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La libération du code source du Code Aster d’EDF

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7. LES STRATÉGIES DE LIBÉRATION DU CODE SOURCE D’UN LOGICIEL PAR UNE ENTREPRISE : OPPORTUNITÉS ET DIFFICULTÉS.

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exemple les services informatiques), et parce que l’extériorité de son métier principal la prive de la légitimité d’un éditeur de logiciel : une équipe de R&D diffère fortement de l’assistance client. Certaines expériences de création de société (par exemple, Simulog, émanation de l’INRIA, autour des codes de thermohydraulique et de mécanique des fluides) pour effectuer de la valorisation externe internationale avec du support s’avéraient peu concluantes.

EDF tenta néanmoins de vendre indirectement des licences de Code Aster (au prix de 16.7k ) en s’ap-puyant sur trois distributeurs et prestataires de services avec l’espoir de créer une synergie avec ces sociétés : CS (ex CISI) éditeur de logiciel scientifique visant les PME, CETIM qui apportait la caution technique des industries mécaniques à visée scientifique et SAMTEC société belge éditrice de logiciels et prestataire de services dans les domaines de l’aéronautique et de l’espace. Une faiblesse de Code Aster était le manque de modules de pré-traitement et de post-traitement permettant le transfert entre les données pour la simulation numérique et la CAO. Samtec avait dans ce domaine une stratégie en s’appuyant sur Cascade et il était prévu d’engager un programme de mutualisation des développements à base de Cascade pour enrichir le logiciel.

Mais la décision en décembre 1998 de Matra Datavision de mettre fin à son activité d’éditeur de logiciel et de se transformer en société distributrice de Catia et prestataire de services autour de ce logiciel, entraîna une grande incertitude sur l’avenir de Cascade et l’abandon de ce projet. EDF essaya de susciter d’autres regroupements autour de solutions moins ambitieuses mais les stratégies difficilement conciliables des diffé-rents partenaires empêchèrent ces projets d’aboutir. En 1999, EDF se retrouva dans une situation de grande perplexité : les mécanismes de distribution ne fonctionnaient pas bien, il existait des problèmes d’adaptation aux clients qui se retournaient vers EDF dont ce n’était pas le métier et les ventes de licence ne rapportaient rien. C’est dans ce contexte que Matra Datavision prît la décision de transformer Cascade en logiciel libre, ce qui ne fut pas sans conséquence sur la décision de EDF.

Le processus de décision.

En septembre 1999, EDF décida de renoncer à investir dans le développement de modules de pré-traitement et de post-pré-traitement, en considérant que ce n’était pas son métier, et en espérant pouvoir s’ap-puyer sur des solutions inventées par d’autres. Il apparaissait clairement que cela équivalait à renoncer à une diffusion commerciale de Code Aster.

Fin novembre, un comité de pilotage prît la décision d’instruire le modèle de diffusion du logiciel libre. En juillet 2000, à partir d’un état des lieux du secteur commercial et d’un bilan avec les distributeurs, EDF décida de mettre fin aux contrats de distribution et de ne plus instruire le modèle commercial et d’approfondir l’étude du modèle du libre : évaluation des risques, aspects juridiques et choix de la licence, contraintes de réalisation des sites Internet, pertinence économique du modèle, opportunité d’être le premier à proposer en logiciel libre une application complète en simulation, possibilité de trouver des contributeurs extérieurs au développement (nécessité de convaincre quelques industriels et centres techniques d’être des contributeurs permettant de créer un comité de pilotage externe).

Il fut décidé de réaliser de toute façon des sites Web sur les logiciels Code Aster, avec une utilisation Intranet permettant d’améliorer la circulation des informations internes à EDF, une utilisation Extranet pour les fournisseurs d’EDF utilisateurs du logiciel et une utilisation Internet avec un site indépendant du site institutionnel EDF. L’investissement s’éleva seulement à 12homme / an mais un investissement supplémentaire serait nécessaire pour créer des versions anglaise et espagnole du site.

La recherche d’acteurs pouvant constituer un premier cercle de contributeurs externes s’appuyait sur quelques partenaires intéressés (Institut Français du Pétrole, Michelin et IFP, une société qui commercialise des logiciels et des services). Les changements permanents de stratégies de ces partenaires dans un contexte très incertain empêchèrent la réalisation d’un accord simultané avec les différents partenaires pressentis et conduisirent à l’abandon momentané du projet de premier cercle.

