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Les passages du mouchaa à la propriété privée

2 Du « statut » mouchaa au statut privé : privatisation et superposition de droits.

2.3 Les passages du mouchaa à la propriété privée

Les ouvrages actuels sur la banlieue sud expliquent eux aussi les conflits fonciers par une superposition de droits résultant de la privatisation de terrains autrefois mouchaa. En réalité, on ne sait pas exactement quel fut le statut des terrains de cette zone à l’origine. Ces terrains sont dits ‘amma et mouchaa par les uns124 — vraisemblablement de la même catégorie métrouké murefeké que le suggèrent les revendications de la municipalité —

121 République libanaise, L’affaire des sables…, op. cit., p.53-57. 122 D’après J. Naggear par exemple.

123 On peut cependant faire un raisonnement similaire pour les terrains urbains à celui qu’on a fait pour les

terrains du Mont-Liban ci-avant.

124 Comme Charafeddine W., La banlieue sud, op. cit., p.79 : « Cette confusion [ du statut de propriété de

ces terrains] provient du fait que ces domaines étaient à l’époque ottomane, des propriétés dites ‘amma (publiques). » L’auteur définit ces terrains comme « mouchaa ou ‘amma (indivis), terrains publics ou municipaux dont la propriété est publique » (ibidem) ce qui correspond à la catégorie métrouké murefeké,

(voir tableau). Cette explication est reprise intégralement par Yahia M., Forbidden Spaces, Invisible

Barriers, Housing in Beirut, op. cit., p.162.

miri (ou amirié) et mouchaa par d’autres125. Mais les descriptions sont imprécises, faute de sources, et on ne sait pas à quelle réalité les termes de « public », « miri » ou « mouchaa » se rattachent, chacun de ces trois mots pouvant avoir des sens divers. En tout état de cause126, ces terrains n’étaient vraisemblablement pas des propriétés privées. Que ces terres aient été amirié, métrouké (murefeké ou mehmié), mewat ou mubah, leur propriété était divisée entre un domaine éminent (rakaba) qui appartient à l’État représentant la collectivité, et un domaine utile (tessarouf) qui est concédé à des particuliers ou à une collectivité particulière. Le plus vraisemblable est que ces terrains ont été mouchaa au sens de la catégorie métrouké murefeké. Dans ce cas, l’État concédait les terrains à un ou plusieurs villages. Pour ce qui est de la période ottomane, le domaine éminent de ces terrains aurait donc appartenu à l’État, représenté par le Sultan et/ou l’émir de la Montagne. Les ouvrages mentionnés ci-dessus signalent, attestations à l’appui127, la location de ces terrains à des particuliers par la municipalité, en tout cas à la fin de l’empire ottoman et malgré le fait que le Code foncier de 1858 interdise, dans son article 97, toute vente, tout achat et, surtout, toute construction sur ces terrains. Dans ce cas, le domaine utile aurait été concédé par l’État à la municipalité qui l’aurait concédé à son tour à des particuliers (avant 1939, toutes ces terres, y compris les terres métrouké murefeké sont du domaine de l’État, voir tableau).

Si ces terres appartenaient à l’État, représenté par le Sultan, lui-même représenté par l’Émir de la montagne qui les a concédées au nom du gouvernement à une famille notable, et qu’elles sont devenues privées, si elles ont été possédées successivement par des familles de notables druzes et par les deux derniers émirs de la Montagne, il est très vraisemblable que le passage d’une propriété publique à une propriété privée ait été effectué pendant la gestion, par ces familles, des territoires dont faisaient partie les terrains. Il est peu vraisemblable que cette « propriété » vendue au cheikh Moustafa Rifaï par l’émir Béchir Qassem, dernier émir de la montagne et fils de l’émir de la Montagne Béchir II, ait

125 Comme Halabi B., Illegitimate settlements, op. cit., p.15 et 25. « [On] lie la cause de la formation des

établissements [irréguliers] au processus historique qui commence avec la privatisation des terres collectives (mouchaa). » Idem, p.4.

126 Sauf lorsque mouchaa prend le sens d’indivision dans la propriété privée (voir plus haut), mais ce n’est

certainement pas dans ce sens que le terme mouchaa est utilisé dans les ouvrages cités ici.

