• Aucun résultat trouvé

Chaque entretien était enregistré sur bande magnétique. Le contenu des entretiens a été retranscrit intégralement à l’aide d’un logiciel de traitement de texte courant (Microsoft Word). Au total, près de 1 400 pages de verbatim ont ainsi été complétées.

Le protocole d’analyse que je comptais suivre à l’origine était des plus classiques. Tout d’abord, afin d’éviter que mon analyse ne soit indûment biaisée par mes présupposés théoriques, j’avais l’intention de lire (et de relire) attentivement chaque entrevue de manière à en dégager les thèmes et sous-thèmes, puis d’en relever les dimensions conceptuelles émergentes. Une seconde phase d’analyse, plus dirigée, devait par la suite me permettre de répondre aux questions spécifiques exposées dans la section 3.3.2 – ou à d’autres questions ayant émergé au cours de la réalisation des entretiens, de même que lors de la première phase d’analyse. Les premières lectures et premières tentatives de codification en marge des textes m’ont cependant rapidement conduit à l’abandon de cette stratégie d’analyse.

Comme je ne pouvais me payer un logiciel d’analyse, j’étais contrainte à travailler sur papier. Or, bien que mon schéma d’entrevue fût construit de manière à couvrir, étape par étape, différents aspects des comportements de conduite, plusieurs questions – et notamment la première où je demandais aux participants de décrire librement leur façon de conduire – entraînaient inévitablement des chevauchements. En outre, comme je l’ai déjà mentionné, les personnes interviewées ne suivaient pas toujours à la lettre la trame de mon schéma d’entrevue. Les différents thèmes à l’analyse (ex.: tous les propos ayant trait à la vitesse) pouvaient donc se trouver dispersés à maints endroits dans le texte et il était par le fait même relativement difficile d’extraire un portrait clair et complet de ces

thèmes du seul verbatim. L’amorce de la deuxième phase d’analyse a donc consisté à réorganiser complètement le corpus. 26 thèmes généraux ont été dégagés de la lecture des entrevues117. Chaque entrevue a par la suite été retravaillée de manière à regrouper

l’ensemble des propos du participant sous l’un ou l’autre de ces 26 thèmes. Au cours de cette opération, les extraits d’entretien étaient scindés en sous-points (une idée par sous- point), sous-points qui demeuraient cependant fidèles au texte original puisque le verbatim n’était alors élagué que des redites et des mots superflus (les euh, ben, hmm, etc.). De plus, pour chacun des six comportements à l’analyse, les propos ont été regroupés sous quatre aspects principaux : le comportement usuellement adopté, les variations ponctuelles, les facteurs de changement à long terme et les changements survenus dans le passé. La réorganisation de chacune des entrevues se concluait par la rédaction d’un mémo retraçant les points saillants de l’entretien. À souligner également que parallèlement à ce travail de réorganisation, je voyais ponctuellement à écrire différents mémos analytiques.

Cette phase d’analyse fut évidemment relativement laborieuse. Elle m’a cependant permis d’entrer étroitement en contact avec mon corpus. D’ailleurs, plus la tâche progressait, plus le temps alloué à la rédaction de mémos analytiques augmentait. Il

117 L’auto-description des comportements de conduite, les comportements perçus comme étant

généralisés, les comportements perçus comme étant personnels, les explications sur le phénomène général de la conduite automobile, les propos relatifs à la ceinture de sécurité, à la vision, aux activités parallèles, à la vitesse, aux feux de circulation, à l’alcool et aux drogues, les autres comportements de conduite, les comportements exceptionnels, les comportements ayant changé au fil du temps, les expériences particulières (accidents, contraventions, voyages, déménagements, etc.), les commentaires et réactions aux commentaires des autres, les commentaires sur la conduite des autres membres de la famille, les commentaires sur la conduite des amis et des autres membres de l’entourage, la conduite rêvée, le déroulement de la phase d’apprentissage, le déroulement de la phase d’enseignement, les commentaires relatifs aux infrastructures de transport, aux véhicules, aux autres conducteurs, aux règlements et au contrôle, de même qu’aux actions des institutions responsables (Société de l’assurance automobile, ministère des transports du Québec, etc.). À noter que bien que cette classification se voulait relativement exclusive, certains propos figuraient inévitablement sous plus d’un thème.

serait cependant incorrect de prétendre que l’analyse ne s’est amorcée qu’à ce stade. En fait, tout au long de la transcription des entrevues, quatre mots clés se sont nettement imposés à moi : Sensation, Confort, Contrôle et Identité. L’importance de ces termes ne s’est pas affaiblie au cours de la réorganisation du corpus. Au contraire, ils se sont davantage affirmés, se sont nuancés, se sont imbriqués et m’ont progressivement amenée à considérer tout à fait différemment la question des habitudes en matière de conduite automobile. Les entrevues que j’ai menées m’ont donc conduit à explorer d’autres voies que celles prévues initialement. La seule analyse du corpus ne me permettait pas cependant de répondre à toutes les questions et d’identifier clairement tous les rouages du mécanisme de l’habitude que j’avais vu poindre jusque là. J’ai donc dû chercher de nouveaux textes, de nouvelles théories et j’ai dû relire certains ouvrages examinés trop rapidement lors de la conceptualisation de mon projet.

