Statuts des langues et politique linguistique au Liban
4.4 Les langues au parlement, aux tribunaux et dans l’administrationdans l’administration
4.4.0.1 Au parlement
D’apr`es l’´etude cit´ee pr´ec´edemment de L’Universit´e Laval25, la langue prin-cipale du parlement est l’arabe standard. Ainsi, lors des r´eunions parlementaires, on fait appel `a cette langue et `a l’arabe dialectal. Or, les lois sont r´edig´ees unique-ment en arabe standard. La majorit´e des lois et des codes libanais ont vu le jour durant le mandat fran¸cais ce qui explique le fait que les documents juridiques sont r´edig´es en fran¸cais par des juristes fran¸cais. De ce fait, ces documents juridiques sont ´ecrits actuellement en fran¸cais et en arabe standard. `A partir de 1992, tout repr´esentant officiel de l’´Etat doit recourir `a l’arabe dans son discours prononc´e sur le territoire national, mais il peut recourir au fran¸cais et `a l’anglais `a l’´etranger.
4.4.0.2 Aux tribunaux : le droit aux langues
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Etant donn´e que les tribunaux26religieux et civils sont assur´es par des magis-trats fran¸cais, leurs d´ecisions sont alors publi´ees en langue fran¸caise parce qu’ils constituent le fondement de la jurisprudence libanaise qui y recourt jusqu’`a ce jour. Les lois appliqu´ees durant cette p´eriode sont rest´ees intactes, elles s’inspi-raient des lois fran¸caises et sont ´ecrites ´egalement en fran¸cais. En ce qui concerne la jurisprudence, les d´ecisions comprennent souvent des passages de r´ef´erence en fran¸cais, extraites d’ouvrages fran¸cais. Le Code de proc´edure civile libanais de 1933 est ´ecrit en fran¸cais. Il est vrai que le Code de proc´edure civile libanais a
25. Leclerc et Leclerc,op. cit.
26. Il importe de noter que les informations de cette partie sont prises de l’´etude effectu´ee par (ibid.).
´et´e publi´e pour la premi`ere fois en arabe en 1983, toutefois, l’exp´erience juris-prudentielle et l´egislative fran¸caise est calqu´ee sur le Code de proc´edure civile fran¸cais.
L’article 814 du Code de proc´edure civile libanais pr´ecise qu’au cas o`u des documents judiciaires sont ´ecrits en langue ´etrang`ere, ces documents doivent dans ce cas-l`a ˆetre traduits par un traducteur asserment´e. En outre, les articles 81, 88 et 184 du Code de proc´edure p´enale (2001) exige le recours `a l’usage de l’arabe ou `a un interpr`ete en cas de non maˆıtrise de la langue arabe par l’accus´e et le d´efendeur, etc. Actuellement, on recourt g´en´eralement `a l’arabe libanais aussi bien dans les tribunaux de premi`ere instance que dans les tribunaux religieux. Ceux-ci ayant juridiction sur le statut personnel des Libanais, sont autoris´es `a employer d’autres langues. Compte tenu de la diversit´e confessionnelle, au Liban chacune des juridictions communautaires sont dot´ees de ses propres lois, de ses textes juridiques, etc. Ainsi, la communaut´e ´evang´elique dispose de ses propres lois alors que la communaut´e arm´enienne en dispose d’autres. Dans ce cas on peut affirmer que le Liban applique le principe de personnalit´e, qui accorde le droit `a chaque citoyen d’utiliser sa langue dans les relations avec l’administration publique.
4.4.0.3 Sur le plan administratif
Dans l’Administration on emploie g´en´eralement l’arabe libanais, mais cela n’empˆeche pas l’usage de l’arabe et du fran¸cais dans des cas pr´ecis. Presque tous les fonctionnaires maˆıtrisent l’arabe et le fran¸cais, car pour acc´eder `a la fonction publique, ils doivent passer l’´epreuve de fran¸cais et d’anglais. D’ailleurs, tous les documents sont ´ecrits en arabe. Toutefois, le recours au fran¸cais `a cˆot´e de l’arabe reste indispensable dans certains cas tels que la d´elivrance des passeports, des billets de banque, des plaques d’immatriculation, etc. Une grande partie de la po-pulation libanaise parle et ´ecrit le fran¸cais, cependant de nos jours, les rapports de
travail ou de stage ainsi que les offres d’emploi sont ´ecrites en anglais. N´eanmoins, certains textes pr´econisent l’usage de l’arabe comme par exemple l’article27 12 de la loi du 23 septembre 1946 concernant le Code du travail. Cette loi qui a ´et´e modifi´ee au 31 d´ecembre 1993 et au 24 juillet 1996 pr´ecise que le contrat de travail doit ˆetre en arabe, mais il peut ˆetre traduit dans une langue ´etrang`ere au cas o`u l’employeur ou le salari´e ´etranger ne maˆıtrise pas l’arabe :
Le contrat de travail peut ˆetre soit ´ecrit, soit verbal. Dans les deux cas, il est soumis `a l’empire du droit commun. Le contrat ´ecrit doit ˆetre r´edig´e en langue arabe ; il peut n´eanmoins ˆetre traduit dans une langue ´etrang`ere si l’employeur ou le salari´e ´etranger ignore la langue arabe.