127 « Chacun des habitants de la région pouvait louer à la municipalité, pour une durée de 99 ans, un

morceau de terrain inférieur à 300m2, à un prix de location de 10 centimes le mètre carré, y construire et y

habiter. » Charafeddine W., La banlieue sud, op. cit., p.80 et annexes.

toujours été une propriété privée individuelle. Le fait que le propriétaire de ces terres soit un émir — que cela soit l’émir de la Montagne ou un émir de district — permettrait d’expliquer le passage à la propriété privée.

Il est difficile de situer à quel moment commence la superposition des droits entre propriété privée et propriété mouchaa. Ce n’est sans doute pas au moment de la vente de 1956, car il était manifestement admis à l’époque que l’émir Béchir Qassem Chéhab avait lui-même acheté ces terres à son cousin germain paternel, l’émir Abbas Chéhab128. Il est cependant possible que la superposition ait été rendue manifeste au XIXe siècle : « C'étaient des terres mouchaa qui appartenaient au Sultan ottoman et qui ont par la suite été distribuées aux communes par les émirs Chehab, au XIXe siècle. » (d’après entretien 80).

Pour tenter de comprendre les modalités de cette privatisation particulière, il faut la replacer dans le cadre des privatisations de terres au Liban au cours des XVIIIe et XIXe siècles.

2.3.1 La privatisation des terres au Liban

Le passage à la propriété de terres du domaine éminent du Sultan ou de l’État a lieu tout au long de l’histoire foncière dès la conquête arabe (voir tableau foncier) : passage de terres ghair memlouké à des terres memlouké par leur concession en toute propriété par le souverain à l’époque islamique médiévale, terres concédées en propriété à des particuliers par la Sublime Porte… A la fin du XVIIIe siècle, le droit éminent de propriété de la majorité des terres appartenait encore au Sultan (terres amirié). La privatisation des terres a lieu principalement aux XVIIIe et XIXe siècles et au début du XXe siècle. Elle s’est souvent faite au bénéfice de petits propriétaires, mais a plus souvent encore abouti à la constitution de grandes propriétés privées, que celles-ci aient été constituées directement ou qu’elles aient été le résultat d’un transfert de la propriété de petits à de grands propriétaires. Cette privatisation se fait de différentes façons.

128 « Attendu que la propriété de l'émir Kassem Omar Chéhab de la région ouest objet de litige, située à

l'Ouest de la route de Saida, est une affaire unanimement classée pour les parties concernées et qu'elle est devenue sienne par achat à son cousin germain paternel, l'émir Abbas Chéhab. » République libanaise, L’affaire des sables, p.162.

Dans les parties périphériques du Liban (Aakar, Bekaa, Liban Sud), de grandes propriétés ont directement été constituées lorsque les descendants des timar, cavaliers colons qui avaient reçu une dotation domaniale qu’ils concédaient à des particuliers par l’intermédiaire de fiefs entre le XVIe et le XVIIIe siècle, tentèrent de privatiser leurs concessions afin de garantir la transmission de leur charge à leurs héritiers. Le Sultan a également été à l’origine de la constitution de grandes propriétés privées lorsqu’il a offert à des notables qu’il voulait récompenser des domaines pris sur ses biens personnels ou lorsqu’ont été stabilisés en pleine propriété des domaines qu’il avait concédés à ces notables en échange d’une redevance annuelle129. Par ailleurs, les villages en propriété mouchaa, dont nous avons parlé plus haut, passèrent progressivement en propriété privée : « Vers les années 1880, à l’occasion du recensement général des propriétés, les possessions mouchaa furent en principe stabilisées et les terroirs divisés d’après la situation de fait de l’époque ; des titres fonciers furent délivrés dans lesquels les propriétés étaient délimitées en feddan ou parts de feddan. »130. Ce processus est renforcé dans la deuxième moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle par « une série de lois agraires et de disposition administratives (en 1858, 1880, en 1913…) (qui) visa essentiellement à privatiser la terre, à fixer les possessions par les opérations du cadastre et des attributions de titres, à mettre en place une nouvelle assiette de l’impôt, à généraliser l’impôt en argent au lieu de l’impôt en nature et à légaliser l’hypothèque, la saisie, la cession et l’acquisition des terres. »131. L’enregistrement forcé des propriétés en nom privé a constitué une petite propriété paysanne, mais surtout de grandes propriétés privées lorsque les chefs de tribu ou de clan, les notables ou les chefs de village mouchaa firent enregistrer comme biens personnels ce qui était en fait la propriété collective du groupe132. Par ailleurs, lorsque les petits propriétaires n’arrivaient pas à payer les taxes foncières et fuyaient la terre, il suffisait que des notables payent les impôts à leur place et la propriété leur était transférée. Enfin, de petits propriétaires endettés ont cédé leur propriété à des notables qui les protégeaient133. Au Moyen-Orient, « la grande propriété ne

