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Les licences de logiciels libres ont des caractéristiques générales qui ne manquent pas de soulever des interrogations juridiques.

10.2.1 La langue.

Présentation.

Il n’existe pas aujourd’hui de licence de logiciel libre en langue française, elles sont toutes rédigées en anglais. Cela tient essentiellement à leur origine (voir l’étude relative aux usages des licences libres d’Yves Rougy). On peut également penser que le choix d’une langue internationale telle que l’anglais est le mieux adapté pour la distribution d’un logiciel qui se veut sans frontière. Si le contexte de leur création et les contin-gences pratiques justifient ce choix, est-il pour autant valable au regard du droit français ?

L’analyse juridique.

Les textes principaux relatifs à l’emploi obligatoire de la langue française sont les suivants :

– loi n 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française (J.O. 5 avril 1994) dite «loi Toubon» qui supprime et remplace la loi du 31 décembre 1975 n 75-1349 (J.O. 4 janvier 1976) ;

5http://www.opensource.org/licenses/index.html 6http://www.gnu.org/licenses/license-list.html 7licensing@gnu.org

10.2. ANALYSE GÉNÉRALE. 167

– décision du Conseil Constitutionnel n 94-345 du 29 juillet 1994 (J.O. du 2 août 1994) ;

– décret n 95240 du 3 mars 1995 pris pour l’application de la loi n 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française (J.O. du 5 mars 1995) ;

– circulaire du 19 mars 1996 concernant l’application de la loi n 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française (J.O. du 20 mars 1996) ;

– circulaire du 6 mars 1997 relative à l’emploi du français dans les systèmes d’information et de commu-nication des administrations et établissements publics de l’Etat (J.O. du 20 mars 1997).

L’emploi de la langue française est obligatoire dans :

– «la désignation, l’offre, la présentation, le mode d’emploi ou d’utilisation, la description de l’étendue et des conditions de garantie d’un bien, d’un produit ou d’un service, ainsi que dans les factures et quittances»8;

– cette obligation «n’est pas applicable à la dénomination des produits et spécialités d’appellation étran-gère connus du plus large public»9;

– les contrats «quels qu’en soient l’objet ou la forme» «auxquels une personne morale de droit public ou une personne privée exécutant une mission de service public sont parties»10.

Le champ d’application de la loi concerne les personnes privées comme les personnes publiques. Toute-fois, certaines de ces dispositions sont plus contraignantes pour les personnes de droit public et les personnes privées exécutant une mission de service public11.

L’emploi de la langue française dans les contrats ne semble obligatoire que lorsqu’une personne morale de droit public ou une personne privée exécutant une mission de service public est partie. De plus, les dispo-sitions de l’article 2 de la loi n 94-665 du 4 août 1994 semblent avoir vocation à s’appliquer qu’en cas de

«commercialisation des biens, produits et services»12. Enfin, ne sont pas concernés par cette obligation «les factures et autres documents échangés entre professionnels, personnes de droit privé françaises et étrangères, qui ne sont pas consommateurs ou utilisateurs finaux des biens, produits ou services»13.

Les sanctions sont énumérées dans le Décret n 95240 du 3 mars 1995. Le non-respect des dispositions de la loi est puni d’une peine d’amende prévue pour les contraventions de IVe classe.

Ainsi, l’obligation d’employer la langue française n’est pas générale. Ce sont essentiellement les per-sonnes publiques qui sont concernées.

10.2.2 L’obligation d’un dépôt légal.

Les textes principaux :

– Loi n 92-546 du 20 juin 1992 relative au dépôt légal (J.O. 23 juin 1992) ;

– Décret n 93-1429 du 31 décembre 1993 relatif au dépôt légal (J.O. du 1 janvier 1994).

