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7. LES STRATÉGIES DE LIBÉRATION DU CODE SOURCE D’UN LOGICIEL PAR UNE ENTREPRISE : OPPORTUNITÉS ET DIFFICULTÉS.

À terme, EDF n’exclut pas que le centre de gravité du produit puisse migrer vers l’extérieur, ce qui allé-gerait la charge financière pour EDF tout en préservant le produit et les emplois.

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à des logiciels exploités par les utilisateurs finaux. De plus en plus les logiciels sont construits avec d’autres logiciels, eux-mêmes réalisés grâce à d’autres logiciels La forme extrême de ce processus est la production de logiciels à partir de composants logiciels, que facilitent les conceptions de la programmation orientée objets en forte croissance. Cette direction correspond à un des enjeux majeurs de l’économie du logiciel.

Face à l’extension permanente de l’utilisation de logiciels et de la diversité des besoins, le développement de logiciels sur mesure à partir de composants standardisés (deuxième modalité du monde de production flexible) apparaît comme une solution permettant de concilier une productivité et une fiabilité relativement élevées (par la réutilisation de composants testés) tout en pouvant ajuster le logiciel développé aux besoins précis des utilisateurs. Mais le développement de cette forme de production particulièrement prometteuse ne va pas de soi. Pour être pleinement efficace, il faut pouvoir utiliser des composants logiciels choisis parmi l’ensemble de ceux qui ont été développés par la communauté informatique, et ne pas se limiter à ceux qui ont été produits en interne. Le problème est que l’utilisation des composants logiciels nécessite l’accès direct au code source de ces composants pour résoudre les problèmes d’interopérabilité, de fiabilité et de pérennité. L’existence de ces composants sous forme de composants logiciels libres peut donc constituer une solution intéressante, l’entreprise qui libère une «couche» de briques logicielles pouvant financer cette activité par l’ajout d’une dernière «couche» (logicielle ou de services) où elle escompte être plus compétitive.

7.3.3 La recherche de l’imposition d’un standard

Cette évolution renforce l’importance des questions de standardisation qui ont toujours été des questions décisives pour les logiciels comme plus généralement pour l’ensemble de l’informatique vu l’intensité des in-terrelations technologiques entre les différents composants logiciels et matériels des systèmes informatiques.

De ce point de vue, la transformation en logiciel libre peut être un moyen efficace pour imposer un standard, pour devenir la référence incontournable dans un domaine. Par exemple, le formidable développement d’In-ternet et du World-Wide-Web est dû à la réussite des processus de standardisation sur des standards ouverts qui s’appuient sur des logiciels libres. Réciproquement, l’existence d’Internet joue un rôle majeur dans la diffusion des logiciels libres comme dans la participation à leur amélioration et à leur développement.

Dans les exemples étudiés, l’espoir que des standards se créeront autour des logiciels libérés est une pré-occupation majeure. Ceci explique la volonté d’être le premier dans le secteur considéré à effectuer cette démarche et le choix de certaines décisions, en termes de licence par exemple, pour bénéficier de la recon-naissance de la communauté du logiciel libre et accélérer les processus de standardisation. La réussite de ces processus conditionne l’extension d’un réseau soit pour améliorer le produit (EDF), soit pour commercialiser des services (Open Cascade). En même temps, si l’efficacité de cette démarche provient de son originalité, cela rend plus hypothétique d’éventuelles décisions de libérer d’autres logiciels dans des secteurs où existent déjà des logiciels libres. Par contre, on peut penser que les interconnexions entre les différents domaines peuvent inciter des acteurs proches d’un domaine où existe un logiciel libre à libérer leur logiciel. Ce n’est pas par hasard que les deux expériences d’entreprises industrielles ayant fait ce choix se situent dans des domaines connexes. Hugues Rougier estime que par un phénomène de contagion progressive vont s’étendre les zones où existent des logiciels libres sur la «carte» des logiciels.