129Latron A., La vie rurale en Syrie et au Liban, op. cit., 273p. 130 Dubar C. et Nasr S., Les classes sociales au Liban, op. cit., p.34. 131 Ibidem.

132 « D’autres fois [les puissants du jour] s’agrandissaient avec la complicité facile des agents du Tabo en

faisant inscrire sur leur titres obtenus à l’occasion d’un achat minime, de fausses limites, qui reculaient les bornes de leur propriété. Plus récemment, les chefs de tribus ou de clans ont, à la faveur du recensement immobilier ordonné par le gouvernement ottoman, fait immatriculer en leur nom propre, avec la complicité ingénue des leurs, ce qui appartenait collectivement à tout le groupe. Ils s’y sont par la suite consolidé, munis qu’ils étaient de titres officiels de propriété. » Tabbah B., Propriété privée et registre foncier…, op. cit., p.132.

133 Cf. Dubar C. et Nasr S., Les classes sociales au Liban, op. cit., p.34.

rencontre de concurrence sérieuse que dans la banlieue des villes et dans les régions de culture intensive »134, notamment, au Liban, dans la Montagne et dans la périphérie de Beyrouth135.

Au Mont-Liban, où la propriété privée s’était généralisée, un nombre bien moins important de terres restait à privatiser : les villages mouchaa avaient été privatisés dès le Moyen- Age136 et, en raison du statut particulier qu’avait acquis la Montagne libanaise sous les Ottomans, les terres privatisées par les souverains de l’époque islamique médiévale n’avaient pas été retournées au Trésor public, lors de la conquête de la Syrie, en 1507, comme les autres terres de conquête. Ces terres étaient donc déjà soumises sous les Ottomans au régime de la propriété privée, régies par les us et coutumes locaux137. Mais, que les terrains ruraux détenus en propriété privée soient de grande ou de petite taille, les paysans avaient généralement au Mont-Liban le statut de métayer138. Très peu de paysans travaillaient leur propre terre. Restaient non appropriées, cependant, des terres non encore cultivées. La moughârsa (contrat de comptant) apparu alors pour les mettre en valeur. Il s’agit d’un contrat entre le gouverneur d’un district (mouqâta‘ajî) et un paysan, par lequel « le paysan s’engageait à mettre en culture ou planter une terre et obtenait, au bout de

134 Weurlesse J., Paysans de Syrie et du Proche -Orient, op. cit., p.120.

135 « Elle s’y heurte à la moyenne et surtout à la petite propriété (...). Le petit propriétaire (…) exploitant (...)

n’est que l’exception ; on ne trouve de paysan propriétaire que dans certains cas et dans certaines régions très délimitées : dans les villages demeurés en propriété mouchaa, dans les contrées montagneuses ou difficiles et dans les pays de plantation ; nous verrons en effet comment ce dernier type d’économie favorise l’accession à la propriété par le jeu d’un contrat particulier à l’Islam, la moughârsa. Partout ailleurs, la petite propriété n’appartient pas à l’exploitant, mais à deux classes particulières : le peuple des villes — artisans et commerçants — et les petits notables de campagne. Pour les premiers comme pour les notables citadins, il n’y a pas de placement légal en dehors de la terre ; toute disponibilité d’argent est donc aussitôt investie dans l’achat d’un jardin suburbain, qui a l’avantage en outre de pouvoir servir de maison de campagne pour la belle saison ; la culture en est en général confiée à un métayer. Pareil système s’est développé largement (…) autour des grandes villes : Damas, Alep, Beyrouth ou Bagdad… » Weurlesse J., Paysans de Syrie et du Proche-Orient, op. cit., p.120. On trouve dans ce même ouvrage, p.114, un chapitre

sur la grande propriété foncière en Syrie.