Le dépôt légal est exigé :

– pour «les progiciels, les bases de données, les systèmes experts et les autres produits de l’intelligence artificielle sont soumis à l’obligation légale dès lors qu’ils sont mis à la disposition du public par la diffusion d’un support matériel, quelle que soit la nature de ce support»14. La forme de diffusion géné-ralement adoptée des logiciels libres est la diffusion en ligne. Ainsi l’exigence de dépôt légal ne sera pas applicable dans la plupart des cas. Cependant, il arrive que le logiciel libre soit diffusé sous la

8Article 2 al 1 de la loi n 94-665 du 4 août 1994.

9Article 2 al 2 de la loi n 94-665 du 4 août 1994.

10Article 5 de la loi n 94-665 du 4 août 1994.

11Article 2 de la ciculaire du 19 mars 1996.

12Article 2.1 de la ciculaire du 19 mars 1996

13Article 2.1, §2 de la ciculaire du 19 mars 1996.

14Article 1 de la Loi n 92-546 du 20 juin 1992.

168 10. LES LICENCES LIBRES. ANALYSE JURIDIQUE.

forme d’un CD-Rom payant avec notamment une notice complète et un contrat de15. Dans ce cas, les personnes qui édictent, ou en l’absence d’éditeur, celles qui produisent ou importent les progiciels sont astreintes au dépôt16. Il est à noter que dans un rapport, le Conseil d’État préconise de modifier la loi afin d’étendre l’obligation au cas de mise à disposition du public par le réseau numérique «ouvert»17; – pour les progiciels, les bases de données, les systèmes experts et les autres produits de l’intelligence

artificielle jugés représentatifs par décision des ministres chargés de la Culture de l’Industrie et de la Recherche sur proposition de la commission consultative et après avis du conseil scientifique du dépôt légal. Ces arrêtés sont publiés au Journal Officiel. Le dépôt doit être fait dans un délai de huit jours à compter de la date de publication au Journal Officiel. L’absence de dépôt n’affecte pas la protection par le droit d’auteur, mais elle est sanctionnée pénalement par une amende18.

L’obligation en l’espèce ne concerne, par conséquent, qu’un nombre limité de logiciel.

10.2.3 La version.

Présentation.

Les licences libres les plus élaborées présentent une clause qui prévoit que de nouvelles versions de la licence pourront être éditées par la suite (exemples : Mozilla Public License version 1 et Netscape Public License, article 6 ; IBM public License version 1.0, article 7 & 4 ; General Public License version 2, article 9 ; Apple Public Source License version 1.2, article 7 ; Sun Community Source License, version 3, article V.

A). Seule l’organisation à l’origine de la licence est habilitée à créer une nouvelle version qui aura un numéro distinct.

Exemples :

L’Apple publique source license : 7. Versions of the License. “Apple may publish revised and/or new ver-sions of this License from time to time. Each version will be given a distinguishing version number. Once Original Code has been published under a particular version of this License, You may continue to use it under the terms of that version. You may also choose to use such Original Code under the terms of any subsequent version of this License published by Apple. No one other than Apple has the right to modify the terms appli-cable to Covered Code created under this License.”

Netscape Publique license : 6. Versions of the License. “6.1. New Versions. Netscape Communications Corporation (“Netscape”) may publish revised and/or new versions of the License from time to time. Each version will be given a distinguishing version number. 6.2. Effect of New Versions. Once Covered Code has been published under a particular version of the License, You may always continue to use it under the terms of that version. You may also choose to use such Covered Code under the terms of any subsequent version of the License published by Netscape. No one other than Netscape has the right to modify the terms applicable to Covered Code created under this License.”

La clause est identique dans la licence Mozilla.

IBM Publique License : article 7. “IBM may publish new versions (including revisions) of this Agreement from time to time. Each new version of the Agreement will be given a distinguishing version number. The Program (including Contributions) may always be distributed subject to the version of the Agreement under which it was received. In addition, after a new version of the Agreement is published, Contributor may elect to distribute the Program (including its Contributions) under the new version. No one other than IBM has the right to modify this Agreement.”

15Les sociétés RedHat, MandrakeSoft, Caldera ou SuSE distribuent ainsi les différentes versions de Linux.

