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2 Du « statut » mouchaa au statut privé : privatisation et superposition de droits.

2.2 Le statut des terres en banlieue sud

S’il y eu passage, sur ces terrains, d’une propriété mouchaa à une propriété privée, et donc création d’une superposition de droits, c’est donc avant cette vente de 1856. Pour comprendre comment ce passage a pu se faire, il faut d’abord faire un détour par l’histoire des catégories de terres au Liban.

2.2.1 La division en catégorie de terres au Liban

Durant l’Empire ottoman, on distingue un certain nombre de catégories de terres, issues elles-mêmes de celles qui existaient pendant les époques précédentes. Ultérieurement, les Français les ont reprises et transformées. Il n’existe pas de synthèse sur l’histoire des statuts fonciers. L’entreprise est ardue et ne peut être réalisée de façon tout à fait satisfaisante, en particulier parce que le statut foncier d’une terre est pluriel, et que classifier une terre confond et superpose, quitte à uniformiser, à la fois les droits d’usage de ses occupants (qui peuvent être successifs dans l’année), les droits fiscaux et fonciers de l’État, ceux des puissants et les droits divers de la collectivité villageoise ou tribale dans le territoire de laquelle se trouve cette terre. Cette superposition des droits de différents ayants droit rend plus complexe, voire inadéquate, la notion de propriété sur laquelle s’appuient en général les classifications.

Il n’est pas question de faire ici une histoire foncière du Liban, mais, en un tableau, présenté ci-après, de mentionner les principales catégories de terres qui se sont succédé dans le temps, telles qu’elles ont été recensées par des juristes ou des fonctionnaires, pour identifier le type de droits qui leur sont associé. Ce tableau n’est pas un document exhaustif

78 Ibidem.

sur l’histoire des catégories de terres au Liban mais simplement un récapitulatif d’un certain nombre d’ouvrages, disponibles en Français ou en Anglais, souvent anciens, et d’articles ou de textes de loi abordant la question79. Il reprend la division en catégories de terres pour les principales époques qui ont marqué cette évolution entre la conquête arabe et aujourd’hui et tente de mettre en relation les catégories d’une époque à l’autre, afin de dégager l’esquisse d’une évolution pour chacune d’entre elles.

Cinq époques principales ont été distinguées :

• La conquête arabe. Pendant cette période (les Arabes se rendent maîtres de la Syrie en 633-634), le statut d’une terre dépend avant tout de celui de son propriétaire, vainqueur ou vaincu. « Tout lieu d’habitation des non-arabes qui est conquis par l’Imam et laissé par lui entre les mains des vaincus est terre de kharadj, et il est terre de dîme s’il est réparti entre lui et les vainqueurs »80. La distinction entre les différentes catégories

79 Il s’agit principalement de Abou Youssef Y., Le livre de l’impôt foncier (Kitab el-kharâdj), traduit et

annoté par Fagnan E., Paris, Librairie orientaliste Paul Geuthner, Haut-Commissariat de la République française en Syrie et au Liban, Service des antiquités et du Liban, Bibliothèque archéologique et historique, 1921, 352p. ; Aouad I., Le droit privé des maronites au temps des émirs Chéhab (1697-1841) d’après des documents inédits, Essai historique et critique, Reproduction de l’édition de 1933, Tome 6 des Travaux du Séminaire oriental d’études juridiques et sociales de Lyon, Paris, Société nouvelle librairie orientaliste Paul Geuthner, 1998, 326p. ; Cardon L., Le régime de la propriété foncière en Syrie et au Liban, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1932, 315p. ; Chevallier D., La société du Mont-Liban à l’époque de la révolution

industrielle en Europe, Paris, Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1971, 314p. ; Code de la propriété foncière, avec l’exposé des motifs des principaux textes législatifs, Textes français mis à jour, traduits ou

revus par É. J. Boustani, Beyrouth, Éditions « Librairie Antoine-Beyrouth », 1983, 361p. ; Dumont P. et Georgeon F., Villes ottomanes à la fin de l’empire, Paris L’Harmattan, 1992, 209p. ; Dubar C. et Nasr S., Les

classes sociales au Liban, Paris, Fondation nationale des sciences politiques, 1976, 365p. ; Haut-

