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Léopold Sédar Senghor a écrit : Je suis né en plein cœur du Sine, au croisement des cartes et des

routes. En effet, le Sine, sa région natale, peut être considéré comme un creuset. Son peuplement définitif s’est effectué à la suite d’une série de vagues d’immigrations, suivant deux axes ; du nord-est vers le sud-ouest et du sud-est vers le nord-ouest.

D’abord du nord-est vers le sud-ouest. A partir du XIe siècle, à la suite de la désertification progressive du Sahara et, plus précisément de l’actuelle Mauritanie, du surpeuplement de la

vallée du fleuve Sénégal qui en a résulté et, sous la poussée des Almoravides1, un rameau du

peuple Bafour 2 émigre du Hoddh mauritanien vers la Petite Côte. 3 A ces premiers émigrants,

des historiens comme le nigérien Boubou Hama donnent le nom de Proto-Sérères, tandis que

d’autres, comme Henri Gravrand, préfèrent l’appellation de Serrer-cosaan4

Ensuite du sud-est vers le nord-ouest. Sous la poussée des Peuls musulmans peuplant les hauteurs du Fouta Djallon, des Malinkés animistes quittent le Gabou pour venir s’installer au

Sine, s’y mêlant aux Proto-Sérères ou Sereer-cosan. Ainsi, comme le fait remarquer

Henri-Gravrand : « L’ethnie sérère et la culture sérère ne sont parvenues à leur achèvement qu’après leur rencontre (rencontre des sereer-« cosaan) avec des peuples venus du monde mandé. Il est donc justifié d’affirmer que le véritable visage de la culture sereer n’apparaît qu’après le métissage biologique et culturel des sereer-cosaan et des Mandé. Le Sereer historique, l’homme

sereer actuel, est issu de ce métissage. » 5

Le Gâbou, pays d’origine de ces « Mandé » est cette « région de Haute Guinée portugaise » dont il a été question plus haut, dans la déclaration de Senghor à Mohamed Aziza. Le pays était, aux

1 Néophytes musulmans de race blanche dont l’ambition était de convetir à l’Islam les Noirs animiates. Leu nom dérive de l’arabe « al murabitun » qui signifie « ceux des ribbat » c’est-à-dire des couvents, des monastères. Les Almoravides étaient des moines guerriers qui après avoir détruit l’Emire du Ghana, le premier grand empire noir du Soudan nigérien, ont franchi le détroit de Gilbaltar sous la conduite du général Tarik pour conquérir l’Espagne.

2 Le Nord de l’Afrique occidentale était désigné par le terme de Bafour, par opposition au Darfour (région du Soudan nilotique) du peule Bafour initialement installé en Mauritanie seraient issus trois rameaux : un rameau comprenant les Wolofs, les Sérères, les Lébous ; un rameau comprenant les Maliniés et les Bambaras et un rameau coprenant les Sonrhaïs. Ces précisions sont de Amadou Hampaté Ba et de Boubou Hamma.

3

Région du Sénégal située sur l’Atlantique et comprise entre Dakar et la Gambie.

4

Henri Gravrand peut être considéré comme un spécialiste de la culture sérère. Arrivé au Sine vars la fin des années 1940, il eut, d’après Senghor comme « premier mérite, d’avoir choisi de se faire Sérère avec les Sérères ». S’étant mis à l’écoute de Mahékor Diouf « dernier roi du Sine » et d’autres traditionalistes, il publie, en 1983, le premier tome de son livre La Cibvilisation sereer ; (NEA).

5 GRAVRAN (H).- Op. cit. Page 59. Le mot cosaan signifie, en langue wolof, autrefois. Les Séreer-cosaan sont don

XIIIe et XIVe siècles, une province du prestigieux empire du Mali. Tiramakan Traoré, général de Soundiata Kéïta, après sa victoire sur l’empereur du Djolof (Sénégal) : Djolofing Mansa ne retourna pas à Niani, la capitale du Mali. Il passa le reste de ses jours à guerroyer dans les pays de la Sénégambie, s’y taillant un fief qui, toutefois, demeurait tributaire du Mali.

