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La rencontre entre le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et le Martiniquais Aimé Césaire fut un événement décisif pour les deux hommes et pour la communauté culturelle négro-africaine. Il en résulta une amitié indéfectible, une rencontre entre Nègres de souche et Nègre de la diaspora. Il en résulta, surtout, l’engagement au nom du pan-négrisme et, par ricochet, la lutte politique pour l’émancipation des colonisés. Les lignes qui suivent traitent de cette amitié, de ses conséquences pour les deux hommes et pour les milieux intellectuels nègres, des années 1990 aux années 1960. Elles seront suivies d’un développement sur la carrière parlementaire de Senghor, la lutte pour l’émancipation des colonies françaises étant perçue comme le prolongement au militantisme culturel.

a. Une amitié indéfectible

Aimé Césaire arrive à Paris en septembre 1931 pour y poursuivre ses études après l’obtention du baccalauréat. Senghor, pour les mêmes raisons, y séjourne déjà depuis octobre 1928. Dans la capitale française, le premier Négro-Africain que rencontre le Martiniquais ne se nomme pas Senghor, mais Ousmane Socé Diop un natif de Saint-Louis, étudiant en médecine-vétérinaire, un

des précurseurs de la littérature sénégalais d’expression française avec deux romains : Karim,

roman sénégalais 2 et Mirages de Paris. 3 La rencontre a eu lieu à la Sorbonne où les deux jeunes gens étaient venus s’inscrire pour des études littéraires. Césaire relate, dans un entretien

1 En annexe sera traitée « la tombée en politique » sous le titre Par-delà controverses et paradoxes, un nègre au Palais-Bourbon.

2

Karim, roman sénégalais suivi de Contes et Légendes d’Afrique noire, préface de Robert Delavignette. – Paris, Nouvelles Editions Latines, 1935.

avec M.a. M. Ngal, les circonstances dans lesquelles elle s’est effectuée : « Le premier Africain que j’ai rencontré, ce n’était pas Senghor, c’est Ousmane Socé. La rencontre eut lieu, je me rappelle fort bien, dans le long couloir de la Sorbonne, qui va du côté de la rue des Ecoles jusque du côté de la cour. C’est là qu’était le secrétariat. J’étais assis sur un banc de la Sorbonne. Nous attendions de nous inscrire au secrétariat. C’était trois ou quatre jours après mon arrivée. Je vois arriver un grand Noir très sympathique. On s’adresse la parole mutuellement ; il se présente : « Ousmane Socé du Sénégal »- Socé, c’est son nom de plume, je crois. On bavarde. Il me dit qu’il était venu à Paris pour des études de vétérinaire mais qu’il préparait en même temps

une licence es lettres. C’est lui le premier Africain que j’ai connu. »1

La rencontre avec Ousmane Socé Diop fut sans suite. Les deux étudiants se retrouveront plus

tard pour animer la revue l’Etudiant noir. Mais, par la suite, ils ont dû cesser de se fréquenter.

A cela, deux raisons possibles : le fait qu’étudiant en médecine vétérinaire, Diop logeait à Alfortville, dans la banlieue parisienne, mais, surtout, le fait qu’après ses études, il opta pour une

voie que combattait Césaire, celle de la politique de l’assimilation culturelle.2

Après Ousmane Socé Diop, c’est Senghor que Césaire rencontre et les deux hommes ont toujours saisi les occasions qui s’offraient à eux pour relater les circonstances dans lesquelles pour la première fois, ils ont fait connaissance l’un avec l’autre. Dans son entretien avec M.a. M. Ngal, Césaire poursuit : « Puis, quelques jours après en allant à Louis-le-Grand, je rencontre L.S. Senghor. Présentation mutuelle. Lui quittait le Lycée, moi j’y entrais. Et puis, nous avons lié

connaissance et pris des rendez-vous. Nous nous sommes beaucoup vus à cette époque là. »3 Des

