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Le statut professionnel n’est pas cependant, le seul facteur permettant d’expliquer la création littéraire chez Senghor. A notre avis, il n’est même pas le facteur déterminant. Celui-ci est donc à découvrir ailleurs.

a. Par-delà les statuts économique et professionnel

Nous avons commencé par écarter le statut économique : il ne justifie pas que Senghor ait eu besoin d’écrire. Ensuite, nous avons retenu le statut professionnel, tout en reconnaissant ses limites. En effet, il n’éclaire qu’en partie. On ne saurait sous estimer son importance. Mais on se gardera de le retenir comme critère unique expliquant la genèse et l’évolution de l’œuvre de Léopold Sédar Senghor. Cela, pour trois raisons, liées les unes aux autres.

1 Elégie des Alizés également est inspiré par l’action politique. Mais dans une moindre mesure. Ce recueil est plutôt placé sous le signe de l’amour.

Bien avant d’être professeur, chercheur ou homme d’Etat, Senghor a écrit : de 1935 date son

premier article. Il est publié par l’éphémère revue L’Etudiant noir et s’intitule : l’Humanisme

et nous. « René Maran ».

Bien avant l’exercice d’une quelconque profession, il s’est intéressé à la pratique des vers. Et ce qui est surtout intéressant, dans le cadre de cette étude relative à la sociologie de son œuvre,

c’est qu’il a « détruit », par la suite, ses œuvres de jeunesse.(1)

Enfin, tous ses textes ne sont pas d’inspiration politique. Mieux, il eut, à maintes occasions, le mérite de souligner le danger que constituerait la politique en asservissant la création littéraire.

L’examen de ces trois raisons nous permettra de découvrir le facteur qui en dernière analyse, nous fournit celle pour laquelle Senghor a écrit.

De la revue L’Etudiant noir, nous savons très peu de choses. Mais grâce à l’exposition

organisée par la Bibliothèque Nationale de Paris, nous avons pu en apprécier le premier numéro et, avec lui, le premier article rédigé par Senghor qui y note :

Car être nègre c’est retrouver l’humain sous la rouille de l’artificiel et des « conventions inhumaines » ou plutôt c’est être humain car l’homme noir est resté homme.

Dans le même article, il définit l’humanisme nègre comme :

un mouvement culturel qui a l’homme noir comme but, la raison occidentale et l’âme nègre comme instruments de recherche ; car il faut raison et intuition.

L’essentiel de ce qu’il conviendrait d’appeler le senghorisme est contenu dans ces deux

citations : réhabiliter l’homme noir contre les préjugés de race et l’accorder au XIXè

siècle.

L’option en faveur de cet humanisme nègre justifie que, à la même période, Senghor ait « détruit » ses poèmes de jeunesse. Ces poèmes sentaient trop l’imitation, faisaient de leur jeune

1C’est ce qu’il affirma des années durant. Mais la publication d’Œuvre poétique qui regroupe la totalité de ses poèmes fit découvrir ces textes de jeunesses.

auteur un « poète de décalcomanie »(1) : un émule des poètes français qu’il eut à étudier au collège et à l’université. Or, comment vouloir réhabiliter l’homme noir dans ses droits de producteur d’une culture originale, tout en continuant d’imiter des modèles étrangers ?

Le militant Senghor sut cependant se garder d’une conception de l’art qu’asservirait une option politique. Entre l’art et l’option politique, selon lui, doivent exister, non des rapports de dépendance, mais d’interdépendance.

De ces différentes remarques se dégage la conclusion suivante : le facteur qui, en dernière analyse, justifie le mieux la création littéraire chez Léopold Sédar Senghor est son « appartenance à une classe sociale ». Nous reviendrons plus loin sur cette expression afin de la nuancer. Pour l’instant, retenons-la comme critère sur quoi fonder notre analyse.