Lorsque le Mali entra en décadence, le Gâbou s’affranchit de sa tutelle, devint indépendant et s’étendit, du Rio Corrubal, au sud, au fleuve Gambie, au nord, englobant ainsi : une bonne partie de la Guinée Bissao, le nord-ouest de la République de Guinée, le sud-ouest de la République du

Mali 1(le pays de Khasso), la Casamance et la Gambie, deux provinces méridionales de la

République du Sénégal. 2 C’est donc de ce royaume « mandé » ébranlé par les coups de boutoir

des Peuls du Fouta Djallon que partirent des Malinkés pour se fixer au Sine et y fonder la

dernière dynastie des rois : celle des Guélowars3.

Ainsi, à la suite d’un peuplement en deux temps, suivant deux axes d’immigration, deux

traditions orales conservent les origines du Sine : la tradition des Sereer – cosaan, la plus

ancienne et celle des Guélowars qui, plus récente, est mieux connue. Senghor s’en inspire pour

rédiger l’épopée de son peuple, dans son poème Que m’accompagnent kôras et balafong, inséré

dans le recueil Chants d’Ombre.

La sixième strophe de ce poème peut être considérée comme une véritable saga des Sérères. Le poète commence par y faire allusion aux multiples guerres ayant opposé Gabunkés et Peuls, avant l’exode de ceux-là, vers le Sine [1990 : 34 ] :

J’étais moi-même le grand-père de mon grand-père

J’étais son âme et son ascendance, le chef de la maison d’Elissa du Gâbou Droit dressé, en face du Fouta Djallon, l’Almamy du Fouta.

« On nous tue Almamy, on ne nous déshonore pas »

Ni ces montages ne purent nous dominer ni ses cavaliers nous encercler ni sa peau claire nous séduire

Ni nous abâtardir ses prophètes.

1 Dont les limites ne corespondant pas àcelles de l’empire du Mali.

2

Nous avons jugé nécessaires ces précisions sur le Gâbou car, si les historiens ont beaucoup glosé sur les royaumes et empires de l’Afrique occidentale avant la colonisation, ils ne dirent pratiquement rien de ce royaume qui se situait en Guinés portugaire ; or les Portugais ne firent rien pour encourager la connaissance de leurs colonies, bien au contraire ; aussi faudra-t-il attendre l’indépendance pour que, sous l’égide de la Fondation Léopol Sédar Senghor, un colloque international fournisse des détails sur le rayonnement de l’Etat et de la civilisation gabunké (cf. n° spécial de la revue Ethiopiques d’octobre 1981).

3 La sociéé sérère traditionnelle comme toutes les sociétés traditionnelles soudano-sahéliennes comprennent trois castes : celle des hommes libres, celle des artisans et celle des exclaves. Chacune d’elles comprend des subdivisions. Ainsi, la première comprend, à côté des lamanes ou « maîtres de terre », les Guélowars constituant une aristocratie militaire au sin de laquelle étaient choisis les rois.

Les néophytes peuls voulaient convertir les Malinkés animistes à l’Islam. Ceux-ci refusèrent. Aussi, les guerres furent-elles longues et meurtrières [ 1990 :34 ] :

Et seize ans de guerre ! seize ans de battements des tabalas de guerre des tabalas des balles

Seize ans les nuages de poudre ! seize ans de tornade sans un beau jour un seul.

Finalement, submergés par le flot des adversaires, fidèles à leur devise1 ; les Malinkés choisirent

de se faire sauter sur leurs poudres [ 1990 : 34 ] :

« On nous tue, Almamy ». Sur ce haut bûcher, j’ai jeté

Toutes mes richesses poudreuses : mes trésors d’ombre gris et de cauris Les captifs colonnes de ma maison, les épouses mères de mes fils Les objets du sanctuaire, les masques graves et les robes solennelles

Mon parasol, mon bâton de commandement qui est de trois kintars d’ivoire Et ma vieille peau.

Cependant, deux princesses (et quelques paysans) échappèrent au massacre [1990 :34 ] :

Et parmi elles, la mère de Sira-Badral, fondatrice de royaumes Qui sera le sel des Sérères, qui seront le sel des peuples salés.