7.3.4 Des succès qui ne doivent pas masquer les difficultés pour s’adapter à des modèles économiques inédits.

Le succès principal concerne l’amélioration de la qualité du logiciel libéré qui se diffuse rapidement, ce qui contribue en retour à améliorer ses qualités. Au delà de la gratuité qui n’est qu’une conséquence, la carac-téristique principale d’un logiciel libre est que l’on dévoile son contenu, que ce n’est plus une «boîte noire» : on peut voir comment il est architecturé, écrit, percevoir ses défauts, localiser précisément les dysfonctionne-ments alors qu’il est très difficile d’imputer à un logiciel particulier les problèmes rencontrés dans l’utilisation

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7. LES STRATÉGIES DE LIBÉRATION DU CODE SOURCE D’UN LOGICIEL PAR UNE ENTREPRISE : OPPORTUNITÉS ET DIFFICULTÉS.

d’un système informatique global sans disposer du code source des logiciels qui interagissent. C’est ce qui explique qu’une entreprise ne peut libérer que des logiciels de qualité, et que dans les deux cas étudiés d’im-portants investissements ont été consentis pour améliorer encore le logiciel avant de publier son code source.

En effet, de telles décisions peuvent affecter l’image de l’entreprise au delà du seul logiciel libéré : c’est ce qui explique que certaines entreprises, comme Thomson, qui disposent d’un important portefeuille de logi-ciels qui ne sont plus valorisés sont rétives, non pas à fournir gratuitement ces logilogi-ciels, mais à rendre publics leurs codes sources. Par contre, un logiciel de qualité qui est libéré voit sa diffusion augmenter et bénéficie des contributions de ses utilisateurs à la poursuite de son amélioration.

Les deux cas étudiés confirment ce raisonnement. Mais ils montrent également les difficultés rencontrées pour adopter des modèles économiques radicalement nouveaux. Avant d’examiner ces difficultés, il est néces-saire de spécifier les deux modèles assez différents identifiés, dont on peut penser qu’ils ont une portée plus générale pour analyser d’autres expériences de transformation en logiciels libres.

Figure 7.2 — Un premier modèle : pérenniser un produit stratégique en le libérant.

Monde interpersonnel

Monde de la production flexible Monde

interpersonnel

Monde de la production flexible Monde

interpersonnel

Monde de la production flexible Monde

interpersonnel

Monde de la production flexible

Monde de la création

Monde fordiste

Industrialisation

Le premier de ces modèles, illustré par l’expérience d’EDF repose sur la volonté de pérenniser un pro-duit jugé stratégique. Dans la représentation que nous avons fait des évolutions dynamiques de l’économie du logiciel, ce modèle correspond à une entreprise située dans le monde de production interpersonnel (un logiciel développé pour répondre à des besoins internes) qui ne parvient pas à transformer son logiciel en pro-giciel commercial (échec de la trajectoire que nous avons qualifié d’ «industrialisation»). La transformation en logiciel libre correspond sur le schéma à une nouvelle trajectoire qui part du monde interpersonnel vers le monde de la création, l’objectif étant de continuer à améliorer qualitativement le logiciel pour les besoins internes de l’entreprise grâce aux retours d’expériences d’utilisateurs plus nombreux et plus diversifiés tout en minimisant les coûts de développement par l’existence de contributeurs extérieurs. Par contre, l’objectif de l’entreprise n’est pas d’atteindre le monde de production flexible par la commercialisation de services et de développements sur mesure à partir du logiciel libéré (trajectoire appelée «valorisation»). Si une telle évolu-tion est souhaitable pour assurer la pérennité du logiciel, elle sera l’œuvre d’acteurs extérieurs à l’entreprise (avec une aide au démarrage éventuelle de l’entreprise) sans que l’entreprise en retire un bénéfice commercial.

Si dans le cas étudié, c’est le caractère stratégique du logiciel pour l’entreprise qui est mis en avant, on peut également concevoir qu’un tel modèle soit pertinent pour des logiciels jugés stratégiques au niveau d’un pays (par exemple, la recherche d’une indépendance technique pour la maîtrise des logiciels des couches basses des activités de défense) ce qui pose la question d’un financement public éventuel pour l’adoption de ce modèle.

Le deuxième modèle, correspondant à l’expérience d’Open Cascade, repose sur la vente de services divers liés au logiciel libéré, y compris des développements logiciels sur mesure. Ici l’objectif est de se positionner

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Figure 7.3 — Un deuxième modèle : vente de services liés au logiciel libre.