16Article 4.3 . de la loi de 1992.

17«Internet et les réseaux numériques», les études du Les études du Conseil d’État [1998], La Documentation française.

18Article 7 loi 1992.

10.2. ANALYSE GÉNÉRALE. 169

Les effets prévus de l’apparition d’une nouvelle version.

En général, les licences prévoient que l’utilisateur a le choix entre se prévaloir des termes soit de la nouvelle version soit de la version en vigueur lorsqu’il a commencé à utiliser le logiciel.

La General Public License version 2, article 9 distingue selon les hypothèses : Si le logiciel indique un numéro de version ainsi que la mention «toute version ultérieure», alors, l’utilisateur peut se prévaloir des dispositions de la version indiquée ou de toute autre version plus récente publiée par la Free Software Fundation. Si le logiciel ne précise aucun numéro de version, l’utilisateur peut choisir l’une quelconque des versions publiées par la Free Software Fundation.

L’analyse juridique.

Une des parties ne peut pas prévoir valablement de modifier unilatéralement les termes d’un accord quand bien même les modifications apportées seraient mineures et ne modifieraient pas l’esprit de la licence19. En effet, le consentement de l’utilisateur a été donné pour les conditions prévues par la licence dont il a eu connaissance.

Dans l’hypothèse de ces licences, la modification de l’accord n’est pas, à proprement parler, unilatérale dans la mesure où il appartient à l’utilisateur d’accepter la nouvelle version ou, au contraire, de la refuser et rester soumis à la version initiale. Ainsi, pour être opposable au licencié, la modification doit faire l’objet d’un accord entre les parties. Aussi, ces clauses sont juridiquement acceptables.

Enfin, il n’est pas inutile de remarquer que de nouvelles versions sont assez rares. Les licences de logiciels libres sont, somme toute, stables.

10.2.4 Les clauses relatives à la garantie et à la responsabilité.

Toutes les licences de logiciels libres contiennent une clause élusive de responsabilité.

Les exemples.

Mozilla Public License version 1 et Nescape Public License.

“7. DISCLAIMER OF WARRANTY

COVERED CODE IS PROVIDED UNDER THIS LICENSE ON AN “AS IS” BASIS, WITHOUT WAR-RANTY OF ANY KIND, EITHER EXPRESSED OR IMPLIED, INCLUDING, WITHOUT LIMITATION, WARRANTIES THAT THE COVERED CODE IS FREE OF DEFECTS, MERCHANTABLE, FIT FOR A PARTICULAR PURPOSE OR NON-INFRINGING. THE ENTIRE RISK AS TO THE QUALITY AND PERFORMANCE OF THE COVERED CODE IS WITH YOU. SHOULD ANY COVERED CODE PROVE DEFECTIVE IN ANY RESPECT, YOU (NOT THE INITIAL DEVELOPER OR ANY OTHER CONTRI-BUTOR) ASSUME THE COST OF ANY NECESSARY SERVICING, REPAIR OR CORRECTION. THIS DISCLAIMER OF WARRANTY CONSTITUTES AN ESSENTIAL PART OF THIS LICENSE. NO USE OF ANY COVERED CODE IS AUTHORIZED HEREUNDER EXCEPT UNDER THIS DISCLAIMER.”

“9. LIMITATION OF LIABILITY

UNDER NO CIRCUMSTANCES AND UNDER NO LEGAL THEORY, WHETHER TORT (INCLU-DING NEGLIGENCE), CONTRACT, OR OTHERWISE, SHALL THE INITIAL DEVELOPER, ANY OTHER CONTRIBUTOR, OR ANY DISTRIBUTOR OF COVERED CODE, OR ANY SUPPLIER OF ANY OF SUCH PARTIES, BE LIABLE TO YOU OR ANY OTHER PERSON FOR ANY INDIRECT, SPECIAL,

19La GPL, par exemple, précise que les nouvelles versions seront analogues les unes par rapport aux autres. Autrement dit d’une version à l’autre, l’esprit reste le même, seuls diffèrent quelques détails afin de résoudre de nouveaux problèmes ou de nouvelles situations.