La classe sociale est le troisième facteur que fait intervenir Albert Memmi dans ses « perspectives de recherches » pour faire la sociologie d’un écrivain. Selon lui, « statut économique et statut professionnel ne constituent (…) qu’un point de vue relativement abstrait. Les conditions économiques ne doivent pas être envisagées d’une manière absolue, et seulement en elles-mêmes mais dans et à travers l’appartenance plus complexe, plus globale de l’écrivain à un groupe social tout entier ; elles ne prennent toute leur signification qui ainsi, et de la manière

dont elles sont vécues.» (2)

Tout en étant d’accord avec cette remarque, nous ne l’avons pas suivie à la lettre, dans le cadre de cette étude. Nous avons délibérément envisagé « les conditions (…) d’une manière absolue, et seulement en elles-mêmes. » Concernant Léopold Sédar Senghor, il nous paraît qu’il ne

saurait en être autrement car, comme nous l’avons déjà fait ressortir, son statut économique ne

justifie pas qu’il ait eu besoin d’écrire pour vivre. Au demeurant, toujours dans ses

« perspectives de recherches », après avoir recommandé de « distinguer (…) l’appartenance

socio-économique et l’appartenance idéologique(3), Albert Memmi fait remarquer : « puisque la

littérature ne rapporte guère, il faut bien trouver ailleurs de quoi vivre. »(4). Une telle remarque

renvoie à l’interdépendance entre le métier d’écrivain et « le second métier », métier

1

Expression par laquelle furent désignés des poètes antillais qui, loin d’exprimer leur peuple, se sont fait un pont d’honneur de réussir des vers classiques, romantiques, symbolistes, comme on les pratiquait en France métropolitaine.

2

MEMMI (A).- Op.cit. Pages 308-309.

3 Idem.

« relativement rémunérateur et non complément absorbant, donc relativement privilégié. »1 Or, dans le cas qui nous intéresse on ne saurait parler de premier et de second métier car on ne saurait soutenir que, la littérature lui apportant peu, Senghor s’est consacré au professorat ou à la politique. D’ailleurs, ses talents d’écrivain ne furent réellement reconnus qu’après qu’il eut à exercer le métier de professeur.

On pourrait, bien sûr, établir un lien entre son statut économique et son statut d’écrivain. Mais ce lien serait à établir à un autre niveau. Dans cet ordre d’idées, le statut économique de Senghor intervient pour justifier cette autre remarque de Memmi : « Il arrive que l’écrivain n’ait pas de second métier ; il possède alors la fortune. Qu’on ne s’y trompe pas, pour être parfois invisibles, les conditions économiques n’en ont pas moins une efficacité (…) il faut de toutes manières que

l’écrivain n’ait pas à se soucier de gagner sa vie. »2

Ainsi, ce que l’on retiendra donc en établissant un lien entre le statut économique de Senghor et son statut d’écrivain est ceci : pas que le souci du gain pour vivre ait orienté le futur poète et essayiste vers la littérature, mais, plutôt, qu’une certaine aisance matérielle a favorisé la fécondité d’une création littéraire.

Mais il est à écarter que cette aisance matérielle explique l’œuvre de Senghor. Elle n’a autorisé que les conditions de son épanouissement. En particulier, elle justifie que le rythme de la production littéraire se soit maintenu constant chez Senghor alors que, après deux ou trois ouvrages en moyenne, beaucoup d’écrivains noirs cessent de produire, accaparés qu’ils sont, par des tâches absorbantes.

Nous écartons donc « l’appartenance socio-économique » pour ne retenir que « l’appartenance idéologique » pour faire la sociologie de la création littéraire chez Léopold Sédar Senghor.

Plus haut, nous exprimions la nécessité de nuancer l’expression « appartenance à une classe sociale ». Pour la même raison, nous nuancerons cette seconde expression « appartenance idéologique. »

1 Ibidem.

b. Classe sociale ou groupe social ?

Léopold Sédar Senghor appartient-il à une classe sociale dont son œuvre exprime les aspirations ? Répondre à cette question suppose que l’on commence par définir ce qu’est une classe sociale.

On le sait, l’expression appartient au vocabulaire marxiste. Les classes naissent et se modifient avec l’évolution des sociétés. Elles naissent dès que, au sein de la société, une minorité s’approprie, d’un manière ou d’une autre, les moyens de production et contraint la majorité à vendre « sa force de travail » pour faire fonctionner ces moyens. De là déroule l’antagonisme de classes entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas.

