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Statuts des langues et politique linguistique au Liban

4.3 La politique linguistique par d´ efaut

Le concept de politique/planification par d´efaut a ´et´e propos´e par Calvet (1983) `a propos de la situation dans certains pays africains (in vivo /in vitro). Le mˆeme concept a ´et´e repris par Baggioni (1991, 1996) `a propos de la situation de l’Ile Maurice, de Madagascar et de l’Alg´erie.

Conform´ement `a une ´etude men´ee par l’Universit´e de Laval, portant sur la situation d´emolinguistique libanaise, la politique linguistique du Liban correspond `

a une politique de non-intervention dans la mesure o`u les interventions ´etatiques

proc`edent en la mati`ere sont peu nombreuses. Elles se cantonnent `a l’abrogation, au lendemain de l’ind´ependance, des dispositions constitutionnelles reconnaissant les deux langues officielles : l’arabe et le fran¸cais. En effet, l’´Etat a tendance `a maintenir les anciennes pratiques. La situation de l’arabe standard est aussi confir-m´ee en raison de son statut d’officialit´e, mais aucune mesure l´egislative n’a ´et´e prise en faveur du dialecte libanais, bien qu’il soit la langue de communication de presque tous les Libanais. Aujourd’hui, on peut se permettre de presenter la situation en termes de «triglossie» o`u le dialecte libanais a le statut de langue ver-naculaire et maternelle, le fran¸cais est per¸cu comme langue de culture et l’anglais comme langue fonctionnelle. Nous constatons donc que la politique linguistique libanaise qui correspond `a une strat´egie du laisser-faire (in vivo, Calvet, 1982), prˆone le multilinguisme qui convient parfaitement aux Libanais vou´es au com-merce et habitu´es qu’ils sont au contact avec plusieurs langues depuis l’antiquit´e.

Comme le gouvernement libanais tient toujours `a sa position non-interventionniste concernant la politique linguistique, celle-ci reste jusqu’`a nos jours quasi absente. C’est grˆace aux efforts d´eploy´es par quelques chercheurs et linguistes libanais ainsi que les institutions priv´ees que l’on peut parler de l’am´ e-nagement linguistique au Liban. Ainsi s’exprime Rania Massoud dans son article sur «La terminologie au Liban : r´ealit´es et d´efis»17 : «Il n’existe, jusqu’`a ce jour, aucune politique linguistique officielle au Liban. C’est, en grande partie, grˆace aux efforts individuels et priv´es qu’un certain am´enagement linguistique est per¸cu sur le terrain.» Pour ce qui est de la situation linguistique au sein des ´etablissements scolaires, l’´Etat met `a la disposition des Libanais des ´ecoles publiques qui assurent un enseignement bilingue arabe-fran¸cais ou arabe-anglais. Makki Mona (2007)18

affirme que :

Ce que nous pouvons dire avec certitude c’est qu’il n’y avait pas de politique interventionniste de l’ ´Education nationale. L’ ´Etat libanais imposait

l’ensei-17. Rania Massoud. « La terminologie au Liban : r´ealit´es et d´efis ». Dans : USJ (). url :

http://www.certa.usj.edu.lb/alkimiya/raniamassoudfr.pdf. 18. Makki,op. cit.

gnement d’une premi`ere langue ´etrang`ere, mais privil´egiait la libert´e du choix de cette langue. L’ ´Etat se contentait de proposer des fili`eres arabe-fran¸cais ou arabe-anglais dans les ´etablissements du secteur public. Les premi`eres avaient un net avantage sur les secondes dans les deux cycles, primaire et secondaire.

Comme nous l’avons dit auparavant, la langue fran¸caise devient une langue officielle au mˆeme titre que l’arabe sous le mandat fran¸cais. Ainsi, l’article 11 de la Constitution du 9 novembre 1943 stipulait que : «L’arabe est la langue nationale officielle dans toutes les administrations de l’ ´Etat. Le fran¸cais est ´egalement langue officielle, une loi sp´eciale d´eterminera les cas o`u il en sera fait usage». Toutefois, cette «loi sp´eciale» n’a pas vu le jour. Ajoutons que cette constitution a subi `a maintes fois des modifications : le 7 d´ecembre 1943, le 21 janvier 1947, le 24 avril 1976 et `a l’issue des accords de Ta¨ef le 21 septembre 1990.

