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Statuts des langues et politique linguistique au Liban

4.1 La situation linguistique actuelle au Liban

4.1.1 Statut de l’arabe au Liban

Comme tous les pays arabes, la situation linguistique du Liban se caract´erise par la diglossie. Ce concept implique selon Ferguson (1959) l’usage de deux formes d’une mˆeme langue, dont l’une est plus d´evaloris´ee socialement par rapport `a l’autre : L’arabe standard et l’arabe dialectal. Certaines personnes vont jusqu’`a parler d’une situation de «triglossie» qui r´eside entre l’arabe standard, l’arabe dialectal et l’arabe moderne.

4.1.1.1 L’arabe standard, langue officielle du Liban

L’arabe appartient `a la famille chamito-s´emitique. Il doit sa diffusion `a la propagation de l’Islam, du Coran ainsi qu’aux conquˆetes militaires des arabes d`es le VII`eme si`ecle. La standardisation de la langue arabe remonte au VII et VIII si`ecle et c’est au X`eme si`ecle que les normes ont ´et´e fix´ees comme l’a soulign´e Catherine Miller (2009) dans son article4 :

La grammatisation et la standardisation de la langue arabe classique s’est produite dans les deux premiers si`ecles de cette expension (VII et VIII si`ecle) et au X`eme si`ecles les normes de la langue arabe classique sont d´efinitivement fix´ees par les grammairiens en se basant principalement sur la version ´ecrite du code coranique.

Depuis cette ´epoque, l’arabe standard, n’a pas subi de changements au niveau des r`egles fondamentales. Il faut attendre la fin du XIX `eme si`ecle, c’est-`a-dire «la p´eriode de la Nahda» qui signifie la «renaissance» pour que l’on apporte quelques modifications modernes. `A cette ´epoque, des r´eformateurs venant de diff´erents pays arabes : Liban, ´Egypte, Syrie et Palestine collaborent pour apporter une touche de modernit´e `a l’arabe standard en simplifiant «la syntaxe originale du VIIe si`ecle, mais surtout en ajoutant des mots modernes tels que «train»,

«com-4. Catherine Miller. L’arabe : le poids du pass´e plombe-t-il les espoirs de l’avenir ? 2009, p. 4.

pagnie», «d´emocratie», «socialisme», etc.»5 D’ailleurs, l’arabe standard est la langue officielle et vernaculaire du Liban. Il est destin´e `a l’usage officiel, juridique et religieux. L’arabe standard est appel´e abusivement aussi arabe «litt´eraire» parce qu’il est consacr´e aux ´ecrits litt´eraires, `a l’enseignement et `a l’administra-tion. Cet arabe est employ´e dans la presse, le th´eˆatre, `a la t´el´evision, `a la radio et sur internet. Il sert d’instrument de communication entre les pays arabes. Il importe de noter que l’arabe standard est enseign´e `a l’´ecole au mˆeme titre que les langues ´etrang`eres : le fran¸cais et l’anglais d’o`u le statut d’une langue seconde.

4.1.1.2 Le dialecte libanais : langue maternelle et de communication

Selon l’´etude de Laval (1999), l’arabe dialectal est le r´esultat «de la fragmen-tation de l’arabe du VIIe si`ecle et de la fusion des parlers provenant des conquˆetes militaires et des brassages de population des langues sud-arabiques, berb`eres, afri-caines, etc.»6.