Monde interpersonnel

Monde de la production flexible Monde

interpersonnel

Monde de la production flexible Monde

interpersonnel

Monde de la production flexible Monde

interpersonnel

Monde de la production flexible

Monde de la création

Monde fordiste

Valorisation Flexibilisation

dans le monde de production flexible considéré comme étant l’avenir d’une activité lucrative dans l’économie du logiciel. Le point de départ de cette évolution est une entreprise située dans le «monde fordiste» en tant qu’éditeur de progiciels. Face aux impossibilités pour développer ces nouvelles activités à partir d’un progiciel en situation d’échec commercial (difficultés pour s’insérer sur la trajectoire dite de «flexibilisation»), le choix est fait d’évoluer vers le monde de la création (transformation en logiciel libre) mais avec la volonté de profiter de ce positionnement pour que l’entreprise puisse atteindre le monde de production flexible en suivant la trajectoire dite de «valorisation». La transformation en logiciel libre est dans ce cas une démarche marketing particulière qui représente un investissement que l’entreprise espère rentabiliser par un avantage compétitif dans la prospection des clients et dans la qualité des solutions proposées sur le marché des services liés au logiciel libre. La pertinence de ce modèle implique qu’il existe un marché conséquent pour des services complémentaires au logiciel libéré : par exemple, Intelli CAD a tenté sans succès de suivre cette stratégie en libérant son logiciel Visio pour concurrencer Autodesk dans le domaine de la CAO d’entrée de gamme, mais s’est retrouvé dans une situation délicate en raison du manque de services réels proposés (Industries et Techniques, février 2001).

Par ailleurs la mutation d’entreprises vers ces modèles économiques novateurs présente des difficultés.

7.3.5 L’importance des changements culturels.

La première de ces difficultés réside dans l’importance des changements culturels que représente cette transformation pour l’entreprise. Ces changements culturels concernent tout d’abord la façon de produire du logiciel. Pour les développeurs, «cela leur fait quelque chose de publier leur source» explique Jean-Raymond Lévesque. Il existe une certaine crainte à dévoiler l’intimité de leur travail, à révéler publiquement la façon dont ils ont conçu et écrit le logiciel en offrant prise à une critique externe beaucoup plus importante : «est-ce que l’on va écrire de la même façon maintenant que c’est libre ?» s’interroge le responsable qualité de Code Aster. Pour des informaticiens d’entreprise, produire des logiciels libres constitue une rupture plus brutale que pour les informaticiens universitaires, qui ont joué un rôle important dans le développement des premiers logiciels libres, et qui sont habitués à une évaluation basée sur la publicité des travaux et fondée sur le jugement de leurs pairs. En même temps, l’efficacité des critiques et le niveau plus élevé des exigences qui en découlent, expliquent les qualités des logiciels libres par rapport à des logiciels non libres où le manque de transparence masque des défauts de conception difficilement identifiables à partir de la seule visibilité des effets d’un logiciel intégré dans un système informatique global.

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Il existe également des changements culturels substantiels dans la nature de l’activité économique. Par exemple, dans le cas d’EDF la culture dominante est devenue la nécessité pour chaque collaborateur de créer de la valeur («vous n’êtes pas au CNRS !» est une critique fréquemment formulée), et il n’est pas toujours évident, pour les développeurs comme pour les managers, de s’insérer dans une activité qui apparaît désin-téressée. De même dans le cas d’Open Cascade, Abou-Haidar explique : «lorsque nous leur avons annoncé que leurs travaux allaient être livrés gratuitement à tout le monde, c’est un peu comme si on leur arrachait un bras. Il fallait leur faire prendre conscience de partager leur travail. Cela a été difficile» (Linux +, septembre 2000). Inversement, l’adaptation n’est pas non plus évidente pour certains salariés dont le comportement était façonné par l’implication dans un département de R&D et qui doivent se reconvertir en prestataire de services commercialisés, comme dans le cas d’Open Cascade.

Dans tous les cas l’adhésion indispensable des intéressés à des changements de valeurs, les transformations d’identités professionnelles qui en résultent, sont des processus qui ne vont pas de soi et qui prennent du temps8.

7.3.6 Au moins à court terme plus de bénéfices sociaux que privés.

On peut considérer que la transformation d’un logiciel en logiciel libre représente un bénéfice social plus ou moins important selon le succès du logiciel libéré, mais implique un éventuel manque à gagner (absence de redevance possible sur le logiciel) et surtout des investissements pour l’entreprise qui prend cette décision. La rentabilité de ces dépenses pour l’entreprise n’est pas toujours évidente et ne peut se manifester qu’à terme.

