Conformément à notre positionnement épistémologique, le réalisme critique, nous poursuivons un objectif de compréhension et de caractérisation de la réalité par l’identification du rôle des PP dans le management de la performance sociétale, sujet au cœur de la problématique de recherche. Afin de répondre à cette problématique, nous avons construit une stratégie d’accès au réel en deux étapes. La première est une étape exploratoire qui cherche à comprendre et décrire la réalité de la performance sociétale. La deuxième étape s’intéresse directement au rôle des PP dans le management de la performance sociétale et se donne pour finalité de confronter
empiriquement les propositions P1 et P2. Cette section vise à décrire et justifier la stratégie
d’accès au réel et de mettre en avant l’articulation des deux étapes, reposant sur des méthodologies qualitatives d’étude de cas.
2.1 Le mode de raisonnement : une étape exploratoire suivie d’une une étape confirmatoire
D’après Charreire-Petit et Durieux (2014), l’exploration et le test sont les deux voies de création de la connaissance. Ces deux voies offrent au chercheur des possibilités différentes ; expliquer et comprendre en proposant des résultats théoriques nouveaux pour la première, expliquer en confrontant des hypothèses, des modèles ou des théories pour la deuxième. Ce choix conditionne aussi celui du raisonnement adopté par le chercheur ainsi que les méthodes qu’il va mobiliser par la suite (Charreire-Petit et Durieux, 2014).
La première étape de notre stratégie d’accès au réel vise avant tout à illustrer, décrire et comprendre, empiriquement, la réalité de la performance sociétale des stations de montagne par son observation in situ. Cette étape est exploratoire et le mode de raisonnement se rapproche de l’abduction (Koenig, 1993). En effet, nous avons choisi de structurer notre observation autour
des deux dimensions de notre modèle (la dimension managériale et la dimension « résultats »)
dont nous explorons le contenu librement. Le caractère exploratoire de cette étape est affirmé
compte tenu de « l’incomplétude » de notre modèle pour les stations de montagne, d’une part,
et du manque de recul sur sa portée empirique, d’autre part. En effet, si la performance sociétale par les PP a été l’objet de nombreux travaux dans la perspective empirique de la PSE, ils restent
focalisés sur la dimension « résultats ». A notre connaissance, peu d’auteurs se sont intéressés
à confronter empiriquement la dimension managériale de la performance sociétale par les PP. Par ailleurs, le développement réalisé dans le Chapitre 2 conforte ce constat du point de vue de la station de montagne. Cette étape correspond donc à ce que Journée (2012, p. 183) qualifie
d’observation « pour décrire et comprendre ce qui est mal connu ». Enfin, au-delà de la finalité
principale de cette première étape, nous ne nous interdisons pas de voir émerger « d’heureuses
trouvailles » permettant de proposer des ajustements théoriques et méthodologiques pour la deuxième étape (Charreire-Petit et Durieux, 2014).
La deuxième étape de notre stratégie d’accès au réel suit la voie du test et repose donc sur un raisonnement déductif (Charreire-Petit et Durieux, 2014) puisqu’elle vise à confronter empiriquement le modèle de la PSE par les PP proposé en fin de Chapitre 1. Elle cherche en
particulier à tester les proposition P1 et P2 selon lesquelles le rôle des PP est actif (P2) et se
situe aux trois niveaux du management de la performance sociétale (P1).
La Figure 19, ci-dessous, présente l’articulation des deux étapes qui constituent notre stratégie d’accès au réel.
Figure 19 – L’articulation des deux étapes de notre stratégie d’accès au réel
2.2 Le choix de méthodes qualitatives basées sur des études de cas unique et exploratoire Le choix de méthodes de recherche est également un point clé de la stratégie d’accès au réel. Comme le souligne de nombreux auteurs, il n’y a pas de hiérarchie des méthodes contrairement à certaines idées reçues (Miles et Huberman, 2003). La plus courante est celle qui consiste à penser que les méthodes quantitatives sont supérieures, car plus robustes, aux méthodes
qualitatives, plus « floues » et moins rigoureuses. Les méthodes retenues doivent avant tout être
adaptées aux besoins du chercheur (Dumez, 2013). Dans le cadre de cette recherche, nous avons fait appel à une méthodologie qualitative reposant sur des études de cas, et ce, pour les deux étapes. Les raisons de ce choix sont multiples.