décennies après cet entretien, Césaire revient sur les circonstances de la rencontre et ses souvenirs restent précis. En juillet 2004, il confie à Françoise Vergès : « Au lycée Louis-le-Grand, le proviseur me reçut très aimablement. Je m’inscrivis en hypokhâgne et, en sortant du secrétariat, je vis un homme de taille moyenne, plutôt court, en blouse grise. Tout de suite, je compris que j’avais affaire à un interne. Il avait les reins entourés d’une ficelle au bout de laquelle pendait un encrier, un encrier vide. Il vint à moi et me dis : « Bizuth, comment t’appelles-tu, d’où viens-tu et qu’est-ce que tu fais ? « Je m’appelle Aimé Césaire. Je suis de la Martinique et je viens de m’inscrire en hypokhâgne. Et toi ? » « Je m’appelle Léopold Sédar Senghor. Je suis sénégalais et suis en khâgne. » « Bizuth – il me donne l’accolade -, tu seras mon

1

NGAL (M. M). Aimé Césaire, un homme à la recherche d’une patrie. Dakar, Abidjan, NEA, 1975.

2 Les voies de Diop et Senghor finirent également par diverger et, après la rupture entre ce dernier et Lamine Guèye, celui-ci le choisit comme co-listier aux élections législatives de 1951. Ousmane Socé Diop est également resté célèbre par la polémique qui l’opposa à Fily Dabo Sissoko par l’intermédiaire du journal Dakar Jeune. Il en sera question lorsque sera étudiée la réception de l’œuvre, de Senghor au Mali.

Bizuth. » Le jour même de mon arrivée au lycée Louis-le-Grand ! Nous sommes restés très amis, lui en khâgne, et moi en hypokhâgne. On se voyait tous les jours, on discutait. Il était en

première supérieure avec Georges Pompidou et avait sympathisé avec lui. »1

De son côté, Senghor est souvent revenu sur les circonstances de la rencontre. Dans une

interview accordée à l’hebdomadaire Jeune Afrique, 2 il déclare : « J’ai connu Césaire d’abord

au lycée Louis-le-Grand. Il était plus jeune que moi. J’allais souvent discuter avec lui ; il venait souvent à la Cité. Nous avons commencé à nous fréquenter à Louis-le-Grand. Il venait souvent à la Cité et moi j’allais souvent chez lui. Il habitait en ce moment-là à Cachan, dans un hôtel. Nous avions des discussions longues, passionnées, vraiment nous menions une vie de ferveur, une vie de militants, nous étions dans une tension perpétuelle ».

A la différence de la rencontre avec Ousmane Socé Diop, la rencontre avec Senghor a débouché sur une solide amitié, une amitié que rien ne put altérer, comme l’a confié Senghor à Armand Guibert : « Je l’ai admis une fois pour toutes comme il m’a admis une fois pour toutes. Avec lui,

je ne suis jamais sûr d’avoir raison. » 3

Certes, il y a eu des divergences de points de vues entre les deux hommes : d’abord, en 1948, quand Césaire adhère au Parti communiste français ; ensuite, dans le courant des années 1970 quand, au plus fort de la controverse à propos de la négritude, Césaire crut bon de se démarquer des thèses de Senghor. Mais ces divergences n’ont pas entamé l’amitié et Janet G. Vaillant en donne la raison : « Plus tard, ils ont divergé dans leurs opinions politiques. Césaire a été de longues années membre du Parti communiste – mais ces divergences n’ont jamais détruit leur amitié ou leur respect mutuel. Comme dans sa relation avec Pompidou, Senghor veillait à ce que les divergences politiques n’altèrent pas les liens

personnels ». 4 Et, quand, dans le courant des années 1970, les contempteurs de la négritude se

sont fondés sur les thèses de Césaire pour pourfendre ce concept, le Martiniquais intervint vigoureusement pour dissiper tout malentendu. Il profite du voyage de Senghor à Fort-de-France pour déclarer, dans son discours d’accueil à la mairie et à propos de la négritude : « Je n’en parlerai pas aujourd’hui, vous l’évoquerez demain et mieux que moi.

1

CESAIRE (A). – Nègre je suis, nègre je resterai. Editions Albin Michel, Paris 2005. Pages 22/23.

