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La stratégie de collecte des données

Chapitre III : MÉTHODOLOGIE de la recherche – De la collecte à l’analyse des données

3.3. La stratégie de collecte des données

Après avoir défini la population des participants, sollicité et sélectionné en fonction des quotas à atteindre, il faut encore réfléchir à la façon d’aller récolter des données utiles et pertinentes auprès de ces personnes.

La première question à laquelle répondre, compte tenu également de ce que nous avons avancé précédemment, est : qu’est-ce que des données de terrain, et qu’est-ce qui n’en est pas? Pour Theureau (2004a), les données d’observation et de verbalisations sont des données de terrain, le reste non. À tous les coups, pour lui, les données du terrain doivent être privilégiées par rapport aux autres types de données (issues d’entretiens, par exemple). Les données doivent être riches, complètes, recueillies en continu. Elles doivent également permettre de faire verbaliser l’acteur sur sa propre activité, peu importe que les verbalisations soient simultanées, interruptives ou provenant d’autoconfrontations.

Garfinkel, tout comme d’autres auteurs en ethnométhodologie, va sensiblement dans le même sens en exigeant du chercheur qu’il devienne l’un des membres du groupe pour recueillir des données valables. Ce qui signifie faire de l’observation participante, ou à tout le moins de la participation observante (De Luze, 1997 : 25). Par contre, notons que Garfinkel lui-même a abondamment utilisé les entretiens comme technique de récolte des données dans ses propres recherches, par exemple celles sur un transgenre (2007).

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C’est aussi le combat mené par l’École de Chicago et des interactionnistes symboliques qui ont cherché à faire sortir les sociologues de leur université pour les amener sur le terrain afin de mener des recherches-actions (Lallement, 2007 : 14). Pour eux, un chercheur doit s’immerger le plus possible de la culture dont il cherche à rendre compte s’il veut comprendre ce qui se passe (Picard, 2009 : 81-82).

Pour notre part, nous ne sommes toutefois pas aussi catégoriques que Theureau par rapport aux données issues des premiers entretiens, ou des entretiens semi-directifs. Ce que l’on cherche, en fait, c’est de pouvoir réaliser une triangulation des données. Selon Miles, Huberman et Bonniol (2003 : 480) : « la triangulation est censée confirmer un résultat en montrant que les mesures indépendantes qu'on en a faites vont dans le même sens, ou tout au moins ne le contredisent pas ».

En somme, au départ, nous avions prévu d’utiliser quatre grandes techniques : les entretiens semi-directifs, l’observation, l’auto-confrontation et des rencontres de validation. Certaines embûches se sont par contre révélées insurmontables et nous avons dû nous adapter. Nous avons finalement réalisé des entrevues, de l’observation dans une seule des régions, et des rencontres de validation.

Entretiens semi-directifs

L’entretien semi-directif est une technique abondamment utilisée par les chercheurs qui adoptent le paradigme constructiviste (Imbert, 2010 : 24), tel que nous-mêmes, comme par ceux qui sont en ergonomie. De fait, ce type d’entretiens permet d’aller chercher de nombreuses informations sur un grand nombre de sujets en un temps relativement court (Quivy et Van Campenhoudt, 2006 : 173-177/181-184; Rabardel, 2007 : 107). Comme l’affirme Dioh (2015 : 65) : « l’entrevue semi-dirigée permet de rendre plus explicite l’univers de l’individu, de comprendre son monde à travers les actions qu’il pose et de saisir les perspectives individuelles qui l’animent ».

Parmi les postulats qui sous-tendent les entretiens semi-directifs (Savoie-Zajc, 2009 : 341), trois en particulier cadrent de façon plus explicite avec nos travaux de recherche. D’abord, il

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y a cette idée que la perspective, ou le point de vue, de la personne qui participe à la recherche fait sens. Le second postulat est que la narration, le discours construit durant l’entretien, constitue une unité de sens. Les personnes sont effectivement en mesure de rendre compte de leur réalité de façon cohérente, comme nous l’avons vu en parlant de la pensée savante et de la pensée ordinaire plus haut. Enfin, ce discours construit en cours d’entretien est situé dans le temps et rend compte de la réalité au moment où il est prononcé, et donc que les réponses aux questions sont fonction de l’état d’esprit de la personne au moment où elle les a données.

Nous avons cherché, ainsi, à travers les entretiens, à comprendre la trajectoire professionnelle de chaque volontaire, à partir de sa formation académique en lien avec son métier actuel, sa perception de son métier, de même que du métier des autres membres de l’équipe. Nous cherchions également à obtenir sa vision de son activité de travail, et plus particulièrement de ses collaborations interprofessionnelles.

De plus, ce genre d’entretiens permet de créer un climat de confiance et participe ainsi à la construction sociale de l’intervention. En ergonomie, les intervenants débutent généralement leur intervention par des rencontres avec les acteurs clés de l’entreprise, autant du côté patronal que syndical, notamment afin de mieux préparer les observations ensuite (St- Vincent et al., 2011). Dans notre situation, comme nous avons eu à compléter l’échantillon de volontaires, la relation de confiance avec les enquêtés était particulièrement importante. Lorsque l’expérience était positive, les personnes volontaires étaient plus disposées à nous recommander aux autres intervenants afin de compléter notre échantillon, justement.