Chaque pays arabe poss`ede donc son propre dialecte arabe dont l’arabe liba-nais qui se caract´erise par son h´et´erog´en´eit´e car il ´etait en contact avec les langues occidentales. Le «dialecte libanais» est la langue parl´ee commune des Libanais. Pourtant, ce dialecte ne s’´ecrit pas et ne s’enseigne pas, il est employ´e dans les situations informelles : dans les rues, `a la maison, dans les boutiques, au travail, etc. Il apparaˆıt ´egalement dans les m´edias audiovisuels. N´eanmoins, ce dialecte varie au niveau phonologique et lexical en fonction des r´egions libanaises, mais tout en laissant la compr´ehension intacte. D’ailleurs, S´elim Abou (1962) consid`ere le dialecte libanais comme une vraie langue et non pas comme un «patois»7 :

L’arabe dialectal n’est pas un patois, mais une v´eritable langue, la seule qui

5. Leclerc et Leclerc, op. cit.

6. Ibid.

7. Selim Abou. Le bilinguisme arabe-fran¸cais au Liban : essai d’anthropologie culturelle. Paris, P. universitaires de France, 1962, p. 102-103.

soit couramment parl´ee par tous les membres de la soci´et´e, sans exception, sans compter qu’elle est l’instrument ordinaire de la chanson et de la po´esie populaires.

4.1.1.3 L’arabe moderne

Aujourd’hui on voit apparaˆıtre l’arabe moderne, qui a ´et´e r´eform´e au XIX `eme si`ecle, dans la presse et dans les m´edias (la publicit´e, le th´eˆatre, le cin´ema, les ´emissions et les discours politiques). Cet arabe se caract´erise par la simplification de certains morph`emes et par sa musicalit´e qui rel`eve de l’emprunt `a l’anglais et au fran¸cais. Il s’agit donc d’un m´elange de l’arabe standard avec les arabes dialectaux, donnant ainsi naissance `a l’arabe moderne qui se caract´erise par une syntaxe plus souple, par un lexique plus riche du fait qu’on fait appel `a des emprunts `a l’anglais, le fran¸cais, le turc, etc.

4.1.1.4 Anglais

Quant `a l’anglais, cette langue s’implante au Liban dans la deuxi`eme moiti´e du 19`eme si`ecle. Alors que l’empire Ottoman s’affaiblit, l’Angleterre en profite pour obtenir des privil`eges au mˆeme titre que La France. Cette derni`ere ayant nou´e des liens avec les maronites du Liban, l’Angleterre choisit alors la communaut´e Druze pour exercer son influence sous pr´etexte de la prot´eger. Cependant, les missionnaires anglo-saxons ont mis en p´eril les missionnaires fran¸cais en r´ealisant des projets de grande ampleur dans tous les domaines : culturel, m´edical, ´educatif, etc. De plus, ils ont construit la premi`ere ´ecole de jeunes filles `a Abey apr`es 1830 et ´etaient les pionniers de l’enseignement sup´erieur au Moyen-Orient apr`es la cr´eation de la premi`ere Universit´e au Liban le «Syrian Protestant coll`ege» en 1866, devenue plus tard l’Universit´e Am´ericaine vers 1920. Pour faire face `a la propagation `a vive allure de l’anglais, la France a pris diff´erentes mesures en ´elargissant leurs projets

surtout `a Beyrouth. `A cet effet, les J´esuites y ont cr´e´e des ´etablissements scolaires de qualit´e, la facult´e de M´edecine en 1883, la facult´e orientale en 1902 ainsi que la biblioth`eque orientale en 1889. Malgr´e les tentatives de la France de consolider la langue fran¸caise et de sauvegarder son statut en tant que langue seconde au pays du c`edre, l’anglais a continu´e son ascension et cela en raison de la mondialisation et des nouvelles technologies. Actuellement, l’anglais y occupe une place capitale sous pr´etexte qu’il permet d’acc´eder facilement au march´e du travail. En effet, les parents libanais ont tendance `a scolariser leurs enfants dans des ´ecoles anglophones car ils consid`erent que l’anglais est la clef de la r´eussite professionnelle. D’ailleurs, l’anglais a le statut de langue seconde dans les ´ecoles francophones et est une langue d’enseignement dans les ´ecoles anglophones.