Au lendemain de l’ind´ependance, la situation linguistique a subi des change-ments significatifs. Le fran¸cais perd son statut d’officialit´e, ainsi l’arabe standard devient juridiquement la seule langue officielle du pays. Cependant, ces modifica-tions n’ont pas affect´e la langue fran¸caise qui demeure une langue privil´egi´ee au Liban notamment au sein des institutions scolaires et universitaires. Ainsi, l’ar-ticle 11 de la constitution, modifi´e en 2004 pr´ecise que : «L’arabe est la langue nationale officielle. Une loi d´eterminera les cas o`u il sera fait usage de la langue fran¸caise.»19 D’ailleurs, Abdallah Naaman souligne (1979) que c’est le premier ministre Riad As-Sulh qui a lu la D´eclaration minist´erielle le 7 octobre 1943, pr´ecisant que la langue arabe est la seule langue officielle dans l’administration.

D`es lors, l’arabe standard devient la langue officielle et nationale au Liban, o`u elle sera presque utilis´ee dans tous les secteurs. Naaman (1979)20ajoute qu’en 1940, l’arabe a ´et´e la langue la plus pratiqu´ee d’o`u le d´eveloppement de la litt´ era-ture arabe, associ´e au mouvement de la renaissance arabe. L’auteur explique dans

19. Leclerc et Leclerc,op. cit.

20. Naaman,op. cit.

le mˆeme ouvrage qu’`a l’´epoque de la colonisation ottomane, les arabes voyaient leur langue assujettie et rel´egu´ee, et c’est la raison pour laquelle les hommes de la renaissance sont intervenus pour sauver leur langue maternelle. Face au d´ e-clin de la langue et de la litt´erature arabe, ces derniers se fixaient alors comme objectifs : la diffusion et la promotion de leur langue maternelle. C’est ainsi que l’arabe a commenc´e `a se r´eg´en´erer et `a s’´epurer pour atteindre ensuite son ˆage d’or. ´Etant donn´e que le peuple s’est appropri´e un nouveau langage n´e de la situa-tion de contact de diff´erentes langues, les hommes de la renaissance se retrouvent contraints d’adapter la langue arabe `a la nouvelle situation en tenant compte de l’int´egration de nouveaux emprunts greff´es dans leur parler.

De ce fait, la langue arabe s’´epanouit davantage grˆace `a son ouverture sur d’autres langues europ´eennes, auxquelles elle a emprunt´e un nombre important de termes, ce qui a contribu´e `a l’enrichissement de son vocabulaire. Ainsi, des emprunts `a l’anglais, au fran¸cais et `a l’italien ont ´et´e ins´er´es dans la langue arabe, qui voit ensuite se d´evelopper `a tire-d’aile le ph´enom`ene de n´eologisme. Par cons´ e-quent, une nouvelle `ere s’ouvrait notamment avec le retour de nouveaux ´ecrivains form´es en Occident. Ceux-ci ont contribu´e `a l’efflorescence et `a la diffusion de l’arabe par le biais de la presse qui avait un grand impact sur le lectorat arabe. De grands efforts ont ´et´e d´eploy´es afin de retirer la langue arabe de sa d´ecadence et de lui donner une touche de modernit´e mais c’est au linguiste Ibrahim- Al-yaziji21

(1847-1906) que nous devons notamment la r´esurrection de la langue arabe. Ce dernier ayant form´e de nouveaux mots et redonn´e une nouvelle vie `a des mots arabes tomb´es autrefois dans l’oubli, a pu donner un nouveau souffle `a la langue arabe. De plus, il a emprunt´e aux langues europ´eennes un large ´eventail de mots ce qui a donn´e `a la langue pr´ecit´ee une certaine fraˆıcheur, citons quelques exemples : Cartoun (carton), saboun (savon), boulisse, (police), salata (salade).

De surcroˆıt, on peut observer que l’anglais a connu un grand essor au

demain de l’ind´ependance pour des raisons li´ees au d´eveloppement des relations commerciales entre le Liban et les pays arabes anglophones. Par ailleurs, la ligue arabe cr´e´ee le 22 mars 1945 au Caire avait comme objectif le resserrement des liens entre les vingt-deux membres et le renforcement de la coop´eration dans diff´erents domaines : culturel, ´economique, politique, etc., afin de d´efendre les int´erˆets des pays arabes. Cette ligue trouve dans la langue arabe un facteur de solidarit´e et de force qui consolide leur coh´esion politique, c’est pourquoi elle rassemble les pays dont la langue officielle et nationale est l’arabe classique. D`es lors, la langue arabe a acquis une place tr`es importante22.

