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2.5. Conceptualisation du cadre théorique de la recherche

2.5.2. Modèle conceptuel

Notre modèle intégrateur s’inspire largement des modèles du continuum des pratiques de CIP de (Careau et al., 2014), de la personne en situation de travail de Vézina et al. (2011) et celui de l’intervention externe de Baril-Gingras, Bellemare et Brun (2004).

Ce dernier modèle n’a pas été abordé jusqu’à maintenant dans le cadre de cette thèse mais est en filigrane de plusieurs idées avancées. Ce modèle propose ainsi que pour expliquer la production de changements, ou de non changements, lors d’une intervention externe, menée par un intervenant, il faut tenir compte de cinq grands facteurs : 1) le régime de santé et sécurité autant dans son contenu (les lois) que dans sa mise en œuvre (les décisions des arbitres et tribunaux), 2) l’intervenant et son organisation, 3) le contexte de l’établissement dans lequel ces intervenants interviennent, 4) l’objet même de l’intervention et 5) le déroulement de l’intervention en soi. Il permet notamment d’expliquer la trajectoire d’une intervention qui est réalisée sur une période qui peut être longue et les conditions de réalisation de l’intervention qui en influencent le résultat.

Avec ce modèle intégrateur, nous cherchons à comprendre la trajectoire qu’emprunte les équipes de santé au travail lors de l’élaboration d’un PSSE vers la prévention durable.

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Figure 2.6 : Modèle conceptuel de la production de changements lors de l’élaboration d’un PSSE par les ÉSAT

(Inspiré de Careau, Houle et Dumont (2011), Vézina (2001) et Baril-Gingras, Bellemare et Brun (2004))

Il faut comprendre également que dans un souci de laisser les données de terrain émerger le plus possible, comme nous le verrons dans le chapitre méthodologie, nous ne cherchons pas d’emblée à faire entrer l’ensemble des déterminants, conditions favorables, leviers, obstacles, conditions défavorables et autres libellés avancés dans les différents modèles et concepts jusqu’à maintenant dans notre modèle intégrateur. L’idée est plutôt de placer les grandes catégories et ensuite de remplir celles-ci avec les données du terrain.

97 Les conditions de réalisation du travail

Les conditions de réalisation du travail sont hachurées en diagonales dans le schéma. Elles comprennent le régime SST et sa mise en œuvre, l’organisation RSPSAT, les établissements eux-mêmes ainsi que l’objet de l’intervention.

Le régime SST et sa mise en œuvre est constitué des lois en vigueur et qui encadrent la santé et la sécurité du travail au Québec : la LSST, la LATMP et le RSST. Les ÉSAT sont également soumises à la Loi sur la santé publique ainsi que la Loi sur les services de santé et de services sociaux. À ces lois il faut ajouter l’application de celles-ci par les tribunaux administratifs. Il faut aussi ajouter les orientations données aux ÉSAT par la CNESST à travers la reddition de comptes exigée.

La case RSPSAT correspond à la catégorie « l’intervenant et son organisation » du modèle de l’intervention externe de Baril-Gingras, Bellemare et Brun (2004). Il est à noter que nous avons sorti les intervenants de celle-ci pour les placer plutôt dans la case intervention, à la suite des développements récents en ergonomie, tel que mentionné lorsque nous avons abordé le modèle de la personne en situation de travail de Vézina et al. (2011). Ainsi, cette case représente les ressources à la disposition des ÉSAT de même que les orientations données par les directions régionales au sein des CISSS et CIUSSS et celles de la TCNSAT. De fait, les orientations et les ressources mises de l’avant par le RSPSAT peuvent être des facteurs favorables ou défavorables aux interventions des équipes d’intervention, et ainsi favoriser ou empêcher les changements.

Dans nos hypothèses, à la suite de notre question de recherche, nous parlions de la structuration de l’action collective et du partage des ressources entre les membres du collectif comme facteurs explicatifs des pratiques de CIP. Déjà, d’un point de vue théorique, au regard des différents modèles présentés jusqu’ici, il faut comprendre que ces pratiques de collaboration seront influencées par d’autres facteurs que ceux qui avaient été énumérés jusqu’alors.

Par ailleurs, pour comprendre le déroulement de l’activité d’élaboration et la production ou non de changements, il importe également de considérer le contexte de l’établissement pour

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lequel le PSSE est élaboré. Plusieurs éléments de ce contexte devraient être pris en compte : les relations et les dispositions des acteurs, la culture de SST dans cet établissement, etc.

Enfin, l’objet de l’intervention va aussi influencer la trajectoire de celle-ci. Dans le cadre de cette recherche, cet objet est l’élaboration du PSSE. Dans le modèle de Baril-Gingras, Bellemare et Brun (2004), cet objet peut être à la fois technique et social.

L’activité d’élaboration du PSSE

La case avec les tirets horizontaux, dans le schéma intégrateur, représente l’intervention elle- même, à savoir l’élaboration du PSSE. Le déroulement de cette intervention, les opérations qui sont réalisées durant ce déroulement, dans le cas de notre recherche les pratiques de collaboration interprofessionnelle, vont effectivement avoir une incidence sur la production de changements, à savoir sur la prévention durable des risques professionnels pour la santé, de même que sur la création des collectifs de travail.