Commissariat de la République française en Syrie et au Liban, Rapport général sur les études foncières

effectuées en Syrie et au Liban, Beyrouth, Services fonciers, 1921, 423p. ; Khalidi T., dir., Land tenure and social transformation in the Middle East, 1984, Beyrouth, American University of Beirut, 531p. ; Mantran

R., dir., Histoire de l’empire ottoman, Paris, Fayard, 1989, 802p. ; Mounayer N., Le régime de la Terre en

Syrie, Études historiques, juridiques et économiques, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence,

1929 ; Tabbah B., Propriété privée et registre foncier, Sous le signe de l’harmonie des droits, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, Bibliothèque de l’Institut de droit comparé de Lyon, Tome 1, 1947, 481p. et Tome 2, 1950, 585p. ; Weurlesse J., Paysans de Syrie et du Proche -Orient, Paris, Gallimard, 1946 ; Young G., Corps de droit ottoman, recueil des codes, lois, règlements, ordonnances et actes les plus

importants du droit intérieur et d’études sur le droit coutumier de l’Empire ottoman, Oxford, Clarendon

press, 1906, 7 volumes, dont le tome VI : Droit foncier, Droit municipal, Code civil, 446p. Cette dernière traduction du code foncier a été réalisée à partir de la traduction de M. Belin dans le journal asiatique de 1861 et de Padel W. et Steegl L., De la législation foncière ottomane, Paris, Pedone, 1904, 350p. Ces sources sont de deuxième main. Elles s’appuient sur des textes qui émanent soit de juristes musulmans, soit de l’autorité ottomane, soit des Français à l’époque mandataire, qui ont tous taché de plier la réalité locale à des représentations plus générales. Par ailleurs, en classant des statuts fonciers, ces textes imposent leurs propres vues ou adoptent les points de vue les plus favorables à leurs prétentions foncières (notamment après le Code foncier de 1858 et ceux de la France à l’époque mandataire) ou politiques (les discours sur la spécificité foncière du Mont-Liban doivent être interrogés dans cette perspective).

80 Abou Youssef Y., Le Livre de l’impôt foncier, op. cit., p. 104.

de terres est directement liée aux préceptes religieux de l’Islam et aux décisions des califes81.

• L’époque islamique médiévale. Cette période, entre les dynasties ommeyade (dès 661) et mamelouke, est généralement considérée d’un seul bloc pour la question foncière. Elle est marquée par l’apparition, dans la deuxième moitié du XIe siècle, sous les Seljoucides, de concessions administrées par des guerriers dont elles constituent la rétribution et dans lesquelles ces gouverneurs concèdent le tessarouf et lèvent l’impôt.

• L’empire ottoman jusqu’aux réformes foncières. La première partie de l’Empire ottoman est marqué par l’établissement d’une loi foncière (kanoun arazi)82, quelques années après la conquête de la Syrie par les Ottomans en 1516 (la même année que le commencement du régime de l’émirat dans la Montagne libanaise) par Soleiman le Législateur, dit aussi Soleiman le Magnifique. Cette loi reste en vigueur jusqu’à la réforme de 1858.

• L’Empire ottoman après les réformes foncières et le début du Mandat français. La réforme foncière ottomane de 1858 est destinée à organiser les terres agricoles. Elle correspond aussi aux efforts de mise en place des règles d’urbanisme dans les villes de l’Empire ottoman, ce qui nécessitait un assouplissement et une remise en ordre de la législation foncière83. Elle est complétée par les lois de 1279 H (1862), 1286 H (1869) et 1288 H (1871)84 puis par les réformes de 1880 et 191385, qui ne modifient pas la division en catégorie de terres. Ces réformes visent en outre à privatiser la terre et favoriseront sa transformation en marchandise86.

81 « Le calife Omar décida que les terres seraient laissées à leurs possesseurs autochtones, contre

acquittement par ces derniers d’un double impôt : le kharadj, ou impôt foncier, et la djezia ou capitation. (…) Le titulaire d’un bien kharadjié n’en était point propriétaire (…). En effet, le butin comprenait les terres possédées par les populations vaincues et ce butin appartenait à Allah. S’il était dès lors laissé entre les mains de ces populations, cela ne pouvait être à titre de propriété. Les biens kharadjié sont, en effet, essentiellement des biens constitués en waqf (fondation pieuse) au profit de la communauté islamique. Leurs anciens possesseurs continuaient à les exploiter pour en faire profiter les Musulmans. »

Tabbah B., Propriété privée et registre foncier, op. cit., p.125-126.