Du reste, il apparaît assez clairement que les deux expériences étudiées ne peuvent se poursuivre que parce que les entités qui mènent ces projets sont adossées à de grands groupes (EDF, EADS) pour lesquels les dépenses supplémentaires à engager ou les pertes initiales ne représentent qu’une fraction dérisoire de leur chiffre d’affaires. Comme le souligne la Direction générale de l’Industrie, des Technologies de l’Information et des Postes, du Ministère de l’Économie, «une stratégie «open source», supposant un gros investissement, sans recettes découlant directement du produit développé, n’est évidemment pas exempte de risques pour son promoteur, alors même qu’elle se traduit par d’importantes retombées pour la communauté d’utilisateurs»

(«La R&D industrielle, une clé pour l’avenir : Six cas exemplaires d’entreprises», p. 79).

Une situation où le rendement social d’une initiative dépasse son rendement privé pose logiquement la question d’un financement public au moins partiel de ce type d’activités si l’on estime qu’il est souhaitable que ce type d’initiative ne reste pas marginal et puisse s’étendre à de nombreuses situations. Un financement public peut constituer un «coup de pouce» indispensable pour initialiser un projet, notamment quand il ne s’agit pas de libérer le code source d’un logiciel existant mais de construire dès le départ un logiciel libre : par exemple, des dentistes allemands souhaitaient développer sous forme de logiciel libre, un logiciel d’usinage des prothèses dentaires qui devait permettre à partir de capteurs numérique de réaliser l’usinage des prothèses directement dans le cabinet dentaire ; ce projet d’un coût de 5 millions de marks devait être financé par une souscription des dentistes et a échoué parce qu’il manquait 300.000 marks.

A contrario, le projet Salomé ( «Simulation numérique par Architecture Logicielle en Open source et à Méthodologie d’Évolution») représente «un cas très intéressant et sans doute encore rare, de mise en œuvre d’une véritable stratégie industrielle reposant sur le logiciel libre.» («La R&D industrielle, une clé pour l’ave-nir : Six cas exemplaires d’entreprises», rapport de la Direction générale de l’Industrie, des Technologies de l’Information et des Postes, p. 60). Ce projet se situe à l’interface entre la CAO et la simulation numé-rique, secteurs où se déroulent les deux expériences étudiées, ce qui confirme l’idée de contagion de proche en proche des domaines où existent des logiciels libres. L’idée poursuivie dans le projet SALOMÉ est de construire une plate-forme générique de liaison CAO-calcul pour la simulation numérique. Cette plate-forme

8Réagissant à une présentation dans le cadre du deuxième workshop, des représentants d’Alcatel et de Thomson ont confirmé la difficulté culturelle que représentait pour leurs développeurs de publier leur code source, de le faire partager à l’extérieur et à l’intérieur des entreprises. C’est, pour eux, le principal frein à la mise en libre de certains de leurs logiciels.

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devrait comporter plusieurs composants modulaires et configurables, adaptables à toutes sortes de domaines technologiques. Le projet part d’un constat : la complexité des produits technologiques modernes et la fiabilité exigée d’eux imposent des simulations de plus en plus fines de leur comportement pendant la phase de dé-veloppement. Certains logiciels de CAO proposent des modules de simulation, mais ils ne sont généralement pas suffisants et ne couvrent pas tous les domaines. La plupart des industriels utilisent donc des logiciels de calcul, ou solveurs, spécialisés, développés pour eux ou achetés sur le marché. Mais la liaison entre la CAO et ces outils de simulation est rien moins qu’aisée. Les informations introduites dans les solveurs doivent être présentées de façon très normalisée, d’où le fait que la «mise en données» doive souvent être effectuée «à la main». Cette phase manuelle, qui sert à faire le lien entre des outils informatiques d’une puissance colossale, peut dans certains cas représenter jusqu’à 50 % des temps d’étude.

