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Des poches morphologiques en banlieue sud de Beyrouth

1 La morphologie de la banlieue sud : un revers de l’urbanisme planifié D’un point de vue morphologique, la banlieue sud de Beyrouth est très diversifiée D’un

1.1 Des poches morphologiques en banlieue sud de Beyrouth

Les quartiers de la banlieue sud de Beyrouth forment des poches morphologiques. Ce tissu urbain différencié tient au fait que la banlieue sud s’est développée suivant plusieurs logiques, en plus ou moins grande conformité avec les règles d’urbanisme qui elles-mêmes ont varié dans le temps.

1.1.1 Zones de superposition et zones de juxtaposition

En banlieue sud-est, ces poches morphologiques sont moins manifestes que dans la banlieue sud-ouest car la ville s’y est formée autour des noyaux anciens des villages de Chiah, Haret Hreik, Mraijeh, Bourj Brajneh. Le tissu y varie en fonction de la date à laquelle ces localités se sont développées et résulte dans l’ensemble de l’extension progressive de ces localités et de l’accumulation dans le temps, sur un même espace, de logiques constructives de toutes les époques — mélange de maisons d’origine villageoise et d’immeubles de différentes époques, remplacement de bâtiments par d’autres, densification du bâti, lotissements, création de nouvelles voies avec des gabarits différents des précédentes. Bâtis, parcellaires et voiries diverses se mêlent dans une superposition de couches, selon un principe morphogénétique qui rejoint ce qui s’est passé à l’intérieur des limites de la ville de Beyrouth9.

En revanche, des poches morphologiques sont bien distinctes dans la partie sud-ouest de la banlieue (à proximité du boulevard de l’Aéroport et entre celui-ci et la mer), ainsi qu’à ses extrémités sud et est. Ces zones sont plus éloignées du noyau urbain ancien, dans les étendues sablonneuses à l’ouest et dans l’ancienne plaine agricole à l’est. Là, des poches se sont formées dans une logique morphogénétique de juxtaposition (voir illustration 1-3).

9 Voir Huybrechts E., in Daccache M. et alii, Beyrouth, Logiques du chaos, morphogénèse et idéologies

spatiales, Beyrouth, Cermoc, à paraître, 2003.

1-3. Juxtaposition de poches morphologiques en banlieue sud-ouest

Les chiffres mentionnent les poches dont sont issues les tissus présentés dans l’illustration 1-1. Fond de plan, Beyrouth sud, plan photogrammétrique, Oger International, 1991.

Illustration 1-3.

1.1.2 Juxtaposition de quartiers légaux et illégaux

Les différences morphologiques des quartiers s’expliquent en partie par leur genèse. Une des différences les plus flagrantes est liée à la conformité ou non à l’urbanisme décrété. La morphologie n’est en effet pas la même si ces quartiers sont le fruit de plans d’urbanisme, de remembrements ou de lotissements enregistrés au cadastre et réglementés par ces plans d’urbanisme, ou s’ils ont été construits en dehors des règles et normes officielles ou en infraction avec la loi.

Le lotissement Daouq (voir illustrations 1-5 et 1-6), appelé parfois camp de Sabra car de nombreuses familles palestiniennes y ont loué des logements dès le début des années 1950 10, représente un cas à part. Créé en 1939 à coté de l’aérodrome de l’époque (où la Cité sportive sera construite ultérieurement), il a été constitué légalement, mais avant que les règlements et les plans d’urbanisme principaux aient été édictés. Très vite, il n’a donc plus répondu aux normes en vigueur. Ses parcelles sont plus petites et sa morphologie présente un tissu plus serré que les lotissements qui seront réalisés ultérieurement.

La banlieue sud-ouest de Beyrouth est ordonnée par des plans d’urbanisme parfois anciens. Plusieurs des poches identifiables en banlieue sud sont des lotissements adoptant les tracés et les règlements du plan d’urbanisme de 1953 — celui de Bir Hassan, par exemple, est réalisé en 1959 — ou de 1974. D’autres sont issues de remembrements, comme celui de Raml el-Aali (1959-1978) ou celui situé au sud de la rue Adnan el-Hakim (1961-1978) (voir illustration 1-16). Les zones qui sont le fruit de ces plans d’urbanisme, de lotissement ou de remembrement présentent des morphologies similaires : voiries orthogonales, parcelles relativement grandes, implantation des bâtiments en retrait, immeubles au centre des parcelles…

Les deux camps palestiniens Chatila11 et Bourj Brajneh forment deux poches d’habitat extrêmement serré dont la morphogenèse est à relier directement à l’histoire de leur

10 Sayigh R., Too many enemies, The Palestinian Experience in Lebanon, London and New Jersey, Zed

books, 1994, p.67.

11 Dans le quartier de Sabra et Chatila, il n’y a qu’un seul camp palestinien. Qu’il soit appelé Sabra ou

Chatila, il n’y a donc pas d’ambiguïté, tant qu’il est précisé qu’il s’agit bien du camp. Il est appelé Sabra dans les documents d’Élyssar et Chatila par l’UNRWA et de nombreux auteurs (R.Sayigh, par exemple). Ces derniers appellent généralement Sabra le lotissement Daouq décrit plus haut.

constitution : une implantation à l’origine sous tente, un découpage de « parcelles » en conséquence très serré, une évolution faite, à l’intérieur d’un périmètre, de durcification, de consolidations, de destructions et de reconstructions dépendantes pour l’essentiel de l’histoire politique palestinienne au Liban, et une densification, au sol et en hauteur, qui se poursuit encore durant toutes les années 1990, comme le montrent les photos aériennes12.