170 10. LES LICENCES LIBRES. ANALYSE JURIDIQUE.

INCIDENTAL, OR CONSEQUENTIAL DAMAGES OF ANY CHARACTER INCLUDING, WITHOUT LIMITATION, DAMAGES FOR LOSS OF GOODWILL, WORK STOPPAGE, COMPUTER FAILURE OR MALFUNCTION, OR ANY AND ALL OTHER COMMERCIAL DAMAGES OR LOSSES, EVEN IF SUCH PARTY SHALL HAVE BEEN INFORMED OF THE POSSIBILITY OF SUCH DAMAGES.

THIS LIMITATION OF LIABILITY SHALL NOT APPLY TO LIABILITY FOR DEATH OR PERSO-NAL INJURY RESULTING FROM SUCH PARTY’S NEGLIGENCE TO THE EXTENT APPLICABLE LAW PROHIBITS SUCH LIMITATION. SOME JURISDICTIONS DO NOT ALLOW THE EXCLUSION OR LIMITATION OF INCIDENTAL OR CONSEQUENTIAL DAMAGES, SO THAT EXCLUSION AND LIMITATION MAY NOT APPLY TO YOU.”

IBM public License version 1.0.

“5. NO WARRANTY EXCEPT AS EXPRESSLY SET FORTH IN THIS AGREEMENT, THE PRO-GRAM IS PROVIDED ON AN “AS IS” BASIS, WITHOUT WARRANTIES OR CONDITIONS OF ANY KIND, EITHER EXPRESS OR IMPLIED INCLUDING, WITHOUT LIMITATION, ANY WARRANTIES OR CONDITIONS OF TITLE, NON-INFRINGEMENT, MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR A PARTICULAR PURPOSE. Each Recipient is solely responsible for determining the appropriateness of using and distributing the Program and assumes all risks associated with its exercise of rights under this Agreement, including but not limited to the risks and costs of program errors, compliance with appli-cable laws, damage to or loss of data, programs or equipment, and unavailability or interruption of operations.”

Voir également Apple Public Source License version 1.2, article 8 ET 9 ; Sun Community Source License, version 3, article V B et C, ...

L’analyse juridique.

Peut-on ainsi valablement écarter toute garantie et toute responsabilité ?

Cette question n’est pas nouvelle, elle est antérieure au développement des licences libres. La Commis-sion des clauses abusives a considéré le problème suffisamment préoccupant pour intervenir en émettant une recommandation le 7 avril 1995 «relative aux contrats proposés par les éditeurs ou distributeurs de logiciels ou progiciels destinés à l’utilisation sur micro-ordinateurs»20.

À cette occasion La Commission relève huit clauses contractuelles jugées abusives au regard de la loi dont celles relatives à la garantie. En effet, elle constate que «ces contrats sont élaborés par les seuls professionnels et que l’utilisation de ces logiciels emporte généralement adhésion des consommateurs à leurs clauses(...) ils constituent ainsi des contrats habituellement proposés par des professionnels à des consommateurs». Les règles du droit de la consommation leurs sont donc applicables. Elle recommande, notamment, «que soit éliminées des contrats objets de la présente recommandation les clauses qui ont pour objet ou pour effet : (...) 1 d’exclure toute garantie du professionnel afférente au logiciel, à son support et de l’exonérer de toutes les conséquences des défauts de la documentation fournie lors de la mise à disposition du logiciel ;

2 d’induire en erreur le consommateur en combinant des stipulations qui excluent toute garantie avec des clauses limitatives de garantie ;

3 d’exonérer le professionnel de toute responsabilité du fait des conséquences dommageables de l’utilisation des logiciels qu’il commercialise.»(...)

20Recommandation n 9502, BOCCRF 25 août 1995.