Si l’on retient cette définition, on peut répondre par la négative à la question posée plus haut car, au moment où Senghor commençait à élaborer son œuvre, il n’existait pas de classes sociales en Afrique, il existait plutôt des groupes socioprofessionnels ; il n’existait pas d’antagonismes de

classes mais collaboration entre groupes socioprofessionnels.1

Pourtant, de 1937, date un texte de Senghor intitulé Résistance de la Bourgeoisie sénégalaise à

l’Ecole rurale populaire. 2

Or, en termes marxistes, qui dit « bourgeoisie » sous entend « prolétariat » et le mot « résistance » suggère l’existence d’un conflit d’intérêts. Donc, avec un tel titre, Senghor ne reconnaît-il, explicitement, l’existence d’un conflit de classe en Afrique, dans les années 1930 ?

Encore une fois, il y a lieu d’être très circonspect en répondant à cette question. Du terme

« bourgeoisie », le Petit Robert 3 donne sept acceptations possibles et, du terme « bourgeoisie »,

cinq. C’est dire que ces mots qui, du reste, ont existé bien avant l’avènement du marxisme, peuvent avoir des significations autres que celles que Marx leur a données.

Le texte de Senghor dont le titre contient le mot « bourgeoise » lui a été inspiré par l’accueil que certains de ses compatriotes sénégalais ont réservé à sa proposition de considérer le bilinguisme

1

L’inexistence de classes sociales dans l’Afrique précoloniale est très fort contestée par cetains intellectuelles, en particulier, par le Sénégalais Majhemout Diop, leader du Parti Africain de l’Indépendance (P.A.I.), parti d’obédience marxiste-léniniste.

2 Titre de la communication faite au Congrès International de l’Evolution Culturelle des peuples coloniaux, Paris, 26-28 septembre 1937.

3Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Nouvelle édition, revue, corrigée et mise jour pour 2011.

comme la solution au problème culturel en A.O.F. Un accueil franchement hostile, négatif 1 traduisant plus le ridicule des nègres « évolués » qu’une conscience de classe. Aussi, le mot « bourgeoisie » doit-il être compris au sens péjoratif, l’auteur ayant voulu désigner un ensemble de personnes possédant « des valeurs morales et sociales conservatrices, (menant) une vie

rangée ». 2

D’ailleurs, dans ses déclarations et textes ultérieurs, Senghor n’emploiera plus le terme « bourgeoisie », lui préférant « intellectuels » ou intelligentsia » qui paraissent plus appropriés.

Ainsi, préfaçant la thèse de doctorat d’Etat de Pierre Dumont 3

, il rappelle 4:

Et ce n’est pas hasard si, à mon retour au pays, terminées mes études supérieures, ma première conférence publique, donnée à la Chambre de Commerce, s’intitula le Problème culture en AOF. A la stupéfaction scandalisée des intellectuels sénégalais, j’y préconisais le retour aux langues sénégalaises avec l’organisation du bilinguisme dans l’enseignement (…) Il a fallu, pour

vaincre l’opposition de l’intelligentsia sénégalaise (…) attendre l’Indépendance (…)

Il existait donc, au Sénégal et avant l’indépendance, une intelligentsia non une bourgeoisie. Pour cette raison, nous écartons la notion d’ « appartenance à une classe sociale » (au sens marxiste) pour expliquer l’œuvre de Senghor. Au moment où cette œuvre commençait à s’élaborer, il existait un peuple sénégalais exploité par le capitalisme français, il n’existait pas encore, à l’intérieur de ce peuple, de classes auxquelles l’on puisse s’identifier.

L’ « appartenance à une classe sociale » écartée, que penser de l’« appartenance idéologique » ? Qu’elle non plus ne suffit pas, comme critère. En effet, si en débarquant en France, Senghor était plutôt monarchiste, au début de sa carrière littéraire, il n’était membre d’aucun parti politique et, par conséquent, ne se réclamais d’aucune idéologie. Certes, après avoir été converti au socialisme par son condisciple de Louis-le-Grand, Georges Pompidou, il aura des sympathies pour la gauche, animera, professeur à Tours, des cours du soir organisés par la C.G.T. à l’intention des ouvriers, ira même, selon certains, jusqu’à accorder son vote au P.C.F. lors des

1

Senghor résume cet écueil en ces termes : « Après avoir appris le latin et le grec, il veut nous ramener aux langues africaines ». (In Ethiopiques. Nouvelle série, 2è trimestre 1983, volume 1, n°2 page 60.