2 GUIBERT(A).- Léopold Sédar Senghor. Editions Pierre Seghers, Paris, 1963. Page 23. Commentant cette dernière phrase. Guibert écrit : « Lequel des deux a pu bien me faire cette confidence si émouvante dans son humilité ? Il n’importe : l’autre aurait pu prononcer les mêmes mots. »

3 VAILLANT (J.G.).-Op. cit.Page 121.

« Mais, je tiens, dès aujourd’hui, à dire que seules les âmes basses peuvent en parler

bassement ».1

Si l’amitié entre Césaire et Senghor fut si solide, c’est qu’elle a su aller au-delà d’une simple rencontre entre étudiants noirs esseulés dans la grisaille parisienne, pour amener les deux hommes à effectuer une descente en soi afin de se poser des questions fondamentales, de leur trouver une réponse et militer. Césaire le rappelle, toujours dans son discours d’accueil : « Nous avions été étreints par les mêmes angoisses et surtout, nous nous étions colletés avec les mêmes problèmes. C’est vrai, Monsieur le Président, notre jeunesse ne fut pas banale. Traversée, elle l’a été, comme d’un trait de feu par la passion qui finit par l’embraser toute entière, et par l’angoisse

d’une question, celle-là même qui tourmentait Augustin : quis sum ? quae natura ? Qui suis-je ?

Quelle est ma nature ? Et mihi fui – et nous devînmes question à nous-mêmes...

« A cette question, nous tâchâmes, vous et moi, de répondre... « Et ce fut la Négritude ».2

Réponse des plus pertinentes car cette idée de Négritude sera le fondement de bon nombre de rencontres, de bon nombre d’œuvres littéraires et d’une vigoureuse activité parlementaire qui finira par déboucher sur l’indépendance du Sénégal et les débuts de l’édification d’une nation moderne.

b. D’abord, les rencontres

Paris a toujours été, pour les ressortissants des colonies françaises, un lieu privilégié de regroupement autour d’un idéal. La liberté d’expression, et même d’association dont ils étaient privés chez eux, ils en jouissaient dans la capitale française et la mettaient à profit pour attirer l’attention sur leur condition de colonisés. Généralement, ces regroupements s’effectuaient

autour de revues et l’on conserve le souvenir des parutions éphémères que furent : la Voix des

Nègres3 de Tiémoko Garan Kouyaté, la Revue du Monde Noir des sœurs Nardal et du docteur

Sajou, Légitime Défense d’Etienne Léro et de René Ménil. Ces revues avaient la particularité

1Hommage à Léopold Sédar Senghor, homme de culture. Page 46.

2 Ibidem.

3

La Voix des Nègres était l’organe mensuel du Comité de Défense de la Race Nègre. Fondée par Lamine Senghor, la revue n’eut que deux numéros, dont celui de janvier 1927. Lui succéda, la Race Nègre, organe de la

Ligue de Défense de la Race Nègre, animée par Tiémoko Garan Kouyaté et Emile Faure. Dans Liberté 3, Senghor

rend hommage à ces obscurs devanciers : « J’aurai garde de ne pas oublier le courant prolétarien qui, tout communisant qu’il fût, n’était pas moins influencé par Du Bois et Garvey. Je songe à la Voix des Nègres, journal parisien, qui était, au lendemain de la Première Guerre Mondiale, animé par Tiémoko Garan Kouyaté et Lamine Senghor.

d’être, exclusivement, de par leurs animateurs, soit africaine 1

soit caribéenne. Cette dichotomie s’est poursuivie jusqu’en 1934 qui verra un début de collaboration et de coexistence entre étudiants sénégalais originaires d’Afrique noire, donc, des Nègres de souche et étudiants antillais et guyanais, des Nègres de la diaspora. Cette collaboration, cette rencontre avec l’Afrique et la diaspora sera l’une des conséquences manifestes de l’amitié entre Senghor et Césaire.

Au départ ont existé, séparément, deux associations d’étudiants nègres : l’Association des Etudiants Martiniquais en France et l’Associations des étudiants ouest-africains. La première

avait, comme revue, l’Etudiant martiniquais.