82 « Les terres wakouf ghair sahih et les terres amirié constituent l’objet d’une législation spéciale

commencée par la loi des terres Kanoun Arazi en 955-975 H [1548-1567-68], et complétée par un décret impérial daté de 1191 [1777] du Sultan Abdul-Hamid Ier et d’un autre décret du Sultan Sélim III, daté de 1207H [1792 ou 93] » Mounayer N. Le régime de la terre en Syrie, Paris, LGDJ, 1929, p.73.

83 Cf. Dumont P. et Georgeon F., Villes ottomanes à la fin de l’empire, op. cit., p.8. 84 Cf. Cardon L., Le régime de la propriété foncière, op. cit., p.79.

85 La réforme foncière de 1329 H (1913) est réalisée au moyen d’une série de lois : 18/12/13, sur la

délimitation et l’enregistrement de la propriété immobilière ; 21/2/13, sur la succession des biens immeubles ; 25/2/13, sur l’hypothèque des biens immeubles pour la garantie des dettes ; 20/3/13, sur la possession des biens immeubles ; 16/2/13, décret loi donnant aux personnes morales le droit de posséder des biens immobiliers ; 16/3/13, sur le partage des biens immobiliers ; 16/2/13, sur la suppression des guerricks. Les codes foncier (kanoun arazi) et civil (mejdellé) ne sont pas modifiés.

86 Dubar et Nasr, Les classes sociales au Liban, op. cit., p.18 et 34.

• Depuis le Mandat après la promulgation du Code de la propriété jusqu’à aujourd’hui. Le Code de la propriété foncière, promulgué au cours du Mandat français, regroupe différents textes de loi, dont le Code de la propriété de 193987 dans lequel sont définies de nouvelles catégories de terres, code en vigueur jusqu’à aujourd’hui.

Bien que le système foncier instauré après la conquête arabe ne rompe pas totalement avec celui qui existait avant elle, il ne nous a pas paru nécessaire pour notre étude de remonter, comme le font quelques-unes des sources utilisées ici (Haut-Commissariat, Cardon L., Tabbah B., …), plus loin dans le temps jusqu’aux systèmes fonciers les plus anciens jusqu’à l’origine du système foncier actuel (chaldéens, assyriens, égyptiens, romains, byzantins…). On peut simplement noter que quelques caractéristiques foncières de l’époque de la conquête arabe sont reprises des périodes antérieures. Les Chaldéens, par exemple, distinguaient déjà la propriété éminente de la possession pour l’usage, comme plus tard la législation ottomane démembre le droit de propriété en deux droits distincts, le droit sur le rakaba (domaine éminent) et le droit sur le tessarouf (domaine utile)88. Dans le code babylonien d’Hammourabi, la possession de la terre est privative et transmissible, « mais la propriété en appartenait théoriquement aux dieux et, au-dessous d’eux, aux rois, à l’exception de certains domaines inaliénables, affectés exclusivement aux temples et à l’armée. »89. De même, l’acquisition de la terre se faisait par concession du souverain et impliquait une obligation de mise en valeur par l’acquéreur et l’obligation d’acquitter l’impôt. Des esclaves, fermiers ou métayers cultivaient les biens des possesseurs de grands domaines. Ce système foncier — des terres privatives avec un droit éminent du souverain — subsista sous la domination égyptienne puis sous les Phéniciens, les Perses, les Grecs, les Séleucides, ainsi que sous les Romains qui respectèrent les lois, us et coutumes locales90.

Cette continuité dans le système foncier se manifeste également entre les périodes distinguées dans le tableau. Par exemple, au moment de la réforme foncière de 1858, un code foncier moderne vient remplacer le précédent, mais ne fait en réalité qu’entériner l’évolution sur le terrain. « Respectueux du droit coutumier et des règles juridiques de

87 Code de la propriété (propriété foncière et droits réels immobiliers), arrêté 3339/LR, 12 novembre 1939. 88 Haut-Commissariat, Rapport général sur les études foncières …, op. cit., 1921, p.48.