136 Dubar C. et Nasr S., Les classes sociales au Liban, op. cit., p.28.

137 Cardon L., La propriété foncière, op. cit., p.82. « Au Liban, grâce à l’indépendance relative dont à

toujours bénéficié la Montagne, les propriétés ont été soustraites à la législation écrite et sont restées régies par la coutume et la tradition. Jusqu’à l’intervention des Principales Puissances, en 1860, les terres ne faisaient l’objet d’aucune inscription. Le Protocole signé en 1864, en affranchissant le Liban de l’autorité ottomane avait aussi visé à constituer une propriété paysanne. Le soin d’établir un cadastre fut laissé à l’autorité locale. » Idem, p.94.

138 « Ce qui domine tout entier [le régime de l’exploitation], c’est la dissociation radicale et quasi absolue

entre exploitation et propriété (…), qui cultive ne possède pas et qui possède ne cultive pas. (…) À la base, (…) ce mépris de la terre (…) qui caractérise l’Islam arabe ; la charrue déshonore, s’en affranchir est une victoire sociale et quasi morale. Dans un tel état d’esprit, on conçoit aisément que les grands nobles citadins puissent en quelques sorte se glorifier d’ignorer tout de leur domaine - hors le revenu qu’ils en reçoivent — (…) Cette sorte de démission collective économique des propriétaires aboutit à une formule d’exploitation simple et à peu près exclusive : le métayage. » Weurlesse J., Paysans de Syrie et du Proche-Orient, op. cit.,

p.122.

cinq ou dix ans (selon la culture), entre le quart et la moitié des terres vivifiées et des arbres plantés. »139. Ce type de contrat a favorisé l’accession à la propriété privée de métayers, notamment au XVIIIe siècle, mais également le passage à la propriété privée d’un certain nombre de terres pour les gouverneurs des districts appelés mouqâta‘at.

2.3.2 Dans la Montagne libanaise, l’appropriation privée des terres des mouqâta‘at par les notables

Le système administratif de l’époque était organisé autour de ce qu’on appelait des mouqâta‘at, que l’on peut traduire par district ou territoire administratif. « Selon une définition qu’a donnée Claude Cahen pour une période antérieure mais qui reste en gros valable pour le Liban du XIXe siècle, les mouqâta‘at « sont des districts dont un notable

assume vis-à-vis du fisc l’impôt à un tarif forfaitaire ». Toutefois au Liban, cette responsabilité n’est pas assumée par un notable mais par une famille notable, dont les membres portent conjointement le titre de mouqâta‘ajî. »140. Ces districts étaient confiés aux notables par l’émir de la Montagne, agissant lui-même au nom du Sultan ottoman. Levant l’impôt, ces notables « occupaient [donc] la place d’intermédiaire entre l’État (ottoman) et les paysans. »141. « Sous l’autorité des émirs Chéhab aux XVIIIe et XIXe

siècles, une vingtaine de grandes familles de notables partageaient l’administration du territoire libanais (et) géraient les subdivisions appelées mouqâta‘at.» 142.

139 Dubar C. et Nasr S., Les classes sociales au Liban, op. cit., p.29 « L’aide des métayers est surtout

nécessaire lors de la création des plantations. Celle-ci réclame des années de travail et de dépenses sans aucune recette (…) Comment dans ce cas rétribuer le fellah, alors que le propriétaire ne dispose d’aucun capital disponible ? Et comment en même temps s’assurer de son zèle ? La difficulté a été tournée d’une manière ingénieuse par la moughârsa, type de contrat spécialement adapté à une économie sans numéraire ni capital. Le principe est simple : le propriétaire concède au métayer un terrain nu, à charge pour lui de le complanter en telle ou telle espèce. Quand la plantation commence à entrer en rapport, elle est partagée entre les deux parties contractantes, chacune tenant sa part en pleine propriété ; le partage met du même coup fin à l’association. On comprend qu’ainsi conçue, elle intéresse l’un et l’autre, le propriétaire dont la part plantée vaudra infiniment plus que la totalité non plantée, et le métayer qui, sans débours, deviendra propriétaire. (…) Le métayage subsiste pour les plantations qui restent au mains des propriétaires citadins (…) mais étant lui-même propriétaire, (le métayer) n’est plus entièrement sous leur dépendance (…). Le plus bel exemple est fourni par certaines régions de la montagne libanaise[…] C’est ainsi que les émirs Chéhab virent au début du XIXe siècle le village de Damour passer aux cultivateurs grâce au droit de superficie ou

