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Stratégie et choix de licence : une vision dynamique à privilégier

8.3 Vers une méthodologie d’analyse des licences

8.3.3 Stratégie et choix de licence : une vision dynamique à privilégier

Après avoir appliqué cette méthodologie à diverses licences, on peut penser que son intérêt consisterait à créer deux types d’outils. Le premier serait un «catalogue» associant aux différents types de clauses recensés la ou les composantes stratégiques servies. Il aurait pour but de «traduire» toute licence d’un langage juridique dans un «langage stratégique», ce qui permettrait à tout licencié de cerner très rapidement les buts de l’entreprise avant d’adopter son logiciel. Le deuxième prendrait également la forme d’un «catalogue», mais qui recenserait cette fois les différents types de clauses susceptibles de servir chacune des composantes stratégiques identifiées. Cet outil serait utilisé par toute entité souhaitant trouver la licence appropriée à son produit et à ses buts stratégiques.

Cependant, cette méthodologie et ces outils procureraient une vision statique d’une licence, incohérente dans la mesure où le propre d’une stratégie est d’évoluer au cours du temps, en fonction de nombreux facteurs (l’évolution de ses parts de marché, de sa notoriété, de la situation dans laquelle se place son produit, phase de démarrage ou position de quasi-standard, du nombre et du pouvoir des concurrents, ou enfin des actions et pression d’acteurs institutionnels tels que les associations de promotion du Libre, par exemple). Cette vision trop statique peut même devenir dangereuse pour une entreprise, celle-ci se devant de toujours anticiper les évolutions de son marché, de l’usage de son logiciel, donc de sa licence pour ne pas se retrouver bloquée dans une stratégie figée.

Ainsi, il semble évident que la stratégie d’une firme ne pourra être la même lorsque le produit sera en phase de démarrage ou en phase de maturité. Lors de la phase de démarrage, le but premier de l’entreprise sera de faire adopter le produit par un maximum d’utilisateurs, de façon à l’imposer en tant que standard. Pour ce faire, l’éditeur pourrait choisir une licence aux clauses peu restrictives et imposant une faible redevance.

En revanche, lorsque le produit atteint une phase de maturité où il est établi comme standard, la stratégie de l’éditeur ne visera plus une standardisation déjà acquise, mais plutôt la rentabilisation, le contrôle des firmes concurrentes ou l’enrichissement du logiciel par une communauté de programmeur. Il est alors probable qu’en fonction de l’objectif choisi, les clauses de la licence précédente ne seront plus appropriées.

De même, l’environnement concurrentiel de l’entreprise peut se modifier. Une entreprise en situation de quasi-monopole sur son créneau aura tendance à adopter une stratégie de valorisation et en conséquence une

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8. LA LICENCE : UN OUTIL STRATÉGIQUE POUR LES ÉDITEURS DE LOGICIELS.

licence plutôt restrictive et à redevance élevée. à partir du moment où des concurrents font leur entrée sur son marché, et qu’elle voit ses positions menacées, elle aura tout intérêt à favoriser une stratégie de contrôle des concurrents ou de standardisation : là encore, la licence adoptée précédemment risque alors de ne plus être appropriée. Enfin, comme nous l’avons vu dans le cas de la librairie Qt de Troll Tech, une stratégie peut être amenée à évoluer sous la pression d’acteurs institutionnels tels que les associations de promotion du Libre comme la FSF. Certaines entreprises peuvent alors être poussées à revoir leur licence et par-là même leur stratégie.

Or, de même qu’il existe des dépendances de sentier technologiques, c’est-à-dire qu’un choix initial d’une technologie a des conséquences sur les possibilités de choix futurs en rendant impossible ceux de certaines technologies, de même ces dépendances de sentier sont susceptibles d’être présentes au niveau des licences : en fonction des clauses choisies, une firme peut s’engager dans un sentier et se priver de la possibilité de modifier ou rajouter certaines clauses afin de faire évoluer cette licence.

Les sources de cette dépendance de sentier de licence sont les facteurs défavorisant le changement de licence. On en compte quatre.

La première est d’ordre juridique, dans la mesure où les clauses mêmes d’une licence peuvent interdire de placer le produit sous quelque autre licence que ce soit sans l’accord de tous les coauteurs, qui peuvent être très nombreux : c’est le cas de la GPL, qui stipule que tout produit GPL ou dérivé d’un produit GPL ne peut être placé sous une autre licence que la GPL.

La deuxième source est relative à la popularité du produit et à son éventuelle position de standard : comme une licence peut s’avérer incitative à l’adoption d’un produit, sa modification en une version plus stricte est susceptible, au contraire, de conduire les utilisateurs à se tourner vers un autre produit.

La troisième concerne les institutions et lobbies, tels que les associations de promotion du libre de type Free Software Foundation. Celles-ci ont en effet tendance à encourager les entreprises éditrices de produits standards à leur appliquer des licences libres : tout retour vers une licence de type hybride donnerait lieu à de fortes pressions de leur part.

Enfin, la quatrième est relative à la communication : changer de licence implique d’importants efforts de communication visant à expliquer aux utilisateurs les différences avec l’ancienne version, mais aussi à les rassurer quant aux conséquences qu’un tel changement. Ces dépenses de communication sont d’autant plus indispensables que les utilisateurs sont frileux et suspicieux par rapport aux motivations de l’entreprise éditrice, qu’ils peuvent soupçonner par exemple de réduire le caractère libre d’une licence.