En 1935, Césaire devint président du comité de cette association et en profita pour charger le

nom de la revue qui devint l’Etudiant noir. L’intention est manifeste : il n’y avait plus

d’étudiant martiniquais, guadeloupéen, guyanais ou africain mais seulement un étudiant noir : c’était donc la fin de la vie en vase clos au Quartier Latin ce qui, dans l’immédiat, a amené des étudiants de divers horizons à se rassembler pour militer et, par la suite, a permis la création de

Présence africaine, de la Société africaine de culture, la tenue de deux congrès d’écrivains et artistes du monde noir et le succès du Premier Festival Mondial des Arts Nègres. Ainsi se décèle aisément la raison pour laquelle, même s’il ne fut pas le premier mouvement exprimant une prise de conscience des intellectuels nègres colonisés, il demeure tout de même le mouvement le plus connu.

Avant la création de l’Etudiant noir, Antillais et Africains s’ignoraient les uns les autres quand

ils ne se méprisaient pas. Janet G. Vaillant le souligne : « Traditionnellement, les Antillais considéraient les Africains comme des barbares (...) Ils avaient été élevés dans une culture – la culture française – qui considérait les Noirs comme des inférieurs (...) Pour eux, le noir était donc inacceptable. Ils réservaient la noirceur aux Africains...

« De leur côté, les Africains associaient les Antillais à l’administration coloniale. Les seuls Antillais qu’ils avaient pu rencontrer en Afrique étaient des hommes comme René Maran ou Félix Eboué qui servaient dans l’administration. Les Africains ne considéraient pas les Antillais

1 Senghor sera l’unique Africain ayant milité au sein de deux regroupement d’intellectuels nègres à Paris : La

comme supérieurs, ils les voyaient plutôt comme des petits bureaucrates, des soutiens et des

valets des Français ».1

Donc, un net clivage entre les deux communiqués d’étudiants colonisés en France. Bien qu’ayant « fait lui-même l’expérience du mépris des Antillais pour les Africains » Senghor encourageait les contacts entre étudiants africains et antillais de Paris. Il révélait ainsi ce qui allait devenir la marque caractéristique de son style politique, la volonté et la capacité de

rassembler et de réconcilier des gens jusque là opposés ».2

Ernest Milcent et Monique Sordet ont insisté sur la différence entre l’Etudiant noir et les deux

revues que l’ont précédé : la Revue du Monde noir et la Revue du Monde noir et Légitime

Défense : « L’étudiant noir se distingue fondamentalement de la Revue du Monde Noir et de

Légitime Défense en ce sens qu’il ne consentira jamais à suivre sans réserve les maîtres européens quels qu’ils soient et qu’il ne voudra en aucun cas se mêler de politiquer. Les animateurs de la nouvelle revue critiquant bien trop les partis et les jeux traditionnels du parlementarisme pour accepter qu’elle apparaisse comme l’organe d’un groupement politique.

Culture d’abord dit Léopold et il préfère de beaucoup la lecture de Léo Frobenius à celle de Marx. Ni lui, ni Aimé Césaire ne consentent à entrer au Parti Communiste. Les prises de position

ne se font pas ex cathedra. Les jeunes gens, et quelques jeunes filles du groupe se comportent en

militants et, dans les réunions d’Antillais et d’hommes de couleur, vont porter la contradiction aux bourgeois, ils commencent à écrire leurs premiers articles, à engager leurs premières polémiques, ils ont surtout de libres discussions qui se poursuivent dans les cafés du Quartier Latin ou du boulevard Saint Germain. Aimé Césaire et Léopold Senghor se voient chaque jour mais toute la bande se réunit souvent dans un restaurant près de l’avenue de Béarn, où, à condition d’être introduit par un « parrain », l’on fait crédit aux intellectuels désargentés. Lorsqu’ils viennent de toucher leurs bourses d’études, dans l’euphorie d’une richesse neuve

sinon durable, ils déjeunent aussi place de la Sorbonne, chez Alina où ils se délectent de cuisine

grecque. Véritables Maîtres Jacques du journal, ils se procurent l’argent nécessaire pour payer

l’imprimeur en organisant des soirées à la mairie du Vè

. » 3

1

JANET (G.) Vaillant. Op. cit.

2 Ibidem.

4. « La connaissance de moi-même ».

