelles économies de R&D), établissement de standards.

Valorisation patrimoniale.

Le premier type de stratégie, sans doute le plus immédiatement perceptible, est la mis en évidence est la valorisation patrimoniale des connaissances de l’entreprise, à travers ses titres de propriété intellectuelle. La firme détentrice d’un droit de propriété intellectuelle sur une technologie possède une rente de monopole du fait de son droit exclusif à exploiter cette technologie. La redevance reçue dans le cadre d’un accord de licence est donc une forme de compensation de la perte d’une partie de la rente de monopole lorsque l’entreprise dé-tentrice cède le droit d’exploiter la technologie au licencié. La stratégie de valorisation patrimoniale consiste, pour le licencieur, à générer des revenus grâce à l’exploitation directe de ses droits de propriété intellectuelle, en passant des accords de licence avec d’autres entreprises désireuses d’utiliser les technologies produites. Les

4On pourrait remarquer que les entreprises du secteur informatique utilisent non pas des accords de licence de technologie mais des licences informatiques sur leurs produits et qu’il y a des différences significatives. Premièrement, les accords de licence de technologie se font sur un ou plusieurs brevets détenus par une entreprise. En ce qui concerne les logiciels, la licence concerne le droit d’auteur, puisque c’est le mode de protection légal des logiciels. Deuxièmement, les accords de licence technologique se concluent uniquement entre entreprises, l’une étant propriétaire d’un brevet, l’autre souhaitant utiliser la technologie. Dans le cas des licences de logiciels, le licencié peut être une entreprise nécessitant la technologie pour développer d’autres produits informatiques, mais également un utilisateur final, entreprise ou particulier, utilisant le logiciel comme un produit fini : ceci n’est jamais le cas dans les accords de licence technologique. Cependant les similitudes entre celles-ci, et, principalement dans leur principe, identique, qui consiste à transférer des droits d’exploitation, sous certaines conditions, nous permettent de nous appuyer sur cette analogie.

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redevances ainsi issues des contrats de licence peuvent alors notamment servir à financer de nouvelles activi-tés de R&D. Dans ce cas, les droits de propriété ne représentent que des actifs permettant de générer un revenu.

Ce type de politique est évidemment très courant dans le secteur de l’édition de logiciels. En effet, les licences dites «propriétaires» associées à des logiciels commercialisés par bon nombre d’éditeurs sont utili-sées dans un seul but de valorisation. Les conditions de l’accord de licence informatique pourront varier en fonction de l’importance du pouvoir de l’éditeur sur le marché : plus celui-ci se rapprochera d’une situation de monopole, plus la licence pourra imposer des conditions d’utilisation du logiciel restrictives et une redevance élevée. Ainsi, dans le cas de Microsoft, la firme se trouvant dans une situation de quasi-monopole sur certain de ses produits, les clauses de la licence peuvent être très restrictives et la redevance très élevée, aucun produit concurrent équivalent (pas seulement du point de vue de la qualité mais aussi d’autres comme la compatibilité) n’étant présent sur le marché.

Contrôle des firmes concurrentes.

La deuxième perspective consiste, pour l’entreprise, à considérer les accords de licence comme des moyens de positionnement de l’entreprise sur le marché et le contrôle des autres firmes, et ceci de plusieurs façons : en fixant au licencié une redevance plus ou moins importante afin de contrôler ses coûts, en lui imposant des clauses de grant-back (obligation de rétrocéder des droits d’exploitation au concédant pour les innovations qu’il dérive de la technologie initiale) afin de contrôler ses progrès technologiques, en fixant des conditions permettant de dissuader des firmes menaçantes d’entrer sur le marché ou en en excluant les entreprises rivales. Ce type de stratégie, que nous nommerons par la suite «stratégie de contrôle des firmes concurrentes», est pratiqué dans le cas des licences informatiques propriétaires, notamment par le biais de certaines clauses restrictives. On peut citer entre autres celles interdisant le reverse-engineering. Ces clauses permettent à l’éditeur de contrôler les progrès technologiques de ses concurrents en ne leur donnant pas la possibilité de créer des produits dérivés ou compatibles, et en se réservant exclusivement cette possibilité.

En ce qui concerne la clause de grant-back, celle-ci est présente dans certaines licences que nous qua-lifierons d’hybrides, et qui combinent des caractéristiques d’une licence libre et d’une licence propriétaire.