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En mars 2001, le site Internet était opérationnel ; après des discussions avec des membres de la commu-nauté du logiciel libre et avec Open Cascade, les projets de décision et les projets de licence étaient prêts avec l’avis des juristes. La licence choisie fut la licence GPL (GNU General Public License) certifiée par la Free Software Fundation qui permet aux utilisateurs de développer du code complémentaire, de construire des applications commerciales spécifiques et de proposer des services autour du logiciel. Les différents acteurs d’EDF étaient convaincus de la pertinence du projet et la décision fut prise le 6 juillet avec la volonté d’aller vite pour capitaliser l’atout d’être le premier. Le 19 octobre, EDF mettait à disposition Code-Aster en logiciel libre sur son site Internet.

7.2.2 Les premiers résultats.

Un succès en termes de diffusion.

100 jours après l’ouverture du site, celui-ci avait fait l’objet de 14 000 visites dont 65 % provenant de France, 39 % des États-Unis (connexions en général courtes vu que le site est exclusivement en français) et 6 % de 32 autres pays. Il y avait 440 téléchargements de l’exécutable (87 % de la version Linux, 13 % de la version Solaris Irix, et il fallut attendre 2 mois pour avoir une demande d’une version sous Windows NT).

Seuls 50 % des téléchargeurs avaient été identifiés dans la mesure où l’identification est facultative. Parmi les téléchargeurs identifiés, il apparaissait que 60 % venaient du monde académique et 40 % de l’industrie, et que 83 % des téléchargements s’effectuaient en France, les autres se répartissant entre 20 autres pays. Le code source n’a été mis en ligne que trois mois après et a été également massivement chargé (140 téléchargements en 40 jours). Les initiateurs du projet avaient quelques craintes sur le démarrage des forums mais les échanges se révèlent être de bonne qualité. Si les réponses sont essentiellement l’œuvre des salariés d’EDF, elles sont rapides et assurées spontanément par les différents participants au projet sans avoir eu besoin de définir des astreintes.

Ce succès est en partie due à la publicité qu’a donnée la «communauté du libre» à la décision d’EDF. Selon Jean-Raymond Lévesque, l’initiateur du projet, «nous avons bénéficié d’une aide fantastique des acteurs du libre», ainsi que de l’existence de jeunes informaticiens favorables aux logiciels libres, notamment dans les entreprises industrielles.

On commence à voir apparaître des demandes pour la fourniture de services, mais dans ce domaine les objectifs d’EDF sont bien différents de ceux de Open Cascade.

Des objectifs différents.

L’objectif d’EDF est l’amélioration du logiciel pour mieux répondre à ses besoins internes. La diffusion externe de Code_Aster par Internet en «logiciel libre» doit permettre d’agrandir le réseau d’utilisateurs, et donc favoriser une mise à l’épreuve du logiciel auprès d’un vaste public de spécialistes très impliqués, qui pourront également conforter l’avis des experts nommés pour valider le code avant sa mise en production. En effet,

«la valeur d’un logiciel de simulation et d’étude repose largement sur la compétence et l’esprit critique de ses utilisateurs» (entretien avec Jean-Raymond Lévesque). Le but est d’obtenir une «reconnaissance par l’usage»

du logiciel, qui favorise la détection des anomalies, la comparaison avec les autres produits existants et la validation du logiciel pour des utilisations où l’évaluation des risques génère des exigences de transparence de plus en plus importantes : «la validation des nouvelles fonctions de Code_Aster, avec le niveau exigé dans le secteur nucléaire, est difficile avec le seul usage interne du logiciel. Nous disposons en effet d’un nombre d’utilisateurs insuffisant pour qualifier rapidement les nouveaux développements» (Jean-Raymond Lévesque, Le Monde Informatique, 1/2/2002). Cette amélioration incrémentale du logiciel facilitée par son caractère libre est une question décisive pour un logiciel très technique où les temps de diffusion sont extrêmement longs (un logiciel de simulation numérique développé 12 ans auparavant est considéré comme un produit «jeune»)

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et où les tentatives de rénovation globale de l’architecture sont très difficiles (une tentative d’architecture révolutionnaire développée autour de l’Université de Berkeley s’est soldée par un échec).