2 Le Petit Robert 1. D’autre part, l’option socialiste plutôt précose chez Senghor peut justifier cette prise de position et l’emploi du mot « bourgeoisie ».

3 Thèse intitulée les Relations entre le français et les langues africaines au Sénégal.

législatives de 1936. Mais, en aucun cas, il ne sera certifié qu’il a milité en tant que membre ayant adhéré au parti, pris sa carte. Par là, il se différenciait, en particulier, des jeunes

Martiniquais du groupe de Légitime Défense qui, dans leur manifeste, proclamaient leur

adhésion, sans réserve, au marxisme.1 Peut-être est-ce parce que Senghor fit passer le culturel

avant la politique qu’il se refusa à adhérer à une quelconque parti politique métropolitain. Adhérer à un tel parti ne serait-ce pas s’inféoder, s’aliéner davantage, alors que l’on milite pour la reconnaissance du droit à la différence ? Comment être socialiste avec les socialistes français ou communiste avec les communistes français alors que la gauche, en France, au même titre que la droite était, à l’époque, colonialiste et ethnocentriste ?

Donc, à l’expression « appartenance idéologique », nous préférerons la précision apportée par Albert Memmi et parlerons plutôt d’ « appartenance (…) à un groupe social tout entier ».

c. Quel est ce groupe social ?

Ce groupe social est né du contact entre l’Afrique noire et l’Europe occidentale. Il est constitué, dans les différentes colonies par les premiers Africains formés à l’école européenne. A ce

propos, dans son essai intitulé Problématique de la Négritude, Senghor écrit [1977 : 277] :

Nous étions pratiquement les premiers jeunes gens à faire des études supérieures en Europe 2. Nous avions, en majeure partie, commencé par vivre à la campagne, où le Blanc était rare, dans une civilisation qui ne s’était pas encore désagrégée, qui conservait, avec son fondement moral, son sens humain et son harmonie.

Cette citation aide à expliciter, et les raisons qui ont incité à écrire, et le contenu de ses écrits. En d’autres termes, la forme et le fond de ses textes : son style et ses thèmes.

1 Au lendemain de la guerre, ce sera, entre lui et son ami Césaire, un point de différence : Césaire adhère au Parti Communiste Français, ce que lui reprochera Senghor dans son poème Lettre à un ami, insérré dans Chants d’Ombre.

2

Ces « premiers jeunes gens » sont aussi bien des francophones que des anglophones. Les plus illustres d’entre-eux sont : les Ghanéens : Charles de Graft-Johnson, J.B. Danquah, John Mensah-Sarbah, Joseph Caseley Hayford, le Sierra-Léonais William Conton, le Nigérien Nandi Azikiwé, le Kenyan Jomo Kenyatta, le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, les Maliens Fily Dabo Sissoo et Ahmadou Hampaté Bâ… Tous peuvent se réclamer du même précurseur : le libérien William Wylmot Blyden. Leurs épigones ont, pour noms : le Cmeroais Elgelbert Mveng, le Sénégalais Cheikh Anta Diop, le Congolais Théophile Obenga, les Ghanéens Kwame Nkrumah et Koffi Busia. Ils n’ont pas tous fait « des études supérieures en Europe ». Certains n’ont même pas dépassé le cap des études primaires. Mais tous ont « commencé par vivre… dans une civilisation qui ne s’était pas encore dégradée… » avant de fréquenter l’école européennne. Dans son livre : L’Afrique des Africains, Claude Wauthier leur consacre un chapitre intitulé :

D’abord, les raisons qui l’ont incité à écrire. Par l’intermédiaire de l’école, la France a essayé de pratiquer, dans ses colonies, une politique d’assimilation culturelle. Elle a amené certains colonisés à maîtriser sa langue, grâce à une série d’imitations : imitations de phrases, de paragraphes, de texte, en proposant ses écrivains classiques comme modèles. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant qu’au terme de sa formation, le jeune colonisé ait l’ambition de s’élever à la hauteur des modèles. Cette ambition explique donc l’orientation du colonisé vers la pratique des lettres. Si aujourd’hui Senghor figure parmi les meilleurs écrivains de langue française c’est parce que, ayant eu à fréquenter, très tôt, l’école introduite par le colonisateur, il a su maîtriser cette langue. Ayant eu à lire les grands classiques français, il s’est efforcé d’écrire comme eux. Aussi son style poétique s’apparente-t-il à celui de Claudel, de Péguy, de

Saint-John Perse, tandis que la clarté de sa prose ne la cède en rien à celle de Valéry1.