Cette période de lecture et de réflexion m’a permis de progresser de façon importante. Suffisamment en fait pour que je me crois correctement outillée, dès ce moment, pour entreprendre la phase de rédaction des résultats; il ne me restait plus qu’à regrouper dans un seul document synthèse l’ensemble des différentes notes analytiques, puis à élaborer un plan détaillé de rédaction. J’ai cependant compris au cours de cette dernière étape qu’un pan important de l’analyse n’avait pas encore était réalisé et que, sans le vouloir, je m’étais progressivement éloignée de l’une des dimensions centrales de ma thèse. De fait, j’ai assez largement insisté dans ma problématique sur l’importance d’étudier l’activité – et non le seul individu conducteur. Or, en orientant plusieurs de mes questions de recherche vers l’examen des ressemblances et dissemblances observées aux plans réflexif et comportemental, de même qu’en articulant mon analyse essentiellement autour des différents entretiens individuels, je donnais préséance aux individus et aux groupes d’individus alors que c’est justement ce que je voulais éviter dans ma thèse. Il me fallait donc me « recentrer » sur l’analyse de l’activité en partant non pas des personnes, mais bien des différents aspects de la conduite (les différents comportements usuels, les différents facteurs d’adaptation ou de modification des comportements, etc.). Les documents dont je disposais ne me permettaient cependant pas de comparer aisément ces aspects. L’amorce de la troisième phase d’analyse a donc consisté à

réorganiser mon corpus en fonction des comportements de conduite étudiés. Plus spécifiquement, j’ai repris les documents créés dans la seconde phase d’analyse et j’ai regroupé dans des documents distincts tous les énoncés relatifs au port de la ceinture de sécurité, aux opérations d’exploration et de prise d’information visuelle, à la vitesse, au franchissement des feux de circulation, à l’alcool et à la drogue, aux activités parallèles à la conduite, de même qu’aux autres comportements de conduite dont ont fait état mes participants. Dans chacun de ces documents, les différents énoncés étaient regroupés en fonction des thèmes généraux (ex.: les différentes vitesses usuellement adoptées en milieu urbain, puis sur routes secondaires, etc., les contextes où la vitesse pratiquée est plus élevée qu’usuellement, les contextes où elle est plus basse, les facteurs susceptibles d’entraîner une modification (à la hausse, puis à la baisse) de la vitesse usuelle, les comportements exceptionnels en matière de vitesse, les commentaires exprimés par les autres en regard des vitesses pratiquées par le participant) et de certains thèmes plus spécifiques (ex.: la vitesse en situation de conduite hivernale, les contraventions reçues pour vitesse excessive, l’observation du tachymètre). Les différents énoncés figurant dans chacun de ces thèmes étaient par la suite regroupés et classés en fonction des idées maîtresses qui s’en dégageaient. Cette (elle aussi longue et fastidieuse) opération de regroupement thématique se concluait par la rédaction de mémos analytiques.

Certains des aspects clés de la conduite automobile identifiés au cours de la phase précédente d’analyse (dont notamment ce qui avait trait à la sensation et aux émotions) ont également fait l’objet d’une analyse par regroupement thématique. De fait, la troisième phase d’analyse n’était pas totalement en rupture avec ce qui avait été réalisé antérieurement. Les principaux concepts identifiés en début d’analyse n’y ont d’ailleurs pas perdu de leur acuité et en ce sens, l’analyse thématique n’a en partie permis que de nuancer, de compléter et parfois de corriger certaines des observations et conclusions auxquelles j’étais parvenue dans la phase 2. Mais l’analyse thématique a aussi largement contribué à l’émergence de nouvelles idées. Renverser la perspective, chercher à mettre au jour ce qui distingue et ce qui réunit les comportements de conduite (et non ce qui distingue et ce qui réunit les conducteurs) n’a en bout de parcours pas été une opération superflue. Loin s’en faut.

Il est à noter finalement que j’ai pris soin, jusqu’à la toute fin, de compléter et de préciser mon analyse par la recherche et la lecture des textes pertinents. C’est donc armée de tous ces outils que j’ai (enfin !) pu entreprendre la rédaction des résultats.

Le lecteur pourra certainement juger que ma technique d’analyse n’était pas des plus « fonctionnelles ». Et il est vrai que j’y ai mis beaucoup de temps. Mais le passage du temps, à lui seul, permet souvent à la pensée de progresser et de se raffiner. J’ai d’ailleurs quelques fois constaté que des problèmes épineux sur lesquels j’avais âprement – et vainement – planché se résolvaient comme par enchantement après quelques semaines d’arrêt (forcé) de travail. À certains égards donc, les longs mois passés à la transcription et à l’analyse du corpus peuvent constituer un atout, bien plus qu’un handicap. Je crois du moins que ce fut le cas pour moi – mais peut-être ai-je tort de penser ainsi. Ce dont je suis certaine cependant, c’est que je n’aurais pu parvenir aux mêmes résultats si j’avais complété ma thèse dans les délais (de plus en plus courts) recommandés…

CHAPITRE 5

C

ARACTÉRISTIQUES DES ENTREVUES RÉALISÉES ET PROFIL DES INTERVIEWÉS