89 Tabbah B., Propriété privée et registre foncier, op. cit., p.117. 90 Cf. Tabbah B., Propriété privée et registre foncier, op. cit., p.118-124.

l’Islam, [il] ne fait que codifier la situation de facto qui règne dans les campagnes ottomanes et ne change grand chose ni aux formes de propriété ni aux modes d’exploitation des terres. Ce qui est vraiment nouveau, c’est sa forme. Au fouillis inextricable de lois et de coutumes jusque là en vigueur il substitue un ensemble de règles systématisées, valables dans toutes les régions de l’empire et porteur d’une rationalité frappée du sceau de l’Occident. » 91.

2.2.2 Terres codifiées par les lois et terres régies par la coutume au Mont Liban.

Le tableau présenté ici répertorie les catégories de terres telles qu’elles sont écrites ou rapportées par des témoins ; ce sont essentiellement les catégories de terres légales, codifiées par les dynasties musulmanes, les Ottomans puis les Français. Il fait peu apparaître les types de terres coutumières qui ne sont pas recensées, que la loi les permette, les ignore, les néglige ou cherche à les faire disparaître. Elles n’ont semble-t-il presque jamais été écrites92. D’une complexité qui s’accordait mal avec les classifications, elles se seraient également exprimées par un vocabulaire qui ne recouvrait pas exactement, voire pas du tout, les concepts et la terminologie de l’État ou des juristes. Ces coutumes locales se seraient ainsi multipliées, « à l’abri du manteau assez lâche de la législation coranique » qui présente un « défaut de précision fondamentale en ce qui concerne les questions foncières »93 allant parfois jusqu’à la contredire94. Les Ottomans, en particulier, ont laissé subsister dans les territoires conquis les coutumes qui y avaient cours. « Il est exceptionnel de voir les Ottomans imposer à une nouvelle province incorporée dans leur Empire, des lois, décrets ou règlements purement ottomans ; au contraire, ils s'attachent toujours à maintenir en place les institutions anciennement établies, afin d'éviter de troubler la structure économique, sinon sociale, du pays. C'est là l'un des faits caractéristique de l'administration ottomane que d'avoir voulu conserver aux régions annexées leur particularité dans tous les domaines, faisant preuve par là d'un libéralisme

91 Dumont P., « La période des Tanzimat (1839-1878) » in Mantran R. Histoire de l’empire…, op. cit., p.477. 92 Weurlesse J., Paysans…, op. cit., p.91. Quand elles sont connues, les catégories de terres coutumières ou

la coutume en vigueur dans la Montagne libanaise sont indiquées dans le tableau, entre des pointillés quand ils sont spécifiques et en note s’ils recoupent les catégories officielles.

93 Weurlesse J., Paysans de Syrie et du Prche-Orient, op. cit., p.91.

94 « La règle coutumière et traditionnelle est parfois en contradiction, aussi bien en Syrie qu’au Liban, avec

les dispositions de la loi écrite. Dans certaines régions même, la législation a dû céder devant la coutume qui reste seule appliquée (…). Les règles communément admises se fixèrent dans la coutume et celle-ci, qui s’est toujours opposée à la législation officielle, a toujours prévalu. C’est ce qui explique que la tradition a pu se maintenir et se perpétuer, présider au rapport des individus et fixer notamment le régime local des biens et des terres dont la législation musulmane a dû s’inspirer. » Haut-Commissariat, Rapport général sur les études foncières, op. cit., p.43-44.

incontestable. La domination politique et militaire étant assurée, il suffisait que ces régions continuassent leur vie normale, à l'abri de tout incident capable de bouleverser leur économie. [...] Ce que l’État ottoman attendait de ces provinces, (c’était) l'assurance de revenus réguliers »95.