Par ailleurs, pour ce qui est de la loi sur la protection des consommateurs (2004), selon l’article 9, les informations sur les ´etiquettes ou sur les emballages des marchandises et des produits doivent ˆetre marqu´ees en arabe. Normalement, on doit recourir `a cette langue pour exposer n’importe quel produit ou service. Cependant, il est possible d’utiliser dans certains cas le fran¸cais ou l’anglais `a la place de l’arabe `a condition d’avoir l’autorisation du Ministre de l’´Economie et du Commerce. Ainsi l’article 928 pr´ecise que :
Les informations sur les ´etiquettes ou sur les emballages doivent ˆetre affi-ch´ees en principe en arabe. En g´en´eral, l’arabe doit ˆetre utilis´e pour tout acte visant `a afficher des produits ou des services. Les cas o`u il est permis d’utiliser le fran¸cais ou l’anglais comme substitut de l’arabe doivent ˆetre d´etermin´ees sur la d´ecision du ministre de l’Econome et du Commerce.
Selon l’article 1929 :
Tout contrat ´etabli par un fournisseur ou approuv´e par les autorit´es offi-cielles ou tout contrat qu’un consommateur n’a pas le droit de modifier doit satisfaire aux conditions suivantes :
— Le contrat doit ˆetre ´etabli dans une langue arabe simple et directe. L’anglais est toutefois admissible lorsque les parties en conviennent. — Le contrat ne doit pas se r´ef´erer `a des textes ou des documents qui
n’auraient pas ´et´e fournis aux consommateurs avant qu’il ait conclu le contrat.
27. Ibid.
28. Ibid.
29. Ibid.
— Le contrat doit fixer clairement le coˆut, la date du paiement et le mode de paiement, ainsi que le lieu et le moment de la livraison.
Selon l’article 3730 :
Tout fabricant ou fournisseur doit d´emontrer par ´ecrit et clairement le meilleur moyen d’utiliser des produits ou des services, et avertir les consom-mateurs des risques qui pourraient r´esulter de l’emploi abusif dudit produit ou service. Les informations susmentionn´ees doivent ˆetre ´ecrites en arabe.
Nous en concluons que la situation libanaise est diff´erente de celle des pays de Maghreb. Apr`es avoir v´ecu la confrontation linguistique (arabe-fran¸cais) dans les ann´ees soixante et soixante-dix, o`u il ´etait question d’arabisation, la politique ´ eta-tique libanaise, de non intervention, bas´ee sur la libert´e d’enseignement a favoris´e une approche plus strat´egique et plus commode dans la gestion des questions lin-guistiques de ce pays multiculturel. Les discours, sur les langues, de nos jours, ont tendance `a placer le plurilinguisme libanais sous le signe d’une grande richesse qui s’ajoute `a la base originelle arabe de ce peuple. Ainsi, selon les prises de positions de sp´ecialistes : linguistes, anthropologues, historiens, universitaires et politiciens, il convient de dire que le Liban a su proc´eder `a une distanciation avec l’´ev`enement le plus marquant de l’histoire du Liban qui est le mandat fran¸cais, et a pu profiter des avantages que le bilinguisme lui a apport´e.
Cette ouverture sur le monde occidental a renforc´e l’aspect trilingue du pays sans que cela ne porte pr´ejudice `a l’appartenance nationale ni `a l’entit´e du pays. Cet aspect multilingue se traduit dans le syst`eme de l’enseignement libanais qui accorde une place capitale aux langues ´etrang`eres quel que soit le type d’´ecole fr´equent´ee. Par le fait de l’adoption de cette strat´egie de trilinguisme pour faire face `a l’h´eg´emonie de l’anglais qui pr´edomine dans le monde. De ce fait, pour sauvegarder la place du fran¸cais au Liban face `a la supr´ematie de l’anglais, on part de l’id´ee de trilinguisme qui consiste `a consolider le fran¸cais pour mieux acqu´erir l’anglais. Ainsi, Kiwan Fadia31 s’exprime de la mani`ere suivante, lors de
30. Ibid.
l’entretien sur La situation politique au Liban, la crise syrienne, la Francophonie et la situation des femmes dans le contexte des printemps arabes32 :
Pour prot´eger le choix strat´egique de la langue fran¸caise pour le Liban, nous essayons de lutter en faveur du plurilinguisme : au lieu d’abandon-ner le fran¸cais, nous encourageons les ´etudiants `a consolider leur fran¸cais pour s’ouvrir ensuite vers l’anglais comme troisi`eme langue. On a d’ailleurs constat´e qu’une bonne connaissance du fran¸cais permet d’apprendre plus ais´ement l’anglais et les autres langues ensuite.