L’épopée, telle que relatée par Senghor, a pris des libertés vis-à-vis de l’histoire. Le poète confond la chute de Kansala, capitale du Gâbou, survenue en 1867, avec celle d’Elissa, survenue en 1850, dix-sept ans, plus tôt. D’ailleurs, pour lui, les deux villes ne font qu’une :

… Les Guélowars du Sine descendaient des Mandingues du Gâbou, et l’on citait le village d’Elissa, qui, après une longue guerre contre les Peuls, envahisseurs, seraient partis de leur pays pour soumettre au bout de leur course, le Royaume du Sine ; J’ai découvert « Elissa » en Guinée Bissao. C’est Kansala. 2

En fait, l’épopée-odyssée dont fit partie « la mère de Sira Badral » se situe bien avant le XIXè

siècle. Si l’on ne peut dire à quelle date précise les Guélowars arrivèrent au Sine, des

recoupements ont permis de situer cette arrivée au XIVe siècle. Donc, cinq siècles avant la chute

de Kansala et la destruction du Gâbou par les Peuls.

1 « On ne tue, on ne nous déshonore pas » Ou encore : « Plutôt la mort que la honte ».

Selon le R.P. Henri Gravrand : « La tradition orale a conservé « quelques noms, parmi les héros

de cet odyssée, en attachant à leur non celui de Badiar, qui est devenu par la suite

Bandiâne : Bourama Badiar Mané, Sira (ou Siga) Badiar Mané et Toukoura Badiar Senghor. Ces deux personnages étaient nés de Mousso-Koto, sœur de Mady Badiar Mané. Toukoura Badiar Senghor est le légendaire ancêtre du Président Léopold Sédar Senghor dont les traditions

familiales s’enracinent dans la province du Badiar au Gâbou . (1)

Donc, la tradition orale sérère mentionne le nom Senghor bien avant l’arrivée des Portugais sur

les côtes d’Afrique Occidentale (2). C’est dire que la linguistique peut autoriser le rapprochement

avec le portugais senhor, elle n’établit pas, avec certitude, que Senghor soit d’origine portugaise.

Au début de ce chapitre, trois questions ont été posées. Des investigations récentes ont permis de dire qui sont les Malinkés du Gâbou, qui est Sira Badral. Des précisions ne purent pas être

obtenues pour savoir l’origine exacte et, partout, la signification exacte du nom Senghor. Sur ce

point, deux thèses sont en présence, et ne concordent pas : celle de Léopold Sédar Senghor lui-même, qui fait appel à la linguistique et à la génétique pour soutenir son point de vue ; celle du R.P. Henry Gravrand qui fait appel à la tradition orale, source de l’histoire en Afrique noire, à

l’appui du sien. 3

Nous préférons laisser le débat ouvert pour répondre à cette dernière question : Senghor est-il d’une illustre ascendance ? Nous répondrons par l’affirmative, tout simplement, parce que cela

nous paraît cadrer avec la réalité. Lui-même s’est présenté : le chef de la maison d’Elissa du

Gâbou . Et de poursuivre à l’intention de Mohamed Aziza [1980 : 32]

Mon père soutenait même que la fameuse Sira Badral, qui est à l’origine de la noblesse guelware, appartenait à sa famille.

Ce point de vue du père de Senghor se trouve confirmé par le R.P. Gravrand : « Toukoura Badiar Senghor était le fils de Mousso Koto, elle-même sœur de Mady Badiar Mané. Or, ce

dernier, tout comme la princesse Siga Badiar (Sira Badral) porte l’un des deux patronymes 1

1

No spécial de la revue Ethiopiques d’octobre 1981

2

Senghor, au cours de notre entretien du 23 janvier 1985, a contesté la version de HenriGravrand. En plus de la linguistique, il fit également appel à la génétique pour appuyer sa thèse : il est du groupe sanguin « A » très répandu en Europe (donc au Portugal), très rare en Afrique. Il a fait, à Mohamed Aziza, la même remarque, dans La Poésie de l’Action.

3 En accédant au trône du Gâbou, le roi (le mansaba) devait, obligatoirement, porter l’un des deux patronymes :

que seuls portaient ceux qui accédaient au trône du Gâbou : les Nianto 1 . Senghor est donc bien d’une illustre ascendance car, si l’histoire se confirme, si les données de la tradition orale

sérère recueillie par Henry Gravrand s’avèrent, il descend d’une princesse niantio : Sira Badral

Mané ».