mougharassa, consenti à ces derniers à l’effet de leur permettre de planter des mûriers : enrichi par la vente

de la soie, ces cultivateurs purent acquérir ces biens, dont les propriétaires en mal d’argent ne demandèrent pas mieux que de se débarrasser. De leur coté, les Joumblatt, qui possédaient un immense domaine allant de Saida jusqu’à la Bekaa, à cheval sur la montagne, l’ont vu se désagréger doucement en passant aux fellahs. » Weurlesse, Paysans de Syrie et du Proche-Orient, op. cit., p.130 et 135.

140 Chevallier D., cité par Dubar C. et Nasr S., Les classes sociales au Liban, op. cit., p.25. 141 Idem.

142 Touma T., Paysans et institutions féodales chez les Druzes et les Maronites du Liban, op. cit., p.571.

Savoir à qui appartenaient les terres et quels statuts elles avaient n’est pas toujours évident et suppose de s’intéresser aux interactions qui ont eu lieu, entre le XVIe et le XIXe siècle au Mont-Liban, entre la propriété et l’administration des territoires, sujet qui a fait l’objet de débats et de désaccords entre les historiens. Plusieurs types de terres pouvaient être distinguées à l’intérieur de ces districts. Certaines parcelles étaient détenues en propriété privée par des paysans143. D’autres biens-fonds étaient détenues en propriété privée par les notables en charge du district — « à côté des bénéfices qu’ils tiraient du district qui leur était concédé, [les mouqâta‘ajî-s] possédaient des domaines privés (mulk), des terres qu’ils faisaient exploiter par des métayers » 144 — ou à d’autres familles notables.

Certaines parcelles, enfin, ne sont pas clairement attribuées. « En ce qui concerne la propriété des terres, il semble que se superposaient deux types de propriété éminente, celle du Sultan ottoman au nom duquel était levé l’impôt et, par délégation, celle de l’Émir, gouverneur fermier du fisc de la Montagne. L’Émir à son tour accordait des bénéfices ou des concessions sur des étendues variables (mouqâta‘at) à des familles notables, liées à lui par des relations de clientèle.145. [...] La concession constituait une sorte de rémunération

foncière, à charge pour les notables bénéficiaires de lever impôt dans la mouqâta‘at et d’assurer éventuellement le commandement militaire d’un contingent armé de paysans, au service de l’émir gouverneur. Les mouqâta‘ajî étaient supposés garder 8% des impôts levés, mais en réalité, il retenaient un part plus large de la rente en impôt pouvant aller jusqu’à 25% . [...] Les concessions, accordées par l’émir en sa double qualité de chef de la hiérarchie socio-familiale et de fermier général de la Montagne au nom de la Porte, pouvaient uniquement être retirés par lui et étaient inaliénables par les bénéficiaires. »146. Obtenir la concession d’un district ne signifiait donc pas obtenir la propriété de ses terres. Cela ne signifiait pas non plus obtenir la gestion de l’impôt sur des terres toutes détenues en propriété privée par d’autres individus, — même s’il y avait à l’intérieur de ces districts

143 Les auteurs s’accordent pour dire qu’il « est difficile de déterminer la part de la petite propriété paysanne

au Mont-Liban du XVIe au XIXe siècle. Cependant la plupart des sources attestent que la majeure partie des

cultivateurs possédaient des parcelles, mais insuffisantes, et des parcelles louées en métayage à des familles notables ou à des couvents. Durant la première moitié du XIXe siècle, on estimait que près de 10% des

paysans ne possédait aucune parcelle. »Dubar C. et Nasr S., Les classes sociales au Liban, op. cit., p.28.

144 Idem p.30.

145 Idem p.26. Des famille notables druzes au sud de la Montagne, « d’origine tribale médiévale et à fonction

guerrière » ; des familles notables maronites au centre et au Nord de la montagne, « d’origine plus récente