1-4. Densité du tissu urbain du camp palestinien de Chatila

De nombreux bâtiments de cinq à sept étages ont été construits dans le camp palestinien de Chatila pendant les années 1990, et notamment sur sa lisière que l’on voit au second plan sur la photo. Photo V.Clerc 2001.

12 L’analyse à la lunette binoculaire des photos aériennes verticales de 1991, 1995 et 1999 montre une forte

densification du camp de Chatila pendant au moins huit années après la fin de la guerre. En 1991, une grande partie des bâtiments du camp est partiellement ou totalement détruite et le reste est constitué d’immeubles bas (inférieurs à trois étages). En 1995, de nombreux immeubles atteignent cinq à sept étages : environ une trentaine des immeubles situés en lisière du camp (c’est-à-dire un peu plus de la moitié) et une trentaine environ en son centre. En 1999, les immeubles de cinq à sept étages sont largement majoritaires en lisière du camp (voir illustration 1-4), ils sont environ une quarantaine à l’intérieur du camp et une petite centaine de bâtiments y ont entre trois et cinq étages. NB : Il y a environ 350 immeubles dans le camp, d’après le plan photogrammétrique de la banlieue sud (réalisé par Oger en 1991 à partir de photographies aériennes) et d’après le « Plan des destructions dans le camps de Chatila en 1991 » réalisé à partir des sources de l’UNRWA in Mauriat J., Les camps de réfugiés palestiniens à Beyrouth : dynamique internes et

articulation à leur environnement immédiat, mémoire de maîtrise, Paris, Université de Paris X - Nanterre,

1997, p.33.

1-5. La création du lotissement Daouq en 1939

Extrait du plan cadastral concernant la parcelle 1818, Circonscription foncière de Chiah Source : cadastre de Baabda.

Illustration 1-5.

1-6. Le lotissement Daouq aujourd’hui

Situation du lotissement Daouq, sur l’ancienne parcelle 1818, sur le plan photogrammétrique de 1991 et sur le plan parcellaire actuel.

Les 62 parcelles créées en 1939 (1818 et 2138 à 2198) ne répondent pas aux normes des lotissements ultérieurs. Elles sont petites, parfois inférieures à 100 m2 (voir tableau des surfaces de l’extrait du plan cadastral). Certaines ont été loties à leur tour, comme les parcelles 2192 (création des parcelles 2247 et 2248), 2157 (2249 et 2250), 1818 (2255 à 2301), 2197 (2312 à 2333 puis 2378 à 2386). La parcelle 1820 située au nord-ouest de ce lotissement (à côté du chemin parcelle 1819), à côté de la cité sportive, a été également été lotie (antérieurement à ces lotissements, 2120 à 2128, puis ultérieurement, 2378 à 2386), complétant l’ensemble qui apparaît actuellement sur le plan parcellaire.

Illustration 1-6.

Des poches d’habitat irrégulier se sont installées dans des interstices laissés par l'urbanisation légale, entre des noyaux urbains anciens et des lotissements, soit par occupation illégale de terrain, comme pour les quartiers de Jnah, Hay el-Zahra, Horch el- Qatil, Horch Tabet, soit dans une configuration légale et foncière plus complexe, plus ancienne aussi, comme pour Raml ou Ouzaï. La banlieue sud-ouest est le lieu principal et quasi-exclusif de Beyrouth où la ville s’est ainsi développée sur des terrains qui n’appartenaient pas à ceux qui y ont construit et sans l’accord des propriétaires.

Certains quartiers, enfin, se sont développés par lotissements irréguliers : l’acquisition foncière est légale, mais il n’y a pas eu de lotissement enregistré au cadastre pour le découpage des terrains, et les bâtiments, le plus souvent édifiés sur des terres non destinées à l’urbanisation, ne respectent pas les règlements de zoning et de construction. Le plus important, Hay el-Selloum, réalisé par des lotisseurs informels sur des parcelles agricoles achetées légalement, s’étend en un tissu relativement régulier et dense et qui se densifie encore aujourd’hui13. Ces quartiers sont généralement situés à l’est de la banlieue sud, dans les plaines agricoles de Hadath et Choueifate. Enfin, de nombreuses constructions du début des années 1990 qui s’étendent sur ces plaines ne respectent pas les règles d’urbanisme, et notamment les coefficients d’exploitation.

13 Pour une étude de la genèse de ce quartier, voir en particulier Bouzeid F., Hay es-Sellom : un quartier à

réaménager, Mémoire de maîtrise sous la direction de Stéphane YÉRASIMOS, Saint - Denis, Université de

Paris VIII - Vincennes, sd. [après 1985], 67p. ; Charafeddine W., La banlieue sud de Beyrouth : structure

urbaine et économique, Thèse de doctorat en géographie sous la direction de Xavier de PLANHOL, Paris,

Université de Paris IV- La Sorbonne, 1987, 332p. ; Fawaz M., Informal Networks and State Institutions in

Housing : 50 years and 3 générations of developers in a Lebanese informal settlement, Massachussetts

Institute of Technology, Department of Urban Studies and Planning, First Year Doctoral paper, 2000, 48p. ; Mumtaz B., dir., Developing alternatives, Hay es Salloum - Beirut, MCs building and urban design in

development, slnd, 51p. ; Université libanaise, Institut des Beaux-arts (2), Le quartier de Hayy el-Sellom en banlieue sud de Beyrouth, Compte rendu de l’étude de cas, Étude dirigée par FAWAZ Mona, HARB EL-

KAK Mona et PEILLEN-DEBS Isabelle, 1999, 41p.

1-7. Tracés des îlots issus des remembrements et des plans d’urbanisme dans le périmètre d’Élyssar

Illustration 1-7.