Avant de débarquer à Paris, Senghor avait, déjà, une idée claire de l’homme qu’il était, d’où son conflit avec le Père Lalouze : il appartient à une ethnie, celle des Sérères, qui a un monde de vie propre, des traditions séculaires, une histoire, un code de civilité : en un mot, une civilisation. Pour en avoir soutenu l’existence, il est renvoyé du Séminaire. Mais l’idée de différence culturelle entre Blancs et Noirs s’était déjà ancrée en lui. Jusqu’à son arrivée en France, il se connaissait sérère, homme du Sine. Avec son arrivée en France, il va se découvrir comme homme appartenant à une communauté culturelle : il va se découvrir nègre ; donc, approfondir la connaissance qu’il a de son être, comme il le précise, lors de sa réception en avril 1961, par le Conseil Municipal de la ville de Paris [ 1964 : 313] :

Cependant, la plus grande leçon que j’ai reçue de Paris est moins la découverte des autres que de moi-même. En m’ouvrant aux autres, la Métropole m’a ouvert à la connaissance de moi-même (…) véritablement Paris, en me révélant les valeurs de ma civilisation ancestrale, m’a obligé à les assumer et à les faire fructifier en moi.

Cette découverte de soi sera favorisée par des lectures. En particulier, par la lecture de Léo Frobenius, ethnologue allemand, homme de terrain. A la suite d’une série de voyages effectués en Afrique, il publie deux livres qui exercent, sur la génération de Senghor, une grande

influence : Histoire de la civilisation africaine et Le Destin des Civilisations. Senghor n’a rien

caché de ce qu’il doit à l’ethnologue allemand.1

Dans une étude datant de 1973 et intitulée Les

leçons de Léo Frobenius, il écrit [1977 : 399]

C’est Léo Frobenius, plus que tout autre, qui a éclairé, pour nous, des mots comme émotion, art, mythe, Eurafrique.

En fait, de Frobenius, Senghor retient quatre leçons. D’abord, l’ethnologue allemand contribue à

ruiner la thèse de la tabula rasa, du vide culturel qu’aurait été l’Afrique avant l’arrivée des

Européens qui a, par contrecoup, dominé l’Europe jusqu’au début de ce siècle. » 2

Puis, partant du fait qu’il existe, non des peuples civilisés face à des peuples sauvages, mais des peuples différents les uns des autres par leur civilisation respective, il indique la raison de cette

1 Chaque fois qu’il en avait eu l’occasion, Senghor rendait hommage Léo Frobinius. Président de la République du Sénégal, il fit baptiser la rue qui passe devant sa résidence dakaroise du nom de l’ethonologue. Son adresse à Dakar était : Villa les Dents de la Mer, 3, rue Léo Frobenius, Fann – Résidence, Dakar.

différence en la fondant sur la notion de païdeuma. Et, à propos de cette notion, Senghor a écrit [ 1977 : 400] :

… chaque peuple possède sa païdeuma, c’est-à-dire sa faculté et sa manière originales d’être ému : d’être « saisi »

pour préciser, par la suite [ 1977 : 402] :

… chaque peuple, ayant sa païdeuma – encore une fois son âme réagit d’une façon originale à l’environnement et se développe d’une façon autonome.

En insistant sur cette notion de païdeuma, Frobenius réhabilite ces valeurs de la civilisation

négro-africaine que sont : dans le domaine de la philosophie et de l’ontologie, la connaissance intuitive ; dans le domaine de la création littéraire, le mythe ; dans le domaine de la création artistique, la fonction existentielle de l’art dans la vie de l’homme et du peuple.

Ensuite, la troisième leçon que Senghor retient de Frobenius est la possibilité de convergence, de

ressemblance culturelle. Parce que chaque ethnie possède sa païdeuma, chaque culture se

développe en affirmant son originalité. Cependant, il arrive que des peuples différents mettent l’accent sur les mêmes valeurs de civilisation, bien que très éloignés les uns des autres, n’ayant jamais eu de contact entre eux, ne possédant pas le même niveau d’évolution scientifique et technique. D’où l’existence de peuples qui, comme « Allemands et Ethiopiens appartiennent à

la même famille spirituelle » 1comme le constate Frobenius : « L’Occident créa le réalisme