Bien sûr, il ne faut pas attacher à cette ascendance l’importance qu’elle ne possède pas. Les contacts, d’abord, avec la civilisation arabo-islamique, ensuite, avec l’Europe occidentale, ont profondément bouleversé les sociétés négro-africaines traditionnelles. Senghor ne l’ignore pas, qui écrit [ 1990 : 63 ] :

… Ni maîtres désormais ni esclaves ni guelwars ni griotsde griots.

Et il eut le mérite de ne pas se prévaloir, au plan politique, de cette ascendance pour légitimer son pouvoir, asseoir son autorité, en se situant dans une continuité historique.

Cependant, il n’était pas non plus inutile d’évoquer cette ascendance. La saga des Sérères, qui est d’abord celle des Gâbounkés, a beaucoup inspiré le poète. Aussi, remonter aux origines de ce dernier c’est, du coup, découvrir le matériau dans lequel il a puisé pour composer certains de ses poèmes.

Maintenant, après l’ascendance, l’homme lui-même !

Léopold Sédar Senghor est né en 1906, à Joal ; le 9 octobre, d’après le registre d’état civil ; le 15 août d’après l’acte de baptême. Cet écart entre les ceux dates ne le préoccupe pas outre mesure. Bien au contraire, à propos de cet écart, il ne manque pas d'ironiser: c’est un détail qui n’intéresse que les amateurs d’astrologie.

Plus importantes sont les précisions qu’il a fournies à Edouard Maunick, le poète mauricien, concernant ce qu’il considère comme étant les temps forts de sa vie. Ceux-ci sont au nombre de quatre : la période de la première enfance, l’inscription à l’école des Blancs, le passage au Collège-séminaire Libermann de Dakar et, enfin « les années ardentes », celles qu’il eut à vivre au Quartier Latin, à Paris, dans le courant des années 1930.

1

La société gabunké est très hiérarchisée. Au sommet d’une pyramide figurent les Niantio, caste d’où étaient toujours choisis les rois, les Mansaba. On était niantio uniquement par sa mère, de sorte que, l’enfant d’un prince

II. LA PÉRIODE DE LA PREMIÈRE ENFANCE

Elle s’étend sur les sept premières années de la vie de Senghor, de 1906 à 1913 et se caractérise par des fugues hors de la villa paternelle : l’enfant s’en échappe constamment pour aller folâtrer,

en compagnie des jeunes bergers, à travers les champs, sur les tann1 ou nager dans les bolong. 2

C’est la période du séjour au Royaume d’Enfance, séjour que le poète a beaucoup évoqué, sur

lequel il a beaucoup insisté, sur lequel nous reviendrons plus longuement dans le chapitre consacré à l’univers imaginaire pour découvrir : le cadre, les êtres et les choses qui charmèrent ces sept premières années.

Cependant, dès maintenant, nous pouvons déjà essayer de dégager l’importance de ce séjour et apprécier ainsi la raison pour laquelle Senghor le considère comme un temps fort de sa vie.

Dans la controverse qui l’a, près de quatre décennies durant, opposé à divers détracteurs, Senghor a été constamment accusé d’être un intellectuel nègre occidentalisé à cent pour cent, coupé des réalités du monde noir, ignorant tout des us et coutumes de son terrain de son Sénégal natal : en un mot ; un intellectuel assimilé, un renégat, un « nègre blanc ». « Il n’est africain que de peau », a-t-on pu dire.

Ceux qui soutiennent une telle thèse s’appuient sur deux données, d’abord, très jeune, âgé seulement de sept ans, il eut une éducation différente de celle de ses compagnons d’âge, son père ayant confié aux prêtres de la mission catholique de Joal le soin d’assurer cette formation ; ensuite, après son succès au baccalauréat, il est resté longtemps absent du Sénégal, pour un séjour prolongé en France.

Au total, Senghor est resté un quart de siècle à l’école française, effectuant : six années d’études primaires, sept années d’études secondaires, « douze ans d’errance », selon sa propre expression, en France. Cependant, il faut se garder de conclure hâtivement qu’au terme de ces vingt-cinq ans passés à « l’école étrangère », il soit devenu un assimilé, les choses n’étant aussi simples que l’on pourrait le croire.