Il apparaît cependant que les désagréments de cette dépendance de sentier se font sentir moins fortement dans le cas où l’entreprise désire faire évoluer sa licence vers une version plus libre, que lorsqu’elle tente de la modifier dans le sens inverse, c’est-à-dire de limiter les libertés octroyées jusque là. Ainsi, dans le cas de Troll Tech, qui a choisi de faire évoluer sa licence d’une version hybride vers une version libre, et enfin vers une version GPL, l’effet de la dépendance de sentier a été plutôt peu ressenti. En revanche, on peut imaginer le cas d’une société ayant choisi comme licence, pour un de ses produits, la GPL ou la LGPL, des licences libres pures : la dépendance de sentier aurait des effets très néfastes si elle décidait de revenir à une licence hybride, dans la mesure où les 4 sources de dépendance de sentier citées plus haut rendraient très difficile et dangereux ce type de changement de licence.

8.3. VERS UNE MÉTHODOLOGIE D’ANALYSE DES LICENCES. 145

Conclusion.

En nous appuyant sur des cas concrets, nous avons tenté de montrer, tout au long de cet article, que les licences sont, pour les éditeurs de logiciels, des outils pour mener à bien une stratégie définie au préalable en fonction de leur position sur le marché. La licence apparaît alors comme un assemblage de clauses servant des composantes stratégiques précises telles que la valorisation patrimoniale, le contrôle des firmes concurrentes, la création d coopérations sources d’éventuelles économies de R&D et la standardisation. Ce constat étant fait, il est alors possible de déchiffrer chaque licence de logiciel en mettant à jour les orientations stratégiques de l’éditeur en fonction des clauses choisies. En allant plus loin, il serait tentant de déduire de ces observations une méthodologie qui permettrait d’associer automatiquement chaque composante de la stratégie de la firme à une clause spécifique de la licence. Ce serait une démarche un peu hâtive, voire même inefficace sinon dangereuse à long terme. En effet, s’il est vrai que certaines licences sont à privilégier en fonction de la stratégie choisie par l’éditeur, il ne faut surtout pas perdre de vue que stratégie et licence s’opposent sur un caractère précis : l’évolutivité. Si le propre de la licence est son caractère défini et statique, il n’en va pas de même pour la stratégie : celle-ci est très souvent amenée à évoluer et se modifier au cours du temps en fonction notamment du succès du produit, de la structure du marché ou de la concurrence. On comprend alors tout le risque du choix d’une licence statique destinée à servir une stratégie vouée à évoluer : cela introduit une certaine irréversibilité et ferme des opportunités stratégiques. Dès lors, le choix de la licence ne peut plus se limiter, pour un éditeur, à traduire sa stratégie actuelle en clauses, mais demande un travail d’anticipation bien plus complexe, prenant en compte l’ensemble du cycle de vie du produit.

Troisième partie

Étude du contexte juridique de l’économie

du logiciel.

L’usage des licences de logiciels libres.

YVES ROUGY, Alcôve,Yves@rougy.net.

150 9. L’USAGE DES LICENCES DE LOGICIELS LIBRES.

Introduction.

Les licences libres sont fortement dominées par la présence de la licence GPL. Cette dernière représente la grande majorité des licences libres utilisées actuellement.

Néanmoins, derrière la suprématie de la GPL, d’autres licences coexistent. Historiquement, la licence GPL a vu son utilisation exploser avec la démocratisation du système d’exploitation Linux. Mais des licences plus anciennes, comme la licence BSD ou ses dérivées restent quand même très présentes.

Lorsqu’une entreprise développe un logiciel libre, il est fréquent de voir apparaître une licence attachée à son projet, ou à elle-même. On peut d’ailleurs remarquer que ces licences comportent souvent le nom de l’entreprise dans leur propre nom.

D’une manière plus générale, on remarque que l’on peut d’ailleurs presque systématiquement associer une licence spécifique à un projet particulier, comme Perl avec la licence Artistic ou BSD avec le système Unix de l’université de Berkeley, donc également hors des entreprises.

Si Internet permet d’avoir facilement et rapidement accès à ces licences, en revanche, trouver une an-cienne version, ou faire l’historique d’une licence particulière est particulièrement difficile. En effet, l’aspect immédiat d’Internet fait disparaître toute l’évolution d’une page contenant une licence par exemple. On ne peut alors accéder aux versions anciennes du document que si l’auteur met ses anciennes versions sur le site.

Ainsi les versions du document sont perdues si l’auteur ne les a pas toutes archivées. Certaines informations qui auraient pu être présentées dans cette étude ne le sont pas par manque d’information historique, comme les dates de création des licences !

9.1 La liste des licences.

Les licences présentées ici ont été trouvées grâce aux moteurs de recherches, et notamment la par-tie annuaire de Google (directory.google.com). De plus, les informations trouvées sur le site OSI (http:

//OpenSource.org) ont été d’une précieuse aide.

En ce qui concerne les statistiques sur les projets, (thématiques, répartitions), seules les licences les plus représentatives ont été analysées. Ces statistiques thématiques ou de répartitions ont été faites en utilisant les données accessibles par le site http://SourceForge.net. Ce site permet à un programmeur d’héberger son projet, en spécifiant, entre autres informations, la licence qu’il utilise. Le grand nombre de projets hébergés (de l’ordre de 45000) permet d’avoir un échantillon suffisamment représentatif pour s’intéresser aux licences utilisées par ces projets. De plus, SourceForge répartit ses projets dans différents thèmes. Pour de raisons de clarté, les thèmes de SourceForge ont été regroupés dans cette étude en thèmes plus généraux. Le nombre de projets présents dans la nouvelle classification est de plus de 35000.

Si toutes les licences ne sont pas répertoriées sur le site de SourceForge, on y trouve les plus représenta-tives.