Le projet SALOMÉ est un projet du RNTL (Réseau National des Technologies Logicielles constitué sous l’impulsion des Ministères de l’Industrie et de la Recherche) qui le finance à hauteur de 40 %. Les développe-ments effectués dans le cadre de ce projet sont sous forme de logiciel libre avec une licence fondée sur trois principes : l’accès aux sources des composants de SALOMÉ est libre, toute correction d’anomalie réalisée dans SALOMÉ doit obligatoirement être publiée en open source, tout utilisateur de SALOMÉ est libre du choix de la licence d’exploitation relative aux composants complémentaires qu’il a développés. Le choix d’un modèle de diffusion gratuite, avec support technique et libre accès au code source, dans le but de constituer une communauté d’utilisateurs, clients potentiels de services associés, s’inscrit dans la stratégie du RNTL de promouvoir des logiciels libres «dans les domaines où l’industrie française est peu présente, [et où] le logi-ciel libre constitue un moyen efficace pour élargir les espaces d’exploitation d’innovations technologiques ou accéder à des positions compétitives». À première vue, il pouvait sembler difficile de trouver des partenaires prêts à engager des dépenses importantes pour développer un logiciel destiné à être distribué gratuitement.

Pourtant, dans le projet SALOMÉ, cette idée a été partagée avec enthousiasme par neuf partenaires, éminents représentants de l’industrie (Open CASCADE, le Bureau Véritas, Principia, Cedrat, EDF et le centre commun de recherche d’EADS) et de la recherche publique (CEA, l’Institut National Polytechnique de Grenoble et l’Université Pierre et Marie Curie Paris VI). La plate-forme logicielle doit être disponible en septembre 2002 et il existe une convention pour continuer des développements, toujours sous forme de logiciels libres, après 2002.

Cet engouement est lié à la difficulté du projet. En effet, les outils logiciels développés doivent pouvoir ac-cepter des informations propres à de nombreux domaines technologiques comme la mécanique, l’hydraulique, l’électromagnétisme, etc. Ces domaines sont si nombreux et si spécifiques que le travail de R&D nécessaire au développement de tels outils peut paraître hors de portée de n’importe quel éditeur ce qui explique que le créneau visé par SALOMÉ n’était pas encore occupé, alors que le besoin est manifeste ( «l’arlésienne des la-bos» selon un spécialiste du secteur). La réussite d’un tel projet suppose qu’il devienne un standard de facto et donc qu’il conquiert le terrain suffisamment vite, afin d’imposer une technologie qui deviendra une référence indispensable pour une grande partie des utilisateurs. Sinon, si le projet de standard industriel est supplanté par un projet concurrent, les travaux effectués pour le mettre au point l’auront été en pure perte. De plus, l’aspect générique de la plate-forme SALOMÉ est capital pour permettre de réduire les temps de formation à l’utilisation des outils mis en œuvre. Pour les utilisateurs, la possibilité d’étudier des phénomènes couplés plus aisément contribuera à réduire les coûts et la durée des études, et à augmenter la qualité des simulations, en favorisant l’interopérabilité entre les codes de simulation.

En plus de l’importance du soutien public, un facteur important de réussite de ce projet, est le fait qu’il répond à des attentes complémentaires des différents participants et qu’il correspond ainsi à une combinaison des deux modèles exposés précédemment. Pour les industriels, il s’agit de mieux rentabiliser les investisse-ments souvent très importants effectués pour développer des codes de calculs de simulation numérique dans les différents domaines qui constituent le cœur de leur métier, en disposant d’outils d’intégration dans une plate-forme globale avec les logiciels de CAO. De plus les choix de codes calcul effectués sont souvent diffi-cilement réversibles car les vérifications des simulations reposent fréquemment sur des itérations par rapport

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à des codes calcul existant déjà testés. Pour ces futurs utilisateurs de la plate-forme logicielle, la participa-tion de leurs équipes aux efforts communs de développement relève d’une forme de veille technologique, en contribuant à l’élaboration d’outils nécessaires dans le cadre d’un travail de R&D relevant de leur secteur d’industrie, que ce soit le pétrole, l’aéronautique ou le génie électrique. Par contre, pour Open Cascade, Sa-lomé représente une extension naturelle de sa plate-forme logicielle et elle espère rentabiliser sa participation au projet par la vente de services liés : par exemple, le CEA a d’ores et déjà conclu des contrats avec Open Cascade pour l’intégration de Salomé.