4.1.1.5 L’arm´enien

L’arm´enien est introduit au Liban au XXe si`ecle `a la suite du g´enocide de 1915. Cette langue est essentiellement pratiqu´ee en famille par les membres de cette communaut´e. Les Arm´eniens sont minoritaires, ils repr´esentent environ 4,9%8 de l’ensemble de la population libanaise. Cette population a trouv´e refuge au Liban en 1920 `a la suite des pers´ecutions ottomanes. En ce qui concerne le domaine politique, ils sont repr´esent´es dans le gouvernement libanais. Cependant, leur langue ne fait pas partie des programmes scolaires libanais. Pour cela, les Arm´eniens ont fond´e leurs propres ´etablissements scolaires et universitaires pri-v´es, financ´es par leur communaut´e. Il est important de mentionner que l’arabe n’´etait pas enseign´e dans leurs ´etablissements scolaires et universitaires, mais il est introduit en 1960 pour son importance dans l’int´egration dans la soci´et´e liba-naise. Cette communaut´e est profond´ement int´egr´ee au Liban dans le sens o`u ils maˆıtrisent le libanais et fr´equentent des ´ecoles libanaises.

Bien que les Arm´eniens maˆıtrisent l’arabe dialectal, cela ne les a pas empˆ e-ch´es de sauvegarder leur identit´e. Pour ce faire, ils ont fond´e leurs propres stations de radio, leurs journaux, revues et magasines. Il est important pour nous de men-tionner l’existence d’autres langues «minoritaires». En effet, nous avons employ´e cette d´esignation pour des raisons li´ees `a leur usage et `a leur pratique. De fait, un nombre limit´e de locuteurs y recourent et dans des situations bien sp´ecifiques de communication.

4.1.1.6 Autres langues

Il arrive au Liban d’´ecouter quelques notions de syriaque notamment dans les messes maronites. Quant au turc, cette langue continue d’exister dans quelques r´egions libanaises comme Tripoli et Beyrouth, auxquelles s’ajoutent certaines per-sonnes ˆag´ees ainsi qu’un groupe d’arm´enien qui s’expriment dans cette langue. En outre les r´efugi´es d’Alexandrette le parle occasionnellement (apr`es ˆetre associ´es `a la Turquie en 1936) et les 4000 turcs install´es au Liban. Nous y retrouvons aussi le Kurde dans une r´egion peupl´ee et d´emunie, o`u la classe ouvri`ere constitue la majorit´e de la population. L’h´ebreu est conserv´e par une minorit´e juive qui ha-bite Beyrouth. Quant au grec, cette langue se cantonne actuellement `a des usages liturgiques orthodoxe et melkite (600.000 fid`eles). Depuis 1960 on enseigne inten-s´ement l’allemand (les allemands ont cr´e´e un hospice `a Beyrouth en 1860 et un consulat G´en´eral en 1899). Finalement, quelques ´ecoles et universit´es proposent aujourd’hui encore des cours d’espagnol et d’italien, de chinois, entre autres9.

9. Naaman, op. cit., p. 163-164.

4.1.1.7 Le Fran¸cais

Comme nous l’avons d´ej`a indiqu´e pr´ec´edemment, l’implantation du fran¸cais au Liban remonte loin dans l’histoire, avant mˆeme l’´epoque du mandat fran¸cais (1920-1943). C’est grˆace au trait´e «r´egime des capitulations» sign´e entre le Sultan Soliman le Magnifique et Fran¸cois 1er en 1535 que la France a acquis le statut de «protectrice des Chr´etiens d’Orient» dont le Liban. Ainsi, cet ´ev`enement a permis l’insertion de la langue fran¸caise au Liban. Ce trait´e a permis ´egalement la protection des ressortissants europ´eens dont les missionnaires. C’est ainsi que la langue fran¸caise a supplant´e la langue italienne qui a ´et´e diffus´ee grˆace `a la pr´esence d’un bon nombre d’Italiens.