1

Le tann : « bras de mer ou cheval bordé de palétuviers le plus souvent. » note de Senghor.

2 Le bolong : « terre plate que recouvre la mer ou le bras de mer à l’époque des grandes marées ». (Note de Senghor).

Que Senghor ait fortement subi l’influence de l’Occident est un fait indéniable. Du reste, lui-même ne le dissimule pas, s’imposant un style de vie à la française. Mais, s’il reconnaît volontiers sa dette envers l’Occident, singulièrement envers la Francs, c’est toujours pour reconnaître qu’à part l’esprit d’organisation et de méthode, le monde blanc ne lui a pas appris grand-chose.

Certes, très tôt, il a été confié aux prêtres. Mais le séjour au Petit Séminaire de Ngazobil ne ressemble en rien à un séjour dans un cloître : après les heures de cours, le jeune séminariste retrouve, avec prédilection, cette vie au sein de la grande nature [1990 : 31]:

Mais après les pistaches grillées et salées, après l’ivresse des Vêpres et de midi Je me réfugiais vers toi, Fontaine des Eléphants à la bonne eau balbutiante Vers vous mes ancêtres, aux yeux graves qui approfondissent toutes choses.

Et il n’y avait pas que les moments de récréations. Il y avait également les vacances : les petites

et grandes. Le jeune séminariste en profitait pour aller rejoindre les siens, à Djilor, et revivre les

charmes du Royaume d’Enfance, comme l’atteste un de ses compagnons de jeu, Oumar Ndof Diouf : « Léopold et moi, nous sommes du même âge. Quand il revenait de Ngazobil, je ne cultivais plus. Je ne gardais plus le troupeau de mon père. Je l’accompagnais jour et nuit. Nous

nous baignons dans le Mama Ngueth. Nous nous promenions dans la brousse ».1 Donc, la même

vie d’avant l’inscription à l’école : les mêmes baignades dans les bolong, les mêmes promenades

sur les tann.

Certes, Senghor est resté longtemps en France : « douze ans d’errance », a-t-il confessé. Mais ces douze années ne sont pas passées dans l’oubli du pays natal. Les études peuvent l’occuper, les amis l’intéresser, Paris, par mille aspects, l’attirer, la capitale française et sa région

n’arrivent pas à lui faire oublier Joal et le Sine. Ainsi, dans son poème A l’appel de la race de

Saba, après avoir évoqué les jours de (ses) pères ; les soirs de Djilor, en un mot, les charmes du Royaume d’Enfance, s’adressant à sa mère, il écrit [1990 : 62] :

Je ne souffle pas le vent d’Est sur ces images pieuses comme sur le sable des pistes

Mais je n’efface les pas de mes pères ni des pères de mes pères dans ma tête ouverte à vents et pillards du Nord.

C’est donc un homme exposé à diverses influences culturelles qui résiste contre l’assimilation. Aussi, de retour au pays natal, pourra-t-il écrire, s’adressant à la nuit, une nuit symbolisant, sous

les traits d’une femme, l’Afrique-mère et, plus précisément le Royaume d’Enfance [1990 : 39] :

Nuit qui me délivre des raisons des salons des sophismes des pirouettes des prétextes, des haines calculées des carnages humanisés

Nuit qui fonds toutes mes contradictions, toute contradiction dans l’unité première de ta négritude.

Reçois l’enfant toujours enfant, que douze dans d’errances n’ont pas vieilli. Je n’amène d’Europe que cette enfance amie, la clarté de ses yeux parmi les brumes bretonnes

La restriction contenue dans le dernier vers, restriction exprimée par la négation « n’… que » est significative : « cette enfant amie » symbolise l’innocence, la candeur, la pureté : l’ensemble des

traits de caractère du jeune Senghor, avant son inscription à l’école, en un mot, les charmes du

Royaume d’Enfance. Du reste, au début du poème Que m’accompagnent kôras et balafong, la précision : [1990 : 30]

Au détour du chemin la rivière, bleue par les prés frais de Septembre