Il serait important de noter que dans les ann´ees soixante et soixante-dix (Abou, 1994, 1996) on assistait `a une mont´ee du nationalisme arabe avec des ten-tatives d’arabisation de l’enseignement qui s’accompagne d’une volont´e de r´eduire le fran¸cais au statut de simple langue ´etrang`ere. Selon l’auteur, et malgr´e la per-sistance de ce genre de discours sur la sc`ene libanaise, la politique d’arabisation n’a pas abouti en raison de l’´echec constat´e dans des pays arabes prˆonant cette po-litique linguistique d’une part et de l’implantation du fran¸cais chez les diff´erentes communaut´es confessionnelles libanaises d’autre part. Ainsi, le contexte libanais actuel, nous offre une situation tridimensionnelle avec une certaine concurrence entre le fran¸cais et l’anglais.

Abou (1994) pense qu’apr`es la guerre civile (1975-1990) certains changements, minimes certes, mais significatifs sont apparus dans le tissu libanais concernant les langues et les attitudes qui y sont associ´ees. Pour lui, dans certains milieux Chr´etiens, notamment chez les maronites, o`u la langue occidentale est consid´er´ee comme une simple langue ´etrang`ere `a but utilitaire, est n´e le d´esir de substituer l’enseignement du fran¸cais par l’anglais. Tandis que pour certains Druzes, g´en´ e-ralement anglophones, affichent un nouveau penchant pour la langue fran¸caise. De plus, la communaut´e Chiite consid´ererait plus l’aspect social du fran¸cais en

22. Ibid.

tant que langue de prestige. L’auteur explique la position des Musulmans vis-`a-vis du fran¸cais lors de l’ind´ependance, par un ressentiment contre la Puissance man-dataire et que «peut-ˆetre, aujourd’hui, le passage `a l’anglais de certains milieux chr´etiens r´esulte-t il, d’une certaine d´eception occasionn´ee par la politique de la France durant la guerre des quinze ans.»23

N´eanmoins, apr`es avoir adopt´e la R´esolution sur la langue fran¸caise par les chefs d’´Etats et de gouvernements lors de la tenue du XIIe Sommet le Franco-phonie `a Qu´ebec en octobre 200824, le Liban a affich´e sa volont´e de conclure un pacte linguistique, afin de ranimer la flamme de la Francophonie au Liban. En r´eponse `a cette volont´e, l’OIF a sign´e un pacte linguistique avec les autorit´es li-banaises en octobre 2010 au sommet de Montreux. Ainsi, l’ancien pr´esident de la R´epublique du Liban, Michel Sleiman, et le Secr´etaire g´en´eral de la Francophonie, Abdou Diouf, ont d´ecid´e d’en faire examiner les conditions d’´etablissement lors d’une mission officielle de la Francophonie (OIF, AUF et TV5 Monde), arriv´ee `a Beyrouth en mars 2010.

Pour concr´etiser l’int´erˆet de l’´Etat libanais d’assurer le dynamisme `a la langue fran¸caise dans le but de pr´eserver le caract`ere trilingue du pays, la mission ladite a examin´e la place du fran¸cais dans les diff´erents secteurs de la soci´et´e ainsi que dans le syst`eme ´educatif. Il en a r´esult´e l’´etablissement d’un constat, par cons´equent, un plan d’action a ´et´e ´elabor´e en concertation avec les parties de Pacte. Ce plan d’action comprend les axes prioritaires du pacte linguistique couvrant trois volets : enseignement, culture et environnement francophone. Dans ce qui suit nous allons examiner l’usage des langues dans le parlement, dans l’administration, dans les tribunaux.

23. S´elim Abou. « Les enjeux de la francophonie au Liban ». Dans : Une francophonie diff´erentielle, Paris, L’Harmattan, Universit´e Saint-Joseph (1994), p. 417.

24. francophonie.org. Liban. 2010. url : http : / / www . Francophonie . org / IMG / pdf / synthese pacte liban.pdf.

4.4 Les langues au parlement, aux tribunaux et