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Le fran¸ cais est une langue seconde, langue ´ etrang` ere, langue de culture et de snobisme.langue de culture et de snobisme

Statuts des langues et politique linguistique au Liban

4.5 La place du fran¸ cais au Liban par rapport aux autres langues en pr´esence

4.5.2 Le fran¸ cais est une langue seconde, langue ´ etrang` ere, langue de culture et de snobisme.langue de culture et de snobisme

A la suite d’une r´eunion tenue en 2006 au salon du livre de Paris dans l’inten-tion d’examiner l’´etat de la Francophonie au Liban, des sp´ecialistes de l’´education, des repr´esentants de l’´edition ainsi que des m´edias ont certifi´e que la Francopho-nie s’y portait bien dans la mesure o`u le fran¸cais maintient toujours son statut de deuxi`eme langue au sein de la soci´et´e libanaise. En outre, l’essayiste et l’atta-ch´e culturel aupr`es de la d´el´egation du Liban `a l’Unesco, `a Paris, Bahjat Risk a expliqu´e que le fran¸cais a acquis son statut de langue seconde dans un contexte historique, `a l’´epoque des capitulations de Fran¸cois 1er en 1935. Celui-ci a fait venir des missionnaires au Liban ce qui a permis la diffusion de l’enseignement du fran¸cais sur l’ensemble du territoire. Contrairement au pays de Maghreb, le fran¸cais au Liban n’est donc pas le fruit d’une colonisation.

4.5.2 Le fran¸cais est une langue seconde, langue ´etrang`ere,

langue de culture et de snobisme.

Comme nous l’avions mentionn´e plus haut, le fran¸cais avait acquis le statut de deuxi`eme langue officielle `a cˆot´e de l’arabe au Liban cons´equemment `a la d´eclaration de l’article 11 de la Constitution libanaise de 1926. C’est notamment dans la p´eriode du Mandat (1920-1946) que le fran¸cais a connu un essor sans pr´ec´edent. Durant cette p´eriode, le fran¸cais ´etait per¸cu comme langue presque maternelle dans la mesure o`u il ´etait pratiqu´e par la majorit´e des Libanais. De plus, la langue jouissait d’un certain pouvoir vu qu’elle avait un statut juridique et administratif au mˆeme titre que l’arabe. Par ailleurs, le d´ecret n7962 divulgu´e en 193135, dispose que : «l’enseignement des deux langues : l’arabe et le fran¸cais est obligatoire dans toutes les ´ecoles».

Au lendemain de l’ind´ependance, l’opinion publique a ´et´e partag´ee entre les

d´efenseurs et les contestataires du fran¸cais langue officielle. Les premiers repr´ esen-taient les chr´etiens, avaient revendiqu´e la maintenance du statut d’officialit´e de la langue fran¸caise alors que les autres ´etaient des musulmans qui avaient r´eclam´e l’arabe comme seule langue officielle du pays. C’est ainsi que le fran¸cais a perdu son statut d’officialit´e et pass´e au statut de langue seconde ou d’enseignement tandis que l’arabe devient la seule langue officielle du pays. Toutefois, le fran¸cais continue `a jouer un rˆole important au Liban mais son statut reste confus du point de vue juridique. Pour cela, de multiples conf´erences et colloques ont ´et´e organis´es pour discuter de sa place et son statut au Liban, mais de nos jours encore ce sujet est toujours au cœur des d´ebats citoyens.

En effet, la place de cette langue reste relative du fait que plusieurs facteurs d’ordre socioculturel, id´eologique, politique, g´eographique, influencent son usage au Liban. De ce fait, pour certaines personnes le fran¸cais est une langue seconde ou d’enseignement alors que pour d’autres, elle est une simple langue ´etrang`ere.

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A cela s’ajoute quelques familles libanaises qui restent tr`es fid`eles `a la langue fran¸caise de sorte qu’elles y recourent dans diff´erentes situations de leur vie : `a la maison, dans la rue, avec les amis, les parents. Pour cette cat´egorie de population libanaise, le fran¸cais est per¸cu comme langue maternelle. Accorder un statut `a une langue est tributaire de plusieurs facteurs d’ordre g´eographique, culturel, histo-rique, juridique, ´economique. Sa place assign´ee dans les institutions ´educatives, ses usages ainsi que les valeurs qu’on lui accorde, interviennent lors de sa d´ enomina-tion. N´eanmoins, une mˆeme langue peut avoir diff´erentes variations linguistiques au sein d’une mˆeme soci´et´e selon le contexte socioculturel et g´eographique dans laquelle elle s’inscrit. D’ailleurs, G´erard Vigner36 souligne que :

Nommer une langue n’est pas un acte anodin, car de la sorte, on lui assigne une place dans le concert des langues pr´esentes dans un pays, et par le moyen d’un qualificatif, ‘ langue ancienne ’, ‘ langue moderne ’, ‘ langue nationale ’, etc., ou d’une apposition, ‘ fran¸cais, langue maternelle’, ‘ fran¸cais, langue

36. G´erard Vigner. « Nommer le fran¸cais ». Dans : Ela. ´Etudes de linguistique appliqu´ee 2 (2003), p. 153-166.

´etrang`ere ’, on l’inscrit dans un univers de relations ou de fonctions qui renvoient `a des cat´egorisations de nature tr`es vari´ees, souvent h´et´erog`enes, mais toutes charg´ees de sens.