Premièrement, l’objectif central poursuivi dans cette recherche est d’identifier et de caractériser le rôle des PP dans le management de la performance sociétale. Cet objectif
correspond bien à « l’identification (et la catégorisation) d’éléments et l’exploration de leurs
relation » pour lequel les méthodes qualitatives sont particulièrement adaptées comme le soulignent Miles et Huberman (2003, p. 21). Par ailleurs, les méthodes qualitatives sont adaptées aussi bien aux démarches d’exploration que de test (Journé, 2012).
Etape 2 Test Raisonnement déductif Etape 1 Exploration Raisonnement abductif
Observation structurée autour des deux dimensions du cadre
théorique dimension managériale
dimension « résultats »
Confrontation empirique des propositions P1 et P2 concernant
la dimension managériale : « Les PP ont-elles un rôle à jouer dans le management de la PSE ? Si
oui, quelle est la nature de ce(s) rôle(s) ? »
• Test des propositions P1 et P2 Cadre théorique
Modèle de PSE par les PP
• Illustration et compréhension de la réalité de la performance
sociétale des stations de montagne
• Ajustements méthodologiques et théoriques
Deuxièmement, l’étude de cas, définie comme « une enquête empirique qui explore un phénomène contemporain en profondeur dans son contexte de vie réelle » (Yin, 2017, p. 45), se fonde sur l’étude en profondeur des phénomènes dans leur contexte. Elle est donc, là encore, particulièrement bien adaptée à la complexité de l’objet de recherche et à celle de l’unité d’analyse qu’est la station de montagne. En effet, la performance sociétale est un objet d’étude multidimensionnel par essence et un concept particulièrement complexe comme nous l’avons
vu précédemment (cf. Chapitre 1). Par ailleurs, le rôle des PP dans le management de la
performance sociétale est un phénomène social qui semble intervenir à plusieurs niveaux et varier d’une PP à l’autre. Enfin, le fonctionnement interne des stations de montagne semble être
moins clair et normé que celui d’une firme au sens classique du terme (cf. Chapitre 2).
Troisièmement, compte tenu des spécificités des stations de montagne et de notre positionnement épistémologique, il nous est impossible d’isoler notre objet d’étude de son contexte. Or, les méthodologies qualitatives, notamment les études de cas, sont particulièrement pertinentes pour capter et discuter ces éléments de contexte (Yin, 2017).
Nous nous sommes alors assurés que les méthodes d’étude de cas soient compatibles avec notre stratégie d’accès au réel et à ses deux étapes. C’est effectivement le cas comme le montre le Tableau 22 ci-dessous qui reprend les critères de choix d’une méthode de recherche proposés par Yin (2017). D’une part, nous étudions bien des évènements contemporains sur lesquels nous n’avons aucun contrôle étant donné que nous nous intéressons au fonctionnement actuel d’entités économiques (firmes, stations de montagne). Par ailleurs, notre problématique traite
effectivement du « comment » de la performance sociétale (Yin, 2017) ; le rôle des PP étant
considéré comme un mécanisme générateur de la performance sociétale. Enfin, bien que l’étude de cas soit particulièrement adaptée aux démarches exploratoires, telle que celle de la première étape, elle peut également être utilisée pour une démarche davantage confirmatoire de test (Journé, 2012). Toutefois, dans ce dernier cas, il convient d’être conscient des limites de cette
méthode du point de vue de la généralisation des résultats (cf. Section 4 de ce chapitre).