Voilà pour la forme. Maintenant, le fond. Les premiers intellectuels nègres ont écrit dans un contexte bien précis : celui de la colonisation. L’enseignement qui leur était dispensé mettait, avant tout, l’accent sur la supériorité du Blanc sur le Noir. Il véhiculait donc une idéologie contre laquelle finirent par réagir ceux à qui elle était destinée. Après avoir lu Léo Frobenius, Senghor parle de la réaction contre une telle idéologie [1977 : 399] :

Jusque-là (…) nos maîtres nous avaient appris (…) « Nous avaient appris ? » Plus exactement, avaient essayé de nous apprendre. Car, lorsque de notre brousse, nous « mentions » à Paris, c’était, bien sûr, dans l’intention de prendre aux colonisateurs leurs armes, mais aussi, dialectiquement, pour contester l’efficacité de ces mêmes armes et trouver le secret qui nous permettrait d’affûter les nôtres.

Cette déclaration justifie que Senghor et ceux de sa génération aient privilégié un thème : la condamnation du colonialisme sous tous ses aspects. En particulier, les tentatives d’oblitération de la culture négro-africaine et la politique d’assimilation culturelle incitent à affirmer,

proclamer l’éminente dignité de la négritude.

Donc, le souci de faire comme les modèles classiques français a amené Senghor à opter pour un style déterminé ; sa réaction contre les thèses ethnocentristes de la colonisation lui a inspiré ses thèmes.

1 Pour ce qui est de la parenté entre les tyles de Senghor, Claudel, Péguy, Saint-John Perse, cf. notre chapitre :

Assimiler non être assimilé. Pour ce qui est de la prose, Senghor a déclaré : Mon grand réconfort (durant ma captivité), je l’ai trouvé dans la lecture des prosateurs français pas des poètes. Je parle de Bossuet et Pascal, Stendhal et Flaubert, Gide et Colette. [1977 : 525).

III. LA SOCIOLOGIE DE L’OEUVRE

Il est un genre littéraire devenu célèbre grâce aux hommes illustres. Ceux-ci, acteurs ou témoins privilégiés d’une époque, à la fin de leur existence rédigent des mémoires autobiographiques,

relations de faits historiques émaillés par des réflexions et des souvenirs personnels.1

Cependant, quoique témoin privilégié de son époque, Senghor a choisi de ne pas écrire ses Mémoires. « Les Mémoires, ce n’est pas mon genre », laisse-t-il volontiers entendre, quand on

lui en parle. » On connaît de lui une autobiographie : La Poésie de l’Action. Mais il s’agit d’une

autobiographie fort originale, constituée qu’elle est par une série de réponses aux questions

posées par Mohamed Aziza. Avec La Poésie de l’Action, Senghor relate son existence, de sa

naissance à la veille de sa démission volontaire, à travers une longue interview.

Donc les Mémoires sont à exclure de sa bibliographie. Avait-il l’intention d’écrire, comme son ami Aimé Césaire, des pièces de théâtre ? Il en a exprimé l’intention, après avoir publié, en

1962, le recueil Nocturnes.2 Mais on ne lui connaît que deux « poèmes dramatiques »,

composés sur le modèle grec, avec chœur et coryphée : Chaka et Elégie pour Aynina Fall. Le

premier est inséré dans le recueil Ethiopiques ; le second, dans Nocturnes. Ils sont donc, tous

deux, antérieurs à son intention de se mettre au théâtre. Aussi, peut-on tenir pour certain que Senghor a renoncé à rédiger ce « théâtre lyrique et symbolique dans la tradition

négro-africaine.»3

Et le roman ? Senghor aurait pu en écrire. Il ne l’a pas fait, pour des raisons qu’il est aisé de déceler et sur lesquelles nous reviendrons, ultérieurement.

1 Tel est, par exemple ; le cas de Birago Diop, poète et conteur sénégalais, contemporain de Senghor. Son dernier poème date de 1946 ; son dernier recueil de contes, de 1963. Depuis, il a cessé d’écrire et ne consentit pas à