Dans les frontières de l’actuel Liban, les catégories de terres recensées dans le tableau existent ou ont existé surtout dans les régions périphériques (Aakar, Bekaa, Liban-Sud). D’après les ouvrages consultés, le territoire de l’ancien Mont-Liban (les terrains qui nous intéressent se situent sur les franges de ce territoire) aurait été peu marqué par le système foncier musulman, car la domination arabe n’aurait pas réellement réussi à s’implanter dans ses massifs montagneux, de même que, plus tard, au moment de la conquête de la Syrie par les Ottomans, les populations de la Montagne libanaise auraient pu conserver une certaine autonomie qui leur aurait permis de se soustraire à la loi commune et de rester en possession de leurs immeubles, comme autrefois 96. L’état de semi-indépendance qu’a acquis le Liban vis-à-vis de l’État ottoman lui a permis d’échapper au retour dans le giron de l’État des terres acquises en propriété privée dans les périodes précédentes : « lors de la conquête de la Syrie, en 1507, par les Ottomans, les terres rurales qui avaient été concédées en pleine propriété par les souverains antérieurs furent considérés par le gouvernement turc, selon la coutume des vainqueurs, comme terres de conquête et firent retour de ce fait au Trésor public. Tous les droits concédés depuis cette époque par le nouveau souverain ne le furent plus que contre paiement d’un loyer annuel et en retenant à son profit la nue-propriété des terres ainsi concédées. Dans les villes, ainsi que dans le Gouvernement autonome du Mont-Liban, les immeubles demeurèrent mulk, c’est-à-dire

95 Mantran R. et Sauvaget J., Règlements fiscaux ottomans, Les provinces syriennes, Institut français de

Damas, Librairie d'Amérique et d'Orient Adrien-Maisonneuve, 1951, p.X.

96 Haut-Commissariat, Rapport général sur les études foncières, op. cit. De même, « L’administration

ottomane ne semble pas avoir consciemment ou sciemment admis une exception à ces règles [foncières] générales dans le périmètre de l’Empire, tandis que les Libanais ne paraissent jamais avoir été soumis à de telles conditions (…) La Sublime Porte ne semble s’être avisée de cet état exceptionnel du Liban que vers le milieu du XIXe siècle. Avertie par des agents en conflit avec l’administration de la Moutassarafiat, elle ouvre

une enquête à ce sujet et demande au Conseil administratif lui-même de lui expliquer quelles étaient les diverses catégories de propriété foncière dans la « Montagne ». La réponse précise : « Le droit de propriété des habitants sur leurs terres remonte à des temps immémoriaux. Ils payent l’impôt foncier et la capitation aux émirs du territoire. Ils pratiquaient les opérations d’achat et de vente librement, sans formalité officielle d’enregistrement, par simple acte écrit en privé » ; Touma T., Paysans et institutions féodales chez les Druzes et les Maronites du Liban du XVIIe siècle à 1914, Beyrouth, Publications de l’Université libanaise,

section des études historiques, XXI, 1986, p.571-572.

possédés en pleine propriété. »97. Dès lors, grâce à cette indépendance relative, les propriétés de la Montagne ont été soustraites à la législation écrite et sont restées régies par la coutume et la tradition. « Jusqu’à l’intervention des Principales Puissances, en 1860, les terres ne faisaient l’objet d’aucune inscription. Le Protocole signé en 1864, en affranchissant le Liban de l’autorité ottomane avait aussi visé à constituer une propriété paysanne. Le soin d’établir un cadastre fut laissé à l’autorité locale »98.

Les immeubles auraient donc bien plus souvent suivi la coutume que les règles foncières ottomanes dans le territoire dans l’ancien gouvernement autonome du Mont-Liban. Il semble cependant que, contrairement à une idée répandue jusqu’à aujourd’hui, les biens n’étaient pas tous « mulk » dans ce périmètre, mais reprenaient d’une certaine façon les catégories foncières ottomanes.

Le mot mulk est en fait utilisé dans deux sens pour décrire ce qui se passe au Mont-Liban : dans le sens de « propriété privée » qui est la traduction usuelle de mulk, et dans le sens de « catégorie foncière mulk », qui recouvre des propriétés privées individuelles, rurales ou urbaines, à différentes périodes. Au Mont-Liban, lorsque les Ottomans sont arrivés, les terres devenues privées dans les périodes précédentes (passées de la catégorie ghair memlouké à la catégorie memlouké, voir tableau), sont restées privées et sont passées dans une catégorie foncière qui correspondrait à la catégorie mulk ottomane, sans que l’on puisse dire si elle faisaient l’objet des mêmes droits, puisque les auteurs s’accordent à dire que les terres du Mont-Liban étaient régies par la coutume et non par la loi ottomane.

En fait, il est dit que ces biens sont restés propriété privée avant tout par opposition au régime amirié qui prévalait alors pour les terres rurales dans les autres régions ottomanes, y compris les régions périphériques du Mont-Liban, dans lesquelles le domaine éminent