Méthodes Types de questionnement Etude d’évènements contemporains Contrôle sur les évènements
Enquête Qui ? Quoi ? Où ? Combien ? Non Oui
Analyse d’archives Qui ? Quoi ? Où ? Combien ? Non Oui/Non
Expérimentation Comment ? Pourquoi ? Oui Oui
Etude de cas Comment ? Pourquoi ? Non Oui
Histoire Comment ? Pourquoi ? Non Non
Tableau 22 – Les critères de choix d’une méthode de recherche D’après Yin (2017)
Yin (2017) différencie 4 types d’étude de cas selon deux critères : le nombre de cas étudiés (étude de cas unique contre étude de cas multiple) et le nombre d’unités d’analyse (étude de cas holistique contre étude de cas enchâssée). Le choix du type de cas doit se faire en fonction des finalités poursuivies (Journé, 2012), c’est pourquoi les types d’étude de cas mobilisés sont différents pour les deux étapes de notre stratégie d’accès au réel. Toutefois, qu’il s’agisse de l’une ou l’autre de ces étapes, l’unité d’analyse des cas est la même ; il s’agit de la station de montagne.
La première étape est une étape exploratoire préalable qui cherche à décrire et comprendre la réalité de la performance sociétale des stations de montagne par une observation in situ. Comme
le souligne Journé (2012, p. 181), « l’étude de cas peut être utilisée comme méthode
exploratoire, c’est-à-dire comme première étape d’une recherche […] c’est d’ailleurs de cette façon qu’elle est le plus souvent exploitée ». Pour cette première étape, nous avons donc retenu
la forme de l’étude de cas unique et holistique84 qui permet de bien rendre compte du cas dans
sa globalité (Yin, 2017). Cette étude de cas porte sur une seule station de montagne. Au regard
des caractéristiques et du caractère emblématiquede la station retenue, cette étude de cas unique
peut être désignée de « cas exemplaire » (Siggelkow, 2007 ; Yin, 2017). Nous revenons sur ces
caractéristiques lors de la présentation des cas étudiés dans la Section 3 de ce chapitre.
Dans le cadre de la deuxième étape, à portée confirmatoire, nous avons retenu le format de l’étude de cas holistique multiple. Ce type d’étude de cas fonctionne selon une logique de réplication (Yin, 2017) ; il s’agit d’identifier les résultats qui se répètent d’un cas à l’autre (la
« réplication littérale ») ou qui ne se répètent pas pour des raisons anticipées (la « réplication théorique »). Cette étude de cas porte sur 4 stations de montagne ce qui constitue un nombre
suffisant pour prétendre à cette logique de réplication85 (Yin, 2017).
Le Tableau 23 ci-dessous propose une synthèse des deux méthodes d’études de cas mobilisées dans notre stratégie d’accès au réel.
Etape 1 : étude de cas unique holistique
exploratoire
Etape 2 : étude de cas multiple holistique
confirmatoire Proposition/finalité
Les propositions qui donnent la « direction de la recherche ». En l’absence de propositions, il
s’agit d’expliciter la finalité poursuivie.
Illustrer, décrire et comprendre la réalité de la
performance sociétale des stations de montagne
Tester les propositions P1 et
P2 qui défendent un rôle actif
des PP aux trois niveaux du management de la performance
sociétale
Raisonnement
Il s’agit de la question à laquelle l’étude de cas cherche
à répondre Exploration Raisonnement proche de l’abduction Test Raisonnement déductif Cas
L’unité d’analyse ou les unités d’analyse observées par le
chercheur
Cas holistique unique
portant sur un « cas
exemplaire » de station de montagne
Cas holistique multiple
portant sur 4 stations de montagne Application du principe de
réplication
Tableau 23 – Une description des deux méthodes d’études de cas mobilisées
84 Qu’il s’agisse de l’étape 1 ou 2, notre démarche ne peut être qu’holistique. Par essence, la performance sociétale
concerne l’intégralité de l’entité économique étudiée (firme ou station de montagne) ainsi que l’ensemble de ces PP.