Dans ce qui suit, nous allons nous int´eresser `a la place que la langue fran¸caise occupe au Liban ainsi qu’`a ses diff´erents statuts, dans le but de mesurer son poids symbolique par rapport aux autres langues en pr´esence.
4.4.0.4 Usages institutionnels des langues au Liban
Comme nous l’avons soulign´e pr´ec´edemment, l’arabe libanais et/ou l’arabe standard est employ´e dans l’administration, mais dans certaines situations on fait ´egalement appel au fran¸cais. De ce fait, pour trouver un emploi une bonne connais-sance du fran¸cais ´etait autrefois requise au Liban. Cependant avec la mont´ee en fl`eche de l’anglais et sa supr´ematie dans presque tous les secteurs, le march´e du travail exige dans le contexte actuel une maˆıtrise de cette langue alors que le fran-¸cais est consid´er´e comme un plus. ´Evidemment, certains domaines sont r´eserv´es essentiellement aux francophones, c’est le cas du domaine de la traduction, de l’animation des anniversaires pour enfants, pour travailler dans les cr`eches, etc. Actuellement, les candidats `a ces emplois doivent a priori passer un examen de langue fran¸caise et anglaise pour postuler `a un emploi publique.
Par le fait, l’anglais et le fran¸cais sont deux langues assez pr´esentes au Liban,
sciences politiques de l’Universit´e Saint-Joseph (USJ).
32. Fadia Kiwan. « ENTRETIEN AVEC FADIA KIWAN, REGARD SUR LA SITUATION POLITIQUE AU LIBAN, LA CRISE SYRIENNE, LA FRANCOPHONIE ET LA SITUATION DES FEMMES DANS LE CONTEXTE DES PRINTEMPS ARABES ». Dans : Les cl´es du Moyen-Orient (2013). url : http : / / www . lesclesdumoyenorient . com / Entretien avec Fadia -Kiwan-Regard.html.
leurs emplois ne se r´eduisent pas `a un simple usage institutionnel mais il s’´etend aussi dans la vie de tous les jours. Ainsi, nous voyons d’une part que le fran¸cais s’utilise en parall`ele avec l’arabe pour tout ce qui concerne les billets de banque, les timbres postaux, les plaques d’immatriculation, les billets de la loterie nationale, les paquets de la R´egie des Tabacs. D’autre part l’anglais accompagne l’arabe dans plusieurs situations relatives surtout au commerce : les offres d’emploi, les rapports sont ´ecrits de concert en anglais et en arabe et non pas en fran¸cais. Ce qui explique d’ailleurs le d´eclin des francophones au Liban au profit de l’anglais, langue des affaires et de communication internationale.
N´eanmoins, S´elim Abou33 mentionne dans son ´etude (1962) que le domaine institutionnel et administratif reste notamment le privil`ege du fran¸cais, du fait que la documentation de certains nombres de minist`eres est r´eserv´ee uniquement au fran¸cais comme le minist`ere de l’agriculture, des affaires ´etrangers et celui de la d´efense. Quant `a l’usage de langues dans les administrations priv´ees comme les banques par exemple, lesquelles effectuent la majorit´e de leurs op´erations en fran¸cais : les ch`eques, les cahiers de comptabilit´e, les notes de service, etc. Sur le plan commercial, les ´etiquettes des produits fabriqu´es au pays du c`edre sont libell´ees dans la majorit´e des cas en fran¸cais et en arabe que ce soit des produits alimentaires, cosm´etiques ou encore pharmaceutiques. De plus, Abou affirme que les cahiers de comptabilit´e des commer¸cants libanais sont remplis d’´ecriture fran-¸caise ainsi que le papier `a en-tˆete de ces derniers est ´ecrit dans les deux langues arabe et fran¸caise.
Nous constatons que le fran¸cais et la culture fran¸caises sont ancr´es au Li-ban aussi bien sur le plan social que sur le plan administratif. Cependant, cette langue se trouve actuellement fragilis´ee avec l’´emergence de l’anglais qui ne cesse de gagner du terrain `a son d´etriment. Sa pr´epond´erance a mˆeme touch´e la classe politique libanaise dont la majorit´e des membres a suivi une formation anglophone.
Cette langue dot´ee d’une puissance a pu percer dans la soci´et´e libanaise en ap-portant un changement fondamental dans l’infrastructure de diff´erents domaines du pays. De ce fait, Les Libanais autrefois imbib´es de la culture fran¸caise, ont aujourd’hui de plus en plus tendance `a s’impr´egner de la culture anglo-saxonne, ce qui met en p´eril non seulement le fran¸cais mais aussi l’entit´e mˆeme du pays.