Bien que l’environnement linguistique libanais soit multilingue et multicul-turel, c’est surtout le fran¸cais qui a grav´e tous les ´echelons au sein de la soci´et´e libanaise. La langue fran¸caise jouit de statuts diff´erents au sein de la soci´et´e li-banaise. Elle est langue seconde, langue ´etrang`ere, langue d’enseignement, langue de culture, langue de luxe et de snobisme, entre autres. Nous allons rapporter ci-apr`es les t´emoignages de certains auteurs libanais concernant le statut et la place de la langue fran¸caise au Liban et cela dans le but de mettre en exergue son caract`ere assez variable. Lors d’un entretien37 sur le «Regard sur la situation politique, la crise syrienne, la Francophonie et la situation des femmes dans le contexte des printemps arabes», Fadia Kiwan, d´eclare que : «[...]le fran¸cais n’est plus la langue de r´ef´erence `a cause de la prise de terrain de l’anglais.».

De son cˆot´e, Sanaa Hoteit38 affirme que : le fran¸cais a la valeur d’une langue de culture alors que l’anglais est per¸cu comme langue des affaires, d’utilit´e et encore symbole de virilit´e.

D’autant plus que dans la soci´et´e, cette langue (le fran¸cais) ´etait g´en´ erale-ment associ´ee `a la culture, `a la po´esie et `a l’image de la femme. Par contre, le crit`ere de la facilit´e et de l’utilit´e est/´etait attribu´e `a l’anglais, per¸cu comme « langue de tous les jours », « langue de travail » indispensable pour les gar¸cons et un outil de promotion socio´economique et de communi-cation internationale.

Puis, dans un deuxi`eme temps Sanaa Hoteit39 ´evoque les statuts assign´es officiellement aux langues :

Nous avons d’une part, ce que le discours officiel a tendance `a nommer, langue nationale/officielle (l’arabe), les langues ´etrang`eres (le fran¸cais et l’anglais), l’arm´enien et l’arabe dialectal. Au sein de ces langues, de

nom-37. Kiwan,op. cit.

38. Sanaa Hoteit. « Enseignement-apprentissage du fran¸cais au sud du Liban : didactique contextualis´ee et int´egration dans une dynamique culturelle francophone ? » Th`ese de doct. Universit´e Rennes 2 ; Universit´e Europ´eenne de Bretagne, 2010, p. 17.

breuses variations linguistiques pr´edominent. Elles sont g´en´eralement tri-butaires de la r´egion et des normes sociales et culturelles dominantes [...]

Pour son part, Abdallah Naaman (1979) met l’accent sur la place privil´egi´ee du fran¸cais au Liban en tant que langue de culture. Pour lui, l’anglais est la langue des affaires, de la technologie et des relations internationales. Il en va de mˆeme pour l’universit´e Laval40 qui a effectu´e une ´etude sur l’am´enagement linguistique au Liban et qui consid`ere que le fran¸cais a le statut d’une langue de culture au Liban :

Dans l’´etat actuel des choses, on peut affirmer qu’il existe au Liban une certaine triglossie o`u l’arabe libanais est utilis´e `a la fois comme langue maternelle et comme langue vernaculaire, le fran¸cais servant essentiellement comme langue de culture et l’anglais comme langue fonctionnelle pour les communications avec l’ext´erieur.

Zahida Darwiche Jabbour41, explique dans son ´etude sur La Francophonie au Liban et les d´efis de la mondialisation que le fran¸cais devient une langue de culture au lendemain de l’ind´ependance et que malgr´e la grande perc´ee de l’anglais, le fran¸cais demeure une partie int´egrante de l’identit´e culturelle libanaise :

Avec le changement de la situation politique sous l’ind´ependance fond´ee sur un consensus national, le fran¸cais [...] ´etait devenu pour une grande partie de la population une langue de culture, un v´ehicule de valeurs humanistes et un moyen d’ouverture `a l’universel.