Ainsi, Sun Microsystems, pour son langage Java souhaite, pour certaines raisons stratégiques, accorder une licence gratuite aux utilisateurs de Java, si les produits qui en sont dérivés sont à usage personnel ou distribués gratuitement. En revanche, elle impose une clause particulière imposant le versement de royalties au cas où le licencié désirerait tirer profit de la vente de produits dérivés de Java. Ainsi, les progrès technologiques sont encouragés par Sun Microsystems, mais à partir du moment où le licencié souhaite profiter de ces progrès technologiques, les conditions de licence changent.

Création de coopérations sources d’éventuelles économies de R&D.

étant donné le caractère coûteux, rapide et incertain de l’innovation, certaines entreprises peuvent avoir intérêt à développer une stratégie de coopération. Dans le cas d’un processus d’innovation incrémental et cumulatif, la production de l’innovation est source d’effets de feed-back. La recherche de position de leader mène alors soit à des stratégies d’intégration, soit à des accords de coopération dans le cadre de relations verticales. Dans ce dernier cas, c’est un contrat de co-production qui se met en place, l’entreprise fournissant la technologie au licencié : celui-ci se positionne alors comme un sous-traitant chargé de produire des actifs complémentaires. Le concédant profite de retours d’expérience du licencié et préserve son avantage en termes d’innovation en imposant des clauses de grant-back et la fourniture de prestations d’assistance et de conseil.

Ceci permet à la R&D du concédant de profiter des effets de rétroaction de l’activité de production du licencié.

Considérant le coût de la production de logiciel, on comprend qu’une entreprise puisse décider

d’encou-138

8. LA LICENCE : UN OUTIL STRATÉGIQUE POUR LES ÉDITEURS DE LOGICIELS.

rager une communauté de programmeurs à travailler sur un de ses logiciels de façon à enrichir et déboguer celui-ci. Elle va alors se servir d’une licence dont les clauses fourniront de fortes incitations à coopérer pour les programmeurs et encourageront la diffusion ; ces clauses peuvent être la libre utilisation, libre modification, libre distribution, ainsi que l’accès au code source, comme dans la GPL. Dans ce cas, l’entre-prise se place dans la position d’un concédant de licence sur une technologie : le logiciel ou le langage. La

«communauté» des programmeurs tient alors le rôle des licenciés, pouvant être vus comme des sous-traitants dans un contrat de co-production, pouvant produire des actifs complémentaires tels que des produits dérivés ou des versions améliorées ou déboguées. Dans ce cas, l’entreprise bénéficie d’effets de rétroaction, dans la mesure où elle profitera de ces améliorations sur son propre produit, sans engager d’efforts de R&D.

L’établissement de standard.

Dans le cas où de fortes externalités de réseau entre technologies ou utilisateurs de technologie caracté-risent un marché, il peut exister des mécanismes de rendements croissants d’adoption, nous l’avons rappelé.

Certaines stratégies vont donc avoir pour but de tirer parti de ces rendements croissants d’adoption afin d’acquérir une position de leader en faisant de sa technologie un standard de fait, sur un secteur où la règle celle du «gagnant prend tout». Le raisonnement est simple : plus la technologie sera diffusée, plus elle sera adoptée par un grand nombre d’acteurs, et plus elle sera attractive pour les autres acteurs qui verront là un gage de pérennité et de sécurité. Les stratégies d’ouverture, que nous avons présentées précédemment, peuvent permettre de remporter une guerre des standards.

Dans l’industrie informatique, les entreprises tentent, par divers moyens, de faire accepter leur logiciel, leur langage ou leur technologie informatique par le plus grand nombre d’utilisateurs, afin de les imposer comme standards, au détriment de ceux de leurs concurrents. Pour ce faire, elles peuvent choisir de pratiquer une politique de licence attractive et ouverte, c’est-à-dire de concéder des licences à un maximum d’utili-sateurs, à des conditions qui leur feront choisir la technologie en question plutôt que celle des concurrents.

Dans le cas des logiciels ou des langages, ces conditions sont traduites par des clauses de prix faible voire nul, ainsi que de disponibilité du code source et de libertés de modification. Les entreprises optant pour ce type de stratégie choisissent le plus souvent des licences soit propriétaires mais gratuites, soit libres, soit hybrides.

Les exemples sont nombreux : Sun Microsystems pour Java, Troll Tech pour Qt, etc ? Comme dans le cas des technologies classiques, ce type de stratégie est souvent utilisé par les éditeurs de logiciels pour réaliser des profits joints, le plus généralement en fournissant des services, de la maintenance, des logiciels complé-mentaires soumis à licence propriétaire ou bien en créant un système de licence multiple en fonction du type d’activité de l’utilisateur (Troll Tech avec Qt par exemple).