Ainsi, les missionnaires (les Lazaristes, les J´esuites, etc.) ont cr´e´e des ´ecoles, et des hˆopitaux, dans les villes cˆoti`eres. Il importe de rappeler qu’`a la suite de la constitution de 1926, le fran¸cais a acquis le statut de langue officielle `a cˆot´e de l’arabe sous le mandat fran¸cais. Cependant, il a perdu ce statut au lendemain de l’ind´ependance. De nos jours, le statut de fran¸cais se situe au coeur des d´ebats au Liban. Certains le consid`ere comme langue seconde, d’autres comme langue de scolarisation ou encore comme langue maternelle. En effet, le fran¸cais occupe une place assez importante au Liban notamment dans le secteur ´educatif o`u il est enseign´e dans presque toutes les ´ecoles libanaises. Par ailleurs, il est assez pr´esent dans la vie sociale des Libanais `a travers les enseignes, les panneaux et les signalisations qui jalonnent les rues libanaises. De plus, on l’utilise parall`element `a l’arabe dans les restaurants, par exemple, o`u le fran¸cais apparaˆıt sur les menus, sur la monnaie libanaise, les timbres postaux, etc. Certaines rues `a Beyrouth portent mˆemes des noms fran¸cais comme par exemple : Madame Curie, G´en´eral Charles de Gaulle, Cl´emenceau, Capucins, Maurice Barrec, Pasteur, Gouraud.

dans les ´ecoles francophones. Cependant, le niveau de fran¸cais des ´etudiants d´ e-pend du type d’´ecoles fr´equent´ees. Ainsi, les ´ecoles priv´ees francophones offrent une ´education fran¸caise de qualit´e alors que dans les ´ecoles publiques, faute de moyens financiers, l’enseignement du fran¸cais reste `a l’´etat embryonnaire. Nous constatons donc un certain d´ecalage entre les diff´erents lieux d’enseignement de la langue fran¸caise au Liban. Certains ´el`eves issus de l’´ecole publique apprennent le fran¸cais comme langue ´etrang`ere, alors que d’autres, issus de l’´ecole priv´ee na-tionale l’assimilent comme langue seconde, et enfin, les ´el`eves de l’´ecole priv´ee conventionn´ee par la France, se l’approprient comme une langue premi`ere. Selon les recherches men´ees en 2000-2001 par la Commission des affaires culturelles du gouvernement fran¸cais10, les vrais bilingues arabes-fran¸cais constitueraient 28.5% de la population contre 14% bilingues arabes-anglais. De plus, 73% des bilingues arabes-fran¸cais maˆıtriseraient aussi l’anglais. D’ailleurs, Pascal Monin (2002)11

nous indique dans son article «Le miracle de la langue fran¸caise» le pourcen-tage des Libanais francophones et anglophones, d’apr`es une ´etude qu’il a men´ee avec l’institut Ipsos : 45% de la population libanaise est francophone alors que les anglophones repr´esentent pr`es de 30% de la population. Autrefois, la langue fran¸caise revˆetait un cachet religieux dans la mesure o`u on associait souvent sa pratique aux chr´etiens, toutefois dans son article, Monin affirme qu’ «On assiste `

a un d´ebut de r´e´equilibrage entre les principales communaut´es libanaises en ce qui concerne l’apprentissage du fran¸cais.»12

Sans doute est-il important pour nous de noter que la langue fran¸caise est souvent associ´ee au Liban `a la culture et au luxe alors que l’anglais est per¸cu comme langue des affaires et langue d’´echange avec le monde ext´erieur.

10. Chiffres tir´es du (libanvision.com. QUELLE PLACE POUR LE FRANCAIS au LI-BAN dans le 3`eme MILLENAIRE ? 2016. url :http://www.libanvision.com/francoliban.htm) 11. Professeur `a l’Universit´e Saint-Joseph de Beyrouth, membre du Comit´e scientifique du r´eseau d’Observation du fran¸cais et des langues nationales dans le monde de l’AUF.

12. Pascal Monin. « Le miracle de la langue fran¸caise ». Dans : Afdal.chi (2010). url :

https://afdalchi.wordpress.com/2010/07/05/le-miracle-de-la-langue-francaise/.