Les pratiques de collaboration interprofessionnelle font partie intégrante de cette case dans notre schéma. Nous y retrouvons donc nommément les pratiques indépendantes, en parallèle, de consultation, de concertation et en services partagés.

Les pratiques indépendantes désignent le travail collectif de deux acteurs qui travaillent sur des objets différents. Pour les pratiques en parallèle, les acteurs travaillent au même objet mais de façon autonome. La collaboration se fait principalement, alors, au niveau de l’échange d’informations entre eux. Au cours des pratiques de consultation, les intervenants reconnaissent leurs limites professionnelles et vont chercher une expertise spécifique auprès d’un autre acteur du collectif. Durant les pratiques de concertation, les intervenants ont alors une cible commune et doivent coordonner leurs actions afin d’être efficaces dans leur intervention. Ils doivent ainsi « négocier » leurs actions réciproques, en même temps qu’ils font ensemble, toujours selon les degrés de St-Arnaud (1989, citée par Fortier, 2004). Enfin, les pratiques en services partagés ont lieu lorsque des décisions communes doivent être prises. Il s’agit ainsi du niveau le plus évolué de collaboration interprofessionnelle.

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C’est en étudiant ces pratiques de CIP que nous pourrons valider ou infirmer notre première hypothèse, à savoir que celles-ci sont différentes selon les étapes de la trajectoire d’intervention.

Les effets des pratiques de CIP

Finalement, de l’activité d’élaboration, en fonction des conditions de réalisation du travail, va émerger ou non des changements. Ce sont les effets des pratiques de CIP. Ils sont en pointillés dans le schéma.

Ces effets, ou changements, peuvent être de plusieurs ordres. En ergonomie, nous divisons généralement ces effets selon qu’ils concernent les individus ou encore les organisations. En ce qui concerne les individus, l’activité d’élaboration d’un PSSE va entraîner, pensons- nous, des conséquences, positives ou négatives, sur la satisfaction au travail, sur le développement des compétences des intervenants et sur leur santé, compte tenu notamment des jugements d’utilité et de beauté de Dejours.

Sur les organisations, en fait sur les établissements pour lesquels les PSSE sont élaborés, il y aura aussi des conséquences sur la prévention à court et moyen terme, par exemple par les séances d’information et de sensibilisation et à travers l’implantation de mesures préventives, de même que des conséquences à long terme, nommément la prévention durable. En fonction de ces effets, notamment, le contexte de l’établissement va changer et sera ainsi différent lors d’une future intervention. Pour cette raison, une boucle de rétroaction a été ajoutée vers le contexte de l’établissement.

L’ensemble des conditions de réalisation du travail et des pratiques de collaboration interprofessionnelle vont également avoir des effets sur la création, ou non, de collectifs interprofessionnels.

Cette case dans le modèle reprend notre troisième hypothèse, à savoir que les pratiques de CIP provoquent des effets sur les intervenants, sur la prévention durable et sur les collectifs de travail.

100 La trajectoire

Nous avons vu à travers les concepts de collaboration interprofessionnelle, d’action collective conjointe, de collectifs transverses et autres que la dimension temps est importante. C’est également le cas dans le modèle de l’intervention externe de Baril-Gingras, Bellemare et Brun (2004).

En fait, cette notion de trajectoire comporte deux dimensions. La première, plus objective, réfère aux opérations réalisés à un moment donné durant l’ensemble de l’intervention. La seconde, plus subjective, fait plutôt référence aux « expériences racontées, individuelles et collectives » (Fournier-Plamondon et Racine-Saint-Jacques, 2014 : 2) des intervenants. Nous faisons donc ici référence aux représentations de cette trajectoire par les acteurs eux-mêmes.

En lien avec l’élaboration des PSSE par les équipes de santé au travail, le cycle de cette activité est également plutôt long, pouvant aller jusqu’à quelques années. Il s’agit donc d’une dimension supplémentaire à considérer lorsqu’on s’intéresse à cette activité. Idéalement, la flèche représentant cette trajectoire apparaîtrait en trois dimensions pour faire ressortir autant la dimension objective que subjective de celle-ci.

Conclusion sur le cadre théorique

En somme, notre recherche se situe à l’intérieur de la discipline de l’ergonomie de l’activité, dans le champ des relations industrielles. Si le travail collectif et les collectifs de travail sont étudiés depuis quelques années maintenant, ceux-ci sont principalement centrés autour des groupes intra-métiers et considèrent difficilement la rencontre entre travailleurs provenant de différents groupes professionnels.

D’autres concepts sont ainsi apparus dans les dernières années, nommément l’action collective conjointe, la collaboration interprofessionnelle et les collectifs transverses, pour tenter de comprendre cette réalité de plus en plus présente dans le monde du travail.

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Nous avons ensuite opérationnalisé l’ensemble de ces concepts et mis de l’avant les définitions que nous retenons parmi l’ensemble de ce qui est proposé dans la littérature. Notre schéma intégrateur place les différents morceaux, à partir des conditions de réalisation du travail jusqu’aux effets, en passant par les pratiques de collaboration interprofessionnelle elles-mêmes, qui nous permettront d’analyser nos données.

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CHAPITRE III : MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE – DE LA