Pour ce faire, il s’agit d’amorcer un cercle vertueux fort entre qualité croissante et engagement des utili-sateurs dans une logique «gagnant /gagnant» permettant de bénéficier de la dynamique d’un réseau que l’on contribue à développer. La croissance du nombre d’utilisateurs peut s’effectuer dans plusieurs directions grâce au caractère libre du logiciel. Les fournisseurs d’EDF, confrontés à une politique d’achat qui se durcit avec une montée des exigences sans garantie de marché et une pression par les prix, bénéficient d’une licence gratuite d’utilisation (exploitation et développement) de Code Aster pour effectuer d’autres travaux pour des tiers. Cette opportunité peut également profiter à d’autres industriels et fournisseurs de services en simulation numérique, ce qui favorise des retours d’expérience externe issus d’utilisations hors du contexte EDF. Un deuxième axe de développement concerne les équipes de recherche et agences de développement, qui peuvent être intéressées par la libre disposition d’une plate-forme de simulation 3D avec plusieurs points d’entrée, indépendante des solutions commerciales, et permet notamment d’accélérer les épreuves de la version de dé-veloppement. Le libre accès au logiciel, à sa documentation théorique et à un corpus de tests et d’exemples peut également faciliter l’utilisation de Code Aster dans la formation, ce qui entraîne l’existence d’un «vivier»

d’acteurs formés, atout important pour la diffusion ultérieure du logiciel.

Si l’objectif principal d’EDF est l’amélioration qualitative du logiciel à partir des remontées d’expérience suscitées par une utilisation plus importante et plus diversifiée du logiciel, EDF espère également enrichir le logiciel des contributions d’une large communauté de développeurs : «l’objectif est de baisser les coûts in-formatiques tout en favorisant le développement coopératif, mutualisé entre plusieurs entreprises» (Jean-Luc Dormoy, Le Monde Informatique, 1/2/2002). EDF souhaite que sa démarche puisse capitaliser les contribu-tions de nombreuses équipes de recherche (universitaires ou industrielles) et leur offre en retour une structure d’accueil pérenne réutilisable facilement pour leurs propres travaux : «nous espérons que le nombre de contri-buteurs doublera d’ici un an. Un développement collaboratif bien encadré permet d’atteindre un meilleur niveau de qualité qu’une équipe isolée» (Jean-Raymond Lévesque, Les Échos, 19/11/2001).

Par contre, et c’est une différence importante avec Open Cascade, EDF n’a nullement l’intention de com-mercialiser des services autour de Code Aster : «on veut voir émerger un pôle services mais sans nous» affirme Jean-Raymond Lévesque. Dans le communiqué rendant publique la décision de faire de Code Aster un logiciel libre, EDF précise que «tout organisme peut proposer avec des conditions définies par lui et sans la caution d’EDF des services pour l’exploitation du logiciel (formation, support au sens large, portage, qualification) et pour l’enrichissement du logiciel (formation, support, distribution particulière)». Convaincu qu’il existe une synergie forte entre diffusion du logiciel et création d’un réseau de sociétés de services autour de Code_Aster, EDF a apporté une aide au démarrage pour ces prestations en proposant des formations gratuites à l’utilisation et au développement avec les auteurs du logiciel et une assistance téléphonique pour les premiers organismes intéressés.

Les perspectives.

Après une première vague de curiosité, la fréquentation des sites continue à croître notamment dans le monde industriel. Des enseignements sont prévus l’année prochaine sur Code Aster. Pour les développeurs d’EDF, le premier bilan est positif ( «cela marche et c’est utile») grâce notamment à l’utilisation de Code Aster dans des domaines insoupçonnés. EDF continue le développement pour ses besoins internes et a comme perspective de terminer la version 6 du logiciel pour octobre 2002 et de réaliser la version 7 pour octobre 2004. EDF entend continuer à développer et à animer les réseaux pour faciliter les apports de contributeurs externes universitaires et industriels. Une Assemblée Générale des utilisateurs est prévue en octobre 2002 avec un atelier «utilisation» pour effectuer un bilan des usages et un bilan des services et des distributions, et un atelier «contributions» pour l’adoption d’une charte de bonne conduite et la constitution d’un comité de pilotage.

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7. LES STRATÉGIES DE LIBÉRATION DU CODE SOURCE D’UN LOGICIEL PAR UNE ENTREPRISE : OPPORTUNITÉS ET DIFFICULTÉS.

À terme, EDF n’exclut pas que le centre de gravité du produit puisse migrer vers l’extérieur, ce qui allé-gerait la charge financière pour EDF tout en préservant le produit et les emplois.