Selon le métier de la personne volontaire, nous avions prévu un canevas d’entretien différent. Ceux-ci se retrouvent dans le document à l’annexe D. En général, un entretien semi-directif comprend certains thèmes, ou points de repères, qui doivent être discutés. L’ordre, toutefois, dans lesquels ceux-ci le seront concrètement, dépend du déroulement de l’interview. Le chercheur s’adapte aux informations qui lui sont transmises. L’information est ainsi de bonne qualité tout en étant « orientée vers le but poursuivi » (Imbert, 2010 :24).

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En plus de ces entretiens semi-directifs, nous voulions au départ aller observer l’ensemble des volontaires sur le terrain durant des rencontres d’équipe, voire durant leurs interventions sur le terrain, dans les entreprises.

L’observation, en fait, est « le pain et le beurre » de l’ergonomie (Darses et De Montmollin, 2006 : 54). C’est réellement ces observations qui marquent la différence entre l’ergonomie et d’autres disciplines parentes, par exemple la sociologie du travail, même s’il se fait effectivement de l’observation également dans cette discipline (Peneff, 1996). L’idée est, notamment, de ne pas seulement accepter ce que les travailleurs et les représentants patronaux affirment sur le travail et les conditions de travail mais également d’aller constater

de visu sur le terrain ce qu’il en est.

Plusieurs éléments peuvent être pris en compte durant ces observations, entre autres : les actions, les comportements et les communications (Guérin et al., 2006; Rabardel et al., 2007). Les observations peuvent également être libres ou systématiques (St-Vincent et al., 2011) selon les besoins spécifiques et le moment de l’intervention. Lorsqu’on cherche principalement à comprendre la séquence des opérations, les aléas de production et le déroulement général, ce sont des observations libres. Lorsqu’on est plus dans la validation d’une hypothèse ou encore l’analyse fine d’une opération en particulier, ce sont des observations systématiques.

Lamonde, (2000), a explicité plusieurs grands principes de l’observation de l’activité qui doivent être respectés pour en assurer la validité et la fiabilité. Parmi ces principes et critères mentionnés, il ne faut pas perturber l’environnement naturel et les interactions de l’opérateur, il faut réaliser la verbalisation le plus rapidement possible après l’observation, et il ne faut pas faire revivre les faits chargés en émotion aux opérateurs. Pour d’autres auteurs, l’autoconfrontation peut justement porter sur les émotions pour comprendre l’activité empêchée (Poussin, 2014; Van de Weerdt, 2015).

Comme nous l’avons mentionné rapidement, c’est ce que nous souhaitions faire à l’origine. Par contre, de nombreuses contraintes ont empêché ce projet d’aboutir. Par exemple, d’un point de vue éthique, et c’est tout à fait légitime, nous devions obtenir l’approbation des

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autres membres de l’équipe en plus de la personne volontaire pour observer les rencontres d’équipe. Pour les interventions sur le terrain, nous avions également à obtenir l’approbation des travailleurs et des représentants de l’employeur. Au final, les critères de validité et de fiabilité de Lamonde, énoncés dans le paragraphe précédent, n’étaient pas respectés.

Devant l’incertitude et les doutes exprimés par de nombreux acteurs clés du RSPSAT pour obtenir ces consentements, nous avons décidé de changer nos stratégies méthodologiques. Nous avons concentré nos observations dans une seule région. Ainsi, cinq séances d’observations ont été effectuées dans celle-ci lors de réunions d’un groupe de travail sur l’« optimisation des pratiques de collaboration interprofessionnelle » (GTOPCI) dans ladite région. Dans ces rencontres, l’organisation du travail et la collaboration interprofessionnelle était abordée directement par des représentants de l’ensemble des professions dans les équipes d’intervention. Au total de ces cinq séances, une quinzaine d’heures d’observation ont été effectuées. Les discussions ont été enregistrées sur support audio, et des comptes- rendus ont été rédigés après chacune des séances.

Rencontres de validation5

Pour conclure cette cueillette de données, nous avons réalisé trois rencontres de validation au sein de trois régions différentes. Durant ces rencontres, non seulement les participants à la recherche étaient présents mais également l’ensemble des intervenants locaux en santé au travail de cette région. Au total, environ 80 personnes ont participé à ces rencontres.

La validation des données auprès des acteurs fait partie de la méthode abductive en recherche qualitative. Nous avons vu que dans la construction d’une pensée savante, à travers le discours des volontaires, nous accordons une valeur et une cohérence à ce discours. Nous avons également mentionné que ce discours est situé. Durant les rencontres de validation, avec les acteurs, nous cherchons à fissurer le discours savant en s’appuyant « sur l’acteur du

5 Les rencontres de validation, par souci de cohérence, sont présentées dans la section 3.3 : stratégies de

collecte de données. Par contre, au niveau temporelle, elles ont évidemment été réalisées à la suite seulement d’une première analyse des données, qui sera présentée dans la section 3.4 : analyse des données. Il va sans dire que cette analyse s’est tout de même poursuivie par la suite, jusqu’à l’écriture finale de cette thèse.

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terrain » (Hallée, 2012b : 58), non seulement avec les participants mais aussi les autres intervenants d’une région donnée.

Lorsque les données de terrain, et les interprétations de ces données récoltées sont approuvées par l’acteur social, en plus de la communauté scientifique, il est alors possible en recherche abductive de parler d’un « résultat accepté » (Hallée, 2014 : 67).

Dans notre cas, effectivement, une fois les données présentées et nos conclusions avancées, nous avons obtenu cette acceptation autant par les coordonnateurs que par les intervenants des équipes d’intervention, qu’ils aient participé à la recherche ou non.