Puis, elle ajoute qu’«Au Liban, o`u le fran¸cais fait partie int´egrante de l’iden-tit´e culturelle, o`u l’arabe — il est inutile de le rappeler — est la langue de l’identit´e nationale, on a opt´e pour un trilinguisme o`u l’anglais tient la place de langue d’ac-c`es `a l’informations.»42

Lors d’une conf´erence au congr`es de la pneumologie libanaise en 2013, l’´ ecri-vain Alfred Gilder affirme que le fran¸cais a le statut de langue seconde et qu’elle

40. Leclerc et Leclerc,op. cit., p. 17.

41. Zahida Darwiche Jabbour. « La francophonie au Liban et les d´efis de la mondialisa-tion ». Dans : Cahiers de l’Associamondialisa-tion internamondialisa-tionale des ´etudes fran¸caises 56.1 (2004), p. 17-33, p. 25.

42. Ibid., p. 32.

est une langue choisie par les libanais. En effet, plusieurs ´etudes ont ´et´e men´ees sur la place du fran¸cais et sur la Francophonie au Liban dont, entre autres : L’´etude de Katia Haddad (1994), St´ephane Guenier (1993), Samir Hoyek (2004) et S´elim Abou (1962). Dans son ´etude, Haddad (1994) affirme que le fran¸cais est per¸cu comme langue v´ehiculaire et vernaculaire servant de communication avec les groupes arabophones mais il est pratiqu´e par un nombre limit´e des Libanais. Quant `a Guenier (1993), il met l’accent, dans son ´etude sur les portraits lin-guistiques et le fran¸cais au Liban, ainsi que sur les caract´eristiques propres `a la Francophonie dans ce pays.

D’ailleurs, Hoyek (2004) affirme que le fran¸cais devance l’anglais pour plu-sieurs raisons li´ees `a l’histoire, et `a l’´education scolaire et que le fran¸cais passe pour la premi`ere langue dans le domaine de la recherche et de l’enseignement universitaire. Quant `a Abou (1962), celui-ci trouve que les Libanais font usage aux langues ´etrang`eres en fonction des situations et cela varie d’un milieu socio-culturel `a l’autre. Dans son ´etude, il affirme que la majorit´e des bourgeois sont francophones et se sont tourn´es mˆeme vers l’anglais r´ecemment pour des fins uti-litaires. Cependant le fran¸cais reste la langue de culture sans conteste. Quant `a la classe populaire, elle est bilingue arabe-fran¸cais mais leur niveau ´evidemment progresse lorsqu’elle acc`ede `a une classe sociale moyenne. Des ann´ees plus tard, Abou43en coop´eration avec Kasparian et Haddad (1996) ont men´e une ´etude tr`es riche sur l’Anatomie de la Francophonie libanaise qui se r´esume comme suit : Au sein de la communaut´e francophone, on a recouru le plus souvent au fran¸cais mˆeme au travail, en communiquant avec les coll`egues, toutefois l’anglais prend le dessus sur le fran¸cais quand il s’agit d’une communication ou d’un ´echange avec l’´ etran-ger. Par rapport `a la presse, c’est la presse francophone qui est la plus consult´ee et les Libanais francophones vivent profond´ement le bilinguisme arabe-fran¸cais en le pratiquant partout et dans tous les domaines.

43. C Kasparian, Katia Haddad et S Abou. Anatomie de la francophonie libanaise. AUF, Fiches du Monde Arabe, Universit´e Saint-Joseph, 1996.

D’ailleurs, Abou (1994) estime que l’apprentissage de l’anglais au Liban est un atout, mais le plus important est de ne pas renoncer `a la place du fran¸cais comme langue seconde fondamentale pour le d´eveloppement de la soci´et´e libanaise44 :

Que les Libanais se donnent l’anglais comme troisi`eme langue ne peut constituer qu’un avantage. L’essentiel est que le fran¸cais se maintienne comme langue seconde. Il y va non seulement de l’identit´e distinctive de ce pays mais aussi de la qualit´e de son d´eveloppement. En effet, tel qu’en-seign´e et pratiqu´e, le fran¸cais contribue au d´eveloppement int´egr´e de la soci´et´e, stimulant sa cr´eativit´e dans les divers secteurs d’activit´e.

Nous limitons nos r´ef´erences en citant quelques propos exprim´es par des ´ ecri-vains et des chercheurs libanais au sujet de la place de la langue fran¸caise au Liban. Ces propos t´emoignent du caract`ere changeant de cette langue au sein de la soci´et´e libanaise. Somme toute, la place que tient la langue fran¸caise au Liban varie selon les r´egions, la religion, le niveau social et professionnel. De plus, la situation politique peut affecter la place du fran¸cais, puisqu’`a l’issue de la guerre civile, les chr´etiens ont affich´e leur d´eception par rapport `a la France qui selon eux, les a abandonn´es pendant cette ´epreuve, ce qui les a amen´es ensuite `a substituer le fran¸cais par l’anglais. `A pr´esent au moment o`u l’anglais occupe le haut de la pyramide au Liban, le statut et l’usage du fran¸